La protection des victimes de déplacement arbitraire
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte
adopté par la Commission permanente, agissant au nom
de l’Assemblée, le 19 mars 2021 (voir Doc. 15219, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, rapporteur: M. Fabien Gouttefarde).Voir
également la Recommandation
2197 (2021).
1. L'Assemblée parlementaire est profondément
alarmée par les estimations du Haut-Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés selon lesquelles près de 80 millions de personnes
ont été déplacées de force dans le monde, la plupart d'entre elles
étant déplacées à l'intérieur de leur pays. L'Afrique souffre en
particulier des conflits armés, du terrorisme et de la violence
générale, provoquant un nombre extrêmement élevé de victimes de
déplacements arbitraires, dont beaucoup cherchent refuge dans d'autres
pays d'Afrique et parfois en Europe.
2. Les déplacements arbitraires se produisent lorsque les populations
civiles sont ciblées intentionnellement dans des conflits armés
et lorsque leurs maisons et les infrastructures civiles sont détruites. Dans
leur forme la plus odieuse, ces déplacements sont perpétrés dans
le but politique de déplacer un groupe ethnique d'une zone de conflit,
ce que l'on appelle par euphémisme «nettoyage ethnique». Par ailleurs,
les déplacements arbitraires permettent souvent à l'agresseur d'exproprier
et d'exploiter des ressources naturelles à la suite d'un conflit
armé ou de poursuivre des activités criminelles pour en tirer des
avantages financiers, par exemple par la contrebande de drogues,
de pétrole, d'armes ou de biens culturels volés.
3. Rappelant sa
Résolution
2214 (2018) sur les besoins et droits humanitaires des
personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Europe,
l'Assemblée regrette vivement que près de 2,8 millions d'Européens
soient des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays,
selon les estimations de l'Observatoire des situations de déplacement
interne à Genève. En outre, de nombreux Européens sont des réfugiés
dans d'autres pays, en particulier les Ukrainiens qui ont fui la
guerre dans l'est de l'Ukraine et en Crimée. Plus récemment, le
conflit dans la région du Haut-Karabakh a entraîné de nouvelles
vagues de personnes déplacées.
4. L'Assemblée se félicite du fait que de nombreux pays européens
aient accordé l'asile à des millions de personnes déplacées de force
de leur pays d'origine, provenant principalement hors d'Europe.
La Turquie, par exemple, a accueilli environ 3,5 millions de Syriens,
et l'Allemagne compte plus d'un million de réfugiés de Syrie et
d'autres pays.
5. Rappelant que Nadia Murad, une femme yézidie maintenue en
esclavage et victime de traitements inhumains et dégradants perpétrés
par Daech dans le nord de l'Irak, a reçu le Prix des droits de l'homme Václav
Havel de l'Assemblée en 2016, l'Assemblée condamne fermement l’emploi
de toutes formes de violence sexuelle comme arme de guerre dans
les conflits armés. La violence sexuelle ne doit jamais être une arme
de guerre et doit être sévèrement réprimée par la loi.
6. Dans ce contexte, l'Assemblée rappelle aux États membres du
Conseil de l’Europe les normes et obligations juridiques pertinentes
protégeant les populations civiles contre les déplacements arbitraires,
qui ont été reconnues comme principes généraux du droit public international
dans les statuts du Tribunal militaire international de Nuremberg,
du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal
pénal international pour le Rwanda. Ainsi, le Statut de la Cour
pénale internationale (CPI) énonce l'interdiction de déplacer arbitrairement
des populations civiles et qualifie ces actes de crimes de guerre
et de crimes contre l'humanité. Par conséquent, l'Assemblée appelle
les États membres:
6.1 à signer
et à ratifier le Statut de la CPI, s'ils ne l'ont pas encore fait,
et à coopérer étroitement avec la CPI pour poursuivre et sanctionner
les déplacements arbitraires de populations civiles;
6.2 à envisager de créer des tribunaux pénaux internationaux
spécifiques pour poursuivre et sanctionner les déplacements arbitraires
lorsque l'action de la CPI ne peut être poursuivie;
6.3 à introduire dans leur législation nationale le principe
de la compétence universelle des juridictions nationales en ce qui
concerne les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité comprenant
des formes de déplacement arbitraire;
6.4 à créer des «commissions vérité» conformément à sa
Résolution 1613 (2008) «Exploiter l’expérience
acquise dans le cadre des “commissions vérité”».
