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Les conséquences de la migration des travailleurs sur les enfants restés dans leur pays d’origine

Résolution 2366 (2021)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 19 mars 2021 (voir Doc. 15173, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteur: M. Viorel Riceard Badea; et Doc. 15183, avis de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur: M. Oleksii Goncharenko).Voir également la Recommandation 2196 (2021).
1. L’Assemblée parlementaire s’inquiète des conséquences dévastatrices de la migration des travailleurs liée à la pauvreté sur les enfants restés dans le pays d’origine, qui sont souvent privés de soins de base, de protection et de soutien. L’ampleur de ce phénomène est préoccupante dans certains pays, où le taux de travailleurs à l’étranger atteint un tiers de la population adulte. Pourtant, le sujet des enfants restés dans le pays d’origine demeure très souvent absent des discours publics et de l’élaboration des politiques. Les États membres du Conseil de l’Europe doivent s’attaquer aux causes profondes de cette situation et apporter un soutien spécifique aux enfants restés dans le pays d’origine et à leurs familles, comme le souligne l’Assemblée dans sa Résolution 2310 (2019) «L’émigration de travail en Europe de l’Est et son impact sur l’évolution sociodémographique dans ces pays».
2. L’Assemblée déplore la complaisance à la fois des pays d’origine et de ceux de destination des travailleurs migrants, qui ont tendance à tolérer d’excessives migrations de travailleurs en raison des bénéfices immédiats significatifs, qui se traduisent en transferts de fonds pour les premiers et en une main-d’œuvre flexible et peu onéreuse pour les seconds. Cette situation n’est ni acceptable, ni viable. Priver des millions d’enfants de protection parentale est une violation massive des droits humains et une menace inutile pour la stabilité et la prospérité de nos pays.
3. La migration des travailleurs à travers l’Europe augmente au fil des ans en raison des disparités économiques entre les pays et du fait de la liberté de circulation au sein de l’Union européenne. Par exemple, on estime que ce phénomène touche 500 000 à un million d’enfants en Roumanie, en Bulgarie et en Pologne, alors que le chiffre en Ukraine serait d’environ neuf millions. Des migrations de si grande ampleur ont des conséquences socio-économiques profondes tant pour les pays d’origine que pour les pays de destination des travailleurs migrants.
4. En outre, l’Assemblée est vivement préoccupée par la situation très difficile dans laquelle se trouvent des enfants dans les régions touchées par des conflits militaires. Les actions militaires provoquent des déplacements et des migrations, ce qui entraîne le risque que des enfants se retrouvent sans leurs parents. De nombreuses familles sont séparées en raison de conflits gelés ou prolongés en Europe.
5. La protection des enfants contre les effets indésirables de la migration des travailleurs devrait être une priorité pour les États membres du Conseil de l’Europe. Les pays de destination devraient souscrire à des obligations spécifiques consistant à s’abstenir de mener des politiques uniquement déterminées par des intérêts économiques, telles que la course à la main-d’œuvre la moins coûteuse du marché. De telles politiques sont contraires aux engagements de protection des droits humains. Les pays d’origine, quant à eux, devraient souscrire à des obligations spécifiques consistant à réduire le taux de pauvreté des familles avec enfants et à faire en sorte que l’État protège de façon adéquate les enfants laissés par leurs parents dans le pays d’origine.
6. Tous les États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et se sont engagés à respecter les droits consacrés par cette convention, notamment le droit à la vie, à la survie et au développement de l’enfant (article 6), le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux (article 7), le droit de jouir du meilleur état de santé possible (article 24), le droit d’être protégé contre toute forme de violence (article 19) et contre toutes formes d’exploitation (article 36). Il faut redoubler d’efforts pour assurer l’application effective de ces engagements concernant les enfants restés dans le pays d’origine. Une telle action est également essentielle pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, notamment l’objectif 1 «Pas de pauvreté», l’objectif 3 «Bonne santé et bien-être» et l’objectif 8 «Travail décent et croissance économique».
