C Exposé des motifs par Mme Liliana
Tanguy, rapporteure pour avis
1 Introduction
1. Je tiens à féliciter notre
collègue Reina de Bruijn-Wezeman (Pays-Bas, ADLE) pour le rapport
qu’elle a rédigé au nom de la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable. Celui-ci souligne une nouvelle
fois l’importance de l’approche du handicap fondée sur le respect
des droits humains qui est au cœur de l’instrument international
de référence dans ce domaine, à savoir la Convention des Nations Unies
relative aux droits des personnes handicapées (CDPH)
Note.
2. Les principes d’insertion et de protection des droits des
personnes handicapées que défend la CDPH occupent une place primordiale
depuis de nombreuses années dans les textes adoptées par l’Assemblée parlementaire.
Dans sa
Résolution 2039
(2015) «Égalité et l’insertion des personnes handicapées», l’Assemblée
appelait déjà les États membres à «engager la réflexion sur les
alternatives au placement en institution, en tenant compte des choix
des personnes handicapées»
Note.
3. Le présent rapport – que j’invite notre commission à soutenir
pleinement – s’inscrit dans cette ligne. Il fait suite à la
Résolution 2291 (2019) et à la
Recommandation
2158 (2019) «Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité
d'une approche fondée sur les droits humains» adoptées à l’unanimité
par l’Assemblée le 26 juin 2019 sur la base du rapport que Mme de
Bruijn-Wezeman avait également préparé au nom de la commission des
questions sociales, de la santé et du développement durable et que
la commission sur l’égalité et la non-discrimination, saisie pour
avis à l’époque, avait déjà soutenu sans réserve.
4. Les brefs commentaires qui suivent ont pour simple objet de
compléter deux aspects du présent rapport de Mme de
Bruijn-Wezeman, à savoir de conserver une alternative satisfaisante
à la désinstitutionnalisation et de rappeler l’importance de la
lutte contre les stéréotypes et les préjugés qui perdurent à l’encontre
des personnes handicapées.
2 Conserver une
alternative satisfaisante à la désinstitutionnalisation des personnes
handicapées
5. Le rapport de Mme de
Bruijn-Wezeman démontre avec précision que le placement systématique
en institution des personnes handicapées constitue une violation
généralisée des droits fondamentaux défendus par le droit international
et par le Conseil de l’Europe. Il note par ailleurs que les avancées
effectuées par les États membres du Conseil de l’Europe pour assurer
la bonne réalisation des processus de désinstitutionnalisation sont
inégales.
6. Les constats alarmants de l’institutionnalisation des personnes
handicapées et des graves atteintes aux droits fondamentaux qu’elle
engendre dans certains États membres du Conseil de l’Europe nécessitent
de réviser en profondeur les politiques menées à l’égard des personnes
handicapées. Cependant, il convient de relever la pluralité des
formes d’institutions pour les personnes handicapées dans les États
membres du Conseil de l’Europe, de leur évolution et de leur modernisation.
Si des efforts supplémentaires sont attendus, plusieurs États membres
du Conseil de l’Europe offrent des institutions pleinement respectueuses
des droits fondamentaux qui constituent des lieux de vie ou d’accueil
temporaire satisfaisants et qui associent la personne handicapée,
les proches aidants et le personnel médico-social.
7. Il demeure que le placement en institutions des personnes
handicapées ne peut constituer qu’un ultime recours et doit être
décidé par la personne handicapée elle-même dès lors qu’elle est
en pleine capacité de le faire. Partant, sans porter préjudice à
la nécessité de développer des stratégies de désinstitutionnalisation
et de lutter contre la «culture de l’institutionnalisation», dès
lors qu’aucune autre solution satisfaisante n’existe, le recours
ultime aux institutions, pleinement respectueuses des droits fondamentaux,
doit être préservé afin de ne pas installer les personnes en situation
de handicap dans l’isolement et d’éviter l’épuisement des aidant·e·s.
8. Le rapport note que le processus de désinstitutionnalisation
nécessite un double financement dans la mesure où sa réalisation
ne peut intervenir que dans une situation garantissant la pleine
inclusion des personnes handicapées à la société. Par conséquent,
la réalisation du processus de désinstitutionnalisation, pour les
personnes dont le handicap ne nécessite pas un suivi médical permanent,
doit s’accompagner d’une garantie de l’accessibilité à l’ensemble
des services publics et à l’existence de structures de proximité.
Pour répondre aux problématiques d’isolement et de solitude des
personnes handicapées, ces structures de proximité doivent être
en nombre et efficientes et garantir un accompagnement adapté et
un soutien satisfaisant. Par ailleurs, le processus de désinstitutionnalisation
ne peut répondre au seul objectif de réduire les financements dédiés
aux personnes handicapées.
3 Dépasser les
stéréotypes et les préjugés
9. Fruit d’un processus ayant
duré plusieurs décennies et de la forte mobilisation des associations
de défense des droits des personnes handicapées
Note,
la CDPH marque un changement de paradigme: au lieu d’appréhender
le handicap sous l’angle quasi-exclusif de la santé et de la sécurité
sociale, elle souligne que ce sont les obstacles rencontrés qui
créent une situation de handicap
Note. Ainsi, elle incite nos sociétés à faire sauter
ces barrières et met l’accent sur l’inclusion et la pleine jouissance
des droits humains des personnes handicapées.
