Protection et prise en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 22 juin 2022 (22e séance)
(voir Doc. 15548, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Mariia Mezentseva;
et Doc. 15554, avis de la commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable, rapporteure: Mme Sibel Arslan). Texte adopté par l’Assemblée le
22 juin 2022 (22e séance).
1. L’Assemblée parlementaire est vivement
préoccupée par l’augmentation rapide du nombre d'enfants migrants
ou réfugiés non accompagnés ou séparés en Europe. Ces enfants ont
été séparés de leurs parents et du restant de leur famille, et ne
sont pas pris en charge par un adulte qui, selon la loi ou la coutume,
en a la responsabilité. Or, en vertu de l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme (STE no 5),
les États membres ont l’obligation positive de protéger la vie privée
et familiale, surtout pour les enfants migrants ou réfugiés non
accompagnés ou séparés, particulièrement vulnérables, qui requièrent
un niveau de protection plus élevé.
2. La pauvreté, les conflits armés et la crise climatique sont
les principales raisons pour lesquelles un grand nombre d'enfants
se retrouvent en Europe seuls, souvent sans aucun document d’identification,
sans moyens de subsistance ou sans soutien. Ces dernières années,
la plupart des enfants non accompagnés sont venus d'Afghanistan,
de Syrie et du Bangladesh. L'Assemblée souligne la nécessité de
déployer des efforts soutenus pour éliminer la pauvreté et les privations
dans le monde; d'investir massivement dans la consolidation de la paix,
la réconciliation et le règlement pacifique des conflits; et de
donner la priorité à la lutte contre le changement climatique et
à la garantie de niveaux de vie décents pour tous, plutôt qu'à la
croissance économique et à la maximisation des profits pour un petit
nombre.
3. L’agression en cours de l’Ukraine par la Fédération de Russie
a pour conséquence dramatique un déplacement massif d’enfants migrants
ou réfugiés, dont beaucoup sont non accompagnés ou séparés. Dans ces
circonstances, ils sont très exposés aux risques d’exploitation
et d’abus, et tombent facilement aux mains de passeurs et de trafiquants.
Il est de la plus haute importance et extrêmement urgent que les
autorités compétentes des États membres du Conseil de l’Europe,
y compris les parlementaires, soient pleinement conscientes des
obligations juridiques qui découlent des traités internationaux
et européens relatifs à la protection des enfants non accompagnés
ou séparés, notamment à leur prise en charge, afin d’assurer une protection
totale de ces enfants et de préserver leur intérêt supérieur dans
tous les domaines.
4. L'Assemblée rappelle en particulier la Convention européenne
des droits de l'homme et la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l'enfant, auxquelles sont parties tous les États membres
du Conseil de l’Europe. Le Comité des droits de l’enfant de l’Organisation
des Nations Unies a publié des observations générales qui sont utiles
pour aider les États membres en vue d’une mise en œuvre effective.
La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants
contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE no 201, «Convention
de Lanzarote») et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte
contre la traite des êtres humains (STCE no 197),
toutes deux également ratifiées par l’ensemble des États membres,
ainsi que la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163)
et plusieurs textes non contraignants fournissent un vaste corpus
de normes et d’orientations pour mettre en place un filet de sécurité
visant à garantir la protection nécessaire dont ces enfants doivent
pouvoir bénéficier.
5. L'Assemblée rappelle également sa Résolution 1810 (2011) «Problèmes
liés à l'arrivée, au séjour et au retour d'enfants non accompagnés
en Europe», sa Résolution 2020 (2014) «Les alternatives au placement
en rétention d’enfants migrants», sa Recommandation 2190 (2020)
«Une tutelle efficace pour les enfants migrants non accompagnés
et séparés» et sa Résolution 2324 (2020) «Disparitions d’enfants
réfugiés ou migrants en Europe» ainsi que les conclusions de sa
Campagne parlementaire pour mettre fin à la rétention d'enfants
migrants (2015-2019), dans lesquelles l’Assemblée encourageait les
États membres à adopter des alternatives à la rétention qui répondent
à l’intérêt supérieur de l’enfant et permettent aux enfants de rester avec
leur famille et/ou tuteur dans un cadre non carcéral, au sein de
la collectivité, en attendant que la question de leur statut au
regard de la législation sur l’immigration soit résolue.
