C Exposé des motifs
par M. Frank Schwabe, rapporteur
1 Introduction
1. L’agression perpétrée par la
Fédération de Russie contre l’Ukraine est le conflit le plus important
et le plus meurtrier sur le continent depuis la seconde guerre mondiale,
faisant des milliers de victimes civiles, déplaçant des millions
de personnes, causant de multiples traumatismes, la violence, la
mort et la dévastation.
2. Si l’Ukraine et les Ukrainiens subissent tout le poids de
l’agression, cette guerre est loin d’être une simple affaire bilatérale
entre États. Outre les valeurs et les principes, ce sont aussi la
paix et la prospérité qui sont en jeu en Europe et au-delà.
3. Dans son Avis 300 (2022) du 15 mars 2022, l’Assemblée parlementaire
a adopté une position claire, réaffirmant unanimement son soutien
à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale
de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues et
condamnant l’agression injustifiée et non provoquée perpétrée par
la Fédération de Russie. Dans son Avis, l’Assemblée a déclaré que
la gravité des violations du droit international commises par la
Fédération de Russie et la rupture de confiance qui en découlait
étaient telles que la Fédération de Russie ne pouvait plus être
membre du Conseil de l’Europe.
4. Le même jour, la Fédération de Russie a annoncé son retrait
de l’Organisation et son intention de dénoncer la Convention européenne
des droits de l’homme (STE n° 5). Le 16 mars 2022, le Comité des Ministres
a pris la décision officielle d’exclure la Fédération de Russie
du Conseil de l’Europe en vertu de l’article 8 du Statut de l’Organisation
(STE n° 1)
Note. La Fédération de Russie reste une
Haute Partie contractante à la Convention européenne des droits
de l'homme jusqu'au 16 septembre 2022.
5. Le rôle du Conseil de l’Europe face à cette crise ne s’arrête
pas à l’exclusion de la Fédération de Russie de l’Organisation.
Le Conseil de l’Europe devrait s’associer aux efforts de la communauté
internationale visant à exercer une pression maximale sur la Fédération
de Russie pour qu’elle mette fin aux hostilités, retire ses troupes
du territoire souverain de l’Ukraine et rende des comptes pour les
crimes et dommages qu’elle a commis tout au long de cette agression
persistante. Le Conseil de l’Europe devrait recourir à l’ensemble
des moyens dont il dispose pour aider et soutenir l’Ukraine, dans
cette guerre et à l’avenir, et engager une réflexion sur son rôle
dans le nouveau contexte historique créé par ce conflit.
6. Le présent rapport servira de base à un débat de politique
générale qui se tiendra durant la deuxième partie de session de
l’Assemblée de 2022. Il viendra compléter d’autres rapports en cours
de préparation au sein de plusieurs commissions de l’Assemblée,
traitant notamment de la situation humanitaire, de la responsabilité
pour crimes de guerre et violations des droits humains et du droit
international humanitaire, et de la réponse aux défis en matière
de sécurité en Europe.
7. Ce rapport entend faire le point sur les développements intervenus
depuis l’adoption de l’Avis 300 (2022), même si la situation évolue
rapidement et que de nombreux faits et chiffres seront dépassés une
fois le rapport débattu. Plus important encore, le rapport présente
des recommandations d'action pour le Conseil de l'Europe et ses
États membres, dont certaines étaient déjà exposées dans l'Avis.
2 La situation sur le plan de la sécurité
en Ukraine
8. La Fédération de Russie a lancé
le 24 février 2022 une invasion massive de l’Ukraine sur trois fronts, attaquant
par voie terrestre, aérienne et maritime dans l’offensive militaire
la plus vaste jamais vue en Europe depuis la fin de la seconde guerre
mondiale.
9. Au cours de la première semaine, la Fédération de Russie est
passée de frappes stratégiques contre des cibles militaires à l’aide
de missiles de croisière, à un assaut terrestre et au siège de grandes
villes, notamment en faisant usage de roquettes et d’armes à sous-munitions
contre des bâtiments résidentiels, des hôpitaux, des écoles et d’autres
infrastructures civiles.
10. Au moment où nous écrivons, les forces russes se redéploient
depuis la zone située au nord de Kiev vers les régions de l’est
de l’Ukraine, laissant présager l’imminence d’une offensive de grande
ampleur à l’est. Au sud, les forces russes maintiennent la ville
de Marioupol en état de siège. Le maire de Marioupol a affirmé que
le siège avait fait plus de 10 000 morts dans la ville
Note.
11. Les armes et tactiques employées par l’armée russe alourdissent
considérablement les souffrances des civils. Le recours à l’artillerie
lourde, à des lance-roquettes multiples et à des frappes aériennes
contre des zones habitées concourt aux effets aveugles de ce conflit.
La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a affirmé
avoir reçu des informations crédibles selon lesquelles les forces
russes auraient utilisé des armes à sous-munitions dans des zones
peuplées d’Ukraine au moins une vingtaine de fois depuis le début
de l’invasion
Note. Si l'on ajoute à cela l'utilisation
présumée d’armes thermobariques
Note et de mines terrestres, qui ont
coûté la vie à de nombreux innocents, le tableau est accablant.
Le 30 mars 2022, le vice-ministre ukrainien de l’Intérieur a affirmé
que près de 300 000 km² du territoire ukrainien avaient été contaminés
par des engins explosifs
Note.
12. Début avril, la découverte de fosses communes et de cadavres
de civils jonchant les rues de Boutcha, dans la banlieue de Kiev,
a suscité l’émoi et l’indignation dans le monde. Bien que la Fédération
de Russie ait affirmé qu’il s’agissait de fausses informations et
que les corps ne se trouvaient pas là lorsque ses forces contrôlaient
la zone, des images satellites ont montré le contraire
Note.
13. De nombreux témoignages rapportent des viols, y compris des
viols collectifs, et des violences sexuelles commis par les troupes
russes, parfois devant les familles, y compris les enfants des victimes.
«Au même titre que le meurtre, le pillage et la torture, le viol
est utilisé comme une arme pour briser, démoraliser et détruire les
gens, les foyers et les familles», comme cela a été souligné par
Zita Gurmai, la rapporteure générale de l’Assemblée sur la violence
à l’égard des femmes
Note.
14. Il existe des preuves abondantes que les forces russes ont
recours à des enlèvements et à la détention arbitraire de civils,
en particulier d’agents de la fonction publique, de journalistes,
de militants politiques, de défenseurs des droits civils et d’autres
personnes jouant un rôle important au niveau local, afin d’intimider
la population ou de procéder à des échanges contre des prisonniers
de guerre. Les maires et responsables locaux sont particulièrement
visés
Note. À Motyzhyn, un village près de Boutcha,
le corps de la maire Olga Sukhenko a été retrouvé semi-enterré dans
une fosse aux côtés des membres de sa famille.
15. Dans le même temps, il existe des allégations de violations
du droit humanitaire international de la part des forces ukrainiennes,
notamment de mauvais traitements et de meurtres de prisonniers de
guerre et d'attaques contre des civils
Note.
3 Les
conséquences humanitaires de l’agression
16. La situation humanitaire empire
de jour en jour. Plus de 1 400 civils ont été tués et 2 000 blessés
depuis le 24 février 2022, dont près de 300 enfants
Note. Les chiffres réels sont probablement
bien plus élevés, les informations des zones en proie à des combats
intensifs comme Marioupol, Volnovakha, Izioum et Irpin étant difficiles
à obtenir et à confirmer. Des centaines de milliers de personnes
sont bloquées dans les villes sans accès à la nourriture, à l’eau,
au chauffage, à un abri ou à l’électricité, et sans répit en vue.
17. L’accès aux soins de santé est très limité du fait de l’insécurité
et de la pénurie de matériel et de fournitures essentiels. L’Organisation
des Nations Unies a vérifié des dizaines d’incidents au cours desquels des
établissements de santé, notamment 50 hôpitaux, ont été endommagés
Note et le Gouvernement ukrainien en a
comptabilisé 135
Note. La communauté internationale a
condamné le bombardement d’une maternité et d’un hôpital pédiatrique
début mars à Marioupol.
18. Du fait du conflit, plus de 4 personnes sur 10 en Ukraine
ont des difficultés à trouver de quoi se nourrir. Le Programme alimentaire
mondial des Nations Unies a fourni une aide d’urgence à un million
de personnes
Note et prévoit une augmentation exponentielle
de l’insécurité alimentaire dans tout le pays. Étant donné le rôle
de la région dans l’approvisionnement mondial en blé, de grandes
inquiétudes se font jour concernant l’impact du conflit sur l’assistance
alimentaire humanitaire dans d’autres régions du monde.
19. Les villes ukrainiennes sont les plus durement touchées. Les
grands centres urbains, de Kharkiv au nord à Mykolaiv au sud, ont
été soumis à des bombardements incessants et sont coupés de tout.
Quelque 100 000 personnes restent piégées dans la seule ville de
Marioupol, qui a subi des attaques massives et sans relâche depuis
le début de l’invasion. 90 % des immeubles résidentiels de Marioupol
ont été touchés par les combats et près de 40 % ont été entièrement
détruits
Note. Les autorités estiment que 300 personnes
ont été tuées lors du bombardement d’un théâtre de la ville le 6 mars
2022. Les mêmes conditions épouvantables s’observent à Chernihiv
où 130 000 personnes, soit à peine moins de la moitié de la population
normale de la ville, sont bloquées sans accès, ou avec un accès
limité seulement, à l’eau courante, à l’électricité, au chauffage,
aux soins médicaux et aux systèmes de communication
Note.
20. La situation est également particulièrement préoccupante dans
l’est de l’Ukraine, région qui a déjà connu huit années de conflit
armé marquées par l’isolement des populations, la détérioration
des infrastructures, de multiples restrictions de circulation et
la présence de nombreuses mines terrestres. Dans les régions de
Donetsk et Louhansk, 1 504 victimes civiles ont été recensées, pour
l’immense majorité sur le territoire contrôlé par le gouvernement
Note. Il est important de rappeler qu’avant
même la campagne militaire en cours, 1,1 million de personnes avaient
besoin d’une assistance alimentaire et financière dans cette zone.
21. Le conflit provoque des déplacements de population d’une ampleur
colossale. Rien qu’au cours des cinq premières semaines, un quart
de la population ukrainienne a été contrainte de fuir. Six millions
et demi de personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine,
auxquelles s’ajoutent les quelque 13 millions de personnes qui sont
bloquées dans les zones touchées ou ne peuvent fuir en raison de
risques aggravés pour leur sécurité
Note.
