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Le respect par Malte des obligations découlant de l'adhésion au Conseil de l'Europe

Résolution 2451 (2022)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 23 juin 2022 (23e séance) (voir Doc. 15546, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), corapporteurs: M. Bernard Fournier et M. George Loucaides). Texte adopté par l’Assemblée le 23 juin 2022 (23e séance).
1. Malte est devenue le 18e État membre du Conseil de l’Europe en 1965. Elle a récemment été au centre de l’attention de la communauté internationale, y compris de l’Assemblée parlementaire, à la suite de l’assassinat de la journaliste spécialisée dans les faits de corruption, Daphne Caruana Galizia, et de la réaction des autorités à ce sujet. L’Assemblée réaffirme la position qu’elle a prise dans la Résolution 2293 (2019) «L’assassinat de Daphne Caruana Galizia et l’État de droit à Malte et ailleurs: veiller à ce que toute la lumière soit faite». Elle se félicite de la création, sur sa recommandation, d’une commission d’enquête publique indépendante. Elle prend note avec préoccupation des conclusions de cette commission, publiées le 29 juillet 2021, sur le dysfonctionnement des institutions démocratiques du pays et, en particulier, du fait qu’il règne à Malte une culture de l’impunité conjuguée à une omerta institutionnelle. L’Assemblée demande aux autorités maltaises de poursuivre leurs travaux et leurs efforts pour prendre pleinement en compte les préoccupations et les recommandations exprimées dans le rapport de la commission d’enquête publique indépendante.
2. Le rapport de l’Assemblée sur l’assassinat de Daphne Caruana Galizia et l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur les dispositions constitutionnelles concernant la séparation des pouvoirs et l’indépendance des organes judiciaires ont mis en évidence un dysfonctionnement systémique des institutions démocratiques et de celles chargées de l’État de droit, et ont constitué un tournant majeur pour le pays. L’Assemblée se félicite donc vraiment des réformes engagées par les autorités pour remédier aux insuffisances et donner suite aux recommandations présentées dans ces textes, en particulier en ce qui concerne l’indépendance de la justice et les procédures de nominations à des fonctions officielles. Si ces réformes constituent un progrès notable, elles ne répondent qu’en partie aux préoccupations et aux insuffisances constatées. De l’avis de l’Assemblée, il est urgent de procéder à une réforme complète et globale des institutions démocratiques et du système d’équilibre des pouvoirs de Malte. Cela s’impose dans le contexte d’une polarisation politique et sociale profondément ancrée à Malte, présente dans presque tous les aspects de la société maltaise et qui met en péril le fonctionnement des institutions démocratiques.
3. L’Assemblée se félicite donc de la mise en place, par le Président maltais, d’une Convention constitutionnelle chargée de concevoir une réforme du cadre constitutionnel maltais qui contribuera à ce que ces réformes soient largement soutenues et acceptées par la société maltaise. L’Assemblée encourage les autorités à faire en sorte que le processus de consultation soit large et global, et à doter la Convention constitutionnelle d’un mandat clair et d’un calendrier strict pour accomplir cette tâche.
4. Le Parlement maltais est composé de députés qui exercent leurs fonctions à temps partiel. Cela nuit à sa capacité d’initiative en matière législative et à l’exercice d’un véritable contrôle parlementaire sur l’exécutif. En outre, la nécessité pour les députés d’avoir un emploi secondaire expose davantage le parlement à la corruption et aux conflits d’intérêts. L’Assemblée recommande par conséquent une réforme de grande ampleur du Parlement maltais afin de mettre en place un parlement exerçant à temps plein, capable d’assurer un véritable contrôle parlementaire et de reprendre l’initiative législative. En outre, l’Assemblée invite le Parlement maltais:
4.1 à limiter et à circonscrire considérablement la possibilité pour les députés d’occuper un emploi secondaire et les catégories d’emplois concernés;
4.2 à définir et à délimiter par la loi la liste des fonctions secondaires que les députés sont autorisés à exercer, notamment au sein d’organes officiellement désignés;
4.3 à supprimer l’obligation constitutionnelle imposée aux ministres d’être députés au parlement;
4.4 à mettre en place un financement public des partis politiques en vue de réduire leur dépendance aux dons privés, qui comporte un risque inhérent de conflit d’intérêts et de corruption.