7. Rappelant les Principes directeurs des Nations Unies relatifs
au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et
la Convention de l'Union africaine sur la protection et l'assistance
aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), l'Assemblée
appelle les États membres:
7.1 à
coopérer étroitement avec l'Union africaine dans le cadre de la
Convention de Kampala pour poursuivre et sanctionner les déplacements
arbitraires de populations civiles en Afrique;
7.2 à mettre en œuvre dans leur droit national les Principes
directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes
à l’intérieur de leur propre pays.
8. Rappelant la Convention européenne des droits de l'homme (STE
no 5, la «Convention»), l'Assemblée demande
à chaque État membre de poursuivre et de sanctionner, en recourant
à tous les moyens disponibles en vertu du droit national et du droit
international, les violations des droits humains commises par des
tiers à l'étranger contre des personnes qui ont par la suite reçu
un statut de protection internationale dans l'État membre concerné.
Les États membres devraient également aider les victimes à demander
réparation lorsque des violations ont eu lieu. Les déplacements
arbitraires et autres crimes de guerre et crimes contre l'humanité connexes
peuvent généralement violer:
8.1 le
droit à la vie en vertu de l'article 2 de la Convention;
8.2 l'interdiction de la torture en vertu de l'article 3 de
la Convention;
8.3 le droit à la liberté et à la sûreté en vertu de l'article
5 de la Convention;
8.4 le droit au respect de la vie privée et familiale en vertu
de l'article 8 de la Convention;
8.5 la protection de la propriété en vertu de l'article 1
du Protocole additionnel à la Convention (STE no 9).
9. Consciente du fait que les déplacements arbitraires ont pour
objectif de générer des avantages financiers pour les auteurs de
ces déplacements, l'Assemblée appelle les États membres à redoubler
d'efforts pour rechercher et saisir le produit des crimes commis
à la suite de conflits armés, conformément:
9.1 à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée;
9.2 à la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
(STE no 141) et à la Convention du Conseil
de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et
à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme
(STCE no 198);
9.3 à la Convention du Conseil de l'Europe sur les infractions
visant des biens culturels (STCE no 221).
10. Étant donné que la poursuite et la répression des déplacements
arbitraires exigent une coopération efficace en matière répressive
au niveau international, l'Assemblée appelle les États membres:
10.1 à respecter leurs obligations
au titre de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale
(STE no 30);
10.2 à répondre aux demandes d'extradition au titre de la Convention
européenne d'extradition (STE no 24);
10.3 à coopérer étroitement avec les autres États membres pour
identifier et combattre les organisations terroristes qui effectuent
des déplacements arbitraires.
11. Consciente des graves conséquences personnelles des déplacements
arbitraires sur les victimes, l'Assemblée appelle les États membres
à fournir une assistance aux victimes de tels déplacements:
11.1 par des procédures d'asile accélérées
conformément à sa
Résolution
1471 (2005) sur les procédures d'asile accélérées dans
les États membres du Conseil de l'Europe;
11.2 par des soins médicaux et psychologiques spéciaux;
11.3 par des actions pour rechercher les familles et permettre
le regroupement familial;
11.4 par la poursuite des crimes commis contre les victimes.
12. La protection efficace des populations civiles contre les
déplacements arbitraires en raison d'un conflit armé peut exiger
l'instauration multilatérale de la sécurité par le déploiement de
forces de police ou militaires. Par conséquent, l'Assemblée invite
les États membres à contribuer à un tel déploiement:
12.1 par un mandat du Conseil de
sécurité des Nations Unies;
12.2 par la coopération avec le gouvernement internationalement
reconnu d'un État touché par un conflit armé;
12.3 par des accords de coopération bilatéraux ou multilatéraux,
tels que le Traité de l'Atlantique Nord ou la politique étrangère
et de sécurité commune de l'Union européenne.