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Une tutelle efficace pour les enfants migrants non accompagnés et séparés

Rapport | Doc. 15133 | 02 septembre 2020

Commission
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
Rapporteure :
Mme Rósa Björk BRYNJÓLFSDÓTTIR, Islande, GUE
Origine
Renvoi en commission: Doc. 14637, renvoi 4410 du 23 novembre 2018. 2020 - Commission permanente de décembre

Résumé

Les enfants migrants sont plus susceptibles que d’autres d’être victimes de la traite des êtres humains ou de réseaux criminels ce qui risque d’avoir des conséquences immédiates et préjudiciables à long terme. En leur offrant la protection d’un tuteur, il y a beaucoup plus de chances que leurs droits soient sauvegardés et que des solutions soient trouvées pour leur avenir. La tutelle est également essentielle pour accompagner la transition vers l’âge adulte et à l’intégration dans un nouveau pays.

Ce rapport fournit une analyse de la base juridique de la tutelle dans les pays européens, ainsi que des différentes pratiques de tutelle dans les États membres du Conseil de l’Europe.

Il souligne la nécessité d’élaborer un système de tutelle holistique et efficace en Europe, en formulant les recommandations sur la manière d’assurer la protection nécessaire aux enfants migrants non accompagnés et séparés, sur les principes de cette protection et sur les meilleures pratiques.

Enfin, le rapport salue l'adoption, par le Comité des Ministres, de la Recommandation CM/Rec(2019)11 sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration et, en accord avec ce texte, appelle les États membres à renforcer leur action, à revoir leurs législation, leurs politiques et leurs pratiques et, au besoin, à prendre des mesures et à allouer des ressources pour garantir les réformes nécessaires à la mise en œuvre de cette recommandation.

A Projet de résolutionNote

1. Les enfants migrants non accompagnés et séparés comptent parmi les personnes les plus vulnérables. Ils ont ainsi besoin d'une protection supplémentaire lorsqu'ils arrivent en Europe, souvent après avoir vécu des expériences traumatisantes dans leur pays d'origine ou pendant leur migration.
2. Renvoyant à sa Résolution 2136 (2016) «Harmoniser la protection des mineurs non accompagnés en Europe», à sa Résolution 2195 (2017) «Enfants migrants non accompagnés: pour une détermination de l’âge adaptée à l'enfant» et à sa Résolution 2243 (2018) «Regroupement familial des réfugiés et des migrants dans les États membres du Conseil de l'Europe», l'Assemblée parlementaire réitère sa position selon laquelle les tuteurs jouent un rôle essentiel pour garantir la protection et le respect des droits fondamentaux des enfants migrants non accompagnés et séparés.
3. L'Assemblée déplore que malgré la ratification de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant par tous les États membres du Conseil de l'Europe, en vertu de laquelle ceux-ci doivent préserver l'intérêt supérieur de tous les enfants sur leur territoire, ces mêmes États ne garantissent pas des systèmes de tutelle efficaces qui aideraient à ce que l'intérêt supérieur des enfants soit dûment protégé et pris en considération dans toutes les procédures et décisions les concernant.
4. Les systèmes de tutelle en Europe ne sont pas harmonisés et varient d'un pays à l'autre. Il y a un manque criant de professionnels qualifiés qui puissent exercer les fonctions de tuteur et on constate des retards considérables dans leur désignation, en particulier dans les pays qui sont confrontés à des arrivées massives de migrants. Dans certains pays, un tuteur est responsable de plus de 20 enfants et il n’y a pas de contrôle régulier de l’exercice des tuteurs.
5. L'Assemblée souligne le rôle essentiel joué par les collectivités territoriales pour donner accès à des services adaptés aux enfants, notamment à la tutelle, aux enfants migrants non accompagnés et séparés et invite les gouvernements à s’assurer que les enfants migrants et réfugiés sont intégrés dans des systèmes nationaux de protection de l’enfance et que les procédures en vigueur facilitent le travail des services de protection de l’enfance aux niveaux local et régional, de manière à ce que ces derniers apportent une assistance efficace et en temps utile.
6. L'Assemblée est convaincue que, pour garantir des systèmes de tutelle efficaces pour les enfants migrants non accompagnés et séparés, il faut tenir compte des avis des enfants et accorder une attention particulière à leur situation individuelle, leur âge, leur maturité, leur langue et leur culture.
7. L'Assemblée se félicite de l'adoption, par le Comité des Ministres, de la Recommandation CM/Rec(2019)11 sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration et, afin de garantir la mise en œuvre réussie de cette recommandation, appelle les États membres:
7.1 à réexaminer leur législation, afin de mettre en place des régimes de tutelle plus efficaces;
7.2 à créer une base de données unifiée paneuropéenne sur les enfants migrants non accompagnés et séparés, pour veiller à ce qu'ils soient identifiés et bénéficient d'une protection en temps utile, en tenant compte des dispositions de la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108);
7.3 à faire en sorte que les enfants migrants non accompagnés et séparés, à leur arrivée en Europe, soient correctement informés de leurs droits d'une manière et dans une langue qu'ils comprennent, et puissent bénéficier d'une assistance juridique gratuite avant toute décision concernant leur avenir;
7.4 à allouer les ressources financières, techniques et humaines nécessaires aux niveaux national et local pour que chaque enfant migrant non accompagné se voie attribuer un tuteur dès son arrivée;
7.5 à renforcer les organismes de tutelle, qui doivent donner aux tuteurs des orientations claires sur leurs obligations, assurer un suivi de leur travail et garantir l’existence de systèmes de plaintes accessibles aux enfants migrants et dispenser par ailleurs aux tuteurs la formation nécessaire, en accordant une attention particulière aux problèmes des enfants qui ont été victimes de violences et de traumatismes, et aux enfants qui ont des problèmes de santé physique et mentale;
7.6 à veiller à ce que les professionnels soient préparés à la tutelle selon une approche intégrant les questions de genre, car cette démarche peut être essentielle pour garantir la sécurité des enfants et leur bien-être physique et psychologique;
7.7 à apporter aux jeunes migrants qui ont bénéficié d'une tutelle, qui ont atteint l'âge de 18 ans et qui sont dans une situation vulnérable, l'assistance nécessaire pour s’intégrer dans la vie adulte en maintenant la tutelle jusqu’à l’âge de 21 ans si possible;
7.8 à garantir une coopération efficace entre tous les acteurs du système de tutelle au niveau national, afin d'apporter une protection et un accompagnement en continu lors de toutes les procédures.
8. À l’arrivée des enfants migrants, les États membres doivent identifier les besoins de regroupement familial, améliorer la coopération transfrontalière en matière de regroupement familial et faire en sorte que les tuteurs et les représentants légaux soient formés sur la procédure à suivre au niveau national. L'Assemblée appelle également les États membres du Conseil de l'Europe à examiner la possibilité de créer un mécanisme afin que les enfants migrants non accompagnés ne pouvant bénéficier du regroupement familial puissent être relocalisés rapidement et en toute sécurité dans les pays dotés des systèmes de protection de l'enfance les plus développés, en tenant compte des avis des enfants. À cette fin, un registre européen des tuteurs de mineurs migrants non accompagnés pourrait être créé.
9. L'Assemblée invite également l'Union européenne à envisager de consacrer des ressources financières provenant du Fonds européen pour les réfugiés au soutien et à la mise en œuvre de régimes de tutelle pour les enfants migrants non accompagnés.

