C Exposé des motifs par M. Joseph O'Reilly,
rapporteur pour avis
1 Permettez-moi tout d’abord
de féliciter Mme Hannah Bardell (Royaume-Uni,
NI) pour le rapport qu’elle a établi en temps utile pour la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme. Son rapport complète
mon propre rapport sur «La dépendance involontaire aux médicaments
sur ordonnance». Je suis très heureux de voir que la commission
des questions juridiques a approuvé une approche de la politique
en matière de drogues fondée sur les droits, s’appuyant en cela
sur les travaux antérieurs de la commission des questions sociales
sur la promotion des politiques de santé publique dans la lutte
contre la drogue (voir en particulier la
Résolution 1576 (2007) de l’Assemblée
Note, «Pour une Convention européenne
sur la promotion des politiques de santé publique dans la lutte
contre la drogue» et l’appel de la commission de novembre 2015 en faveur
d’une politique en matière de drogues axée sur la santé publique
Note).
2 Comme Mme Bardell le souligne à
juste titre dans son rapport, le document final adopté à l’issue
de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations
Unies sur le problème mondial de la drogue, qui s’est tenue en avril
2016 (UNGASS 2016)
Note, réaffirme l’engagement pris par
tous les États membres de l’ONU en 2009 «à faire en sorte que tous
les aspects de la réduction de la demande, de la réduction de l’offre
et de la coopération internationale soient traités [dans le plein
respect de] tous les droits de l’homme»
Note. Les recommandations opérationnelles
contenues dans ce document ont été développées plus en détail en
2019 dans les
International Guidelines
on Human Rights and Drug PolicyNote. Ce qui fait défaut – y compris dans certains
États membres du Conseil de l’Europe – est la volonté politique
de concrétiser les engagements pris et de mettre en œuvre les recommandations
qui ont été faites.
3 Ceci est regrettable car les pays qui ont abandonné l’optique
répressive de la «guerre à la drogue» pour une approche de santé
publique fondée sur les droits (comme le Portugal) s’en sortent
beaucoup mieux que les pays qui se sont accrochés à leur vieux mantra,
même si l’on considère des indicateurs aussi simples que le nombre
de décès liés aux drogues. Comme le propose Mme Bardell,
le choix d’indicateurs plus pertinents (qui tiennent aussi compte
des objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU) pourrait
rendre les avantages d’une approche de santé publique fondée sur
les droits encore plus visibles et contribuer ainsi à éroder l’opposition
à laquelle elle se heurte (amendement D).
4 L’opposition à cette « nouvelle approche » provient en grande
partie de mythes entretenus par l’absence de données ou leur inexactitude.
Toutefois, la montée du populisme et de l’extrême droite ces dernières années
a aussi contribué à inciter les responsables politiques à montrer
leur « fermeté » face à la drogue et au crime. Le transfert de la
compétence globale de la coordination de la politique en matière
de drogues du ministère de l’Intérieur au ministère de la Santé
(que Mme Bardell considère comme une
bonne pratique dans son rapport) pourrait être un antidote efficace (amendement C).
5 Il convient aussi de souligner l’importance d’une approche
de santé publique dans toutes les politiques en matière de drogues.
Même les mesures respectant les droits humains peuvent produire
des effets négatifs en termes de santé publique : ainsi, les réponses
pénales à la criminalité liée aux drogues peuvent être conformes
aux droits humains ainsi qu’aux garanties légales et aux garanties
procédurales de la justice pénale et constituer néanmoins la mauvaise
approche à suivre face à des jeunes délinquants toxicomanes. Une approche
de santé publique produirait des résultats plus positifs, aussi
bien pour les individus concernés que pour la société. Il est donc
essentiel que la politique en matière de drogues soit réformée dans
tous les pays du Conseil de l’Europe de sorte qu’elle soit compatible
avec les normes internationales des droits humains mais aussi avec
une approche de santé publique (amendements
A, B, K, M, O, P).
6 Les droits des enfants sont aussi des droits humains, et les
enfants méritent une protection particulière. Ce principe vaut aussi
pour les politiques en matière de drogues et les infractions liées
aux stupéfiants. Cependant, les données concernant les enfants sont
parfois inexactes, si tant est qu’elles existent et qu’elles ne
sont pas mélangées avec celles concernant «les jeunes». Il est donc
capital de porter une attention particulière à la collecte et à
la diffusion de données ventilées par âge et par sexe sur l’usage
de drogues par les enfants et les risques associés ainsi que sur
la nature de la participation d’enfants au commerce illicite de drogues (amendement E).
