Le dialogue postsuivi avec le Monténégro
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 21 avril 2021 (13e séance)
(voir Doc. 15132, rapport de la commission pour le respect des obligations
et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission
de suivi) et Doc. 15132 addendum, corapporteurs: M. Damien Cottier et M. Emanuelis Zingeris). Texte adopté par l’Assemblée le
21 avril 2021 (13e séance).
1. Le Monténégro a adhéré au Conseil
de l’Europe en 2007. Il a été soumis à la procédure de suivi générale jusqu’en 2015.
L’Assemblée parlementaire renvoie à sa
Résolution 2030 (2015) «Le respect
des obligations et engagements du Monténégro», dans laquelle elle
a décidé de clore la procédure de suivi et d’engager un dialogue
postsuivi dans quatre domaines prioritaires, à savoir l’indépendance
du pouvoir judiciaire, la confiance dans le processus électoral,
la lutte contre la corruption et la situation des médias. L’Assemblée
s’est également donnée pour mandat de suivre l’évolution de la situation
dans le domaine des droits des minorités, de la lutte contre la
discrimination, et de la situation des réfugiés et des personnes
déplacées à l’intérieur du pays.
2. L’Assemblée salue la volonté et l’engagement politiques permanents
dont les autorités monténégrines ont fait preuve pour respecter
pleinement leurs obligations, comme le confirme leur coopération
constante avec les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, les
experts juridiques et la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise). L’Assemblée se félicite aussi
de leur niveau d’implication dans le dialogue postsuivi.
3. L’Assemblée réaffirme que le Monténégro continue de jouer
un rôle positif dans la stabilisation de la région et qu’il reste
un partenaire fiable et constructif, impliqué dans plusieurs initiatives
régionales et multilatérales.
4. Au vu des développements intervenus depuis 2015, l’Assemblée
a évalué les progrès réalisés dans les quatre domaines prioritaires,
ainsi que les sujets toujours pendants et nécessitant une attention
particulière, identifiés en 2015.
5. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Assemblée:
5.1 se félicite de la mise en œuvre,
par les autorités monténégrines, des amendements constitutionnels
relatifs au pouvoir judiciaire adoptés en juillet 2013 et de l’établissement
d’un cadre juridique complet régissant les tribunaux, les parquets,
le Conseil de la magistrature et les juges, le Conseil des procureurs
et la Cour constitutionnelle; elle reconnaît l’ampleur des changements
ainsi apportés au pouvoir judiciaire et leur mise en œuvre dans
le respect de la plupart des recommandations de la Commission de
Venise;
5.2 félicite les autorités monténégrines pour l’amélioration
réelle de la formation des professions judiciaires, grâce notamment
au Centre de formation des juges et des procureurs, qui devrait
avoir des effets durables sur le professionnalisme des nouveaux
magistrats et, par là même, sur l’efficacité du système judiciaire;
5.3 regrette profondément la reconduction dans leurs fonctions,
par le Conseil de la magistrature en 2019 et 2020, de plusieurs
présidents de tribunaux de première instance et de la présidente
de la Cour suprême, qui avait déjà effectué deux mandats ou plus.
La disposition instaurant la limite de deux mandats, inscrite dans
la Constitution depuis 2013 ainsi que dans la loi, et visant à empêcher
la concentration excessive des pouvoirs au sein du pouvoir judiciaire,
a été violée dans son esprit, sinon dans sa lettre;
5.4 constate que, après les messages négatifs envoyés en 2018
concernant la transparence des procédures de recrutement et de nomination
des juges, le Conseil de la magistrature semble avoir amélioré sa
procédure de sélection en 2020;
5.5 regrette profondément, au même titre que la Commission
européenne et le Groupe d’États contre la corruption (GRECO), qu’aucun
progrès n’ait été réalisé dans la révision du cadre disciplinaire applicable
aux juges et aux procureurs;
5.6 salue la décision des autorités monténégrines de demander
l'avis de la Commission de Venise sur les projets de loi modifiant
la loi sur le ministère public et la loi sur ministère public pour
la criminalité organisée et la corruption, et de suspendre leur
adoption jusqu'à ce que l'avis soit rendu; invite les autorités
à mettre pleinement en œuvre les recommandations formulées par la
Commission de Venise et, plus particulièrement, à ne pas ignorer
celles qui concernent l’inamovibilité et le risque de politisation des
membres non juristes du Conseil des procureurs.