B Projet de recommandationNote

1. Renvoyant à sa Résolution … (2020) «Une tutelle efficace pour les enfants migrants non accompagnés et séparés», l'Assemblée parlementaire souligne l'importance de créer des systèmes de tutelle efficaces dans tous les États membres du Conseil de l'Europe, en accordant une attention particulière aux enfants non accompagnés et séparés, afin de garantir leur protection et de leur fournir une assistance dès leur arrivée en Europe.
2. Saluant l'adoption, par le Comité des Ministres, de la Recommandation CM/Rec(2019)11 sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres, aux fins de la bonne mise en œuvre de ce texte:
2.1 d'intégrer dans le Plan d'action du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants réfugiés et migrants en Europe des activités qui faciliteront sa bonne mise en œuvre;
2.2 d'inviter le Comité directeur pour les droits de l’enfant (CDENF) à promouvoir les bonnes pratiques européennes en matière de tutelle des enfants migrants non accompagnés et séparés et à examiner la possibilité de créer un mécanisme afin que des enfants migrants non accompagnés puissent être relocalisés rapidement et en toute sécurité dans les pays dotés des systèmes de protection de l'enfance les plus développés qui correspondent à leur meilleur intérêt;
2.3 d'inviter le Groupe de rédaction sur les droits de l'homme et la migration (CDDH-MIG) à étudier la question de la prise en charge en famille d’accueil des enfants migrants non accompagnés et à examiner la possibilité de créer un registre européen des familles d'accueil afin de trouver rapidement des solutions pour protéger les enfants migrants non accompagnés.