6. L’Assemblée souligne que tous les États membres devraient
adopter une approche commune en vertu de laquelle les enfants migrants
ou réfugiés non accompagnés ou séparés seraient considérés avant
tout comme des enfants. Cela implique de faire en sorte que l’intérêt
supérieur de l’enfant soit la considération primordiale, quel que
soit le statut migratoire de l’enfant dans le pays concerné. Dans
ce contexte, les États membres doivent veiller à ce que les enfants
migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés bénéficient:
6.1 de toutes les garanties applicables
en matière de protection de l’enfance, notamment l’identification
adéquate et immédiate des enfants et l’enregistrement de leur identité
et de leur situation juridique, familiale et sociale;
6.2 d’une évaluation sérieuse, tenant compte de la dimension
de genre, de leurs besoins immédiats de protection, de soutien et
de prise en charge; une attention particulière devrait être accordée
aux victimes de violence, d’abus et de traite des êtres humains,
ainsi qu’aux enfants présentant des besoins spéciaux, notamment
médicaux et psychologiques;
6.3 de la désignation immédiate d’un tuteur, qui agira pour
protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et fera le lien entre l’enfant
et les services compétents, pendant la recherche de ses parents
et d’autres membres de sa famille;
6.4 d’une évaluation et d’une détermination complètes de l’intérêt
supérieur de l’enfant par son tuteur, par les services de protection
de l’enfance ou par les juridictions compétentes, le cas échéant;
6.5 d’un accès à l'éducation; les gouvernements doivent prévoir
l'intégration des mineurs migrants non accompagnés dans le cadre
scolaire, veiller à leur processus d'apprentissage et faciliter
leur lien avec l’école et les autres enfants de leur âge;
6.6 de procédures d'évaluation de l'âge adaptées aux enfants,
qui ne devraient être mises en œuvre que s'il existe de sérieux
doutes quant à l'âge d'une personne, et qui devraient toujours être
menées dans l'intérêt supérieur de l'enfant et faire l'objet d'un
suivi indépendant; de l'élaboration d'un modèle unique d'évaluation
de l'âge en Europe, fondé sur la présomption que la personne est
mineure; de l'application systématique de la marge d'erreur en faveur
de la personne concernée, de sorte que l'âge le plus bas de la marge
déterminée par l'évaluation soit enregistré comme l'âge de la personne;
et de l'accès à des recours effectifs.
7. Par ailleurs, l’Assemblée souligne que les États membres sont
juridiquement responsables des enfants migrants ou réfugiés non
accompagnés ou séparés qui se trouvent sur leur territoire, conformément
à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
À ce titre, ils devraient être dotés de solides systèmes de protection
de l’enfance, reposant notamment sur une forte coordination entre
les organes compétents en matière de protection de l’enfance et
de migration, ainsi qu’avec les autres instances et organisations concernées
de la société civile. Une budgétisation appropriée et durable et
un investissement dans les ressources humaines et autres peuvent
permettre une protection et une prise en charge adaptées et sensibles au
genre.
8. L'Assemblée considère que le Conseil de l'Europe devrait faciliter
la création d’une plateforme européenne pour l'échange de connaissances,
de savoir-faire pratiques et de bonnes pratiques entre ses États membres
aux fins de la bonne prise en charge des enfants migrants ou réfugiés
non accompagnés ou séparés.
9. L'Assemblée invite les États membres à répondre correctement
aux besoins des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou
séparés, en leur apportant une aide qui préserve l'unité familiale
et qui leur permette de rester auprès de parents ou d'autres personnes
qui s'occupent d'eux. À cette fin, les États membres devraient adopter,
à titre de mesures provisoires, des solutions de prise en charge
qui dureront jusqu’à ce que les enfants puissent être réunis avec
les membres de leur famille. En conséquence, les États membres sont
invités:
9.1 à créer des itinéraires
sûrs, légaux et accessibles permettant aux enfants de retrouver
leur famille en Europe, en leur évitant d’effectuer seuls de longs
et dangereux voyages;
9.2 à adopter un cadre législatif, s’il n’est pas déjà en
place, permettant le développement de mesures proactives ciblées,
qui répondent aux besoins spécifiques des enfants migrants ou réfugiés non
accompagnés ou séparés;
9.3 à veiller à ce que les demandes de regroupement familial
des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés soient
examinées en priorité, dans le respect de l'intérêt supérieur de
l'enfant;
9.4 à intégrer les systèmes d’asile et de migration dans les
systèmes de prise en charge et de protection de l'enfance, en veillant
à ce que les enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés
aient accès à la même protection et prise en charge que tous les
autres enfants; à octroyer les fonds nécessaires et à désigner une
autorité publique responsable de cette intégration;