6. Concernant la confiance dans le processus électoral, l’Assemblée:
6.1 est préoccupée par l’absence
de progrès dans la mise en œuvre des cinq conditions fixées par la
Résolution 2030 (2015),
hormis en ce qui concerne la constitution des listes électorales;
6.2 rappelle avec insistance que le parlement est l’arène
où la compétition politique devrait s’exercer, que le boycott de
ses travaux n’est pas conforme à la manière européenne de participer
à cette compétition et que la réforme du cadre juridique relatif
aux campagnes électorales ne peut se faire de manière inclusive,
dès lors que les principaux partis de l’opposition n’y participent
pas;
6.3 rappelle que tous les groupes politiques au parlement
ont en partage la responsabilité de créer une atmosphère et une
culture de démocratie parlementaire;
6.4 salue la maturité politique dont ont fait preuve tant
la nouvelle majorité que la nouvelle opposition immédiatement après
les élections d’août 2020, qui a permis un transfert pacifique du
pouvoir, et exhorte celles-ci à maintenir cette tendance positive;
dans le même temps, l’Assemblée regrette que le cadre juridique
électoral soit resté largement inchangé lors des dernières élections
législatives, malgré les recommandations répétées du Bureau des
institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE) visant
à remédier aux défauts et aux limites de ce cadre, et que des pratiques
contraires aux principes du BIDDH/OSCE aient une nouvelle fois été
observées lors de ces élections, notamment en matière d’abus des
ressources de l’État, de couverture médiatique indépendante et de
financement de la campagne électorale.
7. Concernant la lutte contre la corruption, l’Assemblée:
7.1 prend acte de la mise en œuvre
de la loi sur la prévention de la corruption et de la loi sur la prévention
des conflits d’intérêts, ainsi que des politiques de prévention
établies par l’Agence pour la prévention de la corruption;
7.2 déplore que la loi relative au financement des entités
politiques et des campagnes électorales ait eu des effets limités
sur la prévention et la répression des dons illicites, comme l’ont
déclaré les commissions ad hoc du Bureau de l’Assemblée pour l’observation
des élections législatives de 2016 et de l’élection présidentielle
de 2018;
7.3 salue l’adoption de la loi sur le Bureau spécial du ministère
public, qui est chargé de lutter contre la corruption et le crime
organisé, l’augmentation constante de ses moyens, ainsi que de ceux
de l’Unité spécialisée de la police, et les résultats récemment
obtenus en matière de lutte contre les organisations criminelles
monténégrines grâce à une participation accrue à la coopération
policière internationale;
7.4 prend note de l’établissement, comme l’a indiqué la Commission
européenne, d’un «bilan initial» des enquêtes, des poursuites et
des condamnations définitives dans les affaires de corruption;
7.5 félicite les autorités monténégrines d’avoir mis en œuvre
de manière satisfaisante 12 des 14 recommandations formulées par
le GRECO dans le cadre du troisième cycle d’évaluation portant sur la
transparence du financement des partis politiques, et 8 des 11 recommandations
énoncées dans le cadre du quatrième cycle d’évaluation axé sur la
prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des
procureurs, conclu en décembre 2019;
7.6 est toutefois préoccupée par l’évaluation de la Commission
européenne selon laquelle le système de justice pénale semble généralement
faire preuve de clémence, avec des peines, des amendes et des recouvrements
des avoirs disproportionnellement faibles par rapport à la gravité
des crimes.