C Exposé des motifs par Mme Brynjólfsdóttir, rapporteure,

1 Introduction

1. Dans un contexte où un grand nombre d’enfants migrants non accompagnés et séparés arrivent en Europe, la question de la protection de leurs droits est primordiale. Tous les migrants sont vulnérables, mais la probabilité d’être victime de violence – notamment d’abus sexuels – est encore plus forte chez les enfants et les jeunes. Il convient donc de leur accorder une protection spécifique. Les enfants non accompagnés et séparés risquent davantage d’être victimes de la traite des êtres humains ou de réseaux criminels, ce qui entraînerait des conséquences néfastes. Placer les enfants non accompagnés ou séparés sous la protection d’un tuteur spécialisé permet d’assurer le respect de leurs droits et de trouver des solutions pour leur vie future.
2. La priorité des tuteurs devrait être d’assurer l’accès des enfants migrants non accompagnés à leurs droits et de veiller au respect de leur intérêt supérieur. Les tuteurs peuvent construire une relation de confiance avec l’enfant et veiller à son bien-être, y compris pendant les périodes d’intégration, en coopération avec d’autres acteurs. Ils peuvent aussi contribuer à empêcher les disparitions ou la traite d’enfants. La tutelle est un élément clé de la transition vers l’âge adulte et de l’intégration dans un nouveau pays.
3. L’Assemblée parlementaire a abordé le problème de la tutelle dans plusieurs de ses rapports. Consciente des intérêts en jeu, elle a appelé à harmoniser les réglementations «en matière de désignation de tuteurs et de représentants légaux, et à établir une définition commune de leur mission et de leur rôle» dans sa Résolution 2136 (2016)Note. Dans sa Résolution 2243 (2018) sur le regroupement familial des réfugiés et des migrants dans les États membres du Conseil de l’EuropeNote, l’Assemblée a souligné que la désignation d’un tuteur constituait une «mesure essentielle». L’Assemblée a également appelé les États membres, dans sa Résolution 2195 (2017), à «désigner un tuteur chargé d’assister individuellement chaque enfant migrant non accompagné au cours de la procédure de détermination de l’âge»Note.
4. Aux fins du présent rapport, j’utiliserai la définition du Règlement relatif aux procédures d’asile de l’Union européenneNoteNote, selon lequel un tuteur est «une personne ou une organisation désignée pour assister et représenter un mineur non accompagné afin de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant et son bien-être général lors des procédures prévues dans le présent règlement et, le cas échéant, d’accomplir des actes juridiques pour le mineur». Il est essentiel de rappeler cette définition afin de la comparer avec les définitions des rôles et des responsabilités des tuteurs dans différents États membres de l’Union européenne.

2 Normes internationales pertinentes

5. Plusieurs instruments juridiques européens et internationaux fournissent des normes relatives aux droits des enfants migrants non accompagnés et séparés. Les dispositions des Nations Unies (voir ci-dessous) servent de référence en Europe et ont des incidences sur les politiques nationales. Néanmoins, chaque État membre a établi ses propres dispositions concernant l’application du droit international sur son territoire, lesquelles ne sont pas toujours conformes aux normes internationales. Cette incohérence entrave les droits des enfants en termes d’accès à un système de tutelle complet et harmonisé.

2.1 Les Nations Unies

6. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfantNote adoptée en 1989 confère clairement aux États la responsabilité en matière de protection des enfants migrants non accompagnés et séparés sur leur territoire. Le Comité des droits de l’enfant a énoncé quatre grands principes qui doivent guider toutes les démarches concernant des enfants: l’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants (article 3), le principe de non-discrimination pour quelque motif que ce soit garantissant l’égalité de traitement de tous les enfants (article 2), le droit de l’enfant d’être entendu et à ce que son point de vue soit dûment pris en compte (article 12) et le droit de l’enfant à la vie, à la survie et au développement (article 6).
7. La désignation d’un tuteur est essentielle pour garantir le respect de l’intérêt supérieur des mineurs non accompagnés et séparés. La responsabilité de réaliser cet objectif revient, sur un pied d’égalité, aux tuteurs et aux parents, comme le prévoit l’article 18 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Plus spécifiquement, l’article 18.1 indique que «la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux».
8. L’Observation générale conjointe no 3 (2017) du Comité des Nations Unies pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 22 (2017) du Comité des droits de l'enfant sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales (16 novembre 2017, CMW/C/GC/3-CRC/C/GC/22) souligne, au paragraphe 32, que les États parties devraient «(h) faire en sorte que les enfants soient rapidement identifiés dans le cadre des contrôles aux frontières et des autres procédures de contrôle des migrations relevant de la compétence de l’État, et que toute personne qui affirme être un enfant soit traitée comme tel, soit rapidement adressée aux autorités de protection de l’enfance et à d’autres services compétents, et se voie désigner un tuteur si elle est non accompagnée ou séparée». Selon le paragraphe 36, «Les États parties devraient désigner gratuitement [...] un tuteur dûment formé pour les enfants non accompagnés ou séparés, le plus rapidement possible après l’arrivée des enfants sur leur territoire»Note.
9. Dans l’Observation générale conjointe no 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 23 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les obligations des États en matière de droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales dans les pays d’origine, de transit, de destination et de retour (16 novembre 2017, CMW/C/GC/4-CRC/C/GC/23), le paragraphe 17 i) indique que l’un des droits qui devraient être garantis aux enfants est «[...] le droit de se voir désigner un tuteur compétent, aussitôt que possible, qui serve de garantie de procédure fondamentale allant dans le sens du respect de leur intérêt supérieur». Quant au paragraphe 30, il énonce que «les États devraient apporter une aide appropriée aux [...] tuteurs dans l’exercice de la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant, notamment au moyen de prestations sociales, d’allocations pour enfant à charge et d’autres services de soutien social, quel que soit le statut migratoire des parents [ou] de l’enfant»Note.
10. L’Observation générale no 6 prévoit un cadre temporel clair concernant la désignation d’un tuteur. Le paragraphe 33 stipule que «les États devraient donc désigner un tuteur ou un conseiller dès que l’enfant non accompagné ou séparé est identifié en tant que tel et reconduire ce dispositif jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de la majorité ou quitte le territoire […] à titre permanent».
11. Le paragraphe 33 définit aussi clairement les responsabilités d’un tuteur qui doit «veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit préservé et que ses besoins d’ordre juridique, social, sanitaire, psychologique, matériel et éducatif soient satisfaits de manière appropriée − le tuteur assurant, entre autres, la liaison entre l’enfant et les organismes spécialisés/les spécialistes fournissant toute la gamme de soins dont l’intéressé a besoin».
12. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), un tuteur est une personne indépendante qui protège les meilleurs intérêts de l’enfant ainsi que son bien-être général, et qui peut compenser la capacité juridique limitée de l’enfantNote. Comme énoncé par le HCR, «un tuteur indépendant et qualifié doit être désigné immédiatementNote et gratuitement»Note. Dans sa conclusion no 107 (LVIII), le Comité exécutif du HCR invite les Etats à faciliter la désignation d’un tuteur ou d’un conseiller quand un enfant non accompagné ou séparé est identifiéNote.
13. Les enfants migrants non accompagnés et séparés se sentent souvent dépassés par les procédures administratives concernant leur demande d’asile en raison de la complexité du processus et de la méconnaissance de la langue dans laquelle il est conduit. Les tâches que les tuteurs doivent remplir sont indiquées au paragraphe 104 de la Résolution de 2010 des Nations Unies sur les Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfantsNote. Ces responsabilités incluent: «garantir que les droits de l’enfant sont protégés» et «veiller à ce que l’enfant ait accès à une représentation légale ou autre, si nécessaire». Par ailleurs, le paragraphe 36 de l’Observation générale no 6 couvre la nécessité de désigner un représentant légal pour aider un mineur non accompagné qui est partie à une procédure à remplir sa demande d’asile ou de permis de séjour.
14. Afin de garantir une protection suffisante des enfants migrants non accompagnés et séparés, les États devraient respecter leurs obligations et leurs engagements, en particulier ceux qu’ils ont contractés en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, mais aussi ceux qui figurent dans ses protocoles facultatifs et autres textes pertinents, y compris le Protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000), la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), la Convention concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs (1961), la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (1993) et la Recommandation correspondante concernant l’application aux enfants réfugiés et autres enfants internationalement déplacés (1994), ainsi que la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (1996).

