C Exposé des motifs
par Mme Brynjólfsdóttir, rapporteure,
1 Introduction
1. Dans un contexte où un grand
nombre d’enfants migrants non accompagnés et séparés arrivent en Europe,
la question de la protection de leurs droits est primordiale. Tous
les migrants sont vulnérables, mais la probabilité d’être victime
de violence – notamment d’abus sexuels – est encore plus forte chez
les enfants et les jeunes. Il convient donc de leur accorder une
protection spécifique. Les enfants non accompagnés et séparés risquent
davantage d’être victimes de la traite des êtres humains ou de réseaux
criminels, ce qui entraînerait des conséquences néfastes. Placer
les enfants non accompagnés ou séparés sous la protection d’un tuteur
spécialisé permet d’assurer le respect de leurs droits et de trouver
des solutions pour leur vie future.
2. La priorité des tuteurs devrait être d’assurer l’accès des
enfants migrants non accompagnés à leurs droits et de veiller au
respect de leur intérêt supérieur. Les tuteurs peuvent construire
une relation de confiance avec l’enfant et veiller à son bien-être,
y compris pendant les périodes d’intégration, en coopération avec d’autres
acteurs. Ils peuvent aussi contribuer à empêcher les disparitions
ou la traite d’enfants. La tutelle est un élément clé de la transition
vers l’âge adulte et de l’intégration dans un nouveau pays.
3. L’Assemblée parlementaire a abordé le problème de la tutelle
dans plusieurs de ses rapports. Consciente des intérêts en jeu,
elle a appelé à harmoniser les réglementations «en matière de désignation
de tuteurs et de représentants légaux, et à établir une définition
commune de leur mission et de leur rôle» dans sa
Résolution 2136 (2016)Note. Dans sa
Résolution 2243 (2018) sur le regroupement familial des réfugiés et des migrants
dans les États membres du Conseil de l’Europe
Note, l’Assemblée a souligné que la désignation
d’un tuteur constituait une «mesure essentielle». L’Assemblée a
également appelé les États membres, dans sa
Résolution 2195 (2017), à «désigner un tuteur chargé d’assister individuellement
chaque enfant migrant non accompagné au cours de la procédure de
détermination de l’âge»
Note.
4. Aux fins du présent rapport, j’utiliserai la définition du
Règlement relatif aux procédures d’asile de l’Union européenne
NoteNote, selon lequel un tuteur est «
une personne ou une organisation désignée pour
assister et représenter un mineur non accompagné afin de préserver
l’intérêt supérieur de l’enfant et son bien-être général lors des
procédures prévues dans le présent règlement et, le cas échéant,
d’accomplir des actes juridiques pour le mineur». Il
est essentiel de rappeler cette définition afin de la comparer avec
les définitions des rôles et des responsabilités des tuteurs dans
différents États membres de l’Union européenne.
2 Normes internationales pertinentes
5. Plusieurs instruments juridiques
européens et internationaux fournissent des normes relatives aux
droits des enfants migrants non accompagnés et séparés. Les dispositions
des Nations Unies (voir ci-dessous) servent de référence en Europe
et ont des incidences sur les politiques nationales. Néanmoins,
chaque État membre a établi ses propres dispositions concernant
l’application du droit international sur son territoire, lesquelles
ne sont pas toujours conformes aux normes internationales. Cette
incohérence entrave les droits des enfants en termes d’accès à un
système de tutelle complet et harmonisé.
2.1 Les
Nations Unies
6. La Convention des Nations Unies
relative aux droits de l’enfant
Note adoptée en 1989 confère clairement aux
États la responsabilité en matière de protection des enfants migrants
non accompagnés et séparés sur leur territoire. Le Comité des droits
de l’enfant a énoncé quatre grands principes qui doivent guider
toutes les démarches concernant des enfants: l’intérêt supérieur
de l’enfant comme considération primordiale dans toutes les décisions
qui concernent les enfants (article 3), le principe de non-discrimination
pour quelque motif que ce soit garantissant l’égalité de traitement
de tous les enfants (article 2), le droit de l’enfant d’être entendu et
à ce que son point de vue soit dûment pris en compte (article 12)
et le droit de l’enfant à la vie, à la survie et au développement
(article 6).
7. La désignation d’un tuteur est essentielle pour garantir le
respect de l’intérêt supérieur des mineurs non accompagnés et séparés.
