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L’arrestation et la détention d’Alexeï Navalny en janvier 2021

Résolution 2375 (2021)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 22 avril 2021 (14e séance) (voir Doc. 15270, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Jacques Maire). Texte adopté par l’Assemblée le 22 avril 2021 (14e séance).Voir également la Recommandation 2202 (2021).
1. Alexeï Navalny est un homme politique d’opposition russe et un militant anticorruption. Le 17 janvier 2021, il est rentré d’Allemagne en Russie après avoir été soigné pour un empoisonnement présumé. Il a été arrêté à son arrivée en vertu d’un mandat d’arrêt émis pour avoir enfreint les termes d’une condamnation avec sursis prononcée en 2014 dans l’affaire dite «Yves Rocher». Le 2 février 2021, le tribunal du district Simonovskiy de Moscou a converti la peine avec sursis en une peine de deux ans et huit mois de prison. Depuis le 12 mars 2021, M. Navalny est détenu à la colonie pénitentiaire no 2 de Pokrov, à l’est de Moscou.
2. L’Assemblée parlementaire rappelle que, dans son arrêt de 2017 dans l’affaire Navalnyye c. Russie, la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) a estimé que la condamnation de M. Navalny (et celle de son frère) dans l’affaire Yves Rocher avait violé l’interdiction de punir sans loi (article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme) (STE no 5, la «Convention»), car les infractions pertinentes avaient été «interprétées de manière extensive et imprévisible», sans cohérence avec l’essence de l’infraction; et qu’elle avait violé son droit à un procès équitable (article 6 de la Convention), car les tribunaux nationaux avaient agi de manière si arbitraire qu’ils avaient fondamentalement compromis l’équité du procès. La Cour a demandé la réouverture de la procédure pénale et que les tribunaux internes soient obligés de remédier aux violations susmentionnées.
3. L’Assemblée constate qu’en avril 2018 la Cour suprême russe a rouvert la procédure pénale mais n’a trouvé aucun motif pour annuler ou modifier la condamnation de M. Navalny, affirmant que les infractions pertinentes avaient été pleinement établies et que toutes les exigences procédurales avaient été respectées. Elle constate en outre que le Gouvernement russe a affirmé que l’arrêt Navalnyye avait été pleinement exécuté, en se référant à la décision de la Cour suprême et à son propre paiement à M. Navalny de la satisfaction équitable et des frais et dépenses juridiques accordés par la Cour européenne des droits de l’homme.
4. Elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme est compétente en dernier ressort pour toutes les questions d’interprétation et d’application de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle rappelle en outre que les États parties à la Convention sont tenus d’exécuter les arrêts de la Cour dans leur intégralité.
5. L’Assemblée constate qu’en mars 2021 le Comité des Ministres a adopté une décision sur la mise en œuvre par la Fédération de Russie de l’arrêt Navalnyye de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité des Ministres s’est déclaré «vivement préoccupé» par le fait que la réouverture de la procédure n’a pas permis de remédier aux violations et «profondément préoccupé» par le fait que la condamnation avec sursis de M. Navalny a été convertie en une peine de prison. Il a exhorté les autorités à prendre «toutes les mesures possibles pour annuler» la condamnation de M. Navalny et à le libérer sans délai. Il a en outre décidé de revenir sur cette affaire lors de sa prochaine réunion en juin 2021, où il envisagera d’adopter une résolution intérimaire si M. Navalny n’a pas été libéré d’ici là.
6. L’Assemblée rappelle que le Comité des Ministres est compétent, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, pour surveiller l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en déterminant si un État défendeur a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires. Elle rappelle aussi les outils procéduraux dont dispose le Comité des Ministres en vertu de l’article 46 de la Convention, en cas de problème d’interprétation d’un arrêt ou de refus par un État défendeur de l’exécuter.
7. L’Assemblée constate qu’en février 2021 la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué une mesure provisoire exigeant du Gouvernement russe qu’il libère M. Navalny avec effet immédiat, tenant «compte de la nature et de l’ampleur du risque pour la vie [de M. Navalny] [...] considéré à la lumière des circonstances générales de [sa] détention actuelle». L’Assemblée, rappelant sa Résolution 1991 (2014) «Nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l’homme», réaffirme que les mesures provisoires sont juridiquement contraignantes.
