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Politique en matière de drogues et droits humains en Europe: une étude de référence

Résolution 2335 (2020)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 12 octobre 2020 (voir Doc. 15086, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteure: Mme Hannah Bardell; et Doc. 15114, avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteur: M. Joseph O’Reilly).Voir également la Recommandation 2177 (2020).
1. L’Assemblée parlementaire se félicite des récents engagements pris à l’échelle mondiale pour faire face et remédier aux problèmes de société liés aux substances psychoactives (ci-après «les drogues») dans le plein respect de l’ensemble des droits humains et des libertés fondamentales, et de l’importance grandissante accordée à une approche durable, globale, équilibrée et appuyée sur des faits établis. Elle réitère ses précédents appels en faveur d’une convention européenne sur la promotion des politiques de santé publique dans la lutte contre la drogue (Résolution 1576 (2007)).
2. L’Assemblée observe que de solides éléments laissent à penser que les politiques purement répressives qui négligent les réalités de la consommation de drogues et de la toxicomanie ont été contre-productives et ont donné lieu à de très nombreuses atteintes aux droits humains. Parmi ces dernières figurent les répercussions indirectes extrêmement préjudiciables sur la santé publique et les taux de mortalité, la violence et la corruption, la discrimination, la stigmatisation et la marginalisation, la disproportion des sanctions infligées et la surpopulation carcérale.
3. Le principe de subsidiarité laisse aux États membres du Conseil de l’Europe une grande marge d’appréciation dans l’élaboration de leurs politiques en matière de drogues, dans la limite des obligations que leur impose le droit international, notamment la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). À cet égard, l’Assemblée se félicite que des organes de l’Organisation des Nations Unies, certains États et la société civile aient récemment publié des «Lignes directrices internationales sur les droits de l’homme et la politique en matière de drogues». Les États membres devraient vérifier que les effets attendus et involontaires des mesures qu’ils prennent en matière de drogues sont compatibles avec les normes internationales relatives aux droits humains et une approche de santé publique, et ajuster ces mesures en conséquence.
4. L’Assemblée invite donc les États membres:
4.1 à optimiser la protection des droits humains dans la mise en œuvre des politiques de contrôle des drogues, en particulier:
4.1.1 en favorisant l’adoption d’une approche axée sur la santé publique, assortie d’un comportement et d’un langage non stigmatisants, qui protège les personnes consommatrices de drogues contre la discrimination, l’exclusion ou les préjugés;
4.1.2 en veillant à ce que le suivi et l’évaluation des politiques en matière de drogues et les investissements que leur consacre l’État soient transparents, durables et suffisants, et tiennent dûment compte des droits humains;
4.1.3 en envisageant de transférer la compétence globale de coordination de la politique en matière de drogues du ministère de l'Intérieur au ministère de la Santé;
4.1.4 en identifiant les indicateurs pertinents du respect effectif des obligations internationales relatives aux droits humains et la réalisation des Objectifs de développement durable des Nations Unies par les politiques en matière de drogues, notamment des indicateurs axés sur l'impact direct des politiques en matière de drogues sur les personnes;
4.1.5 en recourant à des méthodes précises, fiables et objectives de collecte de données sur les répercussions des politiques nationales en matière de drogues sur la santé, la criminalité et l’égalité, en étroite coopération avec les réseaux régionaux et internationaux qui promeuvent des outils et normes efficaces, appuyés sur des faits établis et respectueux des droits dans tous les domaines visés par les politiques en matière de drogues (y compris les consommateurs de drogues et les autres groupes affectés, ainsi que les organisations de la société civile et les experts dans la conception, la mise en œuvre, le contrôle et l’évaluation des politiques et des lois en matière de drogues), tout en portant une attention particulière à l’obtention et à la diffusion de données par âge et par sexe sur l’usage de drogues par les enfants, et les dommages associés, ainsi que sur la nature de la participation des enfants au commerce illicite de drogues;
4.2 à s’assurer que les mesures de prévention relatives aux drogues s’appuient sur des faits établis et sont proportionnées et adaptées aux divers contextes sociaux, groupes d’âge et niveaux de risque, en particulier:
4.2.1 en donnant la priorité à une information et à une éducation objectives et justes sur les risques que représentent les drogues pour la santé et la sécurité de leurs consommateurs (en particulier les enfants et les jeunes) et d’autres groupes;
4.2.2 en prenant toutes les mesures appropriées, conformes aux droits humains, notamment des mesures législatives, administratives, sociales, éducatives et de renforcement des capacités, pour protéger les enfants contre l’usage illicite de drogues, y compris en garantissant la disponibilité et l’accessibilité adéquates des services de prévention, de réduction des risques et de traitement adaptés à leurs besoins, et pour prévenir l’utilisation des enfants dans la production et le trafic illicites de drogues;
