Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19
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- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 22 juin 2021 (18e séance)
(voir Doc. 15310 et addendum, rapport de la commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable, rapporteur: M. Andrej Hunko;
et Doc. 15322, avis de la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
rapporteure: Mme Elvira Kovács). Texte adopté par l’Assemblée le 22 juin
2021 (18e séance).Voir
également la Recommandation
2205 (2021).
1. La pandémie de covid-19 a pris
le monde entier au dépourvu. Les mauvais choix de politique macroéconomique
effectués par le passé – dont les mesures d’austérité prises par
de nombreux pays pour faire face à la dernière crise financière
et économique de 2008-2010, ou imposées à certains pays par des «sauveurs»
extérieurs – n’ont fait que fragiliser davantage la résilience de
nos sociétés et de nos États, y compris le secteur de la santé et
les systèmes de protection sociale. En conséquence, les inégalités
socio-économiques ont continué de se creuser. La pandémie a montré
à quel point les politiques menées jusqu’alors avaient affecté les
groupes les plus défavorisés et vulnérables de la population.
2. Devant la nécessité absolue de sauver des vies et d’éviter
l’effondrement des systèmes de santé nationaux, la plupart des États
se sont résolus à recourir temporairement à des mesures de santé
publique très fortes, telles que des mesures de confinement et de
fermeture, assorties de restrictions à la circulation des personnes
et des biens, ralentissant ainsi effectivement la pandémie, mais
l’économie aussi. La récession qui en a résulté a provoqué de sérieuses
pénuries de ressources pour les entreprises, les travailleurs et
les États, comme pour les flux d’investissement mondiaux, affectant
de façon disproportionnée les populations et les régions d’Europe
les plus vulnérables, sur les plans sanitaire, social et économique.
Tous les États membres du Conseil de l’Europe ont mis en place des
programmes d’aide d’urgence aux entreprises et aux personnes vulnérables
afin de stabiliser la situation socio-économique. Face à l’imminence
de la crise climatique, il leur appartient désormais de veiller
à une utilisation juste, efficace et transparente de ces fonds à
moyen et long termes afin de mettre en œuvre une vision stratégique
d’un développement plus sain, plus inclusif et plus durable, qui
est au cœur de l’intérêt public.
3. L’Assemblée parlementaire souligne que les États membres se
sont engagés à respecter les droits sociaux fondamentaux consacrés
par la Charte sociale européenne (la Charte, STE no 35
et STE no 163 (révisée)) et rappelle
la déclaration adoptée le 24 mars 2021 par le Comité européen des
Droits sociaux (CEDS) sur la covid-19 et les droits sociaux. L’Assemblée
est vivement préoccupée par la situation des personnes vulnérables
qui ont été durement touchées par la crise socio-économique déclenchée
par la pandémie. Elle soutient pleinement les propositions du CEDS
visant à améliorer leur situation.
4. L’Assemblée regrette que, pendant les périodes de confinement
et de fermeture successives, beaucoup de femmes, en particulier
des mères de famille, aient dû supporter le double fardeau du surcroît
de travail (non rémunéré) que représentent les soins et l’enseignement
à domicile, alors qu’elles sont aussi surreprésentées dans les emplois
mal rémunérés et exposées à une plus grande précarité en termes
de revenus, à un risque accru de chômage et à une augmentation de
la violence domestique. De plus, les parents isolés ont souffert de
manière disproportionnée de la fermeture des écoles et des structures
d’accueil des enfants, ce qui les a exposés à un risque accru de
pauvreté.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée souhaite attirer l’attention
sur un vide juridique dans la Charte sociale européenne: les travailleurs
migrants originaires de pays qui ne sont pas liés par ce traité
sont exclus de l’application de certaines dispositions de la Charte.
Cette lacune, parmi tant d’autres, souligne la nécessité de moderniser
la Charte et de reconnaître de nouveaux droits pour répondre aux
nombreux problèmes que la pandémie a rendus plus visibles.
6. L’Assemblée considère que les États européens sont à la croisée
des chemins et ont l’occasion historique de rééquilibrer leur développement
économique en tenant compte des besoins sociaux et environnementaux
dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030
des Nations Unies, ainsi que de corriger les inégalités socio-économiques
induites par un modèle de croissance défectueux. Des stratégies
de croissance alternatives ayant pour but d’éviter l’épuisement
des ressources limitées et de réduire les émissions de gaz à effet
de serre doivent être développées et mises en œuvre de toute urgence.