La responsabilité de réaliser cet objectif revient, sur un pied
d’égalité, aux tuteurs et aux parents, comme le prévoit l’article 18
de la Convention relative aux droits de l’enfant. Plus spécifiquement, l’article 18.1
indique que «la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son
développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant,
à ses représentants légaux».
8. L’Observation générale conjointe no 3
(2017) du Comité des Nations Unies pour la protection des droits de
tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et
no 22 (2017) du Comité des droits de
l'enfant sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme
des enfants dans le contexte des migrations internationales (16 novembre
2017, CMW/C/GC/3-CRC/C/GC/22) souligne, au paragraphe 32, que les
États parties devraient «(h) faire en sorte que les enfants soient
rapidement identifiés dans le cadre des contrôles aux frontières
et des autres procédures de contrôle des migrations relevant de
la compétence de l’État, et que toute personne qui affirme être
un enfant soit traitée comme tel, soit rapidement adressée aux autorités
de protection de l’enfance et à d’autres services compétents, et
se voie désigner un tuteur si elle est non accompagnée ou séparée».
Selon le paragraphe 36, «Les États parties devraient désigner gratuitement
[...] un tuteur dûment formé pour les enfants non accompagnés ou
séparés, le plus rapidement possible après l’arrivée des enfants
sur leur territoire»
Note.
9. Dans l’Observation générale conjointe no 4
(2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille et no 23
(2017) du Comité des droits de l’enfant sur les obligations des
États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte
des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit,
de destination et de retour (16 novembre 2017, CMW/C/GC/4-CRC/C/GC/23),
le paragraphe 17 i) indique que l’un des droits qui devraient être
garantis aux enfants est «[...] le droit de se voir désigner un
tuteur compétent, aussitôt que possible, qui serve de garantie de
procédure fondamentale allant dans le sens du respect de leur intérêt
supérieur». Quant au paragraphe 30, il énonce que «les États devraient
apporter une aide appropriée aux [...] tuteurs dans l’exercice de
la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant, notamment
au moyen de prestations sociales, d’allocations pour enfant à charge
et d’autres services de soutien social, quel que soit le statut
migratoire des parents [ou] de l’enfant»
Note.
10. L’Observation générale no 6 prévoit
un cadre temporel clair concernant la désignation d’un tuteur. Le paragraphe 33
stipule que «les États devraient donc désigner un tuteur ou un conseiller
dès que l’enfant non accompagné ou séparé est identifié en tant
que tel et reconduire ce dispositif jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge
de la majorité ou quitte le territoire […] à titre permanent».
11. Le paragraphe 33 définit aussi clairement les responsabilités
d’un tuteur qui doit «veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant
soit préservé et que ses besoins d’ordre juridique, social, sanitaire,
psychologique, matériel et éducatif soient satisfaits de manière
appropriée − le tuteur assurant, entre autres, la liaison entre l’enfant
et les organismes spécialisés/les spécialistes fournissant toute
la gamme de soins dont l’intéressé a besoin».
12. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR), un tuteur est une personne indépendante qui protège les meilleurs
intérêts de l’enfant ainsi que son bien-être général, et qui peut compenser
la capacité juridique limitée de l’enfant
Note. Comme énoncé par le HCR, «un tuteur
indépendant et qualifié doit être désigné immédiatement
Note et gratuitement»
Note. Dans sa conclusion no 107
(LVIII), le Comité exécutif du HCR invite les Etats à faciliter
la désignation d’un tuteur ou d’un conseiller quand un enfant non accompagné
ou séparé est identifié
Note.
13. Les enfants migrants non accompagnés et séparés se sentent
souvent dépassés par les procédures administratives concernant leur
demande d’asile en raison de la complexité du processus et de la méconnaissance
de la langue dans laquelle il est conduit. Les tâches que les tuteurs
doivent remplir sont indiquées au paragraphe 104 de la Résolution
de 2010 des Nations Unies sur les Lignes directrices relatives à
la protection de remplacement pour les enfants
Note. Ces responsabilités incluent: «garantir
que les droits de l’enfant sont protégés» et «veiller à ce que l’enfant
ait accès à une représentation légale ou autre, si nécessaire».
Par ailleurs, le paragraphe 36 de l’Observation générale no 6
couvre la nécessité de désigner un représentant légal pour aider
un mineur non accompagné qui est partie à une procédure à remplir
sa demande d’asile ou de permis de séjour.
