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La désinstitutionnalisation des personnes handicapées

Avis de commission | Doc. 15509 | 26 avril 2022

Commission
Commission sur l'égalité et la non-discrimination
Rapporteure :
Mme Liliana TANGUY, France, ADLE
Origine
Renvoi en commission: Décision du Bureau, renvoi 4517 du 26 juin 2020. Commission saisie du rapport: commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Voir Doc. 15496. Avis approuvé par la commission le 26 avril 2022 2022 - Deuxième partie de session

A Conclusions de la commission

1. La commission sur l’égalité et la non-discrimination félicite la rapporteure de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, Mme Reina de Bruijn-Wezeman (Pays-Bas, ADLE), pour son rapport. Celui-ci souligne une nouvelle fois l’importance d’une approche du handicap fondée sur le plein respect des droits humains et met en exergue les raisons pour lesquelles la désinstitutionnalisation des personnes handicapées doit faire partie intégrante de cette approche.
2. La commission soutient pleinement le rapport de Mme de Bruijn-Wezeman qui attire l’attention sur les mesures concrètes que les États peuvent et doivent prendre afin de mener un processus de désinstitutionnalisation pertinent, efficace et durable assurant le plein respect des droits sans porter atteinte aux services dont doivent bénéficier les personnes handicapées à tout moment.
3. La commission souscrit pleinement au projet de résolution adopté par la commission saisie pour rapport. Elle note qu’en parallèle des mesures prises pour permettre une transition vers la désinstitutionnalisation pleinement respectueuse des droits humains, d’importants efforts seront également nécessaires pour faire évoluer les mentalités et renverser les préjugés qui persistent à l’égard des personnes handicapées, et pour promouvoir l’intégration effective de ces dernières au sein de nos sociétés. C’est pourquoi elle propose ci-après un amendement au projet de résolution.

B Proposition d'amendement

Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 7.1, insérer le paragraphe suivant:

«de mener des campagnes de sensibilisation auprès de l’opinion publique, en conformité avec l’article 8 de la CDPH, afin de dépasser les stéréotypes et les préjugés sur le handicap et de promouvoir la pleine intégration dans la société des personnes handicapées;»

Note explicative

Afin de promouvoir leur intégration dans la société et de mener à bien, de manière pleinement respectueuse des droits humains, la nécessaire transition vers la désinstitutionnalisation des personnes handicapées, d’importants efforts seront également requis pour renverser les préjugés qui persistent à leur égard.

C Exposé des motifs par Mme Liliana Tanguy, rapporteure pour avis

1 Introduction

1. Je tiens à féliciter notre collègue Reina de Bruijn-Wezeman (Pays-Bas, ADLE) pour le rapport qu’elle a rédigé au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Celui-ci souligne une nouvelle fois l’importance de l’approche du handicap fondée sur le respect des droits humains qui est au cœur de l’instrument international de référence dans ce domaine, à savoir la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH)Note.
2. Les principes d’insertion et de protection des droits des personnes handicapées que défend la CDPH occupent une place primordiale depuis de nombreuses années dans les textes adoptées par l’Assemblée parlementaire. Dans sa Résolution 2039 (2015) «Égalité et l’insertion des personnes handicapées», l’Assemblée appelait déjà les États membres à «engager la réflexion sur les alternatives au placement en institution, en tenant compte des choix des personnes handicapées»Note.
3. Le présent rapport – que j’invite notre commission à soutenir pleinement – s’inscrit dans cette ligne. Il fait suite à la Résolution 2291 (2019) et à la Recommandation 2158 (2019) «Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée sur les droits humains» adoptées à l’unanimité par l’Assemblée le 26 juin 2019 sur la base du rapport que Mme de Bruijn-Wezeman avait également préparé au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable et que la commission sur l’égalité et la non-discrimination, saisie pour avis à l’époque, avait déjà soutenu sans réserve.
4. Les brefs commentaires qui suivent ont pour simple objet de compléter deux aspects du présent rapport de Mme de Bruijn-Wezeman, à savoir de conserver une alternative satisfaisante à la désinstitutionnalisation et de rappeler l’importance de la lutte contre les stéréotypes et les préjugés qui perdurent à l’encontre des personnes handicapées.

