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Les inégalités socio-économiques en Europe: rétablir la confiance sociale en renforçant les droits sociaux

Résolution 2393 (2021)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 28 septembre 2021 (25e et 26e séances) (voir Doc. 15365, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Selin Sayek Böke). Texte adopté par l’Assemblée le 28 septembre 2021 (25e et 26e séances).Voir également la Recommandation 2210 (2021).
1. La prospérité de l’Europe semble progresser depuis des décennies, mais les disparités de revenu, de richesse, de niveau d’études, de santé, de nutrition, de conditions de vie, d’activité professionnelle, d’identité sociale et de participation à la société continuent à se creuser davantage entre les pays comme au sein de ces derniers. Ces inégalités ont non seulement un impact négatif sur les individus et les communautés, mais elles freinent aussi le développement économique global, portent atteinte à la justice sociale et nuisent au fonctionnement de notre société. Les inégalités structurelles profondément enracinées se sont exacerbées durant la crise financière mondiale de 2008-2009 et durant la pandémie de covid-19, avec pour conséquence une pauvreté plus grande, l’érosion des droits sociaux, une diminution de la mobilité sociale et une polarisation sociale accrue au sein de la société. En Europe, l’aggravation des inégalités a rendu les économies moins solides et moins résistantes aux chocs exogènes, tandis que le mécontentement au sein de la société a attisé les risques de conflits sociaux et d’instabilité politique.
2. L’Assemblée parlementaire note que les modèles de développement économique dominants comportent toujours un certain niveau d’inégalités socio-économiques, ce qui appelle à revoir les racines structurelles des inégalités. Ce n’est cependant pas une raison pour que les États se soustraient à leurs responsabilités de garantir les droits socio-économiques pour toutes et tous en utilisant les outils issus d'un large éventail de politiques économiques et les mécanismes de redistribution de manière à réduire les inégalités et surtout à mieux protéger les plus défavorisés et les plus vulnérables. Comme l’a souligné la Résolution 2384 (2021) «Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19», les mesures d’austérité budgétaire prises durant la dernière décennie n’ont fait que fragiliser les systèmes de protection sociale, creusant ainsi les inégalités, ce qui a eu des effets désastreux sur les plus défavorisés. Un changement majeur du processus décisionnel est donc nécessaire pour parvenir à une croissance réellement inclusive et durable: les États doivent investir dans la reconstruction de l’économie tout en renforçant leurs systèmes de protection sociale. Les crises des dernières décennies ont montré que l'égalité et la croissance durable sont les deux faces d’une même pièce.
3. La réduction des inégalités dans et entre les pays fait partie des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Malgré quelques évolutions positives dans un certain nombre de pays avant la pandémie de covid-19, les inégalités se sont encore creusées, provoquant une crise du développement humain en raison de la réduction drastique des niveaux d’investissement global et de l’aide publique au développement en 2020. L’Assemblée souligne la nécessité et l’importance d’une action collective en faveur des pays les plus pauvres et des groupes de population les plus vulnérables (notamment les personnes âgées, les enfants, les personnes handicapées, les femmes, les migrants et réfugiés, et les travailleuses et travailleurs précaires).
4. Les inégalités croissantes frappent particulièrement fort les groupes vulnérables et marginalisés, les plus grands revers concernant les personnes âgées et les personnes handicapées. De plus, les inégalités et la pauvreté favorisent le travail des enfants et le mariage des enfants, un problème persistant dans le monde mais à des degrés divers selon les pays. Les États européens ont l’obligation morale de lutter plus efficacement contre ces fléaux à la fois au niveau national et en aidant les autres pays concernés à éliminer le travail, l’exploitation et le mariage des enfants, avec une conscience accrue de l’urgence liée à la crise de la covid-19.
5. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par le ralentissement de la mobilité sociale et la transmission étendue des inégalités d’une génération à l’autre, qui fragilisent le bien-être et les perspectives de développement des enfants, et menacent leurs droits. Les conditions socio-économiques des premières années de la vie jouent un rôle critique dans la détermination de la situation socio-économique et l’état de santé des individus plus tard dans la vie, l’éducation et la richesse des parents ayant un impact significatif. L’Assemblée souligne que des progrès plus importants s’imposent pour assurer l'accès universel à l’aide publique, en mettant l'accent sur les ressources financières de base garanties mais surtout sur l'égalité en matière d'éducation, sur un meilleur accès aux services de santé et aux services de protection sociale, ainsi qu’un logement décent afin que les enfants de milieux défavorisés aient les mêmes chances dans la vie que ceux de familles plus aisées. Elle accueille favorablement l’initiative Garantie européenne pour l’enfance dans le cadre du Socle européen des droits sociaux de l’Union européenne et considère que cette initiative doit être soutenue dans toute l’Europe.