2.2 L’Union européenne

15. La protection des droits des enfants est l’une des exigences de l’Union européenne qui sont expressément énoncées dans les traités, droit primaire de l’Union européenne, et dans les directives, droit dérivé. Conformément à l’article 3.3 de la version consolidée du Traité sur l’Union européenneNote et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenneNote, les droits de l’enfant doivent être protégés au sein des États membres. Néanmoins, la mise en œuvre de ces dispositions fait défaut dans les systèmes nationaux, notamment s’agissant des droits des enfants migrants non accompagnés et séparés.
16. Les enfants migrants non accompagnés et séparés constituent la catégorie la plus vulnérable des demandeurs d’asile. Plusieurs directives européennes font référence à la nécessité de désigner un tuteur pour les accompagner. En vertu de la Directive de 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protectionNote, les États membres devraient, dès que possible, prendre «les mesures nécessaires pour assurer la représentation des mineurs non accompagnés par un tuteur légal ou, si nécessaire, par un organisme chargé de prendre soin des mineurs et d’assurer leur bien-être, ou par toute autre forme appropriée de représentation, notamment celle qui résulte de la législation ou d’une décision judiciaire» (article 31).
17. La Directive établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant une protection internationaleNote prévoit des garanties procédurales concernant la désignation d’un représentant légal. Elle énonce par ailleurs que les mineurs non accompagnés devraient être pris en charge par un représentant «au cours des procédures prévues dans la présente directive, afin de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant et, le cas échéant, d’accomplir des actes juridiques pour le mineur».
18. L’Union européenne a adopté une loi spécifique pour protéger les enfants victimes de la traite: la Directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimesNote. En vertu du paragraphe 23 du Préambule de la directive, «[i]l y a lieu de prendre les mesures nécessaires pour garantir, le cas échéant, qu’un tuteur et/ou un représentant soit désigné afin de veiller à l’intérêt supérieur du mineur». Le paragraphe 24 précise que ces fonctions peuvent être remplies «par la même personne, [qui peut être un représentant légal ou un tuteur] ou par une personne morale, une institution ou une autorité».
19. Il convient de souligner qu’il n’y a pas de cohérence dans l’utilisation du terme «tuteur» dans les directives de l’Union européenne. Le terme «représentant légal (spécial ou autre)» est aussi employé dans des contextes différents, sans distinction manifeste.