22. Il est choquant de constater qu’un mois après le début de
la guerre, 4,3 millions d’enfants ont été déplacés, ce qui représente
plus de la moitié des enfants d’Ukraine. Ce chiffre inclut les 2,5 millions
d’enfants désormais déplacés à l’intérieur de leur pays
Note. Plus de 450 000 enfants de 6 à
23 mois ont besoin de suppléments alimentaires. L’UNICEF a déjà
observé une baisse de la couverture vaccinale pour les vaccinations
infantiles et systématiques, dont la rougeole et la poliomyélite.
Cela pourrait rapidement conduire à des épidémies de maladies évitables
par la vaccination, notamment dans les zones surpeuplées du fait
de l’afflux de personnes cherchant à se protéger de la violence.
S’exprimant à l’occasion du lancement de la nouvelle stratégie du
Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant lors d’une conférence
de haut niveau à Rome, le président de l’Assemblée, Tiny Kox, a
souligné combien il importait de soutenir les enfants touchés par
la guerre en Ukraine
Note.
23. Plus de 1,8 million d’enfants ont franchi la frontière vers
les pays voisins. Nombre d’entre eux ne sont pas accompagnés ou
ont été séparés de leurs parents ou des membres de leur famille,
ce qui les expose à un risque élevé de traite et d’exploitation.
24. Les collectivités locales jouent un rôle considérable dans
l’organisation des évacuations, la coordination des secours et l’adaptation
aux flux de personnes déplacées. Elles ont demandé la mise en place
d’approches plus efficaces en matière de dons humanitaires pour
que l’aide parvienne bien aux populations qui en ont besoin
Note.
25. Au cours de sa première visite en Ukraine depuis le début
des hostilités, le Comité présidentiel de l’Assemblée a rencontré
le maire de Lviv, Andriy Sadovyy, et le chef de l’administration
civile et militaire régionale, Maxim Kozycky. Le Comité présidentiel
a visité le centre local de coordination de l’aide humanitaire et
a salué les efforts déployés par les autorités locales pour aider
les très nombreuses personnes déplacées à l’intérieur du pays arrivées
dans la ville pour s’y mettre en sécurité. Selon les estimations,
Lviv abriterait près de 200 000 personnes déplacées à l’intérieur
du pays, ce qui représente plus d’un quart de sa population habituelle;
son maire a averti que la ville était proche du point de rupture
Note.
26. Les difficultés à établir des couloirs humanitaires rencontrées
depuis le début du conflit et le non-respect de ceux qui ont été
mis en place sont source de graves préoccupations. Bien que les
représentants de l’Ukraine et de la Fédération de Russie aient tenu
des échanges à différents niveaux et soient convenus de la nécessité
de créer des couloirs humanitaires
Note, peu de solutions concrètement réalisables
ont été annoncées. Une proposition faite par Moscou d’ouvrir des
couloirs humanitaires à partir de six villes ukrainiennes lourdement
bombardées a été rejetée par Kiev et condamnée par les dirigeants
internationaux après qu’il s’est avéré que la plupart des itinéraires
sûrs conduiraient vers la Fédération de Russie ou le Bélarus
NoteNote.
27. Fin mars 2022, les Gouvernements ukrainien et russe ont annoncé
que les forces russes autoriseraient la création de trois couloirs
humanitaires dans la région
NoteNote. Les 30 et 31 mars, près de 2 990 personnes
sont arrivées à Zaporijjia dans des véhicules privés, dont plus
de 1 440 de Marioupol. Le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) n’a toutefois pu rejoindre Marioupol le 1er avril
pour sécuriser le passage de civils
Note et les bus qui avaient été affrétés
pour l’évacuation des villes avoisinantes de Berdiansk et Melitopol
n’ont pas été autorisés à progresser
Note.
28. L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine a
provoqué le plus grand exode de population en Europe depuis la seconde
guerre mondiale, et une crise des réfugiés qui croît à un rythme
sans précédent, d’après le Haut-Commissaire des Nations Unies pour
les réfugiés. En date du 3 avril 2022, plus de quatre millions de
personnes auraient cherché refuge en dehors du pays, dont plus d’un
million ont fui dès la première semaine du conflit
Note. 90 % des réfugiés sont des femmes
et des enfants
Note.
29. Les pays voisins accueillent la plus grande partie des réfugiés:
la Pologne à elle seule abrite 2,4 millions de personnes, la Roumanie
640 000, la République de Moldova et la Hongrie plus de 390 000
et la République slovaque 300 000.
30. Face à ces défis immenses, les pays voisins ont déployé des
efforts considérables pour adopter rapidement des mesures ciblées
permettant de fournir un logement, de la nourriture, de l’argent
liquide et des possibilités de scolarisation aux réfugiés, ainsi
qu’une aide aux familles locales qui les hébergent
NoteNote. Ces efforts devraient être salués
et soutenus par la communauté internationale, y compris le Conseil
de l’Europe. Une aide financière et médicale, d’autres formes d’assistance
et des programmes spéciaux sont nécessaires pour répondre aux besoins
des personnes qui se trouvent dans une situation vulnérable comme
les victimes de violence fondée sur le genre, les victimes de traumatismes,
les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées. Par
ailleurs, les acteurs concernés devraient faire en sorte qu’il n’y
ait aucune discrimination à l’encontre des personnes qui fuient
le conflit.
31. Comme l’a souligné la Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe le 24 mars 2022, tous les États membres, qu’ils
soient voisins de l’Ukraine ou non, devraient intensifier leurs
efforts pour coordonner et renforcer les mesures destinées à répondre
aux besoins humanitaires et en matière de droits humains des personnes
qui fuient la guerre en Ukraine
Note.
32. Un index de la Commission européenne montre que l’Autriche,
Chypre, la République tchèque et l’Estonie font partie des pays
non frontaliers de l’Ukraine sur lesquels le poids de l’accueil
des réfugiés pèse le plus
Note. La Fédération de Russie et le Bélarus
disent également abriter respectivement 350 000 et 15 000 réfugiés
ukrainiens
Note. Cela dit, il a été fait état de
réinstallations forcées de civils en Fédération de Russie, y compris
de milliers de personnes en provenance de Marioupol. Le Gouvernement
ukrainien affirme que 40 000 personnes ont été déplacées vers les
territoires sous contrôle russe sans aucune coordination avec Kiev
Note.
33. Comme l’a souligné le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe
sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), les responsables
publics et les organisations de la société civile des pays qui accueillent des
réfugiés ukrainiens doivent être vigilants face aux risques de traite
des êtres humains et d’exploitation
Note.
4 Les
conséquences mondiales de l'agression
34. Les conséquences de la poursuite
de l'invasion de l'Ukraine par la Fédération de Russie se font déjà sentir
en Europe et dans le monde.
35. Au niveau géopolitique, le déclenchement d'une guerre d'agression
par un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies
constitue un défi de taille pour la gouvernance mondiale, car il compromet
la capacité de cet organe à assumer sa responsabilité en matière
de maintien de la paix et de la sécurité et déstabilise le système
multilatéral mis en place après la seconde guerre mondiale.
36. Sur le plan économique, le conflit va aggraver la crise économique
liée à la pandémie de covid-19. Selon l'Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE), la croissance économique mondiale
sera inférieure de plus de 1 % en 2022 en raison de la guerre, tandis
que l'inflation, qui était déjà élevée au début de l'année, pourrait
augmenter d'environ 2,5 % dans le monde
Note.
37. La Fédération de Russie fournissant environ 19 % du gaz naturel
et 11 % du pétrole dans le monde, les prix de l'énergie vont connaître
une forte hausse. L’augmentation des prix de l’énergie perturbera
la production de biens et de services dans le monde entier et aura
de lourdes conséquences sur la croissance économique ainsi que sur
la stabilité politique et sociale.
38. Une des conséquences les plus alarmantes de la guerre sera
notamment l'insécurité alimentaire. La Fédération de Russie et l'Ukraine
sont d'importants producteurs de blé et d'engrais, qui étaient auparavant expédiés
par la mer Noire et le Bosphore. L'Organisation des Nations Unies
pour l'alimentation et l'agriculture a déclaré à ce sujet que «[l]es
prix des denrées alimentaires étaient déjà élevés en raison des
conditions météorologiques imprévisibles dues en partie au changement
climatique, et de la pandémie de covid-19. Avec l'invasion de l'Ukraine,
la situation des systèmes alimentaires mondiaux pourrait maintenant
devenir catastrophique»
Note.
39. Ce problème sera particulièrement grave au Moyen-Orient et
en Afrique du Nord, qui ont reçu en 2020 plus de 50 % des exportations
de blé de l'Ukraine. Un conflit de grande ampleur ou un blocus de
la mer Noire limiterait les produits agricoles disponibles pour
les pays de cette région, ce qui pourrait engendrer une crise alimentaire.
Les prix des denrées alimentaires ont déjà atteint leur plus haut
niveau depuis 10 ans et s’établissent à des niveaux comparables à
ceux du printemps arabe
Note.
40. Le Programme alimentaire mondial vient de publier un rapport
signalant que les coûts de ses opérations mondiales devraient augmenter
de $29 millions par mois. Au total, ces coûts pourraient s’élever
à $71 millions par mois si l'on ajoute les augmentations préexistantes
de $42 millions (depuis 2019)
Note. En outre, la famine risque de toucher
44 millions de personnes dans 38 pays du monde.
41. Il va sans dire que cette guerre est également la plus grande
menace pour la sécurité depuis la seconde guerre mondiale. Alors
que l'agression se poursuit et que les preuves d'atrocités apparaissent
au grand jour, le risque d'un élargissement du conflit ne peut être
exclu. De même, la décision du président Poutine de mettre ses forces
nucléaires en état d'alerte, les déclarations russes n’excluant
pas catégoriquement le recours aux armes nucléaires, et la décision
d'ordonner aux troupes russes de prendre le contrôle de certaines
installations nucléaires ukrainiennes ont alimenté les craintes
d'une escalade nucléaire. Les États-Unis ont également mis en garde
la Fédération de Russie contre l'utilisation d'armes chimiques.
42. Au niveau européen, une conséquence évidente de cette agression
est la réapparition d'une ligne de démarcation en Europe, notamment
dans le domaine de la défense. Compte tenu des actes et des discours hostiles
de la Fédération de Russie, la Force de réaction de l'OTAN a été
activée. En effet, 40 000 soldats ont été déployés sur le flanc
est de l'Alliance, ainsi que d'importants moyens aériens et navals,
sous le commandement direct de l'OTAN. L'Organisation a également
créé quatre groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, Hongrie,
Roumanie et République slovaque, qui s’ajoutent aux groupements tactiques
déjà en place en Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne. Les Alliés
de l'OTAN s'efforcent également d'accroître la résilience de leurs
sociétés et de leurs infrastructures pour contrer l'influence malveillante
de la Fédération de Russie en renforçant les capacités et les défenses
cybernétiques et en se soutenant mutuellement en cas de cyberattaques.
