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«Pass» ou certificats covid: protection des droits fondamentaux et implications légales

Résolution 2383 (2021)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 22 juin 2021 (17e séance) (voir Doc. 15309, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Damien Cottier; et Doc. 15323, avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Carmen Leyte). Texte adopté par l’Assemblée le 22 juin 2021 (17e séance).
1. Le coût socio-économique des restrictions liées à la covid-19 reste considérable et la pression politique qui s’exerce pour les limiter et les lever est bien réelle et compréhensible. Parallèlement, la situation sanitaire demeure extrêmement précaire: la covid-19 reste une maladie susceptible d’échapper facilement à tout contrôle et de provoquer d’autres contaminations et décès à grande échelle. À ce propos, l’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 2338 (2020), «Les conséquences de la pandémie de covid-19 sur les droits de l’homme et l’État de droit», dans laquelle elle précisait que «les obligations positives nées de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, la Convention) imposent aux États de prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de leurs populations». En outre, une reprise socio-économique durable sera uniquement possible lorsque la maladie sera maîtrisée dans la durée. La vaccination représentera une mesure de santé publique essentielle pour y parvenir, mais qui ne suffira pas à elle seule.
2. De nombreux États européens ont manifesté le désir de mettre en place un système de «pass» ou de certificat covid, qui constituerait un document officiel attestant de la vaccination d’une personne contre la covid-19, de sa guérison de la covid-19 et/ou de son test négatif à une contamination par le virus SARS-CoV-2. Le certificat attestant du statut vaccinal a une utilisation médicale légitime et appréciable. L’utilisation de «pass» covid pour permettre le rétablissement de la jouissance de certains droits ou libertés, en levant partiellement les restrictions, est sujette à bien des complications sur le plan du droit et des droits de l’homme, et dépend surtout de certitudes bien établies au sujet des risques médicaux encourus.
3. La vaccination et la guérison d’une contamination antérieure peuvent certes atténuer le risque de transmission, mais l’ampleur et la durée de cet effet sont encore inconnues. En outre, l’efficacité des différents vaccins et des programmes de vaccination pour réduire le risque de transmission est variable, tout comme leur efficacité contre les variants du virus SARS-CoV-2. Le résultat négatif d’un test n’est qu’une indication de situation antérieure, qui peut évoluer à tout moment après le prélèvement de l’échantillon. Ces différences sont déterminantes pour établir si les cas de recours particulier à des «pass» covid se justifient du point de vue médical et ne sont pas discriminatoires.
4. Si les «pass» covid servent à justifier l’application d’un traitement privilégié, ils peuvent avoir un impact sur les droits et libertés garantis. Ce traitement privilégié peut constituer une discrimination illégale au sens de l’article 14 de la Convention s’il est dépourvu de justification objective et raisonnable. Cette justification suppose que la mesure concernée poursuive un but légitime et qu’elle soit proportionnée. La proportionnalité exige un juste équilibre entre la protection des intérêts de la collectivité (le but légitime) et le respect des droits et libertés de toute personne.
5. La discrimination peut être due soit au traitement différent des personnes sur la base d’une distinction dépourvue de pertinence, soit au traitement identique de personnes qui présentent des différences pertinentes. Pour déterminer si un «pass» covid reflète ou non une distinction pertinente, il convient de savoir dans quelle mesure l’état de santé précis de son titulaire modifie fortement le risque qu’il transmette le virus SARS-CoV-2 à d’autres personnes. L’existence d’un risque de transmission nettement plus faible peut également signifier que les restrictions imposées aux droits et libertés ne se justifient plus pour l’intéressé, indépendamment de la situation d’autrui.
6. Le caractère objectif et raisonnable de la justification d’un traitement différencié dépend de la nature du droit ou de la liberté en question, et de la gravité de l’ingérence. Les autorités nationales devraient distinguer soigneusement les différents cas d’utilisation des «pass» covid sur la base des droits et libertés auxquels il est porté atteinte, et de la durée de la dérogation aux restrictions que permet ce «pass». De même, si les acteurs privés ont la possibilité (voire l’obligation légale) d’exiger la présentation d’un «pass» covid avant de servir des clients, il convient d’établir une distinction minutieuse entre les biens et services essentiels et non essentiels. La durée du traitement différencié fondé sur les «pass» Covid peut également être pertinente pour déterminer si cette mesure est proportionnée.