7. L’Assemblée est convaincue que des mesures ad hoc ciblées ne peuvent suffire à améliorer cette situation. Afin de maximiser les bénéfices tirés de la migration des travailleurs et de mettre fin aux conséquences préjudiciables de celles-ci sur les enfants restés dans le pays d’origine, tous les pays doivent reconnaître l’ampleur de ce phénomène et les dommages qu’il implique à long terme, et mettre en place une approche globale de la migration des travailleurs, centrée sur l’enfant et les droits humains, sensible au genre et durable sur les plans social et économique.
8. À cette fin, l’Assemblée exhorte les États membres:
8.1 s’agissant des solutions à la «fuite des soignants» et à la migration de travailleurs liée à la pauvreté:
8.1.1 conformément à la cible 10.7 des ODD des Nations Unies «Faciliter la migration et la mobilité de façon ordonnée, sans danger, régulière et responsable, notamment par la mise en œuvre de politiques de migration planifiées et bien gérées», à s’assurer que les politiques concernées sont conformes aux normes internationales, telles que le Cadre multilatéral de l’Organisation internationale du travail pour les migrations de main-d’œuvre, et qu’elles sont cohérentes, efficaces et justes;
8.1.2 à réduire la dépendance à la migration des travailleurs en développant des services sociaux publics efficaces, tels que la prise en charge des enfants et des personnes âgées, et en améliorant les conditions de travail et la rémunération dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre; à favoriser les services établis localement et des formes de soins non institutionnelles; à investir dans des stratégies visant à réduire le chômage et la pauvreté au travail, et à accroître les dépenses publiques consacrées aux services sociaux, y compris par l’amélioration des taux de recouvrement de l’impôt ainsi que par la lutte contre l’évasion fiscale et la corruption;
8.1.3 à promouvoir un discours public sur la migration des travailleurs fondé sur les droits humains, qui reconnaisse le rôle des conditions structurelles et la responsabilité publique quant à la migration excessive des travailleurs, qui prévienne la stigmatisation des enfants restés dans le pays d’origine et de leurs familles, qui encourage la solidarité et qui développe le soutien du public aux stratégies de lutte contre la pauvreté;
8.1.4 à soutenir la coopération entre les pays d’origine et de destination des travailleurs migrants, par le biais, notamment, d’accords bilatéraux et régionaux, tout en tenant compte des défis démographiques actuels;
8.2 s’agissant du renforcement de la protection des enfants:
8.2.1 à améliorer les cadres juridiques et à faciliter l’application de la législation conformément à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, en se concentrant sur l’intérêt supérieur de l’enfant et sur son droit d’être entendu, et en s’assurant que l’enfant est traité comme un détenteur de droits individuels; à mettre en œuvre et à réexaminer des mesures pertinentes en consultation avec les membres des diasporas et les organisations de la société civile représentant les migrants et leurs familles; et à s’assurer que les institutions compétentes, notamment les organes de protection des droits humains et les médiateurs des droits de l’enfant, s’occupent de la situation des enfants restés dans le pays d’origine et travaillent de manière concertée;
8.2.2 à privilégier les migrations de travailleurs qui permettent aux enfants de migrer avec leurs parents s’ils le souhaitent, en donnant accès aux familles migrantes à tous les droits sociaux pertinents garantis par la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163), y compris à la protection sociale, aux soins de santé et à l’éducation;
8.2.3 à communiquer aux parents qui prévoient d’émigrer des informations sur les services sociaux qui peuvent être fournis à leurs enfants en leur absence et sur leurs obligations parentales; à veiller à ce qu’une délégation de responsabilité ou une tutelle adéquate, conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, soit mise en place; à créer des moyens de rester en contact avec les enfants (y compris grâce aux nouvelles technologies) par le biais des centres de services publics; et à réduire les obstacles qui dissuadent les parents d’informer les autorités de leur départ;