43. Outre ces réponses immédiates, l'OTAN renforce son dispositif
de dissuasion et de défense à plus long terme, face à une réalité
stratégique plus dangereuse en Europe. Un certain nombre de pays
européens ont annoncé une augmentation de leur budget de défense,
tandis que la Finlande et la Suède ont exprimé leur souhait d'adhérer
à l'OTAN
Note, malgré les menaces de la Fédération
de Russie
Note.
44. La guerre affecte également l'architecture multilatérale de
l’Europe. Parmi les organisations européennes, l'Union européenne
a assumé un rôle de premier plan face à l'agression de la Fédération
de Russie, en élaborant une réponse complexe qui a montré qu’elle
pouvait être un acteur majeur sur la scène internationale. Sa réponse
a été caractérisée par:
- un
message clair et sans équivoque au plus haut niveau politique, illustré
par les visites à Kiev de la Présidente du Parlement européen, Roberta
Metsola, et de la présidente de la Commission européenne, Ursula
von der Leyen;
- l'adoption de mesures visant à fournir une aide humanitaire
à l'Ukraine et aux Ukrainiens;
- la mise en place rapide d'une équipe chargée de recueillir
des éléments de preuve et d'enquêter, en coopération avec le procureur
général ukrainien, sur les crimes de guerre commis sur le territoire
de l'Ukraine;
- l'adoption d'un large éventail de sanctions contre la
Fédération de Russie;
- la volonté d'examiner des alternatives à la dépendance
énergétique vis-à-vis de la Fédération de Russie;
- la volonté d'accélérer le développement d'une politique
européenne de défense.
45. L'Union Européenne a également renforcé son attrait politique
pour un certain nombre d'États membres du Conseil de l'Europe qui
sont particulièrement lassés des ambitions de la Fédération de Russie
en matière de politique étrangère: outre l'Ukraine, la Géorgie et
la République de Moldavie ont exprimé leur souhait d’adhérer à l'Union
européenne, en demandant que leurs requêtes soient rapidement examinées
à la lumière de l'évolution rapide de la situation de la sécurité
en Europe.
46. À cet égard, la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies
aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, Rosemary
DiCarlo, a fait remarquer que la guerre en Ukraine était l'épreuve
la plus grave à laquelle l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) ait été confrontée depuis sa création en 1975
Note. S'adressant au Conseil de sécurité
de l'ONU, Mme DiCarlo a averti que l'invasion
de l'Ukraine par la Fédération de Russie risquait de démanteler
les mesures de confiance de longue date, les traités de maîtrise
des armements et d'autres cadres en Europe qui ont été conçus et
convenus pour maintenir la sécurité régionale. Il est donc possible
que les processus dirigés par l'OSCE soient désormais ouvertement remis
en question par les parties qui y participent.
47. Il est également profondément regrettable que, en mars 2022,
le mandat de la Mission spéciale d'observation de l'OSCE en Ukraine
n'ait pas été prorogé en raison de l’absence de consensus
Note. L’OSCE est déployée depuis 2014
pour observer et rendre compte de manière impartiale et objective
de la situation en Ukraine, ainsi que pour faciliter le dialogue
entre toutes les parties à la crise
Note.
48. D'autre part, le 3 mars 2022, le mécanisme de Moscou de la
dimension humaine de l'OSCE a été invoqué par l'Ukraine, soutenue
par 45 États participants. En conséquence, une Mission de trois
experts a été nommée le 14 mars 2022. Son mandat consistait à établir
les faits et les circonstances entourant d'éventuelles contraventions
aux engagements de l'OSCE, ainsi que les violations et les abus
du droit international des droits humains et du droit international
humanitaire; à établir les faits et les circonstances entourant
d'éventuels cas de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité,
notamment en raison d'attaques délibérées et aveugles contre des
civils et des infrastructures civiles; et à collecter, consolider
et analyser ces informations en vue de les présenter aux mécanismes
de responsabilité pertinents, ainsi qu'aux cours ou tribunaux nationaux, régionaux
ou internationaux qui ont, ou pourraient à l'avenir avoir, compétence.
49. Le rapport a été remis le 5 avril 2022 et représente une contribution
importante à l'établissement de la responsabilité
Note. La mission déployée dans le cadre
du mécanisme de Moscou a constaté des schémas clairs de violations
du droit international humanitaire par les forces russes dans leur
conduite des hostilités. En outre, une grande partie du comportement
des forces russes dans les parties de l'Ukraine qu'elles ont occupées avant
et après le 24 février 2022, y compris par l'intermédiaire de leurs
mandataires, les "républiques" autoproclamées de Donetsk et de Louhansk,
viole le droit international humanitaire relatif à l'occupation militaire.
La mission a examiné l'impact du conflit actuel sur les droits de
l'homme et a conclu que l'impact du conflit sur la jouissance des
droits de l'homme est allé au-delà des violations directes de ces
droits.
5 La
réaction de la communauté internationale
5.1 Exercice
d’une pression diplomatique, économique et financière sur la Fédération
de Russie pour qu’elle cesse son agression
50. Le Conseil de sécurité des
Nations Unies n’ayant aucune possibilité de prendre des mesures
contre cette menace grave pour la paix et la sécurité en raison
du droit de veto de la Fédération de Russie, le rôle de chef de
file dans cette crise a été assumé par l'Assemblée générale des
Nations Unies.
51. Elle a approuvé le 2 mars 2022 une résolution qualifiant l’invasion
d’acte d’agression et exigeant que la Fédération de Russie «retire
immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces
militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières
internationalement reconnues du pays». Cinq pays – le Bélarus, l’Érythrée,
la Corée du Nord, la Syrie et la Fédération de Russie – ont voté
contre, 35 se sont abstenus et les 141 restants ont voté pour.
52. Le 7 avril 2022, la suspension de la Fédération de Russie
du Conseil des droits de l’homme a porté un nouveau coup à la position
internationale de la Fédération de Russie. Proposée par les États-Unis
après la découverte des atrocités commises à Boutcha, la suspension
a été décidée par l’Assemblée générale des Nations Unies par 93 voix
pour, 24 contre et 58 abstentions. C’est la première fois dans l’histoire
de l’Organisation des Nations Unies qu’une telle mesure a été prononcée
contre un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies.
À la suite du vote, la Fédération de Russie a annoncé sa décision
de quitter le Conseil des droits de l’homme.
53. Outre le Conseil de l’Europe, depuis le début de cette offensive,
d’autres organisations internationales ont pris des mesures pour
suspendre ou mettre un terme à leurs relations avec la Fédération
de Russie: l’Organisation internationale du travail (OIT) a suspendu
provisoirement toute activité de coopération ou d’assistance technique
en faveur de la Fédération de Russie, sauf pour les besoins de l’aide
humanitaire
Note, tandis que l’OCDE a décidé de mettre
officiellement un terme au processus d’adhésion de la Fédération
de Russie qui avait été reporté depuis 2014
Note.
54. Certains pays étudient la possibilité de sanctionner l’invasion
de l’Ukraine en excluant la Fédération de Russie du Fonds monétaire
international (FMI), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC),
de la Banque mondiale et d’autres prêteurs pour le développement.
La Banque des règlements internationaux (BRI) a suspendu ses travaux
avec la Fédération de Russie. Le maintien de la Fédération de Russie
au sein du G20 est remis en question et l'Ukraine a demandé l'expulsion
de la Fédération de Russie des Nations Unies.
55. En réponse à l’agression de la Fédération de Russie contre
l’Ukraine, l’Union européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis et
plusieurs autres pays ont adopté de manière coordonnée une série
de sanctions économiques et financières d’une ampleur sans précédent.
56. Ces mesures ont pour but d’affaiblir la capacité de la Fédération
de Russie à financer la guerre et d’imposer des coûts économiques
et politiques évidents à l’élite politique de la Fédération de Russie responsable
de l’agression. Elles englobent:
- des
mesures restrictives ciblées à l’encontre de personnes ou d’entités
russes;
- des sanctions économiques et financières;
- des mesures diplomatiques comme l’expulsion du personnel
diplomatique russe;
- la suspension des activités de diffusion des médias d’État
russes Sputnik et RT;
- des restrictions commerciales et des restrictions applicables
aux relations économiques.
57. Depuis le 23 février 2022, l’Union européenne a adopté cinq
séries de sanctions
Note, qui viennent s’ajouter aux mesures
déjà imposées à la Fédération de Russie à la suite de l’annexion
illégale de la Crimée. Bien qu’elles soient les plus vastes jamais
adoptées dans l’histoire de l’Union européenne, elles ont été critiquées
par les autorités ukrainiennes et d’autres, qui leur ont reproché
de ne pas aller suffisamment loin et en particulier d’être trop
graduelles et d’exclure largement le secteur de l’énergie, seul
le train de mesures le plus récent prévoyant une interdiction de
l’importation de charbon.
58. Parmi les États membres du Conseil de l’Europe non membres
de l’Union européenne, le Royaume-Uni a adopté les sanctions les
plus sévères en modifiant son Règlement de 2019 sur la Russie (sanctions)
(sortie de l’UE) qui est le principal acte juridique énonçant les
sanctions financières, commerciales, aériennes, navales et en matière
d’immigration contre la Fédération de Russie
Note. Par ailleurs, l’Albanie, Andorre,
l’Islande, le Liechtenstein, la Macédoine du Nord, la Norvège, Monaco,
Saint-Marin, la Suisse et l’Ukraine se sont alignés sur les sanctions
internationales, tandis que le Monténégro s’est associé aux sanctions
de l’Union européenne sans les mettre en œuvre. L’Arménie, l’Azerbaïdjan,
la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la République de Moldova, la
Serbie et la Turquie n’ont pas pris de sanctions à l’égard de la
Fédération de Russie.
5.2 Fin
de la dépendance énergétique à l’égard de la Fédération de Russie
59. Plusieurs États membres du
Conseil de l’Europe dépendent fortement du gaz russe. Bien qu’il
y ait des variations d’un État membre à l’autre, l’Union européenne
importe 41 % de son gaz et 25 % de son pétrole de la Fédération
de Russie. Cette guerre fait ressortir l’importance de limiter la
dépendance à l’égard de la Fédération de Russie pour les importations
essentielles, de diversifier les sources d’énergie et d’accélérer
la sortie des combustibles fossiles en augmentant les investissements
dans les énergies renouvelables. Dans ce nouveau contexte international,
il est évident que la poursuite de l’approvisionnement en énergie
auprès de la Fédération de Russie permet à cette dernière de continuer
à financer la guerre tout en créant une dépendance stratégique dangereuse
à l’égard d’un État agresseur.