14. Afin de garantir une protection suffisante des enfants migrants
non accompagnés et séparés, les États devraient respecter leurs
obligations et leurs engagements, en particulier ceux qu’ils ont
contractés en vertu de la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l’enfant, mais aussi ceux qui figurent dans ses protocoles
facultatifs et autres textes pertinents, y compris le Protocole
additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale
organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes,
en particulier des femmes et des enfants (2000), la Convention relative
aux droits des personnes handicapées (2006), la Convention concernant
la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection
des mineurs (1961), la Convention sur la protection des enfants
et la coopération en matière d’adoption internationale (1993) et
la Recommandation correspondante concernant l’application aux enfants
réfugiés et autres enfants internationalement déplacés (1994), ainsi
que la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance,
l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale
et de mesures de protection des enfants (1996).
2.2 L’Union
européenne
15. La protection des droits des
enfants est l’une des exigences de l’Union européenne qui sont expressément
énoncées dans les traités, droit primaire de l’Union européenne,
et dans les directives, droit dérivé. Conformément à l’article 3.3
de la version consolidée du Traité sur l’Union européenne
Note et la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne
Note, les droits de l’enfant doivent
être protégés au sein des États membres. Néanmoins, la mise en œuvre
de ces dispositions fait défaut dans les systèmes nationaux, notamment
s’agissant des droits des enfants migrants non accompagnés et séparés.
16. Les enfants migrants non accompagnés et séparés constituent
la catégorie la plus vulnérable des demandeurs d’asile. Plusieurs
directives européennes font référence à la nécessité de désigner
un tuteur pour les accompagner. En vertu de la Directive de 2011
concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir
les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir
bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme
pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire,
et au contenu de cette protection
Note, les États membres devraient, dès
que possible, prendre «les mesures nécessaires pour assurer la représentation
des mineurs non accompagnés par un tuteur légal ou, si nécessaire,
par un organisme chargé de prendre soin des mineurs et d’assurer
leur bien-être, ou par toute autre forme appropriée de représentation,
notamment celle qui résulte de la législation ou d’une décision judiciaire»
(article 31).
17. La Directive établissant des normes pour l’accueil des personnes
demandant une protection internationale
Note prévoit des garanties procédurales
concernant la désignation d’un représentant légal. Elle énonce par
ailleurs que les mineurs non accompagnés devraient être pris en
charge par un représentant «au cours des procédures prévues dans
la présente directive, afin de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant
et, le cas échéant, d’accomplir des actes juridiques pour le mineur».
18. L’Union européenne a adopté une loi spécifique pour protéger
les enfants victimes de la traite: la Directive 2011/36/UE concernant
la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre
ce phénomène ainsi que la protection des victimes
Note. En vertu du paragraphe 23 du Préambule
de la directive, «[i]l y a lieu de prendre les mesures nécessaires
pour garantir, le cas échéant, qu’un tuteur et/ou un représentant
soit désigné afin de veiller à l’intérêt supérieur du mineur». Le
paragraphe 24 précise que ces fonctions peuvent être remplies «par
la même personne, [qui peut être un représentant légal ou un tuteur]
ou par une personne morale, une institution ou une autorité».
19. Il convient de souligner qu’il n’y a pas de cohérence dans
l’utilisation du terme «tuteur» dans les directives de l’Union européenne.
Le terme «représentant légal (spécial ou autre)» est aussi employé
dans des contextes différents, sans distinction manifeste.
2.3 Conseil
de l’Europe
20. Plusieurs instruments juridiques
du Conseil de l’Europe définissent les droits et les obligations
des États membres envers les enfants, y compris la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (STE
no 5) et ses protocoles, la Charte sociale
européenne (STE no 35) et sa version
révisée (STE no 163), la Convention pour
la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des
données à caractère personnel (STE no 108)
et son protocole (STCE no 223), la Convention
européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (STE no 126)
et la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants
(STE no 160), la Convention sur la lutte
contre la traite des êtres humains (STCE no 197),
la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (STCE no 201) et
la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210).
21. En particulier, l’article 10, paragraphe 4 de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
Note précise clairement que dès qu’un
enfant est identifié en tant que victime et qu’il est non accompagné,
l’État «prévoit sa représentation par le biais de la tutelle légale,
d’une organisation ou d’une autorité chargée d’agir conformément
à son intérêt supérieur».