4.2.3 en promouvant la sécurité par le savoir, grâce à la diffusion d’informations sur les services chargés des questions de drogues, les pratiques plus sûres de consommation et les contrôles de qualité visant à prévenir la consommation de drogues de rue douteuses et potentiellement mortelles;
4.3 à miser sur la réduction des risques et des préjudices ainsi que sur le traitement et les services de réadaptation pour réduire les effets nocifs des drogues sur la santé et la société, selon une approche plus respectueuse des droits humains, en particulier:
4.3.1 en traitant les troubles liés aux drogues et les toxicomanies comme des pathologies médicales chroniques complexes, associées à un risque de rechute et de marginalisation sociale;
4.3.2 en revoyant leur législation, leurs politiques et leurs pratiques susceptibles d’avoir des effets négatifs sur l’accès volontaire et non discriminatoire des personnes souffrant de dépendance aux drogues à des services de réduction des risques et des préjudices, et à des services de santé de qualité;
4.3.3 en portant une attention particulière aux besoins sanitaires et sociaux des usagers de drogues dans les secteurs les plus marginalisés de la société, et aux besoins spécifiques des femmes, des enfants et des adolescents;
4.3.4 en privilégiant les soins et l’aide sociale dans un cadre communautaire pour le traitement de la toxicomanie et la réinsertion des toxicomanes;
4.3.5 en assurant l’équivalence et la continuité des soins aux personnes usagères de drogues dans les prisons ou autres lieux de détention, et en protégeant la santé des détenus souffrant de dépendance aux drogues;
4.3.6 en veillant à ce que toute personne entamant un traitement ou un programme de réinsertion ait au préalable donné son consentement éclairé, et en dissuadant le recours aux traitements non consensuels imposés par la justice à des personnes souffrant de dépendance aux drogues;
4.3.7 en garantissant que le traitement de la toxicomanie ne recoure pas à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants, au travail forcé ni à d’autres atteintes aux droits humains;
4.4 à veiller à ce que les réponses de la justice pénale aux infractions liées à la drogue respectent les droits humains, les garanties légales et les garanties procédurales applicables aux procédures pénales, en particulier:
4.4.1 en veillant à ce que l’arrestation et la détention arbitraires, de même que le recours excessif à la force et les peines disproportionnées prononcées contre les consommateurs de drogues soient éliminés, et que les allégations d’abus de ce type fassent promptement l’objet d’une enquête suivie d’effets, conformément aux normes internationales;
4.4.2 en épuisant toutes les alternatives disponibles avant d’incarcérer les auteurs d’infractions liées à la drogue;
4.4.3 dans le cas des enfants, conformément aux Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, en concentrant les efforts en premier lieu sur la déjudiciarisation du système pénal et en favorisant la réinsertion plutôt que la sanction;
4.4.4 en formant les services répressifs à la réduction des risques et en intensifiant les efforts visant à promouvoir la santé publique et les droits humains, notamment en nouant des engagements et des partenariats constructifs entre services répressifs et prestataires de santé;
4.4.5 en intensifiant la coopération et les initiatives nationales, régionales et internationales visant à combattre efficacement les organisations de trafic de drogue et les groupes de la criminalité transnationale organisée;
4.4.6 en s’abstenant de soutenir les activités de coopération internationale de lutte contre les drogues si elles contribuent à l’exécution, à l’arrestation ou à la détention illégales de personnes pour des infractions liées aux stupéfiants;
4.5 à assurer une protection égale et effective aux personnes qui usent de drogues contre les multiples formes de discrimination dans la conception de leurs politiques en matière de drogues et leurs pratiques afférentes. Les politiques en matière de drogues devraient intégrer la dimension de genre, aborder les facteurs socio-économiques et répondre aux différents besoins, risques et préjudices, en particulier pour certains membres de la société, dont les femmes, les enfants et les jeunes, les communautés ethniques, de migrants et LGBTI, les travailleurs du sexe, les personnes sans abri et les membres d’autres groupes vulnérables.
5. À la veille du 50e anniversaire du Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants (Groupe Pompidou) du Conseil de l’Europe, et dans la perspective de la révision de son statut prévue pour 2021, l’Assemblée reconnaît l’importance du rôle de plate-forme que joue le groupe dans la coopération entre les États membres sur les questions de politiques en matière de drogues. Elle appelle les États membres qui ne sont pas encore membres du Groupe Pompidou à le devenir, et tous les États membres à coopérer pleinement à ses activités.
6. L’Assemblée appelle le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe à envisager de soutenir l’élaboration de politiques en matière de drogues, respectueuses des droits aux niveaux local et régional, et à veiller à ce que chaque pays et chaque région puissent mettre en œuvre des politiques qui leur soient adaptées, dans le respect de ces principes directeurs.