8. Concernant la situation des médias, l’Assemblée:
8.1 se félicite des efforts manifestes
fournis par les procureurs et les juges pour s’attaquer au problème
des agressions de journalistes; elle salue les efforts déployés
par les forces de police pour arrêter les auteurs et les personnes
suspectées de tels actes, ainsi que le soutien manifesté publiquement
par le gouvernement à la commission de suivi des actions des autorités
compétentes dans l’instruction des affaires de menaces et de violences
envers des journalistes, d’assassinats de journalistes et de dégradation
de biens appartenant à des médias, et se réjouit de l’implication
récente et pertinente du parlement qui a débattu des rapports de
cette commission;
8.2 demeure toutefois très préoccupée par les menaces et la
violence à l’encontre des journalistes, récemment mises en évidence
dans plusieurs affaires;
8.3 salue vivement les efforts actuellement entrepris par
les autorités monténégrines pour réviser le cadre juridique relatif
aux médias, en étroite coopération avec le Conseil de l’Europe;
8.4 regrette les révocations en 2017 et 2018 de membres des
conseils d’administration du service public de radiodiffusion (Radio
Televizija Crne Gore – RTCG) et de l’Agence des médias électroniques décidées
par le parlement à la suite des enquêtes menées par l’Agence pour
la prévention de la corruption, qui pourraient être vues comme une
ingérence politique;
8.5 est particulièrement préoccupée par la tendance des organismes
publics à restreindre l’accès aux documents publics, ce qui va à
l’encontre du besoin pressant de transparence au Monténégro et d’accès
des médias à l’information; si l’Assemblée convient pleinement de
la nécessité d’encadrer la liberté d’expression, elle souligne que
cette réglementation doit être conforme aux normes européennes et
que le concept d’«abus du droit à l’information» n’est pas approprié.
9. Concernant les droits des minorités et la lutte contre la
discrimination, l’Assemblée:
9.1 se
félicite de la mise en place des mécanismes de prévention de la
torture et de protection contre la discrimination au titre respectivement
du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations
Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, et de la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale des Nations Unies. Elle prend
également acte, pour ce dernier mécanisme, de la clarification en
2017 des compétences du protecteur des droits de l’homme et des
libertés (ombudsman) en matière de protection contre les discriminations;
9.2 salue l’adoption en 2017 de la loi sur les droits et libertés
des minorités qui répond à quatre des cinq recommandations formulées
par la Commission de Venise;
9.3 se félicite de l’avis très positif sur le Monténégro émis
en mars 2019 par le Comité consultatif de la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe et
appelle les autorités monténégrines à prendre de toute urgence les
mesures en faveur des Roms et des Égyptiens mentionnées dans l’avis;
9.4 félicite le Monténégro pour le bon exemple donné à toute
la région en ce qui concerne le niveau de protection accordé aux
personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes
(LGBTI), et salue l’adoption en juillet 2020 par le parlement de
la loi sur le partenariat pour les personnes de même sexe.
10. Concernant la situation des réfugiés et des personnes déplacées
à l’intérieur du pays, l’Assemblée prend note de l’avis positif
émis par le Comité consultatif quant aux progrès accomplis par le
Monténégro pour résoudre la question des personnes déplacées, pour
la plupart des Roms et des Égyptiens arrivés dans le pays à la fin
des années 1990, et pour mener quasiment à bonne fin la régularisation
de leur statut juridique.