2.3 Conseil de l’Europe

20. Plusieurs instruments juridiques du Conseil de l’Europe définissent les droits et les obligations des États membres envers les enfants, y compris la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (STE no 5) et ses protocoles, la Charte sociale européenne (STE no 35) et sa version révisée (STE no 163), la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108) et son protocole (STCE no 223), la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126) et la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants (STE no 160), la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197), la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201) et la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210).
21. En particulier, l’article 10, paragraphe 4 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humainsNote précise clairement que dès qu’un enfant est identifié en tant que victime et qu’il est non accompagné, l’État «prévoit sa représentation par le biais de la tutelle légale, d’une organisation ou d’une autorité chargée d’agir conformément à son intérêt supérieur».
22. Le Comité des Parties à la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels («Comité de Lanzarote») a abordé la question de la tutelle dans son Rapport spécial sur la protection des enfants touchés par la crise des réfugiés contre l’exploitation et les abus sexuels adopté le 3 mars 2017. Il recommande que les Etats Parties à la Convention s’assurent qu’un tuteur soit nommé pour les enfants non-accompagnés touchés par la crise des réfugiés, quel que soit leur âge, afin d’établir la confiance et de permettre la dénonciation d’exploitation ou d’abus sexuel éventuelsNote.
23. Le 12 juillet 2007, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation CM/Rec(2007)9 sur les projets de vie en faveur des mineurs migrants non accompagnésNote, qui précise que «les autorités compétentes devraient s’engager à offrir, dans le cadre du projet de vie, un cadre protecteur […] comportant l’accès […] à un tuteur et/ou un représentant légal spécialement formés».
24. L’Assemblée a adopté la Résolution 2136 (2016)Note afin de remédier au manque d’harmonisation en matière de protection des mineurs non accompagnés. Dans sa résolution, elle appelait à harmoniser les réglementations en matière de désignation de tuteurs et/ou de représentants légaux pour ce qui est de «leur mission et de leur rôle». Comme indiqué précédemment, l’Assemblée a mentionné la question de la tutelle dans sa Résolution 2243 (2018)Note; elle a en outre souligné le rôle d’un tuteur au cours de la procédure de détermination de l’âge de l’enfant migrant non accompagné dans la Résolution 2195 (2017)Note.
25. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà établi la vulnérabilité des enfants migrants non accompagnés et séparés dans plusieurs affaires (Rahimi c. Grèce et Khan c. France, par exemple), dans lesquelles elle a insisté sur la nécessité de désigner un tuteur pour ces mineurs. L’affaire Housein c. Grèce renvoie aussi à l’incapacité de l’État grec à désigner un tuteur pouvant agir en tant que représentant dans une affaire qui portait sur une violation de l’article 5.1 de la Convention.

2.3.1 Recommandation CM/Rec(2019)11 du Comité des Ministres Note

26. Le 11 décembre 2019, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté la Recommandation CM/Rec(2019)11 sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration. Cette recommandation élaborée par le Comité ad hoc pour les droits de l’enfant pose des principes directeurs clairs pour donner la priorité à la protection, à l’assistance et à la sécurité des enfants en situation de migration dans le cadre de la tutelle.
27. L'adoption de cette Recommandation par les 47 États membres du Conseil de l'Europe montre qu'il existe un consensus unanime pour dire que les besoins spécifiques des enfants en situation de migration doivent être pris en compte à chaque niveau.
28. La recommandation vise à garantir que les enfants concernés bénéficient effectivement d’une tutelle, qui soit adaptée à leurs droits et à leurs besoins particuliers, et à protéger leur intérêt supérieur conformément aux normes internationales et du Conseil de l'Europe.
29. Cet instrument fondé sur neuf grands principes s'adresse aux décideurs et aux praticiens qui œuvrent pour assurer la protection, l'accueil, la prise en charge et le bien-être des enfants non accompagnés et séparés dans le cadre de la tutelle. Il donne également des orientations concrètes pour élaborer la législation et prévoir des politiques publiques et des mesures institutionnelles garantissant l'accès de ces enfants à la justice et à des voies de recours effectives, et aborde les aspects concrets de la coopération et de la coordination entre les parties prenantes concernées, y compris au niveau international.
30. Les orientations de mise en œuvre pour un régime de tutelle efficace recommandent l’adoption de cadres réglementaires complets, qui prévoient que les tuteurs soient nommés sans tarder, qu’ils soient convenablement sélectionnés, qualifiés et soutenus tout au long de leur mandat par une autorité compétente. Les gouvernements devraient également veiller à ce que les enfants bénéficient d’informations et de conseils et aient accès à un mécanisme de plainte indépendant, ainsi qu’à des voies de recours pour pouvoir exercer leurs droits ou agir en cas de violation de leurs droits. En outre, grâce à la collecte régulière de données et à des mesures institutionnelles adéquates, il importe que les États veillent à ce que les mesures de tutelle correspondent à l’évolution des besoins, et notamment aux situations d’urgence.
31. Le Comité directeur pour les droits de l’enfant (CDENF) encouragera la mise en œuvre de cette recommandation. Il jouera aussi régulièrement le rôle de forum paneuropéen pour échanger des bonnes pratiques en vue de renforcer les systèmes de tutelle nationaux.