L’Assemblée rappelle sa
Résolution 2329
(2020) «Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse
efficace et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19», dans
laquelle elle recommande que les États membres «veillent, dans leurs
plans de relance et de sauvegarde économiques, à ne pas créer les conditions
de futures dégradations des écosystèmes susceptibles de générer
d’autres épidémies de nature zoonotique et, pour cela, conditionnent
les aides mises en place à des critères environnementaux et sociaux ambitieux,
en phase avec les Objectifs de développement durable des Nations
Unies». Par conséquent, l’Assemblée exhorte les États à donner aux
acteurs non étatiques des signaux clairs quant aux orientations
de leurs politiques macroéconomiques à long terme, de manière à
mieux protéger le bien-être et la dignité humaine, ainsi que la
jouissance des droits socio-économiques fondamentaux.
7. La mise en œuvre de mesures de relance économique ambitieuses
implique d’accroître la capacité budgétaire souveraine afin de mobiliser
des ressources nouvelles ou supplémentaires aussi bien nationales qu’extérieures.
De plus, cette capacité budgétaire souveraine variant considérablement
d’un pays européen à l’autre, une coordination et une mutualisation
plus importantes des ressources fiscales et financières pour surmonter
la crise socio-économique sont nécessaires, en particulier aux niveaux
régional et transfrontalier.
8. L’urgence de santé publique de portée internationale, qui
reste de mise, appelle à une plus grande solidarité à l’échelle
mondiale entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres
afin de partager les stocks de vaccins existants contre la covid-19
en ciblant les populations les plus vulnérables et les professionnels
de santé. Dans ce contexte, l’Assemblée est d’avis que les pays
européens devraient montrer l’exemple et faire don, de manière coordonnée,
d’une partie des doses de vaccins dont ils disposent aux pays les
plus démunis. Ils devraient soutenir l’expansion au plan mondial
de la capacité de production des vaccins contre la covid-19 en approuvant
les modalités d’une levée temporaire des brevets y afférents dans
le cadre de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) et encourager les accords de licence obligatoire, afin de
favoriser le transfert de savoir-faire et de technologie concernant
des vaccins salvateurs et des médicaments ou traitements essentiels.
9. Compte tenu de ces considérations et afin de parvenir à la
dignité pour tous, les mesures politiques économiques et sociales
doivent protéger les droits de chacun. Afin de placer leur redressement
socio-économique sur des bases solides tout en garantissant une
protection sociale suffisante pour tous, l’Assemblée recommande
que les États membres du Conseil de l’Europe:
9.1 fixent des conditions pour que les entreprises reçoivent
un soutien financier public afin de garantir les droits sociaux
des travailleurs (tels que la préservation de l’emploi), interdisent
la distribution des dividendes, renforcent la durabilité de l’utilisation
des ressources et adoptent des feuilles de route pour réduire l’empreinte
environnementale de leurs activités;
9.2 intègrent l'égalité dans toutes les mesures prises pour
répondre à la crise socio-économique, et, à cette fin:
9.2.1 incorporent
des évaluations de l'impact sur l'égalité en tant que partie intégrante
des réponses apportées à la crise par les politiques économiques,
sociales et de santé publique en cours, afin d’identifier et d’éliminer
les effets discriminatoires réels ou potentiels de ces réponses;
9.2.2 garantissent l'égalité des chances en éliminant les lois,
les politiques et les pratiques discriminatoires dans le cadre des
Objectifs de développement durable et de l'engagement à ne laisser
personne de côté;
9.3 étendent des programmes d’investissement public visant:
9.3.1 à améliorer la qualité et l'accessibilité financière et
pratique des services et des infrastructures publics, et à promouvoir
l’égalité d’accès à ces services et infrastructures;
9.3.2 à stimuler l’emploi et la création d’emplois de haute
qualité, en tenant compte des besoins économiques locaux et en poursuivant
l’objectif d’un travail décent pour tous;
9.3.3 à améliorer les perspectives éducatives et professionnelles
des jeunes afin de promouvoir activement leur accès au marché du
travail;
9.3.4 à développer des systèmes d’éducation et de formation
tout au long de la vie pour accompagner l’adaptation des compétences
et aptitudes humaines en vue de construire une économie plus durable
et numérisée;