60. Le 8 mars 2022, la Commission européenne a publié les grandes
lignes d’un plan visant à réduire la dépendance de l’Union européenne
à l’égard du gaz russe de deux tiers en 2022 et à mettre un terme
à toutes les importations d’énergie fossile depuis la Fédération
de Russie bien avant 2030, en commençant par le gaz. Pour y parvenir,
la Commission a proposé de mettre en place un plan REPowerUE qui
renforcera la résilience du système énergétique à l’échelle de l’Union
européenne en se fondant sur deux piliers: la diversification de l’approvisionnement
en gaz par l’augmentation des importations de gaz naturel liquéfié
et par gazoduc de fournisseurs non russes ainsi que par l’accroissement
des volumes de production et d’importations de biométhane et d’hydrogène
renouvelable; et par la réduction plus rapide de l’utilisation de
combustibles fossiles dans les habitations, les bâtiments, l’industrie
et les systèmes électriques, en améliorant l’efficacité énergétique,
en augmentant le recours aux énergies renouvelables et à l’électrification
et en luttant contre les goulets d’étranglement dans les infrastructures
Note.
61. Certains pays ont critiqué ce plan pour sa lenteur excessive
Note et pourtant des experts ont considéré
que l’objectif de l’Union européenne était irréalisable à court
terme et que l’Europe se dirigeait plutôt vers «un divorce lent
d’avec la Fédération de Russie sur les dix prochaines années»
Note. L’objectif de l’Union européenne dépasse
ce que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et les analystes
jugent atteignable, non seulement en raison du niveau élevé de dépendance
à l’égard du gaz russe mais également du fait que l’Union européenne
s’est engagée à limiter ses émissions de gaz à effet de serre.
62. L’AIE a élaboré un plan en dix points pour aider la région
à réduire d’un tiers en un an sa dépendance à l’égard des sources
d’énergie russes tout en respectant le Pacte vert pour l’Europe.
Ce plan, qui comporte des mesures visant à diversifier l’approvisionnement
en énergie de l’Europe, à accélérer sa transition vers les énergies
renouvelables et à mettre l’accent sur l’efficacité énergétique,
inclut le non-renouvellement des contrats arrivés à expiration,
l’accélération du déploiement des énergies renouvelables, le maintien
des centrales nucléaires existantes et la baisse des températures
de chauffage dans les bâtiments
Note.
5.3 Établir
la responsabilité des crimes de guerre et des violations du droit
international des droits humains et du droit international humanitaire
63. Face à l’accumulation de preuves
de crimes de guerre et de violations des droits humains et du droit international
humanitaire, la communauté internationale devrait adopter des mesures
coordonnées pour faire en sorte que les auteurs de ces actes aient
à en répondre, quel que soit leur camp.
64. Plusieurs instances internationales ont compétence sur ces
questions et ont déjà engagé des procédures ou des enquêtes. Il
est important de soutenir ces efforts en mettant à disposition des
ressources et une expertise pour contribuer à la collecte de preuves.
Dans son Avis 300 (2022), l’Assemblée a décidé d’évaluer les propositions
visant à créer un tribunal pénal international spécial pour les
crimes de guerre commis pendant l’agression actuelle. Bien que cette
évaluation soit effectuée par la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme dans son rapport, je pense qu’il y a de
bonnes raisons d’argumenter en faveur de la création d’un tribunal
spécial chargé d’enquêter et de poursuivre le crime d’agression,
qui n’est pas couvert par la compétence de la Cour pénale internationale.
5.3.1 Procédure devant la Cour pénale internationale
65. Le 28 février 2022, Karim Khan,
procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a confirmé qu’il
existait une base raisonnable pour ouvrir une enquête sur des crimes
de guerre et crimes contre l’humanité présumés commis en Ukraine.
Par la suite, 41 États parties à la CPI – dont 35 sont membres du
Conseil de l’Europe – ont déféré au procureur la situation en Ukraine,
en vertu de l’article 14 du Statut de Rome.
66. S’appuyant sur cet appel à l’action sans précédent de la part
des États parties, le procureur de la CPI a ouvert une enquête sur
la situation en Ukraine, s’étendant à toutes les allégations passées
et présentes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou
de génocide commis sur toute partie du territoire de l’Ukraine par
toute personne depuis le 21 novembre 2013.
67. Début mars 2022, une équipe d’enquête de la CPI a été déployée
dans la région pour recueillir des preuves. Comme l’a affirmé le
procureur dans une déclaration, «les enquêtes pénales internationales nécessitent
l’engagement de toutes les personnes susceptibles de détenir des
informations pertinentes pour notre travail. Les témoins, les survivants
et les communautés touchées, en particulier, doivent avoir la possibilité
de contribuer activement à nos enquêtes. Il ne peut pas y avoir
de spectateurs dans nos efforts visant à établir la vérité et à
poursuivre les responsables présumés de crimes internationaux»
Note. Pour faciliter ce processus, la
CPI a ouvert un portail dédié par lequel toute personne qui détiendrait
des informations pertinentes sur la situation en Ukraine peut contacter
les enquêteurs de la CPI.
68. Le soutien collectif de l’ensemble des États membres et plus
largement de la communauté internationale continuera d’être essentiel
pour accélérer le travail d’enquête. C’est pourquoi la CPI a adressé
à l’ensemble des États parties une invitation à lui prêter assistance,
notamment par des contributions financières volontaires et par le
détachement d’experts nationaux.
5.3.2 Procédure devant la Cour internationale de Justice
69. Le 26 février 2022, l’Ukraine
a soumis à la Cour internationale de Justice (CIJ) une requête introductive d’instance
contre la Fédération de Russie ayant trait à un différend concernant
l’interprétation, l’application et l’exécution de la Convention
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide
(«Convention sur le génocide»). Cette requête vise à démontrer le
caractère infondé des allégations selon lesquelles l’Ukraine aurait
commis des actes de génocide dans les régions de Louhansk et de
Donetsk et à établir que la Fédération de Russie ne saurait licitement
mener quelque action militaire que ce soit sous ce prétexte. L’Ukraine
a également demandé à la CIJ d’indiquer des mesures conservatoires
pour prévenir tout préjudice irréparable aux droits de l’Ukraine
et de sa population.
70. Le 16 mars, la CIJ a indiqué des mesures conservatoires, demandant
à la Fédération de Russie de suspendre immédiatement les opérations
militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire
de l’Ukraine et de veiller à ce qu’aucune des unités militaires
ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction
ou bénéficier de son appui ni aucune organisation ou personne qui
pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction ne commettent
d’actes tendant à la poursuite de ces opérations militaires. Elle
a également demandé aux deux parties de s’abstenir de tout acte
susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est
saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.
71. Les autorités russes ont fait savoir que de leur point de
vue, la Cour n’était pas compétente sur cette question et que la
participation de la Fédération de Russie à la procédure était encore
à l’étude.
5.3.3 Conseil des droits de l’homme des Nations Unies:
Commission d’enquête sur l’Ukraine
72. Les 3 et 4 mars 2022, le Conseil
des droits de l’homme des Nations Unies a tenu un débat urgent sur
la situation des droits de l’homme en Ukraine à la suite de l’agression
russe. Ce débat a conduit à l’adoption d’une résolution établissant
une commission d’enquête internationale indépendante chargée d’enquêter
sur les allégations de violations des droits de l’homme dans le
contexte de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.
73. La Commission est constituée de trois experts des droits de
l’homme nommés par le président du Conseil des droits de l’homme
pour une durée initiale d’un an, qui auront notamment pour mandat
d’enquêter sur toutes les allégations de violations et d’atteintes
aux droits de l’homme, de violations du droit international humanitaire
et de crimes connexes dans le contexte de l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine, d’établir les faits, circonstances et
causes profondes de ces violations et abus et de formuler des recommandations,
notamment sur les mesures de responsabilisation à adopter pour mettre
fin à l’impunité et faire en sorte que les auteurs de ces actes
aient à en répondre.
74. Le 30 mars, le président du Conseil des droits de l’homme
a annoncé la nomination d’Erik Møse (Norvège), de Jasminka Džumhur
(Bosnie-Herzégovine) et de Pablo de Greiff (Colombie) en tant que membres
indépendants de la Commission d’enquête sur l’Ukraine. M. Møse présidera
la Commission.
5.4 Contribution
à l’effort humanitaire
75. La mobilisation de la communauté
internationale en soutien à l’effort humanitaire nécessaire pour
venir en aide à la population ukrainienne touchée par la guerre
a pris différentes formes, de la mise en place de régimes de protection
spéciaux à l’organisation d’initiatives de financement de grande
envergure. Compte tenu de l’étendue des destructions et des dommages,
les besoins sont immenses.
76. Les Nations Unies ont lancé un Appel éclair au financement
d’opérations humanitaires, annoncé le déblocage de $20 millions
du Fonds central d’intervention d’urgence pour aider à faire face
à ces besoins urgents et nommé un coordinateur de crise pour l’Ukraine
chargé de la coordination des efforts. De la même manière, d’autres
organisations humanitaires comme le CICR, ont demandé un soutien
pour répondre aux besoins des populations touchées.
77. Les institutions financières internationales se sont également
mobilisées. Au niveau européen, la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement (BERD) a approuvé un train de mesures de résilience
d’un montant initial de €2 milliards pour répondre aux besoins immédiats
des populations touchées par la guerre et, lorsque les conditions
le permettront, contribuer à la reconstruction de l’Ukraine
Note. La Banque européenne d’investissement
(BEI) a préparé une série de mesures d’urgence en solidarité avec
l’Ukraine pour un montant de €2 milliards, comprenant la mise à
disposition de €668 millions de liquidités d’urgence en faveur des
autorités ukrainiennes. En parallèle, la banque prévoit un dispositif
de plusieurs milliards d’euros pour le voisinage oriental et méridional
de l’Union européenne, la région concernée par l’élargissement de
l’Union européenne et l’Asie centrale, afin d’atténuer les conséquences
de la crise des réfugiés et d’aider ces pays à faire face aux conséquences
sociales et économiques de la guerre
Note.
78. En ce qui concerne les institutions internationales, le FMI
a débloqué le 9 mars 2022 une aide d’urgence de $1,4 million en
faveur de l’Ukraine par le biais de son Instrument de financement
rapide pour contribuer à répondre aux besoins de financement urgents,
notamment en vue d’atténuer l’impact économique de la guerre. Le
groupe de la Banque mondiale a déjà mobilisé plus de $925 millions
pour l’Ukraine, y compris un appui budgétaire à décaissement rapide
pour aider le gouvernement à fournir des services essentiels à la population
ukrainienne dont $350 millions ont déjà été décaissés
Note.