2 Conserver une alternative satisfaisante à la désinstitutionnalisation des personnes handicapées

5. Le rapport de Mme de Bruijn-Wezeman démontre avec précision que le placement systématique en institution des personnes handicapées constitue une violation généralisée des droits fondamentaux défendus par le droit international et par le Conseil de l’Europe. Il note par ailleurs que les avancées effectuées par les États membres du Conseil de l’Europe pour assurer la bonne réalisation des processus de désinstitutionnalisation sont inégales.
6. Les constats alarmants de l’institutionnalisation des personnes handicapées et des graves atteintes aux droits fondamentaux qu’elle engendre dans certains États membres du Conseil de l’Europe nécessitent de réviser en profondeur les politiques menées à l’égard des personnes handicapées. Cependant, il convient de relever la pluralité des formes d’institutions pour les personnes handicapées dans les États membres du Conseil de l’Europe, de leur évolution et de leur modernisation. Si des efforts supplémentaires sont attendus, plusieurs États membres du Conseil de l’Europe offrent des institutions pleinement respectueuses des droits fondamentaux qui constituent des lieux de vie ou d’accueil temporaire satisfaisants et qui associent la personne handicapée, les proches aidants et le personnel médico-social.
7. Il demeure que le placement en institutions des personnes handicapées ne peut constituer qu’un ultime recours et doit être décidé par la personne handicapée elle-même dès lors qu’elle est en pleine capacité de le faire. Partant, sans porter préjudice à la nécessité de développer des stratégies de désinstitutionnalisation et de lutter contre la «culture de l’institutionnalisation», dès lors qu’aucune autre solution satisfaisante n’existe, le recours ultime aux institutions, pleinement respectueuses des droits fondamentaux, doit être préservé afin de ne pas installer les personnes en situation de handicap dans l’isolement et d’éviter l’épuisement des aidant·e·s.
8. Le rapport note que le processus de désinstitutionnalisation nécessite un double financement dans la mesure où sa réalisation ne peut intervenir que dans une situation garantissant la pleine inclusion des personnes handicapées à la société. Par conséquent, la réalisation du processus de désinstitutionnalisation, pour les personnes dont le handicap ne nécessite pas un suivi médical permanent, doit s’accompagner d’une garantie de l’accessibilité à l’ensemble des services publics et à l’existence de structures de proximité. Pour répondre aux problématiques d’isolement et de solitude des personnes handicapées, ces structures de proximité doivent être en nombre et efficientes et garantir un accompagnement adapté et un soutien satisfaisant. Par ailleurs, le processus de désinstitutionnalisation ne peut répondre au seul objectif de réduire les financements dédiés aux personnes handicapées.