9.3.5 à garantir un niveau de revenu minimum et de protection
sociale suffisant, en particulier pour les groupes de populations
les plus vulnérables, y compris les jeunes en transition vers l’autonomie
et les familles monoparentales;
9.3.6 à garantir un logement convenable et des conditions de
vie décentes pour tous;
9.3.7 à reconquérir des secteurs économiques qui seront stratégiquement
importants pour la prospérité, le bien-être et l’égalité sociale
à l’avenir, notamment en ce qui concerne les énergies, les réseaux
de télécommunications, la mobilité, le logement, les soins de santé
et l’approvisionnement en eau et en denrées alimentaires durables,
ainsi que la capacité de recherche scientifique et de développement;
9.3.8 à renforcer les bases de l’économie numérique et de sa
gouvernance dans le cadre d’une organisation du travail humain économe
en ressources, ainsi que d’assurer l’égalité d’accès aux outils
numériques;
9.3.9 à développer d’urgence la capacité de production à l’échelle
mondiale des vaccins et des médicaments contre la covid-19 grâce
à des transferts de savoir-faire et de technologie par le biais
d’accords de licence obligatoire ainsi que, le cas échéant, par
une levée temporaire des brevets au titre de l’accord ADPIC de l’OMC,
et à faire don d’une partie des doses de vaccins existant aux pays
qui en ont le plus besoin;
9.3.10 à lutter contre toute forme de violence fondée sur le
genre et contre la violence domestique;
9.4 consolident les finances publiques:
9.4.1 en
mettant en place des mécanismes qui permettent de découpler les
finances publiques de la volatilité des marchés financiers et en
développant un cadre pour traiter collectivement la dette cumulée
à cause de la pandémie (cadre qui pourrait être utilisé pour d’autres
dettes);
9.4.2 en augmentant la part des fonds nationaux collectés auprès
de sources privées, notamment par le biais d’une imposition progressive
qui protège les moins fortunés;
9.4.3 en collectant de nouvelles ressources par l’instauration
d’une taxe sur les transactions financières, notamment les transactions
à haute fréquence;
9.4.4 en envisageant des formes d’imposition foncière et/ou
de contribution sociale pour les membres les plus riches de la société
afin de déplacer le fardeau de la crise des épaules des moins fortunés
vers celles des plus riches;
9.4.5 en renforçant la coopération entre les États en matière
fiscale par le biais du Cadre inclusif proposé par l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE), dans l’esprit
de la
Résolution 2370 (2021) de
l’Assemblée, «Lutter contre l’injustice fiscale: le travail de l’OCDE
sur l’imposition de l’économie numérique», afin de garantir une
imposition plus appropriée de l’économie numérique et d’établir
une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés;
9.4.6 dans le cas des États membres de l’Union européenne, en
revoyant les exigences fiscales du Pacte de stabilité et de croissance
de l’Union européenne, conformément au besoin de maintenir les dépenses,
au moins pendant la période de reprise;
9.5 garantissent une affectation efficace et transparente
des fonds de soutien au secteur privé, en tenant compte des priorités
de développement à long terme en lien avec les Objectifs de développement durable
des Nations Unies, l’agenda vert et autres objectifs sociaux spécifiques
aux États, et prévoient un contrôle parlementaire des propositions
d’investissement et de leur mise en œuvre;
9.6 adoptent des mesures positives en vue d’éliminer les écarts
de rémunération et les inégalités de pension fondés sur le genre
et toutes les formes de discrimination dans l’emploi;
9.7 garantissent que les instances de réponse aux crises et
celles qui élaborent des mesures de relance respectent la parité
et les principes d’inclusion et de diversité en matière de genre;
leurs travaux doivent également se fonder sur des éléments factuels
(notamment avec l’utilisation de données ventilées selon des critères
tels que le genre ou d’autres motifs de discrimination) et tenir
compte de la dimension du genre, en veillant à ce que la question
de l’égalité soit pleinement intégrée;
9.8 mettent en œuvre la
Résolution 2361
(2021) «Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques,
juridiques et pratiques», afin d’aider à faire des vaccins contre
la covid-19 «un bien public mondial […] accessible à toutes et tous,
partout» et «de surmonter les obstacles et les restrictions découlant
des brevets et des droits de propriété intellectuelle, afin d’assurer
la production et la distribution à grande échelle de vaccins dans
tous les pays et pour tous les citoyens.»