22. Le Comité des Parties à la Convention du Conseil de l’Europe
sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus
sexuels («Comité de Lanzarote») a abordé la question de la tutelle
dans son Rapport spécial sur la protection des enfants touchés par
la crise des réfugiés contre l’exploitation et les abus sexuels adopté
le 3 mars 2017. Il recommande que les Etats Parties à la Convention
s’assurent qu’un tuteur soit nommé pour les enfants non-accompagnés
touchés par la crise des réfugiés, quel que soit leur âge, afin d’établir
la confiance et de permettre la dénonciation d’exploitation ou d’abus
sexuel éventuels
Note.
23. Le 12 juillet 2007, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation CM/Rec(2007)9
sur les projets de vie en faveur des mineurs migrants non accompagnés
Note, qui précise que «les autorités
compétentes devraient s’engager à offrir, dans le cadre du projet
de vie, un cadre protecteur […] comportant l’accès […] à un tuteur
et/ou un représentant légal spécialement formés».
24. L’Assemblée a adopté la
Résolution 2136 (2016)Note afin de remédier au manque d’harmonisation
en matière de protection des mineurs non accompagnés. Dans sa résolution,
elle appelait à harmoniser les réglementations en matière de désignation
de tuteurs et/ou de représentants légaux pour ce qui est de «leur mission
et de leur rôle». Comme indiqué précédemment, l’Assemblée a mentionné
la question de la tutelle dans sa
Résolution 2243 (2018)Note; elle a en outre souligné le rôle
d’un tuteur au cours de la procédure de détermination de l’âge de
l’enfant migrant non accompagné dans la
Résolution 2195 (2017)Note.
25. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà établi la
vulnérabilité des enfants migrants non accompagnés et séparés dans
plusieurs affaires (Rahimi c. Grèce et Khan c. France, par exemple), dans lesquelles
elle a insisté sur la nécessité de désigner un tuteur pour ces mineurs.
L’affaire Housein c. Grèce renvoie
aussi à l’incapacité de l’État grec à désigner un tuteur pouvant
agir en tant que représentant dans une affaire qui portait sur une
violation de l’article 5.1 de la Convention.
2.3.1 Recommandation
CM/Rec(2019)11 du Comité des Ministres Note
26. Le 11 décembre 2019, le Comité
des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté la Recommandation CM/Rec(2019)11
sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés
et les enfants séparés dans le contexte de la migration. Cette recommandation
élaborée par le Comité ad hoc pour les droits de l’enfant pose des
principes directeurs clairs pour donner la priorité à la protection,
à l’assistance et à la sécurité des enfants en situation de migration
dans le cadre de la tutelle.
27. L'adoption de cette Recommandation par les 47 États membres
du Conseil de l'Europe montre qu'il existe un consensus unanime
pour dire que les besoins spécifiques des enfants en situation de
migration doivent être pris en compte à chaque niveau.
28. La recommandation vise à garantir que les enfants concernés
bénéficient effectivement d’une tutelle, qui soit adaptée à leurs
droits et à leurs besoins particuliers, et à protéger leur intérêt
supérieur conformément aux normes internationales et du Conseil
de l'Europe.
29. Cet instrument fondé sur neuf grands principes s'adresse aux
décideurs et aux praticiens qui œuvrent pour assurer la protection,
l'accueil, la prise en charge et le bien-être des enfants non accompagnés
et séparés dans le cadre de la tutelle. Il donne également des orientations
concrètes pour élaborer la législation et prévoir des politiques
publiques et des mesures institutionnelles garantissant l'accès
de ces enfants à la justice et à des voies de recours effectives,
et aborde les aspects concrets de la coopération et de la coordination
entre les parties prenantes concernées, y compris au niveau international.
30. Les orientations de mise en œuvre pour un régime de tutelle
efficace recommandent l’adoption de cadres réglementaires complets,
qui prévoient que les tuteurs soient nommés sans tarder, qu’ils
soient convenablement sélectionnés, qualifiés et soutenus tout au
long de leur mandat par une autorité compétente. Les gouvernements
devraient également veiller à ce que les enfants bénéficient d’informations
et de conseils et aient accès à un mécanisme de plainte indépendant,
ainsi qu’à des voies de recours pour pouvoir exercer leurs droits
ou agir en cas de violation de leurs droits. En outre, grâce à la
collecte régulière de données et à des mesures institutionnelles
adéquates, il importe que les États veillent à ce que les mesures
de tutelle correspondent à l’évolution des besoins, et notamment
aux situations d’urgence.