79. L’Union européenne joue un rôle majeur dans le soutien aux
efforts humanitaires. Le 4 mars 2022, le Conseil européen a adopté
la proposition de la Commission d’activer pour la première fois
la Directive de protection temporaire autorisant les personnes qui
fuient la guerre en Ukraine à obtenir des permis de séjour temporaire
et un accès à l’éducation et au marché de l’emploi dans les États
membres de l’Union européenne
Note. Dans les semaines qui ont suivi,
la Commission a publié des lignes directrices opérationnelles pour
la mise en œuvre concrète de la Directive
Note.
80. Faisant suite à une demande du Gouvernement de la République
de Moldova, l’Union européenne a déployé des équipes de Frontex
dans le pays pour y mener des activités de gestion des frontières,
dont le filtrage et l’enregistrement des personnes et la collecte
d’informations
Note. Mise en œuvre avec les autorités
de la République de Moldova, cette opération vise également à faciliter
le transfert de réfugiés vers les États membres de l’Union européenne.
81. Le 21 mars 2022, la Commission européenne a lancé un appel
spécial au titre de l’instrument d’appui technique pour soutenir
les États membres dans l’accueil des réfugiés d’Ukraine et les aider
à sortir progressivement de leur dépendance à l’égard des combustibles
fossiles provenant de Fédération de Russie
Note. Cet instrument fournira un appui
technique gratuit aux autorités qui le demandent pour faire face
à ces deux défis liés à la guerre. Par ailleurs, le 28 mars, le
Conseil des affaires intérieures a diffusé un plan en dix points
pour une coordination européenne plus étroite en matière d’accueil
des personnes qui fuient la guerre menée contre l’Ukraine, incluant
une plateforme d’enregistrement commune, l’élaboration de plans d’urgence
nationaux et une stratégie commune de lutte contre la traite des
êtres humains
Note.
82. Sur le plan financier, la présidente de la Commission européenne,
Ursula von der Leyen, a annoncé un plan d’urgence de €500 millions
pour faire face aux conséquences humanitaires de la crise, dont
€93 millions consacrés spécifiquement aux programmes d’aide aux
civils touchés
Note. La Commission européenne a contribué
à hauteur de $80 millions à l’Appel humanitaire éclair des Nations
Unies en faveur de l’Ukraine, ce qui représente 13 % du financement
total reçu à ce jour
Note.
83. La Commission européenne a lancé avec le Gouvernement canadien
l’événement en ligne «Agir pour l’Ukraine» (
Stand Up for
Ukraine), en partenariat avec Global Citizen. Cette campagne
fait suite à un appel à soutien lancé par le Président ukrainien
Volodymyr Zelensky. Elle a pour but de recueillir des fonds et d’autres formes
d’aide pour répondre aux besoins des personnes déplacées à l’intérieur
de l’Ukraine et des personnes qui ont quitté le pays pour fuir l’invasion
russe. Pour l’heure, l’événement et la campagne «Agir pour l’Ukraine» ont
permis de récolter €9,1 milliards pour les personnes fuyant l’invasion
russe en Ukraine et à l’étranger, dont €1 milliard de la Commission
européenne. La BERD a annoncé par ailleurs un prêt supplémentaire
de €1 milliard pour couvrir les besoins des personnes déplacées
du fait de l’invasion
Note.
5.5 Soutien
militaire à l’Ukraine
84. S’adressant à la réunion des
ministres des Affaires étrangères de l’OTAN et du G7 le 7 avril 2022,
le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kuleba a réitéré
ses demandes de soutien militaire à l’Ukraine, car «aussi étrange
que cela puisse paraître, les armes sont aujourd’hui au service
de la paix»
Note.
85. Depuis le début de l’invasion totale par la Fédération de
Russie, plus de 25 pays ont répondu à cet appel en fournissant des
armes et du matériel militaire à l’Ukraine
Note. Les États-Unis ont envoyé des milliards
de dollars de missiles, de munitions et d’autres équipements. Fait
sans précédent, l’Union européenne a décidé de financer et d’assurer
la livraison d’armes à l’Ukraine pour un montant total de €450 millions
Note. La Finlande comme l’Allemagne ont
revu leur politique de longue date interdisant l’exportation d’armes
vers des zones de conflit.
86. Certains pays ont été plus réticents, comme la Hongrie qui
a refusé le passage sur son territoire d’armes létales destinées
à l’Ukraine.
87. Les demandes répétées des autorités ukrainiennes de mettre
en place une zone d’exclusion aérienne en Ukraine sont pour l’instant
restées sans réponse. L’OTAN et ses membres craignent que l’instauration
d’une telle zone d’exclusion ne mette leurs forces en contact direct
avec celles de la Fédération de Russie, ce qui accroîtrait le risque
d’extension du conflit et entraînerait encore plus de souffrances
humaines et de destructions.
88. Comme l'indique explicitement son Statut, le Conseil de l'Europe
n'a pas de compétence en matière de défense. Si j'ai décidé d'inclure
ces informations pour donner un portrait exhaustif de la réponse
internationale, l'Assemblée ne devrait pas aborder les questions
de défense dans ses résolutions et recommandations.
5.6 Ouverture
d’un espace de dialogue
89. Depuis le 28 février 2022,
il y a eu plusieurs séries de négociations entre les représentants
de la Fédération de Russie et de l’Ukraine. Certaines se sont tenues
en visioconférence tandis que d’autres ont été accueillies par le
Bélarus et plus récemment par la Turquie. Alors que les premiers
pourparlers se sont concentrés sur le cessez-le-feu et l’ouverture
de couloirs humanitaires, les discussions ont ensuite également porté
sur des questions telles que le statut de neutralité, la dénucléarisation,
l’adhésion à l’OTAN, les garanties de sécurité internationales et
le statut de la Crimée.
90. Les efforts diplomatiques devraient être encouragés pour sauver
des vies humaines et épargner aux populations de nouvelles souffrances
et destructions. Les initiatives menées par les États non impliqués
dans ce conflit pour ouvrir un espace de dialogue devraient être
saluées. Cela dit, toute décision concernant les négociations et
leurs résultats éventuels relève des autorités ukrainiennes, qui
sont souveraines dans leurs décisions.
6 La
réponse du Conseil de l'Europe
6.1 Domaines
prioritaires, pertinence et rapidité de réaction
91. Le Conseil de l'Europe a réagi
à l'agression en cours en affichant fermement son soutien à l'Ukraine
et en condamnant la Fédération de Russie. Les deux organes statutaires
de l'Organisation que sont l'Assemblée parlementaire et le Comité
des Ministres ont agi dans un esprit de consultation et de collaboration
et ont abouti à la même conclusion unanime: la Fédération de Russie
ne peut plus être membre du Conseil de l'Europe. Suite à l'adoption
de l’Avis 300 (2022) par l'Assemblée le 15 mars 2022, le Comité
des Ministres a décidé le 16 mars d'exclure la Fédération de Russie
du Conseil de l'Europe.
92. Cette décision sans précédent et la manière dont elle a été
prise sont des messages politiques importants. Aujourd'hui, face
à l'ampleur de la catastrophe qui ravage l'Ukraine, le Conseil de
l'Europe devrait faire preuve de la même unité et de la même détermination
en étant en première ligne pour apporter soutien et assistance à
son État membre victime d'une agression étrangère.
93. Si le Conseil de l'Europe veut continuer à être un acteur
pertinent, sa priorité devrait être d'aider l'Ukraine dès maintenant,
en écoutant attentivement les besoins exprimés par les autorités
ukrainiennes, de répondre positivement et en temps voulu à leurs
demandes, si nécessaire en sortant des sentiers battus, et de coordonner
son action avec d’autres acteurs nationaux et internationaux qui
sont mobilisés pour apporter leur soutien. Ce défi sans précédent
exige une vision, un esprit d’entreprise et une efficacité sans
précédent.
94. Compte tenu de son Statut, le Conseil de l'Europe ne devrait
pas être impliqué dans une quelconque question de défense. Il peut
et devrait cependant être associé à toutes les questions relatives
à la protection des droits de l'homme, à la démocratie et à l'État
de droit, conformément à son mandat.
95. Lors du débat sur l'Avis 300 (2022), l'Assemblée a examiné
une proposition de création d'une Task Force pour coordonner la
réponse du Conseil de l'Europe. Cette proposition a le mérite de
souligner la nécessité d'une réponse rapide, structurée et coordonnée
de l'Organisation. Il convient toutefois de rappeler que l’Organisation
dispose d'un Bureau en Ukraine, qui est chargé de faciliter la mise
en œuvre de sa mission dans le pays ainsi que de coordonner et de
mettre en œuvre des projets et des programmes de coopération. Il
n'est donc pas nécessaire que l'Assemblée recommande la création
d'une nouvelle structure. La Secrétaire Générale et le Comité des
Ministres décideront quelles structures administratives coordonneront
et présideront la mise en œuvre des activités de coopération. L'important
est que l'Assemblée et le Comité des Ministres continuent à agir
en synergie afin de soutenir un rôle actif et décisif de l'Organisation
dans le soutien à l'Ukraine et pour faire face aux conséquences
de cette agression.
96. À la demande de la Secrétaire Générale, le Secrétariat du
Conseil de l'Europe élabore actuellement deux ensembles de mesures:
- le premier, qui est à mettre
en œuvre immédiatement, repose sur des adaptations du plan d'action
2019-2022 pour l'Ukraine;
- le second sera mis en œuvre lorsque le conflit sera terminé.
97. Il est clair que l’ensemble de mesures qui sera mis en œuvre
après la guerre est purement spéculatif à l'heure actuelle, compte
tenu de l'incertitude de la situation et des faibles chances que
la guerre prenne fin dans un avenir proche. Dans cette perspective,
il serait souhaitable d'accorder la priorité à la fourniture d'une assistance
immédiate, en se concentrant sur les principaux domaines d'expertise
du Conseil de l'Europe et en tenant compte du fait que, malgré la
guerre, les institutions publiques ukrainiennes, y compris les autorités centrales,
régionales et locales, le parlement et le pouvoir judiciaire, continuent
d'être opérationnelles, ce qui constitue un exemple remarquable
de résilience institutionnelle. De même, la société civile est active
dans de nombreux contextes, notamment dans le domaine humanitaire,
et les journalistes continuent à faire des reportages, bien que
dans des conditions difficiles.