2.4 Base juridique dans différents États membres

32. Les défis liés à l’augmentation du nombre d’arrivées en Europe d’enfants migrants non accompagnés et séparés ont poussé certains pays à adapter leurs normes législatives afin d’améliorer la protection de ces enfants. Un grand nombre de pays européens disposent de cadres juridiques précisant quelle autorité nationale devrait assurer la protection nécessaire aux enfants migrants non accompagnés. Néanmoins, les normes législatives diffèrent de manière substantielle d’un pays à l’autre. Si, dans la plupart des pays, des dispositions juridiques sont incluses dans le système général de protection de l’enfance, certains États ont récemment adopté des lois spécifiquement consacrées à la protection des enfants migrants non accompagnés et séparés.
33. À Malte, la loi de protection de l’enfance de 2017Note comporte une clause qui mentionne la désignation d’un «tuteur spécial» pour les enfants les plus vulnérables, y compris les mineurs migrants non accompagnés. En vertu de cette loi, la structure d’accueil où réside l’enfant migrant peut jouer le rôle de tuteur, lorsqu’aucun particulier ne le peut. Dans ce pays, la tutelle est gérée uniquement au niveau national.
34. En Italie, la protection des enfants migrants non accompagnés est prévue par la «loi Zampa»Note de 2017. Après avoir reconnu que la tutelle n’était pas effective au niveau national, le Parlement italien a adopté cette loi, qui a été la première loi nationale complète destinée à promouvoir la désignation de tuteurs pour les enfants. La «loi Zampa» vise aussi à renforcer l’uniformité de la tutelle au niveau national. Conformément à cette loi, le système de tutelle est décentralisé en Italie et assuré au niveau local, impliquant des particuliers, des autorités locales et des médiateurs. Les citoyens ordinaires pourraient être désignés comme tuteurs bénévoles. Les bureaux des médiateurs régionaux sont en charge de la sélection et de la formation des tuteurs bénévoles, qui sont ensuite officiellement désignés par les tribunaux pour mineursNote.
35. En Belgique, la «loi Tabitha» relative à la tutelle légale a été adoptée en 2004. Elle souligne les principaux critères que doivent remplir les tuteurs qui sont des personnes physiques et agissent sous la responsabilité du service de tutelle du ministère de la Justice. Cette loi définit aussi la procédure de désignation d’un tuteur pour les enfants migrants non accompagnés et la nécessité de former les tuteurs afin qu’ils remplissent mieux leur mission.
36. La loi grecque 4554/2018Note a été le premier cadre national à défendre la nécessité de désigner des représentants légaux pour les enfants migrants non accompagnés. La loi fixe les conditions de la désignation et du remplacement d’un commissaire de la tutelle des mineurs non accompagnés. Elle définit aussi les responsabilités d’une commission de surveillance de la tutelle assurant la protection des mineurs non accompagnés en ce qui concerne les questions de handicaps, de croyances religieuses et de garde. Elle établit en outre le département de la protection des mineurs non accompagnés au sein du Centre national de solidarité sociale qui est chargé de garantir un hébergement sûr aux mineurs non accompagnés.
37. Au Royaume-Uni, la tutelle et la représentation légale sont régies par la loi de 1989 sur l’enfance (Children Act). L’article 20 de la loi souligne que «chaque collectivité locale doit fournir un hébergement à tout enfant qui en a besoin sur son territoire». Elle précise les obligations des autorités locales qui sont chargées d’un enfant et aborde la prise en charge et la surveillance de ces enfants. Les autorités territoriales sont compétentes en matière de tutelle des enfants non accompagnés mais ne les représentent pas sur le plan juridique.
38. En Turquie, la loi no 5395Note sur la protection de l’enfance prévoit les procédures pertinentes concernant les enfants sur le territoire national. Cette loi renvoie aux droits fondamentaux des enfants concernés, ainsi qu’aux mesures visant à les protéger. De plus, en vertu du Code civil, il convient de désigner des tuteurs pour tous les enfants qui se trouvent sous la responsabilité de l’État. Les tribunaux se chargent de les désigner et toutes les questions relatives à la tutelle sont déléguées aux juridictions civiles. Le mandat du tuteur est restreint dans le temps; en effet, la désignation doit être renouvelée tous les deux ans.
39. En résumé, un consensus général apparaît clairement aux niveaux européen et international selon lequel tous les enfants migrants non accompagnés doivent bénéficier d’une protection de l’État sous la forme d’une tutelle. Cependant, au niveau national, les dispositions légales en matière de tutelle varient considérablement et ne sont pas appliquées correctement.