31. Le Comité directeur pour les droits de l’enfant (CDENF) encouragera
la mise en œuvre de cette recommandation. Il jouera aussi régulièrement
le rôle de forum paneuropéen pour échanger des bonnes pratiques
en vue de renforcer les systèmes de tutelle nationaux.
2.4 Base
juridique dans différents États membres
32. Les défis liés à l’augmentation
du nombre d’arrivées en Europe d’enfants migrants non accompagnés et
séparés ont poussé certains pays à adapter leurs normes législatives
afin d’améliorer la protection de ces enfants. Un grand nombre de
pays européens disposent de cadres juridiques précisant quelle autorité nationale
devrait assurer la protection nécessaire aux enfants migrants non
accompagnés. Néanmoins, les normes législatives diffèrent de manière
substantielle d’un pays à l’autre. Si, dans la plupart des pays,
des dispositions juridiques sont incluses dans le système général
de protection de l’enfance, certains États ont récemment adopté
des lois spécifiquement consacrées à la protection des enfants migrants
non accompagnés et séparés.
33. À Malte, la loi de protection de l’enfance de 2017
Note comporte une clause
qui mentionne la désignation d’un «tuteur spécial» pour les enfants
les plus vulnérables, y compris les mineurs migrants non accompagnés. En
vertu de cette loi, la structure d’accueil où réside l’enfant migrant
peut jouer le rôle de tuteur, lorsqu’aucun particulier ne le peut.
Dans ce pays, la tutelle est gérée uniquement au niveau national.
34. En Italie, la protection des enfants migrants non accompagnés
est prévue par la «loi Zampa»
Note de 2017. Après avoir
reconnu que la tutelle n’était pas effective au niveau national,
le Parlement italien a adopté cette loi, qui a été la première loi
nationale complète destinée à promouvoir la désignation de tuteurs
pour les enfants. La «loi Zampa» vise aussi à renforcer l’uniformité
de la tutelle au niveau national. Conformément à cette loi, le système
de tutelle est décentralisé en Italie et assuré au niveau local,
impliquant des particuliers, des autorités locales et des médiateurs.
Les citoyens ordinaires pourraient être désignés comme tuteurs bénévoles.
Les bureaux des médiateurs régionaux sont en charge de la sélection
et de la formation des tuteurs bénévoles, qui sont ensuite officiellement
désignés par les tribunaux pour mineurs
Note.
35. En Belgique, la «loi Tabitha» relative à la tutelle légale
a été adoptée en 2004. Elle souligne les principaux critères que
doivent remplir les tuteurs qui sont des personnes physiques et
agissent sous la responsabilité du service de tutelle du ministère
de la Justice. Cette loi définit aussi la procédure de désignation d’un
tuteur pour les enfants migrants non accompagnés et la nécessité
de former les tuteurs afin qu’ils remplissent mieux leur mission.
36. La loi grecque 4554/2018
Note a été le premier cadre
national à défendre la nécessité de désigner des représentants légaux
pour les enfants migrants non accompagnés. La loi fixe les conditions
de la désignation et du remplacement d’un commissaire de la tutelle
des mineurs non accompagnés. Elle définit aussi les responsabilités
d’une commission de surveillance de la tutelle assurant la protection
des mineurs non accompagnés en ce qui concerne les questions de
handicaps, de croyances religieuses et de garde. Elle établit en
outre le département de la protection des mineurs non accompagnés
au sein du Centre national de solidarité sociale qui est chargé
de garantir un hébergement sûr aux mineurs non accompagnés.
37. Au Royaume-Uni, la tutelle et la représentation légale sont
régies par la loi de 1989 sur l’enfance (Children
Act). L’article 20 de la loi souligne que «chaque collectivité
locale doit fournir un hébergement à tout enfant qui en a besoin
sur son territoire». Elle précise les obligations des autorités
locales qui sont chargées d’un enfant et aborde la prise en charge
et la surveillance de ces enfants. Les autorités territoriales sont compétentes
en matière de tutelle des enfants non accompagnés mais ne les représentent
pas sur le plan juridique.
38. En Turquie, la loi no 5395
Note sur la protection de
l’enfance prévoit les procédures pertinentes concernant les enfants
sur le territoire national. Cette loi renvoie aux droits fondamentaux
des enfants concernés, ainsi qu’aux mesures visant à les protéger.