98. À cette fin, l’assistance immédiate du Conseil de l'Europe
à l'Ukraine devrait comprendre les mesures prioritaires suivantes:
- mettre en place des programmes
de soutien spécialisé destinés à ceux qui se trouvent en situation
de vulnérabilité dans une zone de conflit, notamment les enfants,
les femmes, les personnes âgées, les personnes handicapées, en tenant
dûment compte de la situation des enfants séparés ou non accompagnés
et de la nécessité de prévenir la traite et de protéger ses victimes;
- renforcer la capacité et la résilience institutionnelles
de l'Ukraine, en assurant la continuité des travaux des institutions
publiques, notamment le parlement, le système judiciaire et les
autorités aux niveaux central, régional et local, ainsi que la société
civile, y compris les jeunes;
- contribuer au renforcement de la protection des droits
de l'homme en Ukraine, y compris en situation de guerre;
- renforcer la capacité des autorités ukrainiennes, des
ONG, des journalistes, des professionnels du domaine juridique,
et de la société civile à recueillir et étayer des preuves de violations
des droits de l'homme et du droit humanitaire international en vue
de contraindre les auteurs de ces violations à répondre de leurs
actes;
- contribuer à garantir la liberté d'information, la liberté
des médias et la protection des journalistes en Ukraine.
99. Sur ce dernier point, le bureau de la Procureure générale
d'Ukraine, Iryna Venediktova, mène des enquêtes
sur près de 5 800 allégations de crimes de guerre et de crimes contre
l'humanité commis par les forces russes en Ukraine. Elle a demandé
le soutien de la communauté internationale, notamment du Conseil de
l'Europe, pour mener à bien cette tâche. Le Conseil de l'Europe
devrait rapidement accepter.
100. S'il est important de donner la priorité au soutien à l'Ukraine,
le Conseil de l'Europe devrait également chercher à aider les États
membres qui sont en première ligne en apportant un soutien à l'Ukraine
et aux Ukrainiens, à savoir les pays voisins.
6.2 La
valeur ajoutée des organes spécifiques du Conseil de l'Europe
6.2.1 L'Assemblée
101. Lors d'une session extraordinaire
organisée à l'initiative de son Président, Tiny Kox, l'Assemblée
a adopté l'Avis 300 (2022), dans lequel elle a pris une position
ferme en faveur de l'Ukraine et de l'exclusion de la Fédération
de Russie du Conseil de l'Europe. Ce texte a été adopté à l'unanimité,
un grand nombre de membres de l'Assemblée ayant participé au débat
et au vote. Qu'ils se soient exprimés par le passé en faveur ou
contre le retour de la délégation russe à l'Assemblée, les membres
de l'Assemblée de toute l'Europe et de tout l'éventail politique
sont désormais parvenus au même point de vue: la gravité des actes
commis par la Fédération de Russie est telle que l'adhésion au Conseil
de l'Europe serait synonyme de complaisance.
102. Cette position unanime devrait être le point de départ de
l'élaboration d'une action cohérente de l'Assemblée en faveur de
l'Ukraine et du Parlement ukrainien. L'Assemblée dispose de plusieurs
moyens pour atteindre cet objectif:
- par ses travaux délibératifs, qui débouchent sur des résolutions,
elle peut sensibiliser un large éventail d'interlocuteurs et formuler
des recommandations à leur intention, sur des questions qui figurent
en bonne place parmi les préoccupations des autorités ukrainiennes.
Elle peut également adresser des recommandations d'action au Comité
des Ministres;
- par ses activités de coopération, elle peut contribuer
à renforcer la résilience institutionnelle du Parlement ukrainien
et lui permettre de s'acquitter de ses tâches et responsabilités
malgré les conditions de guerre;
- par ses réseaux formels et informels, elle peut faciliter
les contacts et l'apport d'expertise sur des questions thématiques
spécifiques, telles que la violence à l'égard des femmes ou la protection
des enfants;
- par ses délégations nationales, elle peut mobiliser les
parlements nationaux et faciliter le dialogue entre eux et le Parlement
ukrainien. Elle peut également promouvoir les déclarations et actions
communes des commissions des différents parlements nationaux;
- par ses relations interparlementaires, elle peut promouvoir
les positions et actions communes des assemblées parlementaires
internationales.
103. Pour commencer ces activités, il serait important d'établir
un dialogue structuré et permanent entre l'Assemblée et la délégation
ukrainienne, afin d'améliorer le flux de communication et de permettre
à l'Assemblée de répondre rapidement aux besoins exprimés par les
parlementaires ukrainiens. Il est également crucial que l'Assemblée
prenne toutes les mesures pratiques susceptibles de faciliter la
participation active de la délégation ukrainienne aux travaux de
l'Assemblée.
104. Le 6 avril 2022, à l'invitation du Président de la Verkhovna
Rada, Ruslan Stefanchuk, le Président de l'Assemblée s'est rendu
en Ukraine, accompagné des dirigeants des cinq groupes politiques
de l'Assemblée et de la Secrétaire générale de l'Assemblée. A Lviv,
ils ont examiné les conséquences de l'agression de la Fédération
de Russie contre l'Ukraine et des meilleurs moyens pour le Conseil
de l'Europe de soutenir cet État membre et ses citoyens. Une partie
des entretiens ont porté sur la manière d'aider les autorités ukrainiennes à
enquêter sur le massacre de Boutcha et d'autres zones précédemment
occupées par l'armée russe. Le Président et les chefs de groupe
ont également rencontré, entre autres, des membres de la délégation ukrainienne
à l’Assemblée et le maire de Lviv, Andriy Sadoviy.
105. Cette visite, qui constitue un important message politique
de soutien et de solidarité, devrait être suivie par des contacts
et des visites régulières des rapporteurs de l'Assemblée qui préparent
des rapports sur des aspects spécifiques de la situation en Ukraine
au nom des commissions de l'Assemblée.
6.2.2 La démocratie locale
106. Les maires et les autorités
locales et régionales d'Ukraine, qui sont en première ligne dans
cette guerre, font preuve de leadership, répondent aux besoins de
leurs communautés et sont la cible des attaques des troupes russes.
Le Conseil de l'Europe a un rôle clé à jouer pour aider les collectivités
locales ukrainiennes à assumer leurs responsabilités; il a déjà
commencé à le faire par le biais de son Congrès des pouvoirs locaux et
régionaux.
107. Au cours de la 42e session, son
président, Leedert Verbeek, a rappelé que le Congrès condamnait
les actes de la Fédération de Russie et appelait au règlement du
conflit. Le Congrès a également adopté une déclaration condamnant
l'attaque armée contre l'Ukraine par la Fédération de Russie, qui
constitue une violation flagrante du droit international, et exprimant
son soutien total à l'Ukraine et à son peuple
Note.
Le Ministre ukrainien des Communautés et du Développement territorial,
Oleksiy Chernyshov, a pris la parole devant le Congrès avec le soutien
du maire de Kiev, Vitali Klitschko, et du maire de Mykolaiv, Oleksandr
Senkevych. Dans son discours, M. Chernyshov a appelé à des partenariats
directs avec les autorités locales en Ukraine pour «aider à surmonter
les difficultés auxquelles les communautés ukrainiennes sont confrontées»
Note.
108. Outre les déclarations de solidarité, le Président du Congrès
a condamné l’enlèvement et le meurtre de maires ainsi que le bombardement
des mairies et des bâtiments municipaux, symboles des institutions démocratiques.
Une nouvelle plateforme en ligne, Cities4Cities, a été développée
et lancée le 29 mars 2022 pour aider les municipalités ukrainiennes.
Il s’agit d’un instrument de communication et d'échange en ligne gratuit
qui permet aux municipalités, villes et régions d’Ukraine et du
reste de l’Europe de partager leurs besoins et leurs offres en matière
d’infrastructures locales, d’aide humanitaire et de continuité des
activités en situation de guerre et de pouvoir être contactées directement
pour recevoir de l'aide. Cette plateforme a été lancée à l'initiative
du Président de la Chambre des pouvoirs locaux du Congrès, Bernd
Vöhringer
Note.
109. Par ailleurs, dans le secteur intergouvernemental du Conseil
de l'Europe, son Centre d'expertise pour la bonne gouvernance a
organisé une série de conférences en ligne sur le thème «Les gouvernements
locaux s'unissent pour la prospérité et la paix», du 18 mars au
7 avril 2022. Malgré l’agression de la Fédération de Russie, les
autorités locales ukrainiennes continuent d’assurer des services
publics, y compris dans les zones occupées ou encerclées par les
troupes russes.
110. Le «marathon en ligne» avait pour objectif de permettre aux
dirigeants locaux ukrainiens d’expliquer, de discuter et de mobiliser
des soutiens pour les efforts qu’ils entreprennent afin de maintenir,
en temps de crise, des services essentiels à la population locale
et ou aux personnes déplacées à l’intérieur du pays, et de permettre
à leurs homologues en Europe et ailleurs d’être informés de leurs
besoins et de leur apporter conseils et soutiens. Oleksiy Chernyshov,
Ministre ukrainien des Communautés et du Développement territorial,
et les maires de Kiev, Lviv, Tchernihiv, Kharkiv, Marioupol, Boutcha,
Trostianets (région de Soumy), Melitopol et d’autres villes ukrainiennes
ont participé au marathon.
111. Leurs homologues internationaux les ont rejoints depuis la
Hongrie, la République de Moldova, la Pologne, la Roumanie et la
République slovaque – les pays voisins les plus proches de l’Ukraine,
et qui ont accueilli le plus grand nombre de réfugiés fuyant la
guerre. Ils se sont également connectés depuis l'Autriche, la France,
l'Allemagne, l'Irlande, la Suisse, le Royaume-Uni, les pays baltes
et nordiques, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie,
l’Espagne, la Grèce, le Portugal, la Turquie et les Balkans occidentaux.
La session de clôture du marathon, le 7 avril 2022, a réuni des
représentants d’Israël, du Canada, du Mexique et des États-Unis.
6.2.3 La Banque de développement du Conseil de l'Europe
112. La Banque de développement
du Conseil de l'Europe (CEB), qui repose sur un accord partiel du
Conseil de l'Europe, a été la première banque multilatérale de développement
à octroyer des dotations pour aider ses membres à répondre aux besoins
immédiats des réfugiés ukrainiens, notamment en matière de transport, d'hébergement,
de nourriture et de soins médicaux, par le biais d'un fonds fiduciaire
spécial appelé Fonds pour les migrants et les réfugiés (MRF), créé
en 2015. Dans le cadre de la réponse immédiate à la guerre en Ukraine,
la CEB a approuvé des dotations d’un montant de près de €5 millions
pour aider la Hongrie, la République de Moldova, la Pologne, la
Roumanie et la République slovaque à faire face à l'afflux de réfugiés. Pour
prévenir l'exploitation potentielle des personnes déplacées, les
subventions soutiendront également la collecte et l'analyse systématiques
des données relatives aux flux migratoires par l'Organisation internationale pour
les migrations (OIM) et permettront aux ressortissants de pays tiers
de rentrer chez eux en toute sécurité.
