Ancrer le droit à un environnement sain: la nécessité d'une action renforcée du Conseil de l'Europe
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 29 septembre 2021 (27e séance)
(voir Doc. 15367,
rapport de la commission des questions sociales, de la santé et
du développement durable, rapporteur: M. Simon Moutquin). Texte adopté par l’Assemblée le
29 septembre 2021 (27e séance). Voir
également la Recommandation
2211 (2021).
1. La vision globale de la protection
contemporaine des droits humains a nettement évolué ces dix dernières
années. Si la notion de développement durable a mis du temps à s’imposer
dans l’élaboration des politiques à l’échelle mondiale, notre perception
de l’environnement comme facteur essentiel du développement et des
droits humains a entraîné l’apparition de nouveaux défis de nature
juridique pour les États membres du Conseil de l’Europe. La pollution
de l’environnement, la perte de la biodiversité et la crise climatique
nuisent à la planète et à l’humanité en provoquant des décès prématurés
parmi la génération actuelle et en privant les générations futures
d’un espace vital viable.
2. Ces nouvelles menaces pour la vie, le bien-être et la santé
des personnes procèdent non seulement de l’incapacité des pouvoirs
publics à faire respecter les droits civils et politiques, mais
aussi de leur inaction pour prévenir l’effet cumulatif des atteintes
aux personnes résultant de la dégradation de l’environnement causée par
l’exploitation commerciale de la nature. La situation actuelle donne
de plus en plus fréquemment lieu à des violations des droits fondamentaux
et à des contentieux juridiques.
3. L’Assemblée parlementaire note que la Déclaration de Stockholm
adoptée à l’issue de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement
établissait explicitement, dès 1972, le lien entre protection de l’environnement
et droits humains de première génération, renvoyant indirectement
au droit à un environnement sain. Depuis, près de la moitié des
pays du monde ont inscrit le droit à un environnement sain dans
leur Constitution, dont 32 États membres du Conseil de l’Europe.
Le droit à un environnement sain est également reconnu mondialement
par divers accords et dispositifs régionaux – sauf dans la région européenne.
4. L’Assemblée estime que la vision européenne contemporaine
de la protection des droits humains pourrait néanmoins devenir un
cadre de référence pour les droits humains écologiques au XXIe siècle,
à condition d’agir immédiatement. Jusqu’à présent, cette vision
s’est limitée aux droits civils et politiques consacrés par la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
ci-après «la Convention») et ses protocoles, et aux droits économiques
et sociaux reconnus par la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163,
ci-après «la Charte»).
5. L’Assemblée observe que la Convention ne mentionne pas expressément
la protection de l’environnement et que la Cour européenne des droits
de l’homme (ci-après «la Cour») ne peut donc pas statuer de manière
suffisamment efficace sur ce droit humain de nouvelle génération.
L’appel à l’action de l’Assemblée, notamment dans sa
Recommandation 1885 (2009) «Élaboration
d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits
de l’homme relatif au droit à un environnement sain», n’a malheureusement pas
été entendu par le Comité des Ministres.
6. La jurisprudence de la Cour consacre une protection par ricochet
du droit à l’environnement sain en se cantonnant à ne sanctionner
que des atteintes à l’environnement qui entraînent simultanément
une atteinte à d’autres droits humains déjà reconnus dans la Convention.
La Cour privilégie de ce fait une approche anthropocentrique et
utilitariste de l’environnement, qui empêche toute protection per se des éléments naturels. L’Assemblée
encourage le Conseil de l’Europe à reconnaître, à terme, la valeur
intrinsèque de la nature et des écosystèmes au nom de l’interdépendance
des sociétés humaines avec la nature.
7. L’Assemblée est convaincue que le Conseil de l’Europe, en
tant que première organisation de défense des droits humains et
de l’État de droit du continent européen, devrait rester proactif
en ce qui concerne l’évolution des droits humains et adapter son
cadre juridique en conséquence. Un instrument juridiquement contraignant
et opposable, comme un protocole additionnel à la Convention, fournirait
finalement une base incontestable à la Cour pour statuer sur les
atteintes aux droits humains découlant des effets environnementaux
néfastes pour la santé, la dignité et la vie des personnes.
8. L’Assemblée considère qu’une reconnaissance explicite du droit
à un environnement sain et viable ouvrirait la voie à l’adoption
de législations environnementales plus fortes au niveau national
et inciterait la Cour à adopter une approche plus protectrice. La
reconnaissance de ce droit permettrait aux victimes de déposer plus
facilement des requêtes en réparation et agirait également comme
un mécanisme préventif, qui viendrait s’ajouter à la jurisprudence
de la Cour, qui intervient plutôt de manière curative.
9. Reconnaître un droit autonome à un environnement sain présenterait
l’avantage de pouvoir conclure à une infraction indépendamment de
l’atteinte à un autre droit, ce qui donnerait une place plus importante
à ce droit. Dans ce contexte, l’Assemblée observe que les Nations
Unies mentionnent essentiellement, dans leurs études et résolutions
sur les droits humains et l’environnement, les obligations découlant
des droits humains relatives à la jouissance d’un «environnement
sûr, propre, sain et durable». Le Conseil de l’Europe devrait être encouragé
à reprendre cette terminologie dans ses propres instruments juridiques,
sans que cela l’empêche pour autant d’aller plus loin et de garantir
le droit à un environnement «décent» ou «écologiquement viable».