De plus, en vertu du Code civil, il convient de désigner des tuteurs
pour tous les enfants qui se trouvent sous la responsabilité de
l’État. Les tribunaux se chargent de les désigner et toutes les
questions relatives à la tutelle sont déléguées aux juridictions
civiles. Le mandat du tuteur est restreint dans le temps; en effet,
la désignation doit être renouvelée tous les deux ans.
39. En résumé, un consensus général apparaît clairement aux niveaux
européen et international selon lequel tous les enfants migrants
non accompagnés doivent bénéficier d’une protection de l’État sous
la forme d’une tutelle. Cependant, au niveau national, les dispositions
légales en matière de tutelle varient considérablement et ne sont
pas appliquées correctement.
3 Exemples
de pratiques observées en matière de tutelle dans différents Etats
membres du Conseil de l’Europe
40. Les systèmes de tutelle en
Europe ne sont pas harmonisés et sont différents d’un pays à l’autre.
Il n’existe pas de définition unique de «tuteur» ni de sa fonction.
Les pays emploient les termes «tuteur», «représentant légal» et
«représentant». De manière générale, le terme «tuteur» est utilisé
pour définir une personne désignée afin d’assister un enfant. Le
terme «représentant légal» est davantage employé pour définir une
organisation ou une personne qui représentera les intérêts juridiques
de l’enfant dans toutes les procédures.
41. Dans de nombreux Etats membres, le système de tutelle est
décentralisé et chaque collectivité locale décide de la désignation
de tuteurs. En Allemagne
Note par exemple, les institutions locales
sont les seules entités compétentes en la matière. En Pologne
Note, le système de tutelle existe aux
niveaux local, régional et national. La décentralisation de la tutelle
est à l’origine d’incohérences au sein des pays, lorsque deux régions
peuvent avoir des approches différentes. En Italie
Note, par exemple, des formations spécifiques
sont dispensées aux tuteurs uniquement dans certaines régions.
42. La fonction de tuteur peut être exercée par différentes catégories
de personnes: une personne physique ou une personne morale (ou un
employé d’une institution de tutelle selon les pays). Dans nombre
de pays, ces deux catégories de tuteurs coexistent, mais dans certains,
comme en Pologne
Note,
seules les personnes physiques peuvent être désignées comme tuteurs.
En Grèce, la tutelle relève du ministère public, mais sa mise en
œuvre est assurée par l’ONG METAdrasi.
43. Les obligations des tuteurs, comme la représentation légale,
sont par conséquent prévues dans la législation nationale, et les
tâches qui leur sont confiées varient selon les pays. Par exemple,
au Danemark
Note, un tuteur est légalement responsable
des finances de l’enfant, tandis qu’au Royaume-Uni
Note les travailleurs sociaux, désignés
dans certains cas, ne sont jamais tenus légalement de représenter
un enfant.
44. Parmi les problèmes courants et graves rencontrés figurent
les délais de désignation des tuteurs. Dans certains pays, ils sont
désignés dès que les enfants bénéficient d’un hébergement, mais
dans d’autres pays, comme en Allemagne
Note,
la désignation d’un tuteur peut prendre jusqu’à quatre mois. La
Bulgarie
Note est le seul pays à avoir précisé
le délai dans sa législation: la désignation doit intervenir dans
les sept jours à compter du moment où l’enfant est hébergé. Le manque
d’employés et d’équipements structurels contribue à l’augmentation
des délais.
45. L’absence d’hébergement pour les enfants à leur arrivée est
un autre problème. En Grèce, quelque 260 enfants sont en garde à
vue ou en rétention. Plus de 1 000 autres vivent dans la rue. La
police place les enfants migrants non accompagnés en rétention à
titre de protection, car aucune autre structure d'hébergement d’enfants
n'est disponible. Les ONG que j'ai rencontrées en Grèce ont souligné
que la solution à ce problème pourrait être le recours à des hébergements
provisoires, à des placements et à des logements indépendants. Le
principal obstacle concerne l'absence de système de protection sociale
pour les enfants, qui ne peut donc épauler les tuteurs. Il est également
important que les autres pays européens accueillent plus favorablement
les demandes de regroupement familial émanant des enfants migrants
non accompagnés et séparés.