113. Au-delà de la réponse immédiate, la CEB envisage deux lignes
d'action principales pour aider les pays voisins qui accueillent
un grand nombre d'Ukrainiens déplacés par la guerre: l'octroi rapide
de prêts d'urgence pour renforcer les capacités d'hébergement et
la recherche d'une coopération avec l'Union européenne pour fournir
une aide d'urgence et développer des infrastructures sociales dans
le domaine du logement et des soins de santé. En avril 2022, la
Banque a émis une nouvelle obligation d'inclusion sociale d'un milliard
d'euros, dont l’échéance est fixée à sept ans, pour renforcer sa
réponse à la crise sociale due à la guerre en Ukraine et aider ses
États membres à venir en aide aux millions de réfugiés en quête
de sécurité. Le produit de la nouvelle obligation pourrait être
utilisé, en partie ou en totalité, par les pays membres de la CEB
pour satisfaire aux besoins à long terme des réfugiés et de leurs
communautés d'accueil.
114. Le 13 mars 2022, le ministère ukrainien des Communautés et
du Développement territorial a lancé la création, au niveau gouvernemental,
d'un groupe de travail interdépartemental sur l'adhésion de l'Ukraine
à la Banque de développement du Conseil de l'Europe et a adressé
une lettre à la Banque pour entamer un dialogue sur l'adhésion de
l'Ukraine. Cette demande devrait être examinée de toute urgence.
6.2.4 La Commissaire aux droits de l'homme
115. Depuis le début de cette agression
à grande échelle, la Commissaire aux droits de l'homme, Dunja Mijatović,
et son bureau ont effectué des missions de surveillance en République
de Moldova, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie, en République slovaque
et en République tchèque. En visitant de nombreux points de passage
frontaliers, centres d’accueil et centres de transit, et en s’entretenant
avec des personnes fuyant l’Ukraine, des volontaires, des organisations
non gouvernementales, ainsi que des fonctionnaires à différents niveaux
de gouvernement, des institutions du Médiateur et des institutions
nationales des droits humains et des organisations internationales,
la Commissaire a pu passer en revue les efforts déployés pour aider
les personnes fuyant la guerre en Ukraine et évaluer leurs besoins
en matière de droits humains
Note.
116. Le rôle de la Commissaire est crucial pour continuer à sensibiliser
à la situation de ceux qui fuient l’Ukraine et de ceux qui restent
dans le pays, pour surveiller et évaluer les tendances des violations
des droits humains conformément à son mandat, et pour soutenir les
initiatives et les efforts visant à établir l’obligation de rendre
des comptes pour les violations graves des droits humains et les
violations graves du droit international humanitaire en Ukraine,
y compris par des contacts réguliers avec les autorités, les institutions
et réseaux de défenseurs des droits humains et la société civile
dans le pays.
6.2.5 La Représentante spéciale de la Secrétaire Générale
sur les migrations et les réfugiés
117. Le 9 mars 2022, la Représentante
spéciale sur les migrations et les réfugiés, Leyla
Kayacık, a convoqué une réunion extraordinaire en ligne du Réseau
de correspondants sur les migrations du Conseil de l'Europe afin
de recueillir des informations sur la situation de la population
civile fuyant l'Ukraine vers les pays voisins, ainsi que les défis
auxquels sont confrontées les autorités compétentes. La réunion
a donné un aperçu de l'évolution rapide de la situation dans les
États membres, notamment
la nécessité de protéger les femmes et les enfants contre les abus,
l'exploitation et la traite, et en particulier les enfants non accompagnés.
118. Le 8 avril 2022, la Représentante spéciale a organisé une
réunion en ligne avec des représentants du Haut-Commissariat aux
Réfugiés, de l'OIM, de l'UNICEF, du Haut-Commissariat des Nations
Unies aux droits de l’homme, de l’Agence européenne des droits fondamentaux
(FRA), de l'Agence de l’Union européenne pour l’asile (EUAA) et
de l'OSCE/ODHIR pour échanger des informations sur les actions menées
dans le cadre de la crise actuelle. L'objectif de la réunion était
de renforcer les synergies et de déterminer comment le Conseil de
l'Europe, dans le cadre de son mandat, peut compléter au mieux les
efforts en cours
Note. La Représentante spéciale assure
actuellement la liaison avec les États membres, notamment les États
voisins de l’Ukraine, dans le but de fournir un soutien et une assistance
possibles sur la base des normes du Conseil de l’Europe, également
dans le cadre du Plan d’action sur la protection des personnes vulnérables
dans le contexte de la migration et de l’asile en Europe (2021-2025).
6.2.6 Liberté des médias et protection des journalistes
119. La libre circulation d'informations
indépendantes et exactes est essentielle dans les situations de
conflit. La guerre en Ukraine est également une guerre de l'information,
dans laquelle la Fédération de Russie étouffe la liberté d'expression
dans les territoires occupés, menace les journalistes indépendants
et diffuse sa propagande. Le Conseil de l'Europe dispose d'un certain
nombre d'organes dont l'expertise peut être cruciale pour protéger
la sécurité des journalistes, contrer la désinformation et démystifier
les fausses informations.
120. La Plateforme du Conseil de l'Europe pour renforcer la protection
du journalisme et la sécurité des journalistes est un mécanisme
de surveillance et de communication de l'information à l'échelle
européenne visant à contrer toutes les formes d'atteintes à la sécurité
physique et à la protection juridique des journalistes. Son rôle,
qui consiste à signaler toutes les atteintes graves à la sécurité
des journalistes et les autres tentatives visant à restreindre leur
capacité à rendre compte des faits de guerre est devenu encore plus
nécessaire dans les circonstances actuelles.
121. Cela étant, il importe également de fournir une aide pratique
permettant aux médias et aux journalistes indépendants de continuer
à faire leur travail en toute sécurité et à informer le grand public.
Il s’agit notamment d’octroyer des dotations, d’accorder un soutien
financier, de fournir des équipements de sécurité, de financer la
relocalisation de locaux dans des zones sûres, de faire en sorte
que les téléspectateurs européens et les réfugiés ukrainiens en
Europe puissent aisément accéder aux chaînes d’information ukrainiennes
et de renforcer la capacité du radiodiffuseur public ukrainien à
remplir sa mission dans les circonstances actuelles. Le Conseil
de l'Europe possède une expertise dans ces domaines et devrait accéder
aux demandes d'aide qu'il a reçues depuis l’Ukraine.
7 Le rôle du Conseil de l’Europe dans
le nouveau contexte international
7.1 Un quatrième sommet axé sur la sécurité
démocratique en Europe
122. Différents termes ont été employés
pour décrire l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Qu’on
la qualifie de moment charnière ou de point de non-retour, il est
largement admis que la situation actuelle revêt une importance historique
majeure.
123. Pour le Conseil de l’Europe, elle marque la fin d’une période
durant laquelle l’Organisation a progressivement élargi le nombre
de ses membres pour réunir sous le toit de la maison européenne
commune 47 États européens de Lisbonne à Vladivostok et 830 millions
d’Européens. Un coup d’accélérateur avait été donné à l’élargissement
lors du premier Sommet des chefs d’État et de gouvernement des États
membres du Conseil de l’Europe tenu à Vienne en 1993.
124. Les leaders européens de l’époque avaient déclaré: «La fin
de la division de l’Europe nous offre une chance historique d’affermir
la paix et la stabilité sur ce continent. Tous nos pays sont attachés
à la démocratie pluraliste et parlementaire, à l’indivisibilité
et à l’universalité des droits humains, à la prééminence du droit,
à un commun patrimoine culturel enrichi de ses diversités. Ainsi,
l’Europe peut devenir un vaste espace de sécurité démocratique.
Cette Europe est porteuse d’un immense espoir qui, à aucun prix,
ne doit être détruit par les ambitions territoriales, la renaissance
de nationalismes agressifs, la perpétuation des zones d’influence,
l’intolérance ou les idéologies totalitaires. Nous condamnons tous
ces égarements. Nous entendons mettre le Conseil de I’Europe pleinement
en mesure de contribuer ainsi à la sécurité démocratique, de relever
les défis de société du XXIe siècle,
en traduisant dans le domaine juridique les valeurs qui définissent
notre identité européenne et de favoriser l’amélioration de la qualité
de Ia vie»
Note.
125. Trente ans plus tard, une division réapparaît en Europe. Par
ses actes, la Fédération de Russie a quitté la maison européenne
commune. Face à ce défi d’ampleur mondiale, les dirigeants européens
devraient à nouveau faire preuve de «clairvoyance et de détermination»
Note, pour
réaffirmer avec la plus grande fermeté leur attachement aux valeurs
de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit, formuler
une nouvelle vision pour l’Europe et définir le rôle et la mission
du Conseil de l’Europe pour les années à venir.
126. Le Conseil de l’Europe, comme toute organisation intergouvernementale,
dispose des pouvoirs et de l’influence politique que lui confèrent
ses États membres. Dans le nouveau chapitre de l'histoire de l'Europe, où
la paix et la sécurité ne peuvent être considérées comme acquises,
le Conseil de l'Europe devrait bénéficier d’un nouvel élan et de
nouveaux outils pour relever les défis actuels, tels qu'identifiés
par la Secrétaire Générale actuelle et l'ancien Secrétaire Général
du Conseil de l'Europe dans leurs rapports annuels, à savoir:
- promouvoir la sécurité démocratique
qui est aussi une condition préalable à la paix et à la stabilité;
- s'opposer au recul de la démocratie en s'attaquant à ses
causes profondes;
- revitaliser la démocratie en favorisant l'innovation et
en renforçant la participation des citoyens.
127. L'expérience a montré la nécessité de pouvoir disposer de
mécanismes d'alerte précoce permettant au Conseil de l'Europe de
prendre des mesures rapides, décisives et collectives face aux menaces
qui pèsent sur l'État de droit, les normes démocratiques et la protection
des droits de l'homme dans ses États membres.
128. Le quatrième sommet sera d'une importance particulière pour
l'histoire de l'Europe, et plusieurs États membres devraient participer
à sa préparation et à son organisation dans un cadre de responsabilités
allant au-delà d'une seule présidence du Comité des Ministres. L'Assemblée
devrait se tenir prête à apporter sa contribution politique, également
au niveau des travaux préparatoires. En outre, l'Union européenne
et l'OSCE devraient être associées à l'événement.
7.2 Approfondissement du partenariat stratégique
avec l'Union européenne
129. L'agression de la Fédération
de Russie contre l'Ukraine et l'exclusion de la Fédération de Russie
du Conseil de l'Europe qui en a résulté ont donné une nouvelle dimension
à la coopération entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.