7. L’évaluation du risque de transmission devrait tenir compte du contexte particulier dans lequel les titulaires d’un «pass» covid seront admis, et notamment du fait qu’ils soient ou non en contact avec des personnes qui ne sont pas immunisées contre la covid-19, que ces personnes présentent ou non un risque accru de contracter une forme grave de la maladie ou d’en mourir, et que des variants du virus, surtout les plus facilement transmissibles ou les plus résistants aux vaccins, soient présents ou non localement, ou puissent être transmis par le titulaire du «pass».
8. Avant que des preuves scientifiques claires et bien établies existent, il peut s’avérer discriminatoire de lever les restrictions au profit de ceux qui ont été vaccinés, tout en les maintenant pour ceux qui ne l’ont pas été. Le seul motif de distinction entre les deux groupes pourrait être le critère retenu pour une vaccination ciblée. Cependant, ce seul critère – le plus souvent la vulnérabilité à la covid-19 – peut ne pas s’avérer pertinent pour lever les restrictions destinées à enrayer la transmission de la maladie.
9. Même si les preuves scientifiques suffisaient à justifier l’application d’un traitement privilégié aux titulaires de «pass» covid, il peut exister des raisons d’ordre public valables de ne pas y recourir. Leur utilisation risque de porter atteinte au lien fondamental qui existe entre droits de l’homme, responsabilité et solidarité, qui est essentiel dans la gestion des risques sanitaires. Les dépenses occasionnées par un système de «pass» covid risquent de priver des rares ressources disponibles d’autres mesures qui permettraient une réouverture plus rapide de la société pour tous. Cela serait particulièrement préjudiciable si le créneau favorable était relativement bref entre le moment où les preuves scientifiques suffiraient à justifier l’utilisation des «pass» covid et celui où le nombre total de personnes vaccinées serait suffisamment élevé pour assouplir les restrictions de manière générale.
10. Si les conséquences du refus de la vaccination – notamment le maintien des restrictions imposées à la jouissance des libertés et la stigmatisation – sont si graves qu’elles suppriment toute possibilité de choix de la décision, la vaccination peut s’apparenter à une obligation. Cette situation risque d’entraîner une violation des droits garantis et/ou d’être discriminatoire. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2361 (2020) «Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques, juridiques et pratiques», dans laquelle elle appelait les États membres à «s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement». Toute pression indirecte indue sur les personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas se faire vacciner peut être atténuée si des «pass» covid sont disponibles pour des motifs autres que la vaccination.
11. Un «pass» covid serait établi sur la base d’informations médicales personnelles sensibles, qu’il conviendrait de soumettre à des normes rigoureuses de protection des données. Elles doivent notamment reposer sur un fondement juridique clair, qui présente également une pertinence pour l’acceptabilité de mesures susceptibles de restreindre les droits ou de conduire à un traitement éventuellement discriminatoire.
12. L’Assemblée rappelle le document d’information «Protection des droits de l’homme et “pass vaccinal”» publié par la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, la «Déclaration sur les considérations relatives aux droits de l’homme concernant le “pass vaccinal” et les documents similaires» publiée par le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-BIO) et la déclaration «Vaccination, attestations covid-19 et protection des données» publiée par le Comité consultatif de la Convention sur la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (T-PD) du Conseil de l’Europe.