11. S’agissant de la loi relative à la liberté de religion ou
de conviction et au statut juridique des communautés religieuses
(loi sur la liberté de religion) adoptée en décembre 2019, l’Assemblée:
11.1 souligne que la réglementation
des communautés religieuses est une question relevant de la souveraineté
nationale, qui doit être exercée sans aucune ingérence étrangère;
11.2 déplore que la partie de la loi relative aux «droits de
propriété» ait créé un climat caractérisé par un profond clivage,
alors que la plupart des dispositions constituent un réel progrès
par rapport au cadre juridique antérieur, comme l’a indiqué la Commission
de Venise dans son avis sur le projet de loi;
11.3 a pleinement conscience des craintes bien compréhensibles
des membres de l’Église orthodoxe serbe, compte tenu de l’ampleur
des transferts de propriété éventuels de l’Église à l’État monténégrin au
motif qu’il s’agit de biens du «patrimoine culturel», soit possiblement
la plupart des édifices religieux bâtis avant 1918;
11.4 se félicite de l’adoption des modifications de la loi
le 28 décembre 2020, solution qui respecte à la fois la démocratie
et l’État de droit, et qui porte sur les dispositions controversées,
tout en conservant celles qui constituent un véritable progrès;
en même temps, l’Assemblée regrette que la consultation de toutes
les communautés religieuses sur ces modifications n’ait pas été
pleinement inclusive.
12. Dans ce contexte, l’Assemblée décide de poursuivre le dialogue
postsuivi avec le Monténégro dans les domaines suivants.
13. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Assemblée
suivra de près:
13.1 la mise en
œuvre de la recommandation v formulée dans le cadre du quatrième
cycle d’évaluation du GRECO, et notamment de l’esprit des changements
constitutionnels et législatifs concernant la limitation à deux
mandats pour les présidents de tribunaux; cela pourrait être assuré
grâce à une modification du cadre juridique ou à un changement des
pratiques initié par le système judiciaire lui-même;
13.2 le point de savoir si le respect de la transparence des
procédures de recrutement et de nomination des magistrats continue
à être appliqué;
13.3 l’amélioration de la mise en œuvre du code de déontologie
et de la responsabilité disciplinaire des magistrats.
14. Concernant la confiance dans le processus électoral, l’Assemblée
suivra les progrès réalisés dans la relance, juste après les élections,
d’un processus global et inclusif de réforme du cadre électoral, conformément
aux recommandations du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise,
et à celles du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe, s’agissant en particulier de la tenue des élections locales
le même jour et au moins à six mois de distance des élections législatives.
15. Concernant la lutte contre la corruption, l’Assemblée suivra
les progrès réalisés:
15.1 pour
remédier aux lacunes du système de justice pénale, qui font paraître
ce dernier généralement clément;
15.2 pour tenir compte des risques, mis en évidence tant par
la Commission de Venise que par la Commission européenne, d’un contrôle
de fait par le pouvoir exécutif des enquêtes réalisées par l’Unité spécialisée
de la police sous la supervision du Bureau spécial du ministère
public, étant donné le lien hiérarchique entre les membres de l’unité
susmentionnée, dont son chef, et la Direction de la police;
15.3 pour consolider les premiers résultats obtenus dans la
lutte contre la corruption et le crime organisé.
16. Concernant la situation des médias, l’Assemblée suivra de
près les progrès réalisés:
16.1 pour
mettre définitivement fin au climat d’impunité qui entoure les agressions
de journalistes, en continuant à s’y attaquer directement, mais
aussi en imposant la transparence dans les affaires où les autorités
compétentes n’ont pas mené d’enquête effective en temps utile;
16.2 pour s’abstenir de limiter l’accès à l’information;
16.3 pour réviser les mécanismes qui traitent actuellement
des ingérences politiques dans les médias, y compris la composition
des conseils d’administration du RTCG et de l’Agence des médias électroniques.
17. Concernant la loi sur la liberté de religion, l’Assemblée
veillera à ce que sa mise en œuvre respecte les normes européennes,
ainsi que les recommandations de la Commission de Venise.
18. En ce qui concerne la situation des minorités, l’Assemblée
suivra de près les enquêtes ouvertes sur les allégations de crimes
de haine et d’agressions à motivation ethnique et religieuse qui
ont eu lieu depuis l’annonce des résultats des élections du mois
d’août 2020.
19. L’Assemblée décide d’évaluer les progrès accomplis dans les
domaines susmentionnés après la tenue des élections législatives
de 2020.