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Lutte contre la recrudescence de la haine à l’encontre des personnes LGBTI en Europe

Résolution 2417 (2022)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 25 janvier 2022 (3e séance) (voir Doc. 15425, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination, rapporteur: M. Fourat Ben Chikha). Texte adopté par l’Assemblée le 25 janvier 2022 (3e séance).Voir également la Recommandation 2220 (2022).
1. Au cours des dernières décennies, d’importants progrès ont été accomplis pour faire de l’égalité des droits une réalité pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) dans toute l’Europe. Le tableau est contrasté et varie considérablement d’un pays à l’autre, mais, dans l’ensemble, des lois relatives aux crimes de haine et à la discrimination ont été renforcées, des procédures concernant la reconnaissance juridique du genre ont été simplifiées, l’intégrité physique des personnes intersexes commence à être mieux protégée et les droits des familles arc-en-ciel bénéficient d’une reconnaissance croissante. Ces progrès substantiels doivent être salués, même s’ils sont encore insuffisants.
2. On a également observé ces dernières années, toutefois, une augmentation marquée des propos haineux, des actes de violence et des crimes de haine à l’encontre des personnes, des communautés et des organisations LGBTI dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire constate avec vive inquiétude qu’une proportion significative du discours de haine, de la diffamation et de la stigmatisation visant les personnes LGBTI, ainsi que des attaques de grande envergure visant l’exercice de leurs droits civils, provient de personnalités et de responsables politiques, y compris des représentants gouvernementaux, ainsi que de dirigeants religieux.
3. L’Assemblée déplore ces phénomènes, qui peuvent être observés dans toute l’Europe, quel que soit le niveau de protection dont bénéficient déjà les droits humains des personnes LGBTI dans un pays donné. En outre, elle condamne avec vigueur les attaques massives et souvent virulentes contre les droits des personnes LGBTI qui se produisent depuis plusieurs années en Hongrie, en Pologne, en Fédération de Russie, en Turquie et au Royaume-Uni, entre autres pays.
4. La recrudescence de la haine à laquelle nous assistons aujourd’hui n’est pas simplement l’expression de préjugés individuels, mais le résultat d’attaques soutenues et souvent bien organisées contre les droits humains des personnes LGBTI sur tout le continent européen. Les manifestations individuelles d’homophobie, de biphobie, de transphobie et d’interphobie s’inscrivent dans un contexte plus vaste, dans lequel des mouvements très conservateurs cherchent à réprimer les identités et les réalités de toutes ces personnes qui remettent en question les schémas sociaux cisnormatifs et hétéronormatifs, lesquels entretiennent les inégalités de genre et la violence fondée sur le genre dans nos sociétés, et concernent aussi bien les femmes que les personnes LGBTI.
5. L’Assemblée condamne les discours hautement délétères anti-genre, critiques à l’égard du genre et anti-trans, qui réduisent la lutte pour l’égalité des personnes LGBTI à ce que ces mouvements qualifient à tort, délibérément, d’«idéologie du genre» ou d’«idéologie LGBTI». Ces discours nient l’existence même des personnes LGBTI, les déshumanisent et décrivent souvent leurs droits, à tort, comme étant contraires aux droits des femmes et des enfants, ou plus généralement aux valeurs sociétales et familiales. Tous ces arguments sont profondément préjudiciables aux personnes LGBTI, portent également atteinte aux droits des femmes et des enfants, et nuisent à la cohésion sociale.
6. L’Assemblée regrette que ce discours entraîne une stagnation, voire un recul, des progrès en matière d’égalité des personnes LGBTI, de droits sexuels et génésiques, et de droits des femmes et des enfants, faisant ainsi peser une menace directe sur la démocratie et l’État de droit. Dans de nombreux pays, les processus législatifs visant à améliorer la protection des droits des personnes LGBTI sont au point mort, et, dans certains cas, des progrès accomplis par le passé ont été anéantis.