10. Le rapport de Mme de Bruijn-Wezeman
démontre que le placement en institution peut engendrer une privation
des personnes handicapées de leur autonomie – en contradiction avec
l’article 19 de la CDPH – et explique que l’institutionnalisation
donne de moins bons résultats en termes de qualité de vie, car elle
nuit à la mise en œuvre d’une approche individualisée, d’une part,
et à l’intégration dans la société, d’autre part. Dès lors qu’il
est décidé – souvent sans le consentement de la personne concernée,
violant le droit à l’intégrité et à la liberté – le placement en
institution peut se prolonger à vie
Note.
11. Ces pratiques peuvent s’expliquer par la persistance de la
stigmatisation et des préjugés à l’égard des personnes handicapées.
Elles résultent de stéréotypes erronés très répandus dans nos sociétés
qui continuent à influencer non seulement les comportements individuels
vis-à-vis des personnes handicapées mais aussi les lois et politiques
publiques à leur égard.
12. Or, comme le soulignent depuis cinquante ans déjà les mouvements
de défense des droits des personnes handicapées, contrairement aux
idées reçues, «le véritable problème est en réalité l’incapacité
de la société à lever les obstacles, à apporter le soutien nécessaire
et à accepter que le handicap fait partie de la diversité humaine»
Note. Ce problème
est encore aggravé par le déséquilibre entre les voix des personnes handicapées
et celles des autres parties prenantes ainsi que par le refus de
prendre en compte l’expérience de vie des personnes handicapées.
13. Pour garantir efficacement les droits des personnes handicapées
et lutter contre les discriminations à leur encontre, il est urgent
de renverser les stéréotypes. Cela nécessite de poursuivre la sensibilisation
de tous les secteurs du gouvernement et de la société à la nécessité
d’éliminer les attitudes négatives et les stéréotypes péjoratifs
liés au handicap
Note.
14. A cette fin, l’article 8 de la CDPH invite déjà les États
à œuvrer activement pour sensibiliser l’ensemble de la société à
la dignité et aux droits des personnes handicapées. Les États sont
notamment invités à mener des campagnes visant à promouvoir au sein
de la population une perception positive des personnes handicapées
ainsi que la reconnaissance de leurs compétences. Ils sont également
invités à œuvrer dans ce sens par le biais du système éducatif et
de programmes de formation, et à encourager les médias à montrer les
personnes handicapées sous un jour conforme à l’objet de la CDPH
qui est selon son article 1er «de promouvoir,
protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits
de l'homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes
handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque».
15. Des stratégies visant à combattre activement les stéréotypes
et les préjugés persistants à l’encontre des personnes handicapées
seront indispensables pour mener à bien la désinstitutionnalisation
et favoriser l’inclusion. C’est pourquoi j’estime important d’inclure
une recommandation dans ce sens dans le projet de résolution soumis
à l’Assemblée pour débat.
4 Remarques finales
16. Comme l’a très justement rappelé
Mme de Bruijn-Wezeman lors de son échange
de vues avec notre commission le 11 mars 2022, le handicap est susceptible
de toucher chacun·e d’entre nous.
17. La désinstitutionnalisation des personnes handicapées constitue
un élément indispensable de la mise en œuvre effective de la CDPH,
et notamment de son article 19 relative à l’autonomie et à l’inclusion
dans la société. Des alternatives au placement en institutions existent
et sont mises en œuvre avec d’excellents résultats dans certains
de nos États membres, comme les Pays-Bas et l’Islande, comme cela
a également été souligné lors de notre réunion du 11 mars 2022.
Le développement de ces alternatives et la réalisation d’une sensibilisation
efficace de la société sont nécessaires à la bonne réalisation du
processus de désinstitutionnalisation et à la garantie de l’inclusion
des personnes handicapées dans la société.
18. Si le recours ultime aux institutions pour les personnes handicapées
doit être évité, certains États membres mettent en œuvre de bonnes
pratiques en développant des établissements spécialisés intégrant pleinement
les personnes handicapées et associant les proches aidants et le
personnel médico-social. Pour les États membres qui le souhaitent
et dès lors qu’elle représente la solution la plus satisfaisante,
le placement dans des institutions respectant pleinement les droits
fondamentaux doit être défendu sans porter préjudice aux investissements
pour la désinstitutionnalisation.
19. Il est temps de garantir pleinement l’accès des personnes
handicapées à leurs droits. Le rapport de Mme de
Bruijn-Wezeman propose un chemin en ce qui concerne la désinstitutionnalisation.
J’invite la commission à soutenir pleinement ce rapport, et à le
renforcer en proposant un amendement au projet de résolution, visant
à contribuer, par le biais de campagnes de sensibilisation publiques,
au renversement des stéréotypes et des préjugés à l’encontre des
personnes handicapées.