46. En ce qui concerne les dispositifs temporaires, la plupart
des tuteurs sont désignés avant la détermination du statut de mineur
migrant, comme en Belgique, tandis que d’autres Etats comme la France optent
pour la désignation d’un administrateur ad hoc en tant que tuteur
temporaire avant la détermination du statut
Note. Après la détermination du statut,
un tuteur est désigné pour une longue durée.
47. Il est regrettable de souligner que certains États européens
ne prévoient pas la désignation d’un tuteur pour les enfants migrants
non accompagnés ou séparés. Tel est souvent le cas lorsqu’ils estiment
que l’enfant atteindra 18 ans avant que la décision sur sa demande
d’asile n’ait été rendue. De plus, certains États membres considèrent
que les mineurs non accompagnés ont la capacité juridique d’accomplir
par eux-mêmes les démarches administratives liées à leur demande
d’asile ou permis de séjour avant d’avoir 18 ans. Il en va ainsi
en Allemagne
Note, où l’on estime que les enfants sont
capables d’accomplir les tâches administratives dès l’âge de 16 ans.
Partant, les États concernés invoquent cet argument pour éviter
de désigner un tuteur.
48. L’indépendance et l’impartialité des systèmes de tutelle ne
sont pas toujours assurées au niveau national malgré les normes
internationales applicables. En Lettonie, lorsqu’il n’y a pas de
tuteur désigné pour un enfant, la législation nationale oblige le
responsable de l’institution d’accueil à remplir les obligations
de tutelle
Note. La question de son impartialité
se pose toutefois et il existe un risque de conflit d’intérêts.
En Finlande
Note par exemple, c’est le service de
l’immigration qui est compétent en matière de tutelle des mineurs migrants
non accompagnés. Pour éviter ce problème, des Etats comme le Danemark
Note ont prévu que les tuteurs ne pouvaient
être liés à aucune institution de l’immigration et de l’asile.
49. L’observation des pratiques en matière de tutelle en Europe
révèle l’absence de normes de qualité. Les tuteurs seraient souvent
surchargés avec parfois plus d’une centaine d’enfants sous leur
responsabilité. D'après l'ONG METAdrasi, 6 375 enfants migrants
non accompagnés sont arrivés en Grèce en 2019 et seuls 1 300 d'entre
eux ont bénéficié d'une protection de tutelle. Il est difficile
de parler de tutelle efficace en l'absence des infrastructures nécessaires
et des conditions d'hébergement requises. Dans certains pays, on
compte un tuteur pour 20 enfants. Les tuteurs ne sont alors pas
en mesure de s’acquitter de manière efficace des tâches qui leur
sont assignées afin d’assurer le bien-être des enfants migrants
non accompagnés.
50. Dans quelques Etats membres du Conseil de l’Europe seulement,
comme les Pays-Bas
Note, la Finlande
Note et récemment la Grèce,
la législation nationale prévoit des conditions minimales pour exécuter
la fonction de tuteur. Les tuteurs qui travaillent pour une institution
doivent disposer d’expériences en milieu scolaire et professionnel
en rapport avec les mineurs non accompagnés.
51. Nombreux sont les pays européens qui ne dispensent pas de
formation aux tuteurs. En Finlande
Note par exemple, les formations ne sont
pas obligatoires. Par ailleurs, même lorsque la législation nationale
de certains pays exige des tuteurs qu’ils suivent des formations,
elle n’est pas toujours respectée dans la pratique.
52. En outre, le suivi du travail des tuteurs n’est pas assuré
dans tous les États membres. Si certains États exécutent à la fois
des contrôles externes et internes, comme c’est le cas de l’Estonie,
de nombreux pays n’utilisent pas de mécanismes de contrôle externe,
qui sont essentiels pour une évaluation neutre et indépendante de
la protection de l’enfant concerné. Il a aussi été souligné que
les avis des enfants ne sont pas suffisamment pris en compte dans
le processus de contrôle des tuteurs. Leur point de vue est néanmoins déterminant
pour évaluer correctement la qualité de la tutelle. Dans un grand
nombre de pays, ce manque de considération va de pair avec l’absence
de mécanismes de plainte efficaces concernant les enfants migrants non
accompagnés et séparés
Note; cette situation fait obstacle à
l’efficacité du suivi. Seuls quelques Etats membres appliquent ce
genre de système, comme les Pays-Bas
Note par le biais de la Fondation Nidos.
53. Un des principaux problèmes rencontrés par les mineurs migrants
non accompagnés et séparés lorsqu’ils atteignent la majorité est
que les garanties accordées aux enfants cessent de s’appliquer.
