Préserver les minorités nationales en Europe
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 19 avril 2021 (9e séance)
(voir Doc. 15231, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
rapporteure: Mme Elvira Kovács). Texte adopté par l’Assemblée le
19 avril 2021 (9e séance).Voir
également la Recommandation
2198 (2021).
1. Il y a plus de vingt-cinq ans,
en 1995, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157,
«la convention-cadre») était ouverte à la signature. Cet instrument
essentiel se fonde sur une vision commune selon laquelle la préservation
de la stabilité, de la sécurité démocratique et de la paix en Europe
requiert la protection des minorités nationales; une société pluraliste
et véritablement démocratique devrait non seulement respecter l’identité
ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant
à une minorité nationale, mais aussi créer des conditions propres
à permettre d’exprimer, de préserver et de développer cette identité;
et un climat de tolérance et de dialogue doit être créé pour permettre à
la diversité culturelle d’être une source, ainsi qu’un facteur,
non de division, mais d’enrichissement pour chaque société. Il est
important de noter que la convention-cadre reconnaît par ailleurs
que la protection des droits et libertés des personnes appartenant
à des minorités nationales fait partie intégrante de la protection internationale
des droits humains, notamment du droit à une égalité pleine et effective.
2. La convention-cadre a été ratifiée par 39 États membres du
Conseil de l’Europe et signée par 4 autres. Depuis son entrée en
vigueur en 1998, sa mise en œuvre, par l’adoption d’importantes
mesures législatives et politiques, a eu des répercussions positives
pour les minorités nationales dans les États parties et a contribué à
préserver leur identité linguistique, ethnique et culturelle.
3. Aujourd’hui, cependant, plusieurs difficultés mettent en péril
la capacité à protéger les droits des personnes appartenant à des
minorités nationales en Europe. À bien des égards, la cause des
droits humains ne mobilise plus autant qu’auparavant et l’attention
accordée aux droits des minorités a décliné. Des tensions interétatiques
et au sein des États, et parfois des conflits, ont fragilisé la
stabilité des États comme celle des institutions européennes. Cette
situation a malheureusement conduit les minorités à être parfois
de nouveau perçues comme une menace pour la sécurité et l’intégrité
territoriale des États, comme on l’a déjà vu dans le passé, et à
l’instrumentalisation à des fins politiques des droits des personnes
appartenant à des minorités nationales. On observe également des
tensions croissantes autour de l’utilisation des langues minoritaires
et de l’enseignement de et dans ces langues.
4. En parallèle, on constate une montée des discours nationalistes
extrêmes, du populisme, des propos haineux et des infractions motivées
par la haine dans toute l’Europe, qui sont souvent centrés sur une construction
exclusive de la nation, stigmatisent la diversité et prennent pour
cible toute personne perçue comme différente. Ce type de discours
met en danger la cohésion sociale et la stabilité démocratique en désignant
les personnes appartenant aux minorités nationales comme des boucs
émissaires. Ces dynamiques sont souvent aggravées lorsque des problèmes
ou des divisions d’ordre social, économique ou politique plus vastes
sont présents.
5. L’Assemblée parlementaire constate que, tout comme les sociétés
dans leur ensemble, les minorités nationales elles-mêmes sont hétérogènes
et en constante évolution. Par exemple, les flux migratoires tant
au sein des États qu’entre eux ont profondément affecté les personnes
appartenant à des minorités nationales ainsi que la mise en œuvre
de leurs droits. Cette évolution constante requiert un dialogue
continu entre les autorités et les minorités, afin de pouvoir s’adapter
rapidement aux besoins des minorités, qui évoluent.
6. L’Assemblée souligne que les personnes appartenant à des minorités
nationales ne peuvent exercer pleinement leurs droits que lorsqu’elles
sont en mesure de participer réellement à la vie culturelle, sociale
et économique et aux affaires publiques du pays où elles vivent.
Il est par conséquent essentiel de bâtir des sociétés inclusives
et démocratiques, au sein desquelles les personnes appartenant aux
minorités ont la possibilité de s’engager activement et d’influencer
les décisions les concernant. L’évolution du paysage médiatique
peut créer de nouvelles possibilités d’expression dans les langues
minoritaires, mais aussi de nouveaux défis, et les États doivent
s’assurer que cette dynamique n’entrave pas de manière arbitraire
la liberté d’expression ou l’accès à l’information des personnes
appartenant à des minorités nationales.
7. Compte tenu de la multiplication des défis qui se posent aujourd’hui
dans la mise en œuvre des droits des minorités en Europe, l’Assemblée
considère qu’il est capital d’adopter une approche intégrée de ces
droits pour préserver la protection des minorités. Les conséquences
de toutes les politiques et décisions gouvernementales sur les droits
des personnes appartenant à des minorités nationales doivent être
évaluées avant leur adoption et leur mise en œuvre. Cela concerne
également des domaines allant au-delà des dispositions spécifiques
de la convention-cadre, comme la politique en matière de logement
ou la privatisation de services publics, qui peuvent indirectement
affecter la capacité des personnes appartenant à des minorités nationales
à bénéficier de la dimension collective de leurs droits.
8. L’Assemblée réaffirme son soutien à la convention-cadre. Le
respect de la diversité linguistique, ethnique et culturelle, fondé
sur la reconnaissance des droits fondamentaux à l’égalité et au
respect de la dignité humaine, constitue l’une des pierres angulaires
du système de protection des droits humains en Europe et est indispensable
à la préservation de démocraties pluralistes et inclusives. L’Assemblée
insiste sur l’importance du système de suivi multilatéral mis en
place en vertu de cette convention et souligne que la convention-cadre
ne pourra donner sa pleine mesure en tant qu’instrument vivant sans
l’engagement institutionnel du Conseil de l’Europe et la volonté
politique de ses États membres.
9. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée demande instamment à
tous les États membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas encore
parties à la convention-cadre de mener à son terme le processus
de signature et de ratification de cet instrument, conformément
à sa
Recommandation 1766
(2006) «Ratification de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales par les États membres du Conseil de l'Europe» et
à sa
Résolution 2262 (2019) «Promouvoir
les droits des personnes appartenant aux minorités nationales»; elle
encourage également les États membres non parties à la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires (STE no 148)
à ratifier également cet instrument.
10. L’Assemblée appelle les États parties à la convention-cadre
à redoubler d’efforts pour la promouvoir et la mettre en œuvre dans
la pratique, et en particulier:
10.1 à
veiller à ce que les normes consacrées par la convention-cadre soient
effectivement intégrées dans le droit interne et mises en pratique,
en s’abstenant de revenir sur des droits déjà reconnus des minorités
et, s’il y a lieu, en adoptant un cadre législatif complet pour
la protection des droits des personnes appartenant à des minorités
nationales, en étroite concertation avec leurs représentant·e·s;
10.2 à envisager, dans le cas des États parties ayant ratifié
la convention-cadre tout en présentant des déclarations et/ou des
réserves restrictives, le retrait de ces déclarations et/ou réserves;
10.3 à promouvoir des sociétés pluralistes et inclusives, au
sein desquelles les personnes appartenant aux minorités nationales
peuvent exprimer leurs identités multiples tout comme leur attachement
aux principes constitutionnels démocratiques, contribuant ainsi
à une Europe unie dans la diversité;
10.4 à intensifier le dialogue avec les personnes appartenant
à des minorités nationales et à le mener de manière continue, notamment
en créant des mécanismes de consultation permanents lorsqu’ils n’existent
pas encore, tout en tenant compte du fait que la composition et
le fonctionnement de ces structures doivent permettre la participation
pleine et effective des minorités nationales sur tous les sujets
susceptibles de concerner leurs droits et leur donner la possibilité
d’influer de manière tangible sur les résultats;
10.5 à veiller à ce que les politiques et les pratiques relatives
aux minorités nationales tiennent compte de la diversité qui existe
au sein des minorités et des questions intersectionnelles qui peuvent
les concerner, afin que toutes les personnes appartenant à des minorités
nationales puissent jouir d’une égalité pleine et effective, comme
le garantit la convention-cadre;
10.6 à prendre au sérieux les menaces que représentent les
propos haineux diffusés par des acteurs étatiques et des parlementaires,
qui déshumanisent les personnes appartenant à des minorités et accentuent
leur vulnérabilité à la stigmatisation, à la discrimination et aux
violences; à appeler les représentants de l’État et les responsables
politiques à s’abstenir de tout propos haineux et à prendre des
mesures supplémentaires pour lutter contre les propos haineux et
les infractions motivées par la haine commises à l’encontre de personnes
appartenant à des minorités;
10.7 à nouer un dialogue avec les représentant·e·s des minorités
nationales et à les consulter systématiquement pour déterminer les
meilleurs moyens de mettre en œuvre les recommandations adressées
à l’État partie au titre du mécanisme de suivi de la convention-cadre,
et à les mettre en œuvre rapidement sur la base de ces consultations;
10.8 à envisager de mettre au point des indicateurs pour contribuer
à mesurer et à évaluer les résultats obtenus dans ce domaine, en
particulier en ce qui concerne l’intégration des minorités dans
la société;
10.9 à élaborer de nouvelles stratégies d’information permettant
de communiquer au sujet de la convention-cadre et de diffuser auprès
du grand public les conclusions de son comité consultatif, notamment
dans la langue de l’État et dans les langues des minorités nationales;
ces stratégies devraient tirer pleinement parti de la disponibilité
croissante des nouvelles technologies.
11. Elle appelle en outre les États non parties à convention-cadre
à mettre en œuvre des mesures en ligne avec celles énumérées aux
paragraphes 10.1, 10.3, 10.4 et 10.5 ci-dessus, afin de renforcer
leur propre dialogue avec les personnes appartenant aux minorités
nationales au sein de leur territoire et de promouvoir leur égalité
pleine et effective.
12. L’Assemblée invite l’ensemble des États membres à intensifier
leur dialogue multilatéral sur la protection des droits des minorités
et à le mener de manière continue. Elle rappelle à cet égard le
rôle important que peuvent également jouer les mécanismes complémentaires
qui existent dans ce domaine, et en particulier le rôle du Haut-Commissaire
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour
les minorités nationales dans la prévention des conflits. Compte
tenu du lien étroit qui existe entre le respect des droits humains
et le bon fonctionnement de l’État de droit et des institutions
démocratiques, il conviendrait aussi de renforcer les synergies
mises en place avec l’Union européenne dans ce domaine.
13. L’Assemblée invite les États membres à explorer tous les moyens
qui permettent de garantir l’intégration dans la législation interne
et la mise en œuvre des normes du Conseil de l’Europe, en aidant
les institutions européennes à développer leur réglementation visant
à préserver les minorités nationales en Europe.
14. Enfin, étant donné que les droits des personnes appartenant
à des minorités nationales ne peuvent être dûment exercés sans la
mise en place d’un cadre solide pour protéger et promouvoir une
égalité pleine et effective, l’Assemblée demande instamment aux
États membres qui ne sont pas encore parties au Protocole no 12
à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (STE no 177) de mener sans
délai à son terme le processus de signature et de ratification de
cet instrument.