5. L’Assemblée salue les réformes mises en œuvre en ce qui concerne le processus de nomination des juges et des magistrats. Ces réformes ont renforcé le système d’équilibre des pouvoirs dans ce processus de nomination en réduisant son risque de politisation. Il s’agit d’un pas en avant vers le renforcement du pouvoir judiciaire. À cet égard, l’Assemblée se félicite en particulier du raffermissement du rôle du Président dans les procédures de nomination et de la réduction des larges et discrétionnaires pouvoirs du Premier ministre. Compte tenu des pouvoirs accrus du Président, son élection directe par les citoyens maltais devrait être étudiée.
6. La réforme de la procédure de nomination des juges et celle du ministère public, la séparation de la fonction d'avocat d’État de celle de procureur général, et le retrait du procureur général de la Commission pour l'administration de la justice sont des étapes importantes pour renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Un autre développement positif dans ce domaine a été le transfert de la responsabilité de la poursuite de la plupart des crimes de la police au procureur général. Dans le même temps, l’Assemblée encourage les autorités à mettre en œuvre d’autres réformes, conformément aux recommandations de la Commission de Venise et de la commission d’enquête publique indépendante. Elle déclare de nouveau que le renforcement du contrôle parlementaire de l’exécutif est essentiel à cet égard. En outre, l'Assemblée recommande au parlement d'adopter la législation nécessaire pour garantir que les actes déclarés inconstitutionnels par la Cour constitutionnelle perdent immédiatement leur force juridique.
7. Malgré des réformes encourageantes, le Premier ministre continue d’exercer un contrôle considérable sur la fonction publique, ce qui compromet l’indépendance de cette dernière à l’égard des forces politiques. Le nombre excessivement élevé de personnes nommées dans la fonction publique maltaise pour des raisons politiques, couramment dénommées «personnes de confiance», en contournant les procédures légales de nomination dans la fonction publique est un sujet de préoccupation majeur à cet égard. Le nombre élevé de nominations politiques et l’absence de réglementation relative à ces postes exposent davantage la fonction publique maltaise aux conflits d’intérêts et au népotisme. Les réformes récentes n’ont pas suffisamment abordé cette question et l’Assemblée invite donc instamment les autorités à engager des réformes supplémentaires afin de limiter légalement la nomination de personnes de confiance à un petit nombre de postes clairement définis et réglementés.
8. L’Assemblée se félicite des réformes récentes qui ont renforcé la position et l’indépendance du médiateur, qui exerce une fonction importante de contrôle institutionnel des autorités. Elle regrette toutefois que le droit du médiateur à l’information ne soit pas appliqué et que le parlement et l’exécutif ne donnent qu’une suite limitée à ses rapports, ce qui nuit au bon fonctionnement de cette importante institution.