7. Les avancées significatives de ces dernières années sont aujourd’hui menacées. Il est essentiel de réagir rapidement afin de prévenir de nouveaux reculs et de s’employer activement à promouvoir le plein respect des droits des personnes LGBTI.
8. Compte tenu de ce qui précède, et faisant notamment référence aux dispositions pertinentes de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à sa Résolution 2239 (2018) «Vie privée et familiale: parvenir à l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle», sa Résolution 2191 (2017) et sa Recommandation 2116 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes», sa Résolution 2048 (2015) «La discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe», sa Résolution 1948 (2013) et sa Recommandation 2021 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre», ainsi que sa Résolution 1728 (2010) et sa Recommandation 1915 (2010) «Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre», l’Assemblée exhorte les gouvernements et les parlements des États membres du Conseil de l’Europe à combattre la haine et la discrimination à l’encontre des personnes LGBTI avec une énergie et une urgence renouvelées.
9. Dans ce contexte, l’Assemblée salue les travaux menés actuellement par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), dans le cadre de sa Feuille de route 2019 vers l’égalité effective, en vue d’élaborer une recommandation de politique générale sur la lutte contre la discrimination et l’intolérance envers les personnes LGBTI, ainsi que l’adoption par la Commission européenne, en 2020, de sa Stratégie en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ pour la période 2020-2025.
10. L’Assemblée accueille aussi avec satisfaction l’Avis no 1059/2021 de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur les modifications récentes de la législation hongroise qui pourront avoir des conséquences particulières pour les personnes LGBTI, adopté et publié en décembre 2021 à la suite de la demande faite par la commission sur l’égalité et la non-discrimination.
11. Elle attire l’attention, en particulier, sur le précédent avis de la Commission de Venise de juillet 2021 sur les amendements constitutionnels hongrois, dans lequel la commission a déjà soulevé le danger de «renforce[r] encore une attitude selon laquelle les modes de vie non hétérosexuels sont considérés comme inférieurs et alimentent une atmosphère hostile et stigmatisante à l’égard des personnes LGBTQI», et sur la déclaration dans le nouvel avis selon laquelle «Les amendements stigmatisent les personnes LGBTI et les discriminent sur la base de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre et de leur expression de genre».
12. L’Assemblée appelle les États membres à s’abstenir de promulguer des lois ou d’adopter des amendements constitutionnels contraires aux droits des personnes LGBTI, et à abroger toute disposition de ce type déjà en vigueur. En particulier, elle invite instamment:
12.1 les autorités hongroises à abroger avec effet immédiat toutes les mesures adoptées en mai 2020, en décembre 2020 et en juin 2021 qui empêchent les personnes qui en ont besoin d’obtenir la reconnaissance juridique de leur identité de genre, qui empêchent les enfants d’obtenir la reconnaissance de leur identité de genre lorsque celle-ci est différente du sexe qui leur a été assigné à la naissance, qui empêchent l’adoption d’un enfant par toute personne autre que les couples hétérosexuels mariés, qui empêchent l’accès à une éducation sexuelle complète et qui interdisent la représentation des identités trans et de l’homosexualité. Comme il est indiqué dans l’Avis no 1059/2021 de la Commission de Venise, ces amendements «contribuent à créer un environnement menaçant où les enfants LGBTQI peuvent être soumis à des risques liés à la santé, à des brimades et à du harcèlement»;
12.2 les autorités polonaises à soutenir le renforcement des lois contre la haine et contre la discrimination en Pologne, à veiller à ce que celles-ci soient effectivement appliquées et à œuvrer pour obtenir l’annulation de toutes les déclarations et chartes contraires aux droits des personnes LGBTI adoptées aux niveaux des communes, des districts et des régions;
12.3 tous les États membres dans lesquels existent des lois «anti-propagande LGBTI», c’est-à-dire des lois qui empêchent toute personne, et en particulier les personnes mineures, d’accéder à des informations complètes et objectives sur les différentes formes d’orientation sexuelle, d’identité de genre, d’expression de genre ou de caractéristiques sexuelles qui existent dans la société, à abroger ces lois avec effet immédiat;
12.4 tous les États membres tenus d’exécuter un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans lequel une ou plusieurs violations des droits des personnes ou des organisations LGBTI ont été constatées, à assurer l’exécution rapide et intégrale de l’arrêt.