En Autriche par exemple, les mineurs non accompagnés perdent le
droit d’être assisté par un travailleur social lorsqu’ils ont 18 ans.
Ce changement brutal est un obstacle à leur transition vers l’âge
adulte et va à l’encontre du principe du bien-être des migrants
non accompagnés. Toutefois, dans la plupart des États membres du
Conseil de l’Europe, la tutelle continue d’être assurée au début
de l’âge adulte. En Suède
Note, un tuteur peut assister un jeune
non accompagné jusqu’à ses 21 ans.
54. Nombre d’États membres ne consacrent pas suffisamment de ressources
budgétaires pour soutenir les tuteurs. Ceux-ci ne reçoivent pas
systématiquement de compensation financière pour leur travail. Même lorsqu’ils
en reçoivent une, comme en Allemagne
Note, elle ne leur assure pas un niveau
de vie décent.
55. En résumé, chaque État membre du Conseil de l’Europe rencontre
des difficultés en ce qui concerne le processus de tutelle. Les
dispositions qui figurent dans les législations nationales ne sont
que partiellement appliquées, entraînant des décalages entre ce
qui est fait et ce qu’il conviendrait de faire pour veiller à ce
que les enfants migrants non accompagnés et séparés soient bien
protégés dans le pays d’accueil.
56. Les disparités des systèmes nationaux de tutelle exacerbent
l’absence d’approche uniforme en Europe. De plus, sur le terrain,
on constate des différences s’agissant des connaissances et des
compétences des tuteurs, des procédures de désignation et de leurs
tâches. Tous ces facteurs ne vont pas dans le sens du principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant et négligent le bien-être des enfants
non accompagnés en Europe.
4 La
nécessité d’un système européen de tutelle holistique
57. Dans un contexte où le nombre
d’arrivées en Europe ne cesse d’augmenter, les États membres ne garantissent
pas un système de tutelle efficace permettant de fournir aux enfants
migrants non accompagnés la protection qu’ils méritent et sont en
droit de recevoir.
58. Comme l’a aussi souligné la Commission européenne
Note,
les principales lacunes dans le fonctionnement des systèmes de tutelle
dans les pays européens concernent le nombre de tuteurs qualifiés
disponibles et la rapidité à laquelle ils sont désignés. Il est
très important de renforcer les institutions de tutelle dans les
pays concernés et de former un nombre suffisant de spécialistes,
capables de remplir la fonction de tuteur. Ils doivent être désignés
sans tarder, et doivent être suffisamment préparés pour exécuter
leur fonction. Les autorités de tutelle doivent donner des orientations
claires aux tuteurs et assurer le suivi de leur travail.
59. L’une des solutions pour améliorer la protection des droits
des enfants migrants non accompagnés consiste à élaborer un système
de tutelle holistique et efficace en Europe et à donner les moyens
au comité d’experts compétent du Conseil de l’Europe de contrôler
sa mise en œuvre. Les États membres pourront ainsi mettre en place
des lignes directrices, échanger des bonnes pratiques, renforcer
leurs systèmes nationaux de tutelle et accroître la coopération
transfrontalière, y compris pour le regroupement familial. Il convient
de prendre des mesures pour réviser les législations, politiques
et pratiques nationales et européennes, de faire part des progrès
accomplis et de tirer les enseignements d’un tel échange de bonnes
pratiques.
60. L'adoption, par le Comité des Ministres, de la Recommandation
CM/Rec(2019)11 sur un régime de tutelle efficace pour les enfants
non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration
est une avancée importante dans cette direction. Il est maintenant
temps pour les États membres de renforcer leur action, de revoir
leur législation, leurs politiques et leurs pratiques et, au besoin,
de prendre les mesures et d'allouer des ressources pour garantir
les réformes nécessaires à la mise en œuvre de cette Recommandation.
61. Enfin, il convient de mettre en place des processus obligatoires
de suivi de la tutelle pour évaluer la qualité de la tutelle en
Europe. Aucun progrès ne peut être réalisé sans analyse adaptée
des informations quantitatives et qualitatives. Il faut travailler
au cas par cas pour veiller à ce que chaque enfant migrant non-accompagné
ou séparé reçoive les soins qu’il ou elle mérite. Toutes les parties
prenantes au travail avec les mineurs non accompagnés doivent être
associées au processus de suivi.