3 Exemples de pratiques observées en matière de tutelle dans différents Etats membres du Conseil de l’Europe

40. Les systèmes de tutelle en Europe ne sont pas harmonisés et sont différents d’un pays à l’autre. Il n’existe pas de définition unique de «tuteur» ni de sa fonction. Les pays emploient les termes «tuteur», «représentant légal» et «représentant». De manière générale, le terme «tuteur» est utilisé pour définir une personne désignée afin d’assister un enfant. Le terme «représentant légal» est davantage employé pour définir une organisation ou une personne qui représentera les intérêts juridiques de l’enfant dans toutes les procédures.
41. Dans de nombreux Etats membres, le système de tutelle est décentralisé et chaque collectivité locale décide de la désignation de tuteurs. En AllemagneNote par exemple, les institutions locales sont les seules entités compétentes en la matière. En PologneNote, le système de tutelle existe aux niveaux local, régional et national. La décentralisation de la tutelle est à l’origine d’incohérences au sein des pays, lorsque deux régions peuvent avoir des approches différentes. En ItalieNote, par exemple, des formations spécifiques sont dispensées aux tuteurs uniquement dans certaines régions.
42. La fonction de tuteur peut être exercée par différentes catégories de personnes: une personne physique ou une personne morale (ou un employé d’une institution de tutelle selon les pays). Dans nombre de pays, ces deux catégories de tuteurs coexistent, mais dans certains, comme en PologneNote, seules les personnes physiques peuvent être désignées comme tuteurs. En Grèce, la tutelle relève du ministère public, mais sa mise en œuvre est assurée par l’ONG METAdrasi.
43. Les obligations des tuteurs, comme la représentation légale, sont par conséquent prévues dans la législation nationale, et les tâches qui leur sont confiées varient selon les pays. Par exemple, au DanemarkNote, un tuteur est légalement responsable des finances de l’enfant, tandis qu’au Royaume-UniNote les travailleurs sociaux, désignés dans certains cas, ne sont jamais tenus légalement de représenter un enfant.
44. Parmi les problèmes courants et graves rencontrés figurent les délais de désignation des tuteurs. Dans certains pays, ils sont désignés dès que les enfants bénéficient d’un hébergement, mais dans d’autres pays, comme en AllemagneNote, la désignation d’un tuteur peut prendre jusqu’à quatre mois. La BulgarieNote est le seul pays à avoir précisé le délai dans sa législation: la désignation doit intervenir dans les sept jours à compter du moment où l’enfant est hébergé. Le manque d’employés et d’équipements structurels contribue à l’augmentation des délais.
45. L’absence d’hébergement pour les enfants à leur arrivée est un autre problème. En Grèce, quelque 260 enfants sont en garde à vue ou en rétention. Plus de 1 000 autres vivent dans la rue. La police place les enfants migrants non accompagnés en rétention à titre de protection, car aucune autre structure d'hébergement d’enfants n'est disponible. Les ONG que j'ai rencontrées en Grèce ont souligné que la solution à ce problème pourrait être le recours à des hébergements provisoires, à des placements et à des logements indépendants. Le principal obstacle concerne l'absence de système de protection sociale pour les enfants, qui ne peut donc épauler les tuteurs. Il est également important que les autres pays européens accueillent plus favorablement les demandes de regroupement familial émanant des enfants migrants non accompagnés et séparés.
46. En ce qui concerne les dispositifs temporaires, la plupart des tuteurs sont désignés avant la détermination du statut de mineur migrant, comme en Belgique, tandis que d’autres Etats comme la France optent pour la désignation d’un administrateur ad hoc en tant que tuteur temporaire avant la détermination du statutNote. Après la détermination du statut, un tuteur est désigné pour une longue durée.
47. Il est regrettable de souligner que certains États européens ne prévoient pas la désignation d’un tuteur pour les enfants migrants non accompagnés ou séparés. Tel est souvent le cas lorsqu’ils estiment que l’enfant atteindra 18 ans avant que la décision sur sa demande d’asile n’ait été rendue. De plus, certains États membres considèrent que les mineurs non accompagnés ont la capacité juridique d’accomplir par eux-mêmes les démarches administratives liées à leur demande d’asile ou permis de séjour avant d’avoir 18 ans. Il en va ainsi en AllemagneNote, où l’on estime que les enfants sont capables d’accomplir les tâches administratives dès l’âge de 16 ans. Partant, les États concernés invoquent cet argument pour éviter de désigner un tuteur.
48. L’indépendance et l’impartialité des systèmes de tutelle ne sont pas toujours assurées au niveau national malgré les normes internationales applicables. En Lettonie, lorsqu’il n’y a pas de tuteur désigné pour un enfant, la législation nationale oblige le responsable de l’institution d’accueil à remplir les obligations de tutelleNote. La question de son impartialité se pose toutefois et il existe un risque de conflit d’intérêts. En FinlandeNote par exemple, c’est le service de l’immigration qui est compétent en matière de tutelle des mineurs migrants non accompagnés. Pour éviter ce problème, des Etats comme le DanemarkNote ont prévu que les tuteurs ne pouvaient être liés à aucune institution de l’immigration et de l’asile.
49. L’observation des pratiques en matière de tutelle en Europe révèle l’absence de normes de qualité. Les tuteurs seraient souvent surchargés avec parfois plus d’une centaine d’enfants sous leur responsabilité. D'après l'ONG METAdrasi, 6 375 enfants migrants non accompagnés sont arrivés en Grèce en 2019 et seuls 1 300 d'entre eux ont bénéficié d'une protection de tutelle. Il est difficile de parler de tutelle efficace en l'absence des infrastructures nécessaires et des conditions d'hébergement requises. Dans certains pays, on compte un tuteur pour 20 enfants. Les tuteurs ne sont alors pas en mesure de s’acquitter de manière efficace des tâches qui leur sont assignées afin d’assurer le bien-être des enfants migrants non accompagnés.
50. Dans quelques Etats membres du Conseil de l’Europe seulement, comme les Pays-BasNote, la FinlandeNote et récemment la Grèce, la législation nationale prévoit des conditions minimales pour exécuter la fonction de tuteur. Les tuteurs qui travaillent pour une institution doivent disposer d’expériences en milieu scolaire et professionnel en rapport avec les mineurs non accompagnés.
51. Nombreux sont les pays européens qui ne dispensent pas de formation aux tuteurs. En FinlandeNote par exemple, les formations ne sont pas obligatoires. Par ailleurs, même lorsque la législation nationale de certains pays exige des tuteurs qu’ils suivent des formations, elle n’est pas toujours respectée dans la pratique.
52. En outre, le suivi du travail des tuteurs n’est pas assuré dans tous les États membres. Si certains États exécutent à la fois des contrôles externes et internes, comme c’est le cas de l’Estonie, de nombreux pays n’utilisent pas de mécanismes de contrôle externe, qui sont essentiels pour une évaluation neutre et indépendante de la protection de l’enfant concerné. Il a aussi été souligné que les avis des enfants ne sont pas suffisamment pris en compte dans le processus de contrôle des tuteurs. Leur point de vue est néanmoins déterminant pour évaluer correctement la qualité de la tutelle. Dans un grand nombre de pays, ce manque de considération va de pair avec l’absence de mécanismes de plainte efficaces concernant les enfants migrants non accompagnés et séparésNote; cette situation fait obstacle à l’efficacité du suivi. Seuls quelques Etats membres appliquent ce genre de système, comme les Pays-BasNote par le biais de la Fondation Nidos.
53. Un des principaux problèmes rencontrés par les mineurs migrants non accompagnés et séparés lorsqu’ils atteignent la majorité est que les garanties accordées aux enfants cessent de s’appliquer. En Autriche par exemple, les mineurs non accompagnés perdent le droit d’être assisté par un travailleur social lorsqu’ils ont 18 ans. Ce changement brutal est un obstacle à leur transition vers l’âge adulte et va à l’encontre du principe du bien-être des migrants non accompagnés. Toutefois, dans la plupart des États membres du Conseil de l’Europe, la tutelle continue d’être assurée au début de l’âge adulte. En SuèdeNote, un tuteur peut assister un jeune non accompagné jusqu’à ses 21 ans.
54. Nombre d’États membres ne consacrent pas suffisamment de ressources budgétaires pour soutenir les tuteurs. Ceux-ci ne reçoivent pas systématiquement de compensation financière pour leur travail. Même lorsqu’ils en reçoivent une, comme en AllemagneNote, elle ne leur assure pas un niveau de vie décent.
55. En résumé, chaque État membre du Conseil de l’Europe rencontre des difficultés en ce qui concerne le processus de tutelle. Les dispositions qui figurent dans les législations nationales ne sont que partiellement appliquées, entraînant des décalages entre ce qui est fait et ce qu’il conviendrait de faire pour veiller à ce que les enfants migrants non accompagnés et séparés soient bien protégés dans le pays d’accueil.
56. Les disparités des systèmes nationaux de tutelle exacerbent l’absence d’approche uniforme en Europe. De plus, sur le terrain, on constate des différences s’agissant des connaissances et des compétences des tuteurs, des procédures de désignation et de leurs tâches. Tous ces facteurs ne vont pas dans le sens du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et négligent le bien-être des enfants non accompagnés en Europe.