13. L’Assemblée appelle les États membres à s’élever fermement contre les manifestations d’homophobie, de transphobie, de biphobie et d’interphobie dans les discours, les pratiques et les politiques, où qu’elles se produisent, et à tirer parti du grand nombre de normes et d’instruments élaborés par l’Assemblée, le Conseil de l’Europe et d’autres instances internationales pour amener les autres acteurs à répondre de leurs actes.
14. L’Assemblée souligne que c’est précisément lorsque l’hostilité est vive ou grandissante qu’il est le plus important de disposer de mesures pénales et de lois anti-discrimination efficaces. Elle appelle les États membres à renforcer leur cadre législatif chaque fois que cela est nécessaire pour garantir qu’il protège le droit des personnes LGBTI de vivre sans haine ni discrimination, et à l’appliquer de manière efficace dans la pratique. Conformément aux normes mentionnées ci-dessus, et sans préjudice des obligations plus spécifiques ou plus étendues qui peuvent en découler, elle appelle les États membres, en particulier:
14.1 à modifier, si nécessaire, leur législation pénale afin de garantir que les dispositions relatives aux crimes de haine couvrent clairement toutes les infractions commises contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur expression de genre ou de leurs caractéristiques sexuelles, qu’elles prévoient des sanctions proportionnées et dissuasives, qu’elles protègent les droits des victimes et qu’elles permettent à ces dernières de recevoir une indemnisation;
14.2 à ériger en circonstances aggravantes de toutes les infractions de droit commun les motivations fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles;
14.3 à veiller à ce que les victimes d’infractions soient soutenues et protégées contre tout nouveau traumatisme causé par les forces de l’ordre ou les structures d’aide, y compris les refuges, en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur expression de genre ou de leurs caractéristiques sexuelles;
14.4 à modifier, si nécessaire, la législation anti-discrimination afin qu’elle couvre toutes les formes de discrimination, dans tous les domaines de la vie, fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles;
14.5 à dispenser une formation complète sur ces dispositions aux policiers et aux policières, aux juges et aux procureur·e·s, afin de garantir leur application effective dans la pratique et d’éviter l’impunité;
14.6 à engager, si ce n’est pas déjà fait, et à mener à bien dans tous les cas, les processus législatifs et d’élaboration de politiques qui sont nécessaires pour compléter le cadre juridique avec les autres éléments essentiels à l’égalité des personnes LGBTI, notamment en matière de reconnaissance juridique du genre, d’intégrité physique des personnes intersexes, de protection des familles arc-en-ciel, d’accès à des soins de santé spécifiques pour les personnes trans et d’exercice des droits civils tels que la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion.
15. Compte tenu des violations flagrantes des droits humains commises à l’encontre des personnes LGBTI en République tchétchène (Fédération de Russie), que l’Assemblée a condamnées dans sa Résolution 2230 (2018) et sa Recommandation 2138 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène (Fédération de Russie)», mais qui n’ont pas cessé et ont des effets dévastateurs, l’Assemblée invite instamment:
15.1 les autorités de la Fédération de Russie à mettre en œuvre intégralement et immédiatement la Résolution 2230 (2018) de l’Assemblée, et à redoubler d’efforts pour poursuivre et punir les auteurs de ces actes, ainsi qu’à accorder une réparation, y compris une indemnisation, aux victimes, afin de mettre fin à la persécution des personnes LGBTI en République tchétchène et de faire en sorte que les auteurs de ces violations des droits humains ne restent pas impunis;
15.2 tous les autres États membres du Conseil de l’Europe à renouveler leur pression sur la Fédération de Russie afin de garantir que justice est faite, à intensifier leurs propres efforts pour offrir un refuge aux personnes qui cherchent encore à se mettre en sécurité, et à veiller à ce que leur législation en matière d’asile offre une protection efficace à toutes les personnes LGBTI forcées de fuir leur pays en raison de persécutions fondées sur leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur expression de genre ou leurs caractéristiques sexuelles.