9.5 à procéder à une évaluation en temps opportun des besoins
spécifiques des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou
séparés, afin de fournir la meilleure prise en charge adaptée à
chaque enfant;
9.6 à tenir compte de tous les aspects spécifiques du nouvel
environnement des enfants migrants ou réfugiés (langue, culture
et conditions de vie différentes) au moment de proposer une solution
de prise en charge pour ces enfants;
9.7 à s'assurer que l'opinion des enfants migrants ou réfugiés
ayant besoin d'une protection de remplacement est prise en compte
lors de la détermination de modalités de cette prise en charge qui soient
dans l’intérêt supérieur de ces enfants;
9.8 à mobiliser un soutien public en faveur de politiques
adaptées aux enfants dans le domaine de la migration, en sensibilisant
l’opinion au sort des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés
ou séparés, et en tirant pleinement profit de la richesse des témoignages
et des activités de sensibilisation;
9.9 à veiller à ce que l’autorité publique qui est responsable
du système public de prise en charge des enfants non accompagnés
ou séparés garantisse différentes possibilités de protection de remplacement
et emploie un nombre suffisant de spécialistes bien formés pour
fournir différents types de prise en charge. Cette autorité devrait
aussi effectuer un suivi régulier des différentes solutions de protection
de remplacement;
9.10 à accorder une attention particulière au recrutement des
familles d'accueil, en veillant à leur sensibilité interculturelle,
à leur expérience pédagogique et éducative, ainsi qu’à leur capacité
à offrir un espace aux enfants. Ces familles d’accueil devraient
également avoir une bonne connaissance de la procédure d'asile et
être en mesure de soutenir l’enfant aux différentes étapes de cette
procédure, y compris sur le plan psychologique.
10. L’Assemblée réaffirme que, dans les cas où le retour de l’enfant
dans sa famille n’est pas possible, les États membres devraient
concevoir et mettre en œuvre diverses solutions de prise en charge
adaptées et de qualité, qui répondent aux besoins spécifiques et
individuels des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou
séparés. Rappelant les Lignes directrices des Nations Unies relatives
à la protection de remplacement pour les enfants, l’Assemblée exhorte
les États membres à proposer les modèles suivants en la matière:
10.1 la prise en charge par des proches,
dispositif dans lequel l’enfant vit avec un adulte qui fait partie de
sa famille élargie;
10.2 le placement en famille d’accueil, dispositif dans lequel
l’enfant est confié formellement à des adultes compétents qui assument
la fonction de parents d’accueil;
10.3 les centres d’accueil d’urgence et de transit, dispositifs
utilisés dans des circonstances exceptionnelles, le temps d’examiner
et de régler la situation qui est à l’origine de la séparation familiale. Si
des mineurs sont placés dans des centres d’accueil d’urgence et
de transit, ils ne devraient pas être placés avec des adultes.
11. Par ailleurs, les États membres devraient concevoir d’autres
formes de prise en charge familiale, avec des modes de vie indépendants
sous supervision, une prise en charge collective en petits groupes
et, en dernier ressort, des placements adaptés dans des établissements
d’hébergement, en veillant à ce que le principe de non-privation
de liberté soit garanti dans tous ces dispositifs. Les Lignes directrices
des Nations Unies relatives à la protection de remplacement pour
les enfants devraient être appliquées, en particulier la partie IX,
pour déterminer la nécessité et l’opportunité des modalités de prise
en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés.
12. Enfin, les États membres devraient également proposer des
services, programmes et mesures pour aider les enfants migrants
ou réfugiés non accompagnés ou séparés à sortir du dispositif de
prise en charge, et un soutien psychologique et pratique continu
visant à renforcer leur autonomie; cela suppose une bonne préparation
et une planification avant la sortie de prise en charge, que le
jeune reste dans le pays ou le quitte, ainsi que de meilleures possibilités
d'intégration dans le pays d'accueil.
13. En ce qui concerne spécifiquement la situation d’urgence qui
touche actuellement les enfants ukrainiens, l’Assemblée fait valoir
la nécessité constante pour les États membres de renforcer l’approche coordonnée
au niveau européen entre les pays de première arrivée, les pays
de transit et les pays d’accueil afin que les enfants soient rapidement
identifiés, enregistrés et qu’ils ne disparaissent pas, qu’ils bénéficient de
toutes les garanties en matière de protection et qu’ils soient placés,
lorsque c’est jugé nécessaire, dans des dispositifs de prise en
charge adaptés et de qualité.
14. La sécurité de tous les enfants, y compris ceux dans l’attente
d’un regroupement familial et qui bénéficient d’une prise en charge
temporaire, devrait être une priorité. L’adoption ne devrait être
envisagée dans aucune situation d’urgence.