Compte tenu des changements historiques que connaît l'Europe, il
convient de donner un nouvel élan au renforcement du partenariat
stratégique entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne,
dans le respect de leurs différents rôles et domaines d'excellence
et sur la base de leurs valeurs communes et de leur engagement à
promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent
européen et à soutenir le multilatéralisme dans le monde entier.
130. La perspective de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention
européenne des droits de l'homme constituera un pas important dans
cette direction. En outre, dans le nouveau contexte géopolitique,
la réussite de l'élargissement de l'Union européenne devient un
facteur de sécurité et de stabilité non seulement pour les pays
candidats mais aussi pour l'Europe dans son ensemble. Dans le même
temps, le Conseil de l'Europe devrait redoubler d'efforts pour aider
ses États membres qui souhaitent adhérer à l'Union européenne à réaliser
des progrès tangibles et mesurables pour satisfaire aux critères
nécessaires.
7.3 Assurer la viabilité financière du
Conseil de l'Europe
131. L'exclusion de la Fédération
de Russie du Conseil de l'Europe prive ce dernier de près de 7 %
de son budget annuel. Il est urgent de commencer à chercher comment
assurer la viabilité financière à long terme de l'Organisation,
compte tenu de l'importante mission qu'elle doit accomplir.
132. Des contacts exploratoires pris à différents niveaux, notamment
grâce à la participation de Tiny Kox, Président de l'Assemblée,
indiquent la volonté de certains États membres de faire en sorte
que le Conseil de l'Europe ne souffre pas financièrement de l'exclusion
de la Fédération de Russie.
133. L'Assemblée devrait appeler les gouvernements des États membres
du Conseil de l'Europe, et le Comité des Ministres dans son ensemble,
à se mobiliser et à manifester leur confiance continue dans le Conseil
de l'Europe en veillant à ce qu'il dispose des ressources nécessaires
pour mener à bien son mandat. L'Assemblée devrait également encourager
l'augmentation des contributions volontaires afin que le Conseil
de l'Europe puisse apporter son aide et son soutien à l'Ukraine,
immédiatement et après la guerre.
7.4 L'approche du Conseil de l'Europe
à l'égard de la Fédération de Russie en tant qu'État non Membre
134. Bien qu’elle ne soit plus un
État membre du Conseil de l'Europe, il existe un certain nombre
de raisons pour lesquelles le Conseil de l'Europe continuera à s'intéresser
à la Fédération de Russie. Depuis le 16 mars 2022, date à laquelle
son adhésion à l'Organisation a pris fin, la Fédération de Russie
a cessé d'être une partie contractante aux conventions et protocoles
qui ne sont ouverts qu'aux États membres de l'Organisation. Dans sa
décision adoptée le 23 mars 2022, le Comité des Ministres a également
décidé de mettre fin à l'adhésion de la Fédération de Russie aux
accords partiels et élargis de l'Organisation
Note.
135. Cependant, la Fédération de Russie reste une Haute Partie
contractante à la Convention européenne des droits de l'homme jusqu'au
16 septembre 2022, sachant que la Cour demeure compétente pour examiner les
requêtes dirigées contre la Fédération de Russie, à condition que
les violations aient eu lieu avant cette date. En outre, le Comité
des Ministres continuera à surveiller l'exécution des arrêts par
la Fédération de Russie, qui est tenue de les mettre en œuvre. La
Fédération de Russie pourra être représentée aux réunions du Comité
des Ministres lorsque l'exécution des arrêts de la Fédération de
Russie sera examinée. Elle continuera également à être partie à
des conventions qui sont ouvertes aux États non membres du Conseil
de l'Europe.
136. En outre, la Fédération de Russie a des frontières communes
avec un certain nombre d'États membres du Conseil de l'Europe, a
des relations politiques importantes avec certains d'entre eux et
exerce un contrôle de facto sur plusieurs territoires
relevant de leur souveraineté.
137. En dépit de ces considérations, et compte tenu de l'instabilité
de la situation actuelle, il est prématuré de formuler des recommandations
concernant la politique du Conseil de l'Europe à l'égard des autorités
de la Fédération de Russie. Cette question devra être réexaminée
ultérieurement, en fonction également des événements sur le terrain
et de l'attitude des autorités russes à l'égard de l’Organisation.
7.5 Tendre la main à la société civile
russe et bélarusse
138. Il a déjà été mentionné dans
l'Avis 300 (2022) de l'Assemblée qu’il convenait toutefois de faire
une distinction entre la politique à l'égard des autorités et la
politique à l'égard de la société russe. Le Conseil de l'Europe
doit continuer à tendre la main aux citoyens russes, dont beaucoup
ne soutiennent pas cette guerre et n'ont pas accès à des informations
indépendantes et objectives à son sujet. Il doit continuer à soutenir
les défenseurs russes des droits humains, les forces démocratiques,
les médias libres et la société civile indépendante, qu'ils se trouvent
en Fédération de Russie ou à l'étranger.
139. À cette fin, il existe un certain nombre de mesures que le
Conseil de l'Europe peut prendre immédiatement, notamment:
- veiller à ce que les principaux
documents, pages web et informations du Conseil de l’Europe soient disponibles
en russe, car cette langue est utilisée comme lingua
franca dans un certain nombre d'États membres, et aussi
pour permettre aux citoyens russes et à la société civile d'avoir
plus facilement accès aux travaux du Conseil de l'Europe;
- continuer à inviter et à faire participer des représentants
de la société civile russe, des médias indépendants et des défenseurs
des droits de l'homme aux événements du Conseil de l'Europe;
- encourager la Commissaire aux droits de l'homme à continuer
de s'adresser à la société civile russe et aux défenseurs des droits
de l'homme dans le cadre de ses activités;
- veiller à ce que la Plateforme du Conseil de l'Europe
pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes
continue à surveiller la situation de la liberté des médias et de
la sécurité des journalistes dans la Fédération de Russie;
- garder des moyens de communication ouverts pour que les
professionnels du droit russes puissent continuer à être informés
et formés aux normes et instruments du Conseil de l'Europe, en ayant
accès aux contenus, aux cours et aux possibilités de formation de
l’Organisation.
140. Cette approche ouverte et flexible à l'égard de la société
civile et des acteurs non gouvernementaux russes donnerait un signal
politique important et pourrait s’inscrire dans une politique générale
et être transformée en mécanismes à un stade ultérieur. S'il est
essentiel de continuer à projeter les valeurs universelles de la
démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit au-delà
de l'appartenance au Conseil de l'Europe, il est de la plus haute
importance d'éviter de mettre en danger la vie, la sécurité et le
bien-être des citoyens et de les protéger des représailles. Cet
élément devra également être pris en compte.
141. Bien que le Bélarus soit dans une situation différente puisqu'il
n'a jamais été un État membre du Conseil de l'Europe, cette approche
devrait également s'appliquer à la société civile et aux acteurs
non gouvernementaux bélarusses, notamment les forces démocratiques
bélarusses à l'étranger. En fait, l'Assemblée devrait explorer les
moyens d'intensifier son engagement avec les forces démocratiques bélarusses.
142. Le Comité des Ministres devrait également examiner la possibilité
de mettre en place un programme permettant aux défenseurs des droits
de l'homme, aux forces démocratiques, aux journalistes indépendants et
à la société civile bélarusses et russes de participer aux activités
du Conseil de l'Europe. Ce programme pourrait être basé sur un accord
partiel ou être financé par des contributions volontaires, et devrait
s'inspirer de l'Initiative Elisabeth-Selbert, un programme de protection
des défenseurs des droits de l'homme qui a le statut juridique d'une
fondation en Allemagne
Note. Les droits de l'homme et la démocratie
ont besoin d’être protégés, mais il n'est pas rare que les personnes
qui promeuvent ces valeurs fondamentales défendues par le Conseil
de l'Europe soient exposées à des risques et aient elles-mêmes besoin
de protection.
8 Conclusions
143. Il a été dit que l'agression
de la Fédération de Russie marque le début d'une nouvelle ère, qui
sera définie non seulement par l'issue de la guerre mais aussi par
notre réponse à celle-ci. Dans sa réponse, le Conseil de l'Europe
doit être fidèle à sa mission et à ses valeurs. Il a déjà commencé
à le faire en excluant la Fédération de Russie de l'Organisation.
Cette décision importante ne constitue toutefois qu'une partie de
son engagement.
144. Le Conseil de l’Europe devrait s'associer aux efforts déployés
par la communauté internationale pour faire pression au maximum
sur la Fédération de Russie afin qu'elle mette fin aux hostilités,
retire ses troupes du territoire souverain de l'Ukraine et soit
tenue responsable des crimes et des dommages qu'elle a causés au cours
de cette agression continue.
145. Le Conseil de l'Europe devrait également déployer tous les
moyens disponibles pour soutenir et aider l'Ukraine, immédiatement
et à l'avenir. Il devrait répondre rapidement et de toute urgence
aux besoins exprimés par les autorités ukrainiennes dans ses domaines
de compétence, en s'appuyant sur les connaissances, l'expérience
et les réseaux de ses organes et structures. Ce défi sans précédent
exige une vision, une capacité d’adaptation et une efficacité sans
précédent.
146. Alors que la guerre fait rage, les institutions ukrainiennes
s’emploient jour et nuit à assurer la gouvernance, les services
de base et l'assistance aux populations. Le Conseil de l'Europe
devrait contribuer à renforcer la capacité institutionnelle et la
résilience de l'Ukraine en facilitant la continuité des travaux
des institutions publiques.
147. À cet égard, l'Assemblée devrait offrir son soutien au Parlement
ukrainien pour l’aider à s’acquitter de ses missions. Par le biais
de ses délégations nationales et de ses relations interparlementaires,
elle doit également sensibiliser les parlementaires de tous les
pays européens et les inciter à se mobiliser et à se rapprocher.
148. Une conséquence évidente de l'agression de la Fédération de
Russie contre l'Ukraine est la réapparition d'une ligne de démarcation
en Europe. Cette ligne a été tracée par les autorités russes à leur
propre initiative. Elle s'est traduite par un défi majeur pour la
sécurité du continent et a ébranlé l'architecture multilatérale
de l'Europe de l'après-guerre.
149. Dans ce nouveau contexte international et dans la perspective
d'un quatrième sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil
de l'Europe, les dirigeants européens devraient formuler une nouvelle
vision sur la manière de renforcer le rôle et l'impact du Conseil
de l'Europe en tant que gardien des valeurs que les Européens chérissent
et veulent préserver comme conditions préalables à la paix: la démocratie,
les droits de l'homme et l'État de droit.