Accès à l’avortement en Europe: faire cesser le harcèlement anti-choix
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte
adopté par la Commission permanente, agissant au nom
de l’Assemblée, le 31 mai 2022 (voir Doc. 15459, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
rapporteure: Mme Margreet De Boer).
1. Les personnes qui se mobilisent
pour protéger l’accès libre et sans danger à l’avortement font l’objet
de harcèlement par des militant·e·s anti-choix dans de nombreux
États membres du Conseil de l’Europe. Parmi les personnes ciblées,
on compte des personnes engagées dans la défense des droits humains
des femmes, des professionnel·le·s de santé, des responsables politiques
et des personnes qui cherchent à bénéficier de soins liés à l’avortement.
2. Le harcèlement peut prendre des formes diverses. Les personnes
qui cherchent à recourir à un avortement font l’objet de stigmatisation,
reçoivent des conseils biaisés reposant sur des informations inexactes
et trompeuses, et subissent des pressions psychologiques, des manipulations
attisant leur sentiment de culpabilité et de honte, y compris à
l’intérieur ou à proximité des établissements médicaux proposant
des soins liés à l’avortement. Ces actes de harcèlement sont perpétrés
par des personnes et des organisations anti-choix qui se font parfois
passer de manière trompeuse pour des organismes publics ou pro-choix.
Les militant·e·s, les mouvements et les organisations non gouvernementales
pro-choix sont confrontés à des intimidations, à des comportements
injurieux en ligne et hors ligne, à des campagnes de dénigrement
et à un harcèlement judiciaire qui prend la forme de procédures
civiles ou pénales sans fondement ou disproportionnées. Les professionnel·le·s
de santé font face à des intimidations et à des menaces, notamment des
menaces de mort, à des violences verbales et physiques, et à des
pressions injustifiées sur leur lieu de travail de la part de leurs
collègues et de leurs supérieurs. Les établissements proposant des
soins ou des informations liés à l’avortement et les organisations
pro-choix sont la cible d’intrusions et de dégradations de leurs
biens. Des violences policières et des détentions arbitraires en
lien avec des manifestations en faveur des droits des femmes ont
également été signalées.
3. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa
Résolution 2331 (2020) «Autonomiser
les femmes: promouvoir l’accès à la contraception en Europe» et
réaffirme que la protection de la santé et des droits sexuels et reproductifs
des femmes, qui sont des droits humains et une composante importante
des politiques en faveur de l’égalité de genre, doit être considérée
comme hautement prioritaire.
4. L’Assemblée est préoccupée par les actes de harcèlement et
de violence qui visent les personnes pouvant faire valoir ces droits,
notamment les personnes qui cherchent à recourir à un avortement
et celles qui ont le devoir de le leur proposer, ainsi que les défenseurs
et défenseuses des droits des femmes qui militent pour le droit
à l’avortement.
5. L’Assemblée dénonce le harcèlement anti-choix, qui constitue
une violation des droits fondamentaux énoncés dans les dispositions
du droit national et international, notamment du droit au respect
de la vie privée et familiale, de la liberté d’expression et de
la liberté de réunion et d’association. Ce harcèlement peut aussi être
considéré comme une composante d’une offensive plus large contre
les droits des femmes et l’égalité de genre au niveau mondial, qu’il
convient de contrecarrer efficacement.
6. L’Assemblée rappelle que le droit à la santé comprend le droit
à l’information sur les questions de santé et considère qu’il est
essentiel – pour que ce droit puisse être exercé dans la pratique
– que les États membres du Conseil de l’Europe luttent contre les
fausses informations et la désinformation en matière d’avortement.
7. L’Assemblée rappelle que le harcèlement anti-choix entrave
le droit à un accès libre et sans danger à l’avortement, tel qu’il
est prévu par la législation de la plupart des États membres du
Conseil de l’Europe, ainsi que l’accès à la santé et aux droits
sexuels et reproductifs. Cette situation porte atteinte à la sécurité
juridique, qui est un élément essentiel de l’État de droit et que
les pouvoirs publics ont le devoir de protéger.
8. L’Assemblée souligne que le refus de pratiquer les soins liés
à l’avortement peut constituer un acte de torture ou une forme de
traitement cruel, inhumain ou dégradant, et elle insiste sur l’importance
de l’interdiction absolue de la torture et des autres formes de
traitements cruels, inhumains ou dégradants.
9. Il est donc capital d’agir aux niveaux individuel et général,
c’est-à-dire de prévenir, d’instruire et de combattre les cas particuliers
de harcèlement, ainsi que d’adopter une législation et des politiques
efficaces pour remédier au problème plus général qui se pose.