4 La nécessité d’un système européen de tutelle holistique

57. Dans un contexte où le nombre d’arrivées en Europe ne cesse d’augmenter, les États membres ne garantissent pas un système de tutelle efficace permettant de fournir aux enfants migrants non accompagnés la protection qu’ils méritent et sont en droit de recevoir.
58. Comme l’a aussi souligné la Commission européenneNote, les principales lacunes dans le fonctionnement des systèmes de tutelle dans les pays européens concernent le nombre de tuteurs qualifiés disponibles et la rapidité à laquelle ils sont désignés. Il est très important de renforcer les institutions de tutelle dans les pays concernés et de former un nombre suffisant de spécialistes, capables de remplir la fonction de tuteur. Ils doivent être désignés sans tarder, et doivent être suffisamment préparés pour exécuter leur fonction. Les autorités de tutelle doivent donner des orientations claires aux tuteurs et assurer le suivi de leur travail.
59. L’une des solutions pour améliorer la protection des droits des enfants migrants non accompagnés consiste à élaborer un système de tutelle holistique et efficace en Europe et à donner les moyens au comité d’experts compétent du Conseil de l’Europe de contrôler sa mise en œuvre. Les États membres pourront ainsi mettre en place des lignes directrices, échanger des bonnes pratiques, renforcer leurs systèmes nationaux de tutelle et accroître la coopération transfrontalière, y compris pour le regroupement familial. Il convient de prendre des mesures pour réviser les législations, politiques et pratiques nationales et européennes, de faire part des progrès accomplis et de tirer les enseignements d’un tel échange de bonnes pratiques.
60. L'adoption, par le Comité des Ministres, de la Recommandation CM/Rec(2019)11 sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration est une avancée importante dans cette direction. Il est maintenant temps pour les États membres de renforcer leur action, de revoir leur législation, leurs politiques et leurs pratiques et, au besoin, de prendre les mesures et d'allouer des ressources pour garantir les réformes nécessaires à la mise en œuvre de cette Recommandation.
61. Enfin, il convient de mettre en place des processus obligatoires de suivi de la tutelle pour évaluer la qualité de la tutelle en Europe. Aucun progrès ne peut être réalisé sans analyse adaptée des informations quantitatives et qualitatives. Il faut travailler au cas par cas pour veiller à ce que chaque enfant migrant non-accompagné ou séparé reçoive les soins qu’il ou elle mérite. Toutes les parties prenantes au travail avec les mineurs non accompagnés doivent être associées au processus de suivi.