8.2.4 à améliorer la collecte de données sur les enfants restés dans le pays d’origine par les services sociaux et à promouvoir une prise en charge fondée sur des connaissances factuelles; à mettre en place des systèmes de gestion de l’information afin de veiller au bien-être des enfants qui bénéficient de services sociaux, d’une aide juridique ou d’une tutelle, ainsi que des enfants qui ne disposent pas de tels services ou prestations; à fournir un soutien approprié aux enfants restés dans le pays d’origine et aux personnes qui prennent soin d’eux, y compris les services sociaux, psychologiques et juridiques, avec une attention particulière pour les grands-parents; à mettre en place des lignes d’assistance téléphonique, des plateformes en ligne et des centres d’accueil de jour pour les enfants restés dans le pays d’origine, et à éviter le placement des enfants en institution; à faciliter le signalement des cas connus ou suspectés de maltraitance ou de négligence à l'égard des enfants, sur la base de faits établis; à prévenir et à lutter contre la traite des enfants, l’abus et l’exploitation, y compris l’exploitation sexuelle, conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) et à la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201, «Convention de Lanzarote»); en outre, des informations adéquates devraient être communiquées aux enfants, d’une manière compréhensible pour eux, adaptée à leur âge et à leur niveau d’éducation;
8.2.5 à prendre des mesures afin de promouvoir l’égalité des chances pour les enfants restés dans le pays d’origine en assurant, notamment, le maintien de contacts avec les parents, en garantissant l’accès à l’éducation, en soutenant la réussite scolaire, en mettant en place un système de tutorat et en prévenant le décrochage scolaire; à renforcer la capacité des professionnels de l’éducation, des psychologues scolaires et des professionnels de santé de détecter et de prévenir l’abandon et la négligence à l’égard des enfants; et à lutter contre les répercussions négatives sur la santé publique, notamment les problèmes de santé mentale, les troubles alimentaires, l’abus de drogues et les grossesses précoces;
8.2.6 en tenant compte de la dimension de genre et de la féminisation des migrations, à inscrire des mesures de soutien spécifiques dans les programmes d’action généraux pour soutenir les femmes, à aider celles-ci à maintenir autant que possible le contact avec leurs enfants (y compris grâce aux nouvelles technologies) et à privilégier le regroupement familial chaque fois que c’est possible;
8.3 s’agissant du regroupement familial:
8.3.1 à examiner les politiques pertinentes pour s’assurer de leur conformité aux normes internationales en matière de regroupement familial, en particulier la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, et la Charte sociale européenne (révisée);
8.3.2 à développer des stratégies de regroupement familial qui permettent de surmonter les obstacles existants et suscitent le soutien du public en faveur de l’intégration des migrants et de leurs familles; à promouvoir les filières légales de migrations afin de prévenir la traite des êtres humains, le travail clandestin et les conditions de travail abusives; et à améliorer l’accès des migrants aux services sociaux et éducatifs ainsi qu’à des structures d’accueil adaptées telles que des logements et des garderies pour enfants;
8.4 s’agissant de la situation des enfants restés dans le pays d’origine et de leurs familles dans le contexte de la pandémie de covid-19:
8.4.1 à rompre le cercle vicieux de perte de revenus, de précarité de l’emploi et de stigmatisation de ce groupe vulnérable en adaptant le cadre juridique national aux défis apportés par l’actuelle crise sanitaire mondiale;
8.4.2 à assurer une aide appropriée aux foyers vulnérables, qui ont subi la chute brutale des transferts de fonds;
8.5 s’agissant des instruments et des institutions du Conseil de l’Europe et des Nations Unies:
8.5.1 à avoir pleinement recours à la Charte sociale européenne (révisée), à la Convention de Lanzarote, à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ainsi qu’à la Recommandation CM/Rec(2011)12 du Comité des Ministres sur les droits de l’enfant et les services sociaux adaptés aux enfants et aux familles;
8.5.2 à signer et à ratifier la Convention de 2011 sur les travailleuses et les travailleurs domestiques (no 189) de l’Organisation internationale du travail et à soutenir sa mise en œuvre effective.
9. L’Assemblée prend acte de la législation et des orientations de l’Union européenne en matière de migrations de travailleurs, y compris sur les questions des travailleurs détachés, transfrontaliers, saisonniers et domestiques, et formule l’espoir que tous ces outils deviendront utiles dans la pratique pour l’amélioration de la situation des enfants restés dans le pays d’origine. Elle appelle à une coopération plus étroite entre les institutions européennes en vue d’harmoniser les approches pertinentes de l’Union européenne et des États membres du Conseil de l’Europe qui ne font pas partie de celle-ci.