13. L’Assemblée appelle par conséquent les États membres du Conseil de l’Europe:
13.1 à poursuivre la mise en œuvre de l’ensemble des mesures de santé publique nécessaires pour maîtriser durablement la covid-19, conformément à leurs obligations positives nées de la Convention européenne des droits de l’homme, et à instaurer des systèmes de «pass» covid uniquement lorsqu’il est clairement et scientifiquement établi que ces systèmes réduisent le risque de transmission du virus SARS-CoV-2 à un niveau acceptable en termes de santé publique;
13.2 à tenir pleinement compte des derniers éléments probants et des avis d’experts, en particulier de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lors de la mise en œuvre de mesures comme les «pass» covid, qui entraînent un assouplissement des restrictions destinées à prévenir la propagation du virus SARS-CoV-2;
13.3 à veiller à ce que les mesures telles que les «pass» covid, qui exonèrent leurs titulaires de certaines restrictions imposées aux droits et libertés garantis, soient appliquées de manière à maintenir une protection efficace contre la propagation du virus SARS-CoV-2 et à éviter toute discrimination, en particulier en veillant à ce que:
13.3.1 la vaccination soit mise à la disposition de tous de manière égale et, si tel n’est pas le cas, que la priorité donnée à certains groupes sur d’autres se justifie de manière objective et raisonnable, ce qui ne devrait pas comprendre la capacité à payer ou tout autre motif pouvant donner lieu à une discrimination illégale;
13.3.2 différentes catégories de «pass» covid soient mises à la disposition de groupes de personnes dont les caractéristiques distinctes atténuent le risque de transmission du virus SARS-CoV-2 de manière avérée;
13.3.3 la disponibilité des «pass» covid fondés sur des tests négatifs récents ne soit pas limitée aux personnes ayant la capacité de payer, en raison du montant excessif des tests;
13.3.4 la portée de l’exonération des restrictions accordée aux titulaires des différentes catégories de «pass» covid soit conforme au degré d’atténuation du risque de transmission du virus SARS-CoV-2 et qu’il soit tenu compte de la situation épidémiologique actuelle dans le pays concerné;
13.3.5 il soit tenu dûment compte de la différence fondamentale de la situation médicale, d’une part, des personnes qui ont acquis une immunité par la vaccination ou la guérison de la maladie et, d’autre part, des personnes qui ont récemment été testées négatives au virus, ainsi que de la différence de risque de transmission qui en découle entre ces deux groupes;
13.3.6 il soit tenu dûment compte de l’efficacité relative de l’immunité acquise par la vaccination ou la guérison de la maladie et de l’efficacité relative des différents vaccins et programmes de vaccination dans la prévention de la transmission du SARS-CoV-2, y compris de ses variants;
13.3.7 il soit tenu dûment compte des risques relatifs de transmission présentés par les différentes activités que les titulaires de «pass» covid pourraient être autorisés à exercer, surtout lorsqu’ils peuvent être en contact avec des personnes qui n’ont pas acquis d’immunité par la vaccination ou une contamination antérieure et que ces personnes présentent ou non un risque accru de contracter une forme grave de la maladie ou d’en mourir;
13.3.8 il soit tenu dûment compte de la situation des personnes qui, pour des raisons médicales, ne peuvent pas être vaccinées ou qui, pour des raisons d’opinion ou de croyance personnelle, refusent d’être vaccinées; s’agissant de ce dernier groupe, une attention particulière devrait être portée sur le fait que tout système de «pass» covid ne s’apparente pas à une mesure coercitive et ne rende pas en fait la vaccination obligatoire;
13.3.9 les «pass» covid soient mis à disposition sous une forme à la fois numérique et papier;
13.4 à veiller à ce que tout système de «pass» covid repose sur un fondement légal clair;
13.5 à s’assurer que tout système de «pass» covid est pleinement conforme aux normes du Conseil de l’Europe en matière de protection des données et de respect de la vie privée, notamment celles de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108) et de son Protocole d’amendement (STCE no 223, «Convention 108+»), et à privilégier des solutions de sauvegarde décentralisées des données;
13.6 à veiller à prendre des mesures adéquates pour prévenir la contrefaçon ou tout autre usage abusif pénalement répréhensible des «pass» covid, conformément aux normes établies dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (STCE no 211, «Convention Médicrime») et la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STCE no 185, «Convention de Budapest»);
13.7 à s’assurer que tout système de «pass» covid est strictement limité dans son application et sa durée aux besoins de l’urgence de santé publique de la covid-19, et que l’infrastructure correspondante ne soit pas réaffectée à d’autres fins sans examen démocratique préalable ni contrôle juridictionnel effectif.