6. L’Assemblée déplore les répercussions importantes des inégalités socio-économiques sur la santé des individus, qui commencent à creuser le fossé social dans le domaine de la santé. L’incidence croissante des maladies chroniques et de longue durée en Europe, plus particulièrement et plus rapidement parmi les populations défavorisées sur le plan socio-économique, en particulier les femmes, est clairement liée aux inégalités en matière de niveau d’éducation. Outre les méfaits sur la santé physique, les inégalités et la situation au regard de l’emploi induisent également d’importants problèmes de santé mentale. Ces effets conjugués sur la santé physique et mentale sont très néfastes pour la société européenne, car ils diminuent l’espérance de vie, en particulier l’espérance de vie en bonne santé.
7. L’Assemblée partage l’avis de la Banque de développement du Conseil de l’Europe, qui considère que les inégalités de logement sont à la fois un symptôme et une cause des inégalités de revenus existantes. Les ménages pauvres qui vivent souvent dans des logements insalubres et dans des quartiers défavorisés ont plus difficilement accès à certains services publics comme les soins médicaux de base et une éducation de qualité, et aux emplois mieux rémunérés. Les politiques nationales en matière de logement devraient être repensées afin d’offrir des solutions plus équitables pour que chacun puisse exercer son droit à un logement de qualité suffisante et d’un coût abordable, conformément à la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163, ci-après «la Charte»).
8. Pendant la pandémie de covid-19, les inégalités sociales ont perduré, quels que soient la tranche d’âge, le sexe, la zone géographique et la catégorie de revenus, les familles monoparentales (avec généralement une femme à leur tête) étant les plus exposées au risque de pauvreté et d’exclusion sociale. Les ménages à faible revenu et les minorités ethniques risquent aussi davantage de souffrir de conditions de vie inadéquates avec des répercussions sur leur état de santé, leur espérance de vie et leur statut socio-économique. L’Assemblée prend note des avis d’experts qui concluent qu’un niveau élevé de capital social dans les quartiers et des réseaux sociaux au sein des communautés permettent un soutien mutuel essentiel aux ménages défavorisés et devraient être encouragés par les autorités publiques locales.
9. Compte tenu de l’écart de salaire et de pension persistant entre les femmes et les hommes en Europe, l’Assemblée rappelle le droit, proclamé par la Charte, à l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de métier, sans discrimination fondée sur le sexe. Elle attire l’attention sur les conclusions du Comité européen des Droits sociaux relatives à la mise en œuvre par les États parties du droit à l’égalité des chances et des rémunérations sur le lieu de travail, qui révèlent une violation massive de ce droit et demandent instamment que des dispositions législatives supplémentaires soient prises pour mieux préserver ce droit et prévenir les pratiques discriminatoires sur le marché du travail. L’Assemblée se félicite de l’adoption par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, le 17 mars 2021, de la Déclaration sur l’égalité de rémunération et des chances entre les femmes et les hommes en matière d’emploi, afin de lutter contre les inégalités existantes en matière d’emploi.
10. Rappelant que les États membres ont l’obligation de préserver correctement les droits socio-économiques définis dans la Charte et afin de lutter plus efficacement contre les inégalités socio-économiques structurelles, l’Assemblée invite instamment les États membres:
10.1 à compiler des ensembles de données complets en utilisant des informations provenant des comptes nationaux, des enquêtes et de l'administration fiscale afin de permettre une analyse et un inventaire efficaces de l'étendue des inégalités socio-économiques;
10.2 à mener une évaluation approfondie des facteurs macroéconomiques, des évolutions technologiques et réglementaires, des lois nationales sur le travail et des besoins et des choix de financement macroéconomique qui ont pu contribuer à accroître les inégalités socio-économiques et nuire à la mise en œuvre effective des droits sociaux au niveau national;
10.3 à procéder à des changements législatifs et réglementaires visant à faciliter l’accès de leur population à des services publics de qualité, à un logement convenable et à un emploi stable;
10.4 à intégrer des objectifs sociaux dans leur processus d’élaboration des politiques, en examinant systématiquement l’impact des changements politiques sur la cohésion sociale et en réalisant des évaluations complètes de l'impact des politiques économiques sur les droits humains, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux évaluations de l’impact des réformes économiques sur les droits humains;
10.5 à repenser leurs politiques budgétaires dans un sens socialement plus égalitaire, de telle sorte que les besoins fondamentaux soient universellement couverts et que l’égalité des chances soit diffusée de façon équitable dans la société:
10.5.1 en garantissant l'offre publique universelle, gratuite et égale de services d'éducation, de santé et de protection sociale de base;
10.5.2 en augmentant la part des dépenses publiques consacrée à la formation professionnelle, à l'enseignement supérieur et aux programmes d'éducation tout au long de la vie;
10.5.3 en évaluant des politiques alternatives de revenu de base ou des programmes de dotation de base de richesse (y compris des options pour accéder à un logement convenable) qui aideraient à garantir des ressources financières minimales pour une vie décente;
10.5.4 en envisageant des plafonds réglementaires sur la tarification de l'utilisation des infrastructures et des services de base privatisés pour remédier aux difficultés immédiates, tout en réexaminant également le rôle de la propriété publique dans la fourniture des services de base;