16. En outre, l’Assemblée appelle tous les États membres:
16.1 à instaurer une politique claire en matière de droits humains visant à protéger et à promouvoir l’égalité des personnes LGBTI, notamment une stratégie et un plan d’action prévoyant des objectifs et des délais clairement définis et mesurables pour mettre en œuvre toute modification des lois, des politiques ou des pratiques nécessaire pour parvenir à l’égalité, ainsi que des mécanismes de contrôle efficaces;
16.2 à intégrer les droits des personnes LGBTI dans toutes les mesures clés – législatives, politiques ou autres;
16.3 à œuvrer de façon proactive pour mettre leur législation et leurs pratiques nationales en conformité avec l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
16.4 à s’assurer que les enfants reçoivent des informations objectives et non stigmatisantes sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et les caractéristiques sexuelles;
16.5 à refuser d’accorder des financements aux autorités locales, régionales ou nationales ou autres acteurs étatiques ou non étatiques qui contestent les droits humains des personnes LGBTI, et à retirer ces financements s’ils ont déjà été accordés;
16.6 à participer de manière constructive au processus d’examen périodique mené par le Comité des Ministres concernant la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2010)5 aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre;
16.7 à contribuer aux autres travaux du Conseil de l’Europe concernant les droits des personnes LGBTI et à promouvoir ces travaux, notamment en apportant un soutien actif:
16.7.1 aux travaux pertinents de suivi et d’élaboration de normes de l’ECRI;
16.7.2 aux travaux intergouvernementaux menés dans ce domaine par le Comité directeur sur l’anti-discrimination, la diversité et l’inclusion (CDADI);
16.7.3 à la fourniture, aux États qui le demandent, d’une assistance technique visant à faire progresser l’égalité et les droits des personnes LGBTI;
16.8 à assurer la participation et la consultation effectives des organisations de la société civile et des défenseurs et défenseuses des droits humains qui œuvrent à la protection et à la promotion des droits des personnes LGBTI lors de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’examen de toutes les politiques et mesures qui les concernent, et, plus généralement, à faciliter et à soutenir le travail de la société civile dans ce domaine.
17. L’Assemblée encourage vivement les parlementaires à mieux comprendre les défis que rencontrent les personnes LGBTI dans leur pays et à l’étranger en matière de droits humains, en engageant un dialogue bilatéral avec les organisations de la société civile locales, nationales et faîtières, ainsi qu’avec les défenseurs et les défenseuses des droits humains des personnes LGBTI ayant une connaissance directe des réalités et des enjeux, et en les invitant dans leur parlement.
18. Enfin, l’Assemblée souligne que la haine contre les personnes LGBTI ne peut être combattue efficacement si elle est traitée simplement comme un phénomène individuel. Des changements de paradigme au niveau de la conception sociale et culturelle de l’égalité de genre, des masculinités toxiques et des droits et libertés des personnes LGBTI sont encore nécessaires dans de nombreuses sociétés pour parvenir à une véritable égalité des personnes LGBTI. En conséquence, l’Assemblée invite instamment les États membres à mener de vastes campagnes de sensibilisation du public afin de contrer les discours trompeurs ou faux, de mieux faire connaître la situation et les droits des personnes LGBTI, et de promouvoir activement leur égalité.
19. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée estime qu’un réseau de ses membres intéressés devrait également être formellement établi, afin de faciliter la coopération avec et entre les parlements nationaux visant à promouvoir l’égalité pleine et effective des personnes LGBTI à travers l’ensemble du continent.