10. L’Assemblée soutient également l’élaboration d’un protocole
additionnel à la Charte sur le droit à un environnement sûr, propre,
sain et durable. La Charte et la Convention sont deux systèmes complémentaires et
interdépendants avec leurs spécificités propres, d’où l’importance
d’élaborer un protocole additionnel pour chaque traité.
11. L’Assemblée considère en outre qu’il est de plus en plus nécessaire
d’assurer un véritable partage des responsabilités entre les acteurs
étatiques et non étatiques, y compris les entreprises, pour la prévention
et la réduction des dommages à l’environnement. L’autoréglementation
du secteur privé n’allant pas toujours dans le sens de l’intérêt
commun, l’État a un rôle majeur à jouer en la matière. Les États
devraient donc renforcer la responsabilité environnementale des
entreprises, notamment en révisant la Recommandation CM/Rec(2016)3 du
Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises
et en s’associant aux travaux du «Groupe de travail intergouvernemental
des Nations Unies à composition non limitée sur les sociétés transnationales
et autres entreprises et les droits de l’homme chargé d’élaborer
un instrument juridiquement contraignant sur les activités commerciales
et les droits de l’homme».
12. L’Assemblée reconnaît également la responsabilité particulière
des générations présentes envers les générations futures. Les dommages
irréversibles à l’encontre de la nature et les effets à court et
à long termes de la crise climatique auront un impact négatif sur
les générations futures qui doivent être protégées en conséquence.
Afin de consacrer le principe de responsabilité, d’équité et de
solidarité transgénérationnelles, de nouveaux droits et devoirs
s’imposent. Ainsi, l’Assemblée soutient la reconnaissance d’un droit
des générations futures à un environnement sain et de devoirs de
l’humanité envers le vivant. Parmi ces devoirs, celui de non-régression
répond à l’exigence d’équité transgénérationnelle en constituant
un obstacle à la dégradation croissante de l’environnement et en
garantissant une sécurité juridique au droit de l’environnement.
13. Alors que les menaces liées à la dégradation de l’environnement
et au changement climatique font partie des défis les plus importants
auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée, l’Assemblée estime
que l’usage illimité de certaines nouvelles technologies créées
par l’homme (comme l’intelligence artificielle, les nanotechnologies
et le génie génétique) pose problème au regard des droits humains.
Elle considère en conséquence que le Conseil de l’Europe devrait
élaborer une convention relative aux menaces environnementales et
aux risques technologiques qui pèsent sur la santé, la dignité et
la vie humaine s’inspirant de l’approche des «cinq P» – dans l’esprit
de la Déclaration de Stockholm – grâce à la prévention et
à la poursuite des atteintes
au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable et à la protection des victimes, les États
contractants adopteraient et appliqueraient sur tout leur territoire
des «politiques intégrées» efficaces
et offriraient une réponse globale aux menaces environnementales
et aux risques technologiques, les parlements
étant chargés de demander des comptes aux gouvernements quant à
la mise en œuvre effective de politiques en faveur des droits humains
qui soient respectueuses de l’environnement.
14. À la lumière des considérations qui précèdent, l’Assemblée
recommande aux États membres du Conseil de l’Europe:
14.1 d’établir et de consolider un
cadre juridique – aux niveaux national et européen – pour ancrer
le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, en s’appuyant
sur les orientations des Nations Unies en la matière;
14.2 de soutenir les efforts multilatéraux en vue de la reconnaissance
expresse et de la protection du droit à un environnement sûr, propre,
sain et durable par le droit international et européen;
14.3 de participer, sous les auspices du Conseil de l’Europe,
à un processus politique visant à élaborer des instruments juridiquement
contraignants et opposables, sous la forme d’un protocole additionnel
à la Convention et d’un protocole additionnel à la Charte, pour
protéger plus efficacement le droit à un environnement sûr, propre,
sain et durable; ainsi qu’une convention fondée sur les «cinq P»
relative aux menaces pour l’environnement et aux risques technologiques
pour la santé, la dignité et la vie humaine;
14.4 de renforcer la responsabilité environnementale des entreprises
exerçant sur leur territoire en établissant un cadre juridique dédié
contraignant qui définisse la responsabilité des entreprises à l’égard de
la protection de la santé humaine, du droit à un environnement sûr,
propre, sain et durable, et de l’intégrité de l’environnement, et
en les amenant à réduire l’empreinte dommageable de leurs activités commerciales
sur l’environnement;
14.5 de contribuer à la révision de la Recommandation CM/Rec(2016)3
du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises
afin de définir et d’y intégrer les obligations relatives à la responsabilité
environnementale des entreprises.
15. L’Assemblée invite instamment les parlements nationaux à plaider
en faveur d’une protection adaptée du droit à un environnement sûr,
propre, sain et durable aux niveaux national, européen et mondial.
Elle les invite à organiser de grandes consultations publiques à
ce sujet, à légiférer sur ces questions et à mettre en chantier
les instruments juridiques nécessaires pour parachever la portée
globale de ce droit, et à contrôler l’application effective de ces
lois et instruments.