10.6 à revoir leurs politiques fiscales afin d'assurer une répartition juste et équitable des opportunités économiques et sociales par des mécanismes de redistribution, notamment:
10.6.1 en comblant les lacunes des codes fiscaux en vigueur, en améliorant la conformité à des obligations fiscales et en réduisant l'évitement fiscal tant au niveau national qu'à travers les paradis fiscaux;
10.6.2 en supprimant ou en limitant les déductions fiscales ou régimes d'avantages fiscaux qui tendent à profiter de manière disproportionnée aux hauts revenus;
10.6.3 en repensant le rôle que des impôts sur toutes les formes de propriété et de richesse pourraient jouer afin d’améliorer le bien-être matériel des ménages et des enfants;
10.6.4 en garantissant que la part des impôts directs et indirects dans les recettes totales soit optimisée pour éliminer les inégalités socio-économiques;
10.7 à envisager des changements systémiques dans les politiques du marché du travail, notamment:
10.7.1 en renforçant le pouvoir de négociation des travailleurs par le biais des syndicats et en améliorant la communication entre les partenaires sociaux;
10.7.2 en révisant les politiques de salaire minimum et les cadres de négociation collective qui garantiront un salaire décent et une protection sociale, ainsi que des emplois stables et de qualité pour toutes et tous;
10.8 à adopter des mesures législatives plus énergiques pour éliminer l’écart de rémunération et de pension entre les femmes et les hommes ainsi que les pratiques discriminatoires existant sur le marché du travail par les mesures suivantes:
10.8.1 la garantie d’accès à des moyens de recours efficaces aux victimes de discrimination salariale ou de discrimination fondée sur d’autres motifs;
10.8.2 la garantie de transparence dans la rémunération et l’établissement de méthodes de comparaison des salaires;
10.8.3 le maintien d’organismes de promotion de l’égalité efficaces et d’autres institutions compétentes avec des fonctions de contrôle renforcé afin de garantir en pratique l’égalité de rémunération;
10.8.4 la garantie de possibilités d’emploi plus flexible de qualité offrant un salaire décent et des possibilités de formation aux groupes de population vulnérables;
10.8.5 la garantie d’accès réel à des services de garde d’enfants de qualité et abordables pour les parents qui travaillent;
10.8.6 le renforcement de la protection des travailleurs atteints de maladies chroniques et de longue durée et/ou en situation de handicap conformément à la Résolution 2373 (2021) de l'Assemblée «La discrimination à l'égard des personnes atteintes de maladies chroniques et de longue durée»;
10.9 à prévoir l’établissement de comptes de formation personnels et de possibilités d’apprentissage tout au long de la vie afin de permettre l’amélioration constante des compétences professionnelles, l’acquisition de nouvelles qualifications et la requalification ou l’évolution vers des types d’emplois différents en lien avec l’utilisation de l’intelligence artificielle, les besoins de l’économie numérique/des plateformes et les autres évolutions technologiques;
10.10 à adapter et à renforcer la protection sociale des travailleurs occupant de nouvelles formes d’emploi et des emplois atypiques;
10.11 à améliorer les structures d'incitation par le biais de politiques de concurrence, de règles et de réglementations en matière de marchés publics dans le but de réduire les récompenses pour les activités non productives et de recherche de rente;
10.12 à renforcer les cadres politiques réglementaires sur la responsabilité sociale des entreprises afin que les entreprises et les marchés financiers s'alignent plus étroitement sur les ODD et les droits humains, comme le souligne la Résolution 2311 (2019) de l'Assemblée «Droits de l'homme et entreprises: quelle suite à donner à la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres?»;
10.13 à utiliser la Banque de développement du Conseil de l'Europe pour cofinancer des projets sociaux prioritaires, notamment pour répartir plus équitablement l’offre de services de santé sur l’ensemble du territoire national et pour réduire la fracture entre les zones urbaines et rurales;
10.14 à donner aux autorités publiques locales les moyens financiers nécessaires pour soutenir le développement du capital social, les mécanismes et les réseaux de solidarité, en particulier dans les zones rurales et défavorisées;
10.15 à renforcer les mécanismes de solidarité collective, la coordination des investissements publics et les flux d’aide ciblant la mise en œuvre des ODD, tant au niveau national qu’international;
10.16 à lancer une coordination internationale pour se mettre d'accord:
10.16.1 sur un ensemble contraignant de droits minimaux internationaux du travail à inscrire dans les règles mondiales en matière de commerce et d'investissement;
10.16.2 sur des règles de transparence et un contrôle public de l'intérêt général pour les projets publics financés au niveau international, y compris par le biais de partenariats public-privé;
10.17 à intensifier les efforts internationaux pour restructurer le cadre de gouvernance mondiale dans le but de surmonter le paysage fragmenté du droit international qui creuse un fossé entre les politiques économiques et les droits humains, et à accroître la coordination/la coopération internationale entre les agences des droits humains et les institutions de politique économique;
10.18 à accroître les ressources financières disponibles pour protéger l'intérêt public en assurant une pleine coopération avec le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) et le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), visant à mettre fin à la corruption;
10.19 à garantir l’octroi de ressources économiques et financières suffisantes pour assurer une protection sociale adaptée et une offre suffisante de services publics, et la protection des droits économiques et sociaux inscrits dans les documents juridiques nationaux et internationaux.