9. La vulnérabilité persistante du secteur public maltais à la corruption est une préoccupation majeure de l’Assemblée. Malgré le niveau élevé de perception de la corruption, les réactions n’ont guère été visibles et il n’existe pas de stratégie globale et cohérente de prévention de la corruption dans les institutions publiques. Cela a engendré une culture de l’impunité. L’un des principaux défis pour la société maltaise et ses institutions démocratiques est de venir à bout de cette culture de l’impunité et de cette omerta institutionnelle avant toute autre considération. À ce sujet, l’Assemblée:
9.1 regrette les faiblesses structurelles qui ont limité les résultats et l’efficacité de la Commission permanente de lutte contre la corruption;
9.2 se félicite de la nomination du Commissaire aux normes de la vie publique et du bon fonctionnement de son bureau; elle recommande aux autorités de renforcer les pouvoirs et les ressources du Commissaire aux normes de la vie publique et d’envisager de rationaliser davantage les institutions de lutte contre la corruption afin d’éviter les chevauchements et les interférences entre elles;
9.3 recommande aux autorités de renforcer encore la loi sur les lanceurs d’alerte pour que les lanceurs d’alerte qui divulguent leurs informations aux médias bénéficient d’une protection suffisante, et de modifier l’obligation faite aux lanceurs d’alerte externes de s’adresser au Bureau du Cabinet des ministres pour bénéficier de l’immunité de poursuites, ce qui pourrait empêcher des agents publics de se manifester pour dénoncer des actes de fraude et de corruption;
9.4 déplore l’inapplication et le non-respect structurels de la loi sur la liberté d’information, qui rendent cette loi ineffective, auxquels il convient de remédier sans tarder. À ce sujet, il importe de souligner que la législation ne peut à elle seule aboutir à une culture de la transparence et de l’ouverture, et qu’elle doit être accompagnée, dans la même mesure, d’un changement de comportement et d’attitude;
9.5 s’inquiète de la vulnérabilité du «programme de citoyenneté par investissement» à la corruption et au blanchiment de capitaux, et demande à Malte de supprimer ce programme.
10. L’Assemblée est profondément préoccupée par la polarisation de l’environnement médiatique et par les difficultés auxquelles les médias font face, dont des menaces directes contre des journalistes, qui nuisent à la liberté de la presse à Malte. Elle se félicite donc de la création récente d'un comité d'experts sur les médias en vue de renforcer la liberté des médias à Malte. L’utilisation abusive de la législation interdisant la diffamation et des poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (poursuites-bâillons ou SLAPP) pour réduire les journalistes au silence est un problème de plus en plus préoccupant qui doit être traité sans tarder.
11. L’Assemblée constate avec préoccupation que, en dépit de progrès considérables, les inégalités entre les femmes et les hommes et les stéréotypes de genre restent profondément enracinés dans la société maltaise. Les femmes demeurent peu représentées en politique et au gouvernement, malgré l’amélioration de la législation. L'Assemblée salue en revanche les modifications constitutionnelles qui visaient à mettre en place un mécanisme correctif en matière de parité hommes-femmes au parlement, et l'application de ce mécanisme à la suite des élections législatives du mois de mars 2022 qui se sont traduites par l’obtention de 12 sièges supplémentaires pour des femmes. L’Assemblée se félicite en conséquence de la nouvelle loi sur l’égalité dont le parlement est saisi et encourage ce dernier à l’adopter sans retard. L'Assemblée note que Malte est l'un des très rares États membres du Conseil de l'Europe à interdire totalement l'avortement, y compris en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Les droits et la santé en matière de procréation sont un aspect essentiel des droits des femmes qui doivent être améliorés en priorité à Malte.
12. L’Assemblée reconnaît que Malte est un État méditerranéen qui se trouve en première ligne en ce qui concerne les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile dont le nombre est très élevé pour un pays peu peuplé comme Malte. L’Assemblée demande instamment aux autres États européens de faire preuve d’une solidarité proportionnée avec Malte à cet égard. Dans le même temps, elle exhorte les autorités maltaises à s’acquitter de leurs responsabilités et de leurs obligations en matière de droits de l’homme vis-à-vis des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile, et à intensifier leurs efforts à cet égard.
13. Malte fait face à d’importantes difficultés liées au fonctionnement de ses institutions démocratiques et de l’État de droit qui, si elles ne sont pas surmontées, pourraient peser sur la consolidation démocratique du pays. L’Assemblée se félicite des efforts des autorités maltaises à ce sujet, mais d’autres réformes, concernant en particulier le système institutionnel d’équilibre des pouvoirs et la lutte contre la corruption, demeurent nécessaires. Elle invite sa commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) à continuer d’observer l’évolution de la situation dans le pays et à lui rendre compte si l’évolution le justifie.