7 Les États devraient bien sûr avant tout éviter que les enfants
ne soient victimes des drogues ou de la criminalité liée aux drogues
et donc prendre toutes les mesures appropriées conformes aux droits
humains, notamment de nature législative, administrative, sociale
et éducative, pour protéger les enfants contre l’usage illicite
de drogues, y compris en garantissant la disponibilité et l’accessibilité
adéquates des services de prévention, de réduction des risques et
de traitement adaptés à leurs besoins, et pour éviter l’utilisation
des enfants pour la production et le trafic illicite de drogues.
Les professionnels de l’éducation, de la santé et autres devraient
être correctement formés à repérer les cas où des enfants sont impliqués
dans des affaires de drogues et à prendre les mesures nécessaires
au besoin (amendements F, H).
8 Lorsque des enfants sont impliqués dans des affaires de drogues,
ils ne devraient pas être poursuivis au pénal pour usage ou détention
de drogue pour consommation personnelle, conformément aux
International Guidelines on Human Rights and
Drug Policy (mars 2019) tel que réitéré par le Comité
pour les droits de l'enfant des Nations Unies. Les enfants doivent
être protégés contre les drogues et aidés à en arrêter la consommation
et non pas être poursuivis au pénal lorsqu’ils en consomment (ou
en deviennent dépendants). La peur empêche facilement les enfants
de demander de l’aide pour eux-mêmes ou pour d’autres car le risque de
poursuites au pénal leur fait craindre l’opprobre, l’arrestation
ou la prison; du point de vue de la santé publique, poursuivre des
enfants au pénal à cause de leur consommation de drogues est catastrophiquement contre-productif
et conduit à des décès et à des dommages inutiles pour leur santé
mentale et/ou physique. Une inscription au casier judiciaire suffit
à ruiner les perspectives d’étude et d’emploi ultérieurs des enfants, tandis
que la prison peut les rendre violents et en faire des criminels
endurcis qu’ils n’étaient pas auparavant. Lorsque des enfants commettent
d’autres infractions liées aux drogues, ils devraient, dans toute
la mesure du possible, être soustraits à la justice pénale; la réhabilitation
devrait avoir la priorité sur la sanction. Il va sans dire que lorsque
cette déjudiciarisation n’est pas possible, les Lignes directrices
du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants
Note devraient être appliquées
(amendement M).
9 Les autres amendements proposés ont pour but de renforcer
le texte : l’amendement G souligne
la nécessité d’une information et d’une éducation objectives et
exactes sur les risques liés aux drogues. L’amendement I reconnaît
que la toxicomanie n’est pas seulement un état pathologique chronique
complexe, mais qu’elle donne aussi, hélas, fréquemment lieu à des
rechutes. L’amendement J incite
à réviser toute les lois, politiques et pratiques qui ont des effets
négatifs sur l’accès volontaire et sans discrimination des toxicomanes
à des services de santé et de réduction des risques et des dommages
de bonne qualité, et pas seulement celles qui peuvent avoir des
effets disproportionnés. L’amendement
L propose d’éliminer (plutôt que juste d’interdire) le
recours excessif à la force et les peines disproportionnées contre
les consommateurs de drogues. L’amendement
N vise à renforcer la lutte contre les organisations
et les groupes criminels organisés transnationaux qui se livrent
au trafic de drogues.
10 En conclusion, je considère que l’Assemblée devrait soutenir
pleinement le projet de résolution et le projet de recommandation
proposés par la commission des questions juridiques. Les États membres
devraient vérifier que les effets attendus et involontaires des
mesures en matière de drogue sont compatibles avec les normes internationales
des droits humains, et avec une approche axée sur la santé publique,
et adapter ces mesures en conséquence. Le Comité des Ministres devrait
adopter des lignes directrices concrètes, complètes et faisant autorité
à l’intention des États membres sur la conception de leurs politiques
en la matière, avec la participation constructive de toutes les
parties prenantes concernées. En outre, le Groupe Pompidou devrait recevoir
un nouveau mandat qui soutienne pleinement une approche des politiques
en matière de drogues en Europe qui soit fondée sur les droits humains
et la santé publique.