3 Dépasser les stéréotypes et les préjugés

9. Fruit d’un processus ayant duré plusieurs décennies et de la forte mobilisation des associations de défense des droits des personnes handicapéesNote, la CDPH marque un changement de paradigme: au lieu d’appréhender le handicap sous l’angle quasi-exclusif de la santé et de la sécurité sociale, elle souligne que ce sont les obstacles rencontrés qui créent une situation de handicapNote. Ainsi, elle incite nos sociétés à faire sauter ces barrières et met l’accent sur l’inclusion et la pleine jouissance des droits humains des personnes handicapées.
10. Le rapport de Mme de Bruijn-Wezeman démontre que le placement en institution peut engendrer une privation des personnes handicapées de leur autonomie – en contradiction avec l’article 19 de la CDPH – et explique que l’institutionnalisation donne de moins bons résultats en termes de qualité de vie, car elle nuit à la mise en œuvre d’une approche individualisée, d’une part, et à l’intégration dans la société, d’autre part. Dès lors qu’il est décidé – souvent sans le consentement de la personne concernée, violant le droit à l’intégrité et à la liberté – le placement en institution peut se prolonger à vieNote.
11. Ces pratiques peuvent s’expliquer par la persistance de la stigmatisation et des préjugés à l’égard des personnes handicapées. Elles résultent de stéréotypes erronés très répandus dans nos sociétés qui continuent à influencer non seulement les comportements individuels vis-à-vis des personnes handicapées mais aussi les lois et politiques publiques à leur égard.
12. Or, comme le soulignent depuis cinquante ans déjà les mouvements de défense des droits des personnes handicapées, contrairement aux idées reçues, «le véritable problème est en réalité l’incapacité de la société à lever les obstacles, à apporter le soutien nécessaire et à accepter que le handicap fait partie de la diversité humaine»Note. Ce problème est encore aggravé par le déséquilibre entre les voix des personnes handicapées et celles des autres parties prenantes ainsi que par le refus de prendre en compte l’expérience de vie des personnes handicapées.
13. Pour garantir efficacement les droits des personnes handicapées et lutter contre les discriminations à leur encontre, il est urgent de renverser les stéréotypes. Cela nécessite de poursuivre la sensibilisation de tous les secteurs du gouvernement et de la société à la nécessité d’éliminer les attitudes négatives et les stéréotypes péjoratifs liés au handicapNote.
14. A cette fin, l’article 8 de la CDPH invite déjà les États à œuvrer activement pour sensibiliser l’ensemble de la société à la dignité et aux droits des personnes handicapées. Les États sont notamment invités à mener des campagnes visant à promouvoir au sein de la population une perception positive des personnes handicapées ainsi que la reconnaissance de leurs compétences. Ils sont également invités à œuvrer dans ce sens par le biais du système éducatif et de programmes de formation, et à encourager les médias à montrer les personnes handicapées sous un jour conforme à l’objet de la CDPH qui est selon son article 1er «de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque».
15. Des stratégies visant à combattre activement les stéréotypes et les préjugés persistants à l’encontre des personnes handicapées seront indispensables pour mener à bien la désinstitutionnalisation et favoriser l’inclusion. C’est pourquoi j’estime important d’inclure une recommandation dans ce sens dans le projet de résolution soumis à l’Assemblée pour débat.

4 Remarques finales

16. Comme l’a très justement rappelé Mme de Bruijn-Wezeman lors de son échange de vues avec notre commission le 11 mars 2022, le handicap est susceptible de toucher chacun·e d’entre nous.
17. La désinstitutionnalisation des personnes handicapées constitue un élément indispensable de la mise en œuvre effective de la CDPH, et notamment de son article 19 relative à l’autonomie et à l’inclusion dans la société. Des alternatives au placement en institutions existent et sont mises en œuvre avec d’excellents résultats dans certains de nos États membres, comme les Pays-Bas et l’Islande, comme cela a également été souligné lors de notre réunion du 11 mars 2022. Le développement de ces alternatives et la réalisation d’une sensibilisation efficace de la société sont nécessaires à la bonne réalisation du processus de désinstitutionnalisation et à la garantie de l’inclusion des personnes handicapées dans la société.
18. Si le recours ultime aux institutions pour les personnes handicapées doit être évité, certains États membres mettent en œuvre de bonnes pratiques en développant des établissements spécialisés intégrant pleinement les personnes handicapées et associant les proches aidants et le personnel médico-social. Pour les États membres qui le souhaitent et dès lors qu’elle représente la solution la plus satisfaisante, le placement dans des institutions respectant pleinement les droits fondamentaux doit être défendu sans porter préjudice aux investissements pour la désinstitutionnalisation.
19. Il est temps de garantir pleinement l’accès des personnes handicapées à leurs droits. Le rapport de Mme de Bruijn-Wezeman propose un chemin en ce qui concerne la désinstitutionnalisation. J’invite la commission à soutenir pleinement ce rapport, et à le renforcer en proposant un amendement au projet de résolution, visant à contribuer, par le biais de campagnes de sensibilisation publiques, au renversement des stéréotypes et des préjugés à l’encontre des personnes handicapées.