10. Au vu de ces considérations, l’Assemblée appelle les États
membres du Conseil de l’Europe, les observateurs et les partenaires
pour la démocratie:
10.1 à prendre
les mesures nécessaires pour veiller à ce que l’entrave à l’accès
d’une personne aux soins légaux liés à l’avortement ou à des informations
à cet égard soit interdite et passible d’une sanction pénale ou
autre; cette interdiction devrait s’appliquer également aux activités
en ligne et aux pratiques des organisations anti-choix consistant
à se faire passer abusivement pour des organisations neutres ou
pro-choix;
10.2 à instaurer des zones tampons à proximité des établissements
de soins de santé reproductive et de toute organisation fournissant
des informations pertinentes pour éviter que les activités des établissements
médicaux proposant des soins liés à l’avortement ne soient perturbées,
ainsi qu’à garantir la sécurité des personnes cherchant à bénéficier
de soins liés à l’avortement; dans ces zones tampons, toutes les
manifestations et activités d’information et de sensibilisation
anti-choix devraient être interdites, qu’elles soient destinées
au public ou à des particuliers;
10.3 à fournir des informations fiables sur les droits et les
services en matière de procréation, notamment sur les soins liés
à l’avortement, et à prendre les mesures nécessaires pour lutter
contre les fausses informations et la désinformation sur l’avortement;
ces mesures devraient inclure une surveillance spécifique pour déceler
l’éventuelle diffusion de fausses informations ou la désinformation par
des organisations anti-choix, que celles-ci agissent ouvertement
ou incognito;
10.4 à donner aux personnes les moyens de faire des choix éclairés,
en assurant la disponibilité en ligne et hors ligne d’informations
factuelles, médicalement exactes et ne portant pas de jugement sur
les soins liés à l’avortement, notamment en mettant en place des
campagnes d’information et une éducation sexuelle complète; à veiller
à ce qu’une éducation sexuelle complète soit dispensée dans toutes
les écoles; les programmes scolaires devraient porter sur la santé
et les droits sexuels et reproductifs, notamment en ce qui concerne
la contraception et l’avortement;
10.5 à garantir l’accès effectif aux soins légaux liés à l’avortement,
lorsque la législation nationale le prévoit, et à des conseils pertinents
dispensés par des professionnel·le·s de santé qualifiés fournissant des
informations objectives; l’objection de conscience, lorsqu’elle
est permise par la loi, ne devrait jamais entraîner une restriction
de l’accès effectif et en temps utile aux soins légaux liés à l’avortement;
10.6 à former les professionnel·le·s de santé à fournir des
informations et des soins liés à l’avortement, de manière factuelle,
impartiale, respectueuse et confidentielle, et sans porter de jugement;
à protéger les professionnel·le·s de santé qui dispensent des soins
liés à l’avortement contre les menaces ou agressions verbales ou
physiques, et contre toute forme de pressions ou de représailles,
notamment sur le plan professionnel;
10.7 à mener des enquêtes et des poursuites effectives sur
les cas de discours de haine en ligne et hors ligne visant les défenseurs
et défenseuses des droits humains, notamment sur leur éventuel caractère
organisé, et à s’efforcer de prévenir et de combattre les réseaux
de personnes et d’organisations créés dans le but de harceler les
militant·e·s et les responsables politiques pro-choix ainsi que
les personnes cherchant à recourir à un avortement;
10.8 à fournir des informations aux agent·e·s des services
répressifs et aux membres du corps judiciaire, et à les former pour
veiller à ce qu’ils aient connaissance de l’ampleur et des effets
des activités anti-choix.
11. Rappelant ses textes adoptés sur la situation des défenseurs
et défenseuses des droits humains en Europe, notamment la
Résolution 2095 (2016) et
la
Recommandation 2085
(2016) «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs
des droits de l'homme dans les États membres du Conseil de l'Europe»,
et la
Résolution 2225
(2018) et la
Recommandation
2133 (2018) «Assurer la protection des défenseurs des
droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe»,
l’Assemblée renouvelle son soutien constant aux défenseurs et défenseuses
des droits humains des femmes, dans les États membres du Conseil
de l’Europe et au-delà, et s’engage à les protéger contre les pressions
injustifiées, les intimidations et les violences. Dans le contexte actuel,
une attention particulière doit être accordée au discours de haine
en ligne, dont les défenseurs et défenseuses des droits humains
font de plus en plus l’objet, ce qui les rend vulnérables à d’autres
agressions.