8. L’Assemblée note avec une profonde inquiétude que l’état de santé de M. Navalny se serait détérioré de façon significative depuis sa mise en détention. Elle note que le service médical de la prison a diagnostiqué que M. Navalny souffrait de multiples hernies discales et qu’un médecin spécialiste indépendant a déclaré que le traitement actuel de M. Navalny par le service médical de la prison, en grande partie refusé par M. Navalny, est «contre-indiqué, indésirable et inefficace», et pourrait causer d’autres problèmes de santé graves. Les demandes de M. Navalny d’être examiné par un spécialiste de son choix n’ont pas été accordées. M. Navalny est en grève de la faim depuis le 31 mars 2021. L’Assemblée considère que, malgré l’affirmation des autorités russes selon laquelle l’état de santé actuel de M. Navalny est «satisfaisant», l’incapacité apparente à fournir à M. Navalny des soins médicaux adéquats en prison pourrait soulever des questions au regard de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction des peines ou traitements inhumains).
9. L’Assemblée considère que d’autres aspects des conditions de détention de M. Navalny peuvent soulever des questions supplémentaires au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment le fait qu’il serait dérangé de façon répétitive par des gardiens de prison pendant la nuit, ce qui entraîne une privation cumulée de sommeil; il serait fouillé à nu avant de rencontrer ses avocats; et ses avocats se sont plaints des restrictions importantes imposées pour l’accès à leur client. L’Assemblée considère que la diffusion des vidéos de M. Navalny en détention, dont une réalisée par un contrôleur de détention accompagné d’une équipe de tournage d’un média financé par l’État et d’autres apparemment enregistrées par des gardiens de prison et des caméras de surveillance de la prison, pourrait soulever des questions au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée).
10. L’Assemblée constate que M. Navalny a été classé dans la catégorie des personnes susceptibles de s’évader, bien qu’il soit rentré en Russie de son plein gré, et qu’il a été cité pour de nombreuses infractions disciplinaires en prison, mais que l’accès à son dossier personnel lui aurait été refusé, alors qu’il a le droit de contester ces citations. L’Assemblée est préoccupée par le fait que ces deux considérations pourraient aboutir à ce que M. Navalny se voie refuser la libération anticipée à laquelle il pourrait prétendre dans un avenir proche.
11. L’Assemblée constate que M. Navalny et ses avocats ont écrit à plusieurs reprises aux autorités compétentes, notamment à l’administration pénitentiaire, au Service fédéral d’exécution des peines, au procureur général et au médiateur des droits de l’homme. Elle note que seul le médiateur a répondu à l’une de ces lettres, réfutant toutes les plaintes concernant les conditions médicales et de détention de M. Navalny sur la base d’informations émanant de l’administration pénitentiaire, d’un contrôleur de détention qui avait accusé M. Navalny de simuler ses symptômes, et d’un contrôleur de détention dont la rencontre conflictuelle avec M. Navalny a été diffusée sur des médias financés par l’État. L’Assemblée considère que ces circonstances soulèvent des questions concernant l’efficacité des mécanismes internes de traitement des plaintes relatives à l’état de santé de M. Navalny et à ses conditions de détention.
12. En conséquence, l’Assemblée:
12.1 exprime son plein soutien à la position du Comité des Ministres telle qu’elle est exposée dans sa décision de mars 2021;
12.2 appelle la Fédération de Russie:
12.2.1 à intensifier sa coopération avec le Comité des Ministres afin de parvenir à la pleine application de l’arrêt Navalnyye;
12.2.2 à la suite de la décision du Comité des Ministres et de la mesure provisoire accordée par la Cour européenne des droits de l’homme, à libérer M. Navalny immédiatement et en tout cas avant la prochaine réunion «droits de l’homme» du Comité des Ministres en juin 2021;
12.2.3 en attendant sa libération, à fournir à M. Navalny tous les soins médicaux nécessaires, y compris un examen et un traitement par un médecin de son choix, et à veiller à ce que ses droits au titre de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit interne soient pleinement respectés;
12.3 invite le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) à effectuer une visite de contrôle dans le centre de détention où est placé M. Navalny; invite la Fédération de Russie à autoriser rapidement la publication de tout rapport résultant d’une telle visite;
12.4 appelle la délégation russe auprès de l’Assemblée à coopérer pleinement avec le rapporteur dans l’exercice de son mandat pour assurer le suivi de la présente résolution, conformément au Règlement de l’Assemblée;
12.5 décide de continuer à suivre de près la situation de M. Navalny.