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Personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d'asile disparues – Un appel à clarifier leur sort

Résolution 2569 (2024)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 1er octobre 2024 (27e séance) (voir Doc. 16037, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur: M. Julian Pahlke). Texte adopté par l’Assemblée le 1er octobre 2024 (27e séance).Voir également la Recommandation 2284 (2024).
1. Le phénomène des disparitions de personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile est une tragédie largement sous-estimée et négligée en tant que question relevant des droits humains, et à laquelle il s’agit d’apporter des réponses politiques en Europe et dans le monde entier, conformément à l’objectif no 8 approuvé par les États parties au Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
2. L’Assemblée parlementaire est convaincue que des initiatives concertées au niveau des politiques publiques sont nécessaires pour soutenir et intensifier les efforts déjà en place, dans le cadre d’une vision et d’un plan structurés, dotés de ressources appropriées, et ancrés dans le respect des droits humains internationaux et du droit humanitaire international.
3. L’Assemblée approuve pleinement les recommandations formulées dans l’«Observation générale no 1 (2023) sur les disparitions forcées dans le contexte des migrations» (CED/C/GC/1) par le Comité des disparitions forcées des Nations Unies, et dans le rapport intitulé «Mort illégale de réfugiés et de migrants» (A/72/335) établi par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Elle approuve également les recommandations figurant dans le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires intitulé «Protection des morts» (A/HRC/56/56), y compris la nécessité d’élaborer des principes directeurs universellement applicables, fondés sur les droits humains, en vue d’une protection globale.
4. L’Assemblée considère que la dignité humaine devrait être garantie à toutes les personnes, dans la vie comme dans la mort, et que l’obligation légale de traiter les défunts avec dignité devrait s’étendre aux situations où le droit international humanitaire n’est pas applicable.
5. L’Assemblée rappelle que, en application de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), les États membres ont un devoir de prévenir les violations du droit à la vie et d’enquêter sur tous les cas de mort non naturelle ou d'homicides illégaux; c’est sur cette base qu’ils doivent définir la manière dont ils traitent la question des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile disparues.
6. L’Assemblée exprime sa sympathie et sa solidarité avec les familles des personnes disparues et reconnaît que leur quête d’informations est légitime. Elle estime que les adultes ont le droit de choisir de ne pas divulguer à leur famille le lieu où ils ou elles se trouvent, mais qu’il est important également pour les familles de savoir si leurs proches sont morts ou vivants.
7. L’Assemblée considère que toute initiative menée par les autorités de l’État pour signaler, rechercher ou identifier une personne ne devrait jamais entraîner le contrôle administratif ou l’incrimination de cette personne ou de toute personne lui apportant un soutien en raison de sa situation irrégulière.
8. En matière de prévention, un accès effectif à des voies de migration sûres et légales, y compris pour le regroupement familial et la réunification familiale, doit être une priorité, de même que la fourniture d’une assistance humanitaire le long des voies de migration, quel que soit le statut administratif de la personne en situation de déplacement qui a besoin d’aide.
9. Les États membres doivent mener les opérations de recherche et de sauvetage en mer et sur terre conformément au droit international, dans le plein respect de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme. Les refoulements sont des pratiques illégales qui peuvent également conduire à des disparitions et qui doivent cesser immédiatement.
10. Rappelant l’importance de respecter pleinement la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STE no 197) et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STE no 210), l’Assemblée souligne la nécessité de protéger les personnes vulnérables en situation de déplacement qui sont ou risquent d’être victimes de la traite, victimes de la torture, victimes de disparitions forcées ou victimes de violences fondées sur le genre et de violences domestiques, et de réduire ainsi le risque qu’elles disparaissent. Toute personne privée de liberté devrait être enregistrée et pouvoir communiquer avec le monde extérieur conformément aux normes du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). La rétention administrative des personnes migrantes ne devrait être qu’une mesure de dernier recours, pour une durée la plus courte possible, décidée dans l’attente de l’exécution d’une procédure de retour lorsqu’une privation de liberté est nécessaire et confirmée via un contrôle judiciaire approprié. Les personnes réfugiées ne devraient pas être incriminées pour avoir franchi une frontière sans autorisation, conformément à l’article 31 de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies. L’Assemblée invite les organes compétents du Conseil de l’Europe, notamment le CPT, le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), à accorder une attention particulière à l’impact que les politiques de gestion des frontières peuvent exercer sur leurs domaines d’expertise en ce qui concerne les personnes migrantes disparues.
11. Conformément à la Recommandation CM/Rec(2019)4 du Comité des Ministres aux États membres sur l’aide aux jeunes réfugiés en transition vers l’âge adulte et à la Recommandation CM/Rec(2019)11 du Comité des Ministres aux États membres sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration, l’Assemblée souligne la nécessité d’enregistrer systématiquement les enfants non accompagnés, de déployer des activités de recherche diligentes lorsqu’ils sont portés disparus, et de les orienter en toute sécurité et en tenant compte de leurs besoins vers un hébergement approprié, des établissements d’enseignement et, le cas échéant, vers un regroupement familial.
12. En ce qui concerne les mécanismes de signalement et de recherche, l’Assemblée tient à souligner l’importance de veiller à ce que les processus de signalement et de recherche échappent à toute considération portant sur le statut administratif ou sur le casier judiciaire de la personne recherchée.
13. En cas de catastrophe touchant un grand nombre de personnes, des équipes d’identification des victimes de catastrophes devraient être déployées pour faciliter un mécanisme transfrontalier standardisé d’identification des victimes. L’Assemblée recommande aux États membres de recenser les domaines dans lesquels des ressources peuvent être mutualisées et partagées pour traiter les aspects les plus essentiels d’une telle coopération transfrontalière. L’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) peut apporter son soutien dans cette entreprise.
14. L’Assemblée met en garde contre les risques que pourrait poser la centralisation des données à caractère personnel et rappelle qu’il est important d’obtenir le consentement éclairé des personnes concernées dans la gestion de leurs informations à caractère personnel et de choisir une base juridique appropriée pour la gestion de ces informations. Toute convergence d’informations de ce type ne devrait être effectuée que si les entités indépendantes chargées de la protection des données dans les États membres, et qui participent à ce regroupement de données, peuvent garantir un contrôle externe.
15. En ce qui concerne l’identification et le traitement des corps des personnes décédées, l’Assemblée souligne qu’il est absolument nécessaire d’allouer des ressources supplémentaires aux services de médecine légale et aux médecins légistes, et notamment qu’il est important de pouvoir disposer d’un espace suffisant dans les morgues en attendant l’autopsie, l’identification, l’inhumation ou le rapatriement.
16. L’Assemblée recommande aux procureurs d’autoriser systématiquement l’ouverture d’une enquête et l’autopsie des corps non identifiés afin de recueillir autant d’informations que possible dans le court laps de temps disponible, notamment les éléments d’identification secondaires, conformément aux normes internationales en matière de description et de conservation des données. Les données devraient être conservées dans un lieu de stockage dédié auquel les autorités policières peuvent accéder.
17. Dans le cas de décès potentiellement illégaux, l’Assemblée encourage les États membres à utiliser les normes internationales disponibles pour mener des enquêtes fiables, en particulier le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux (2016) – Version révisée du Manuel des Nations Unies sur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et les moyens d’enquête sur ces exécutions.
18. Les États membres devraient harmoniser leur législation avec les normes juridiques permettant de décrire précisément les personnes décédées, comme le prévoit la Recommandation n° R (99) 3 du Comité des Ministres relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médico-légale, et permettre le transfert de données biométriques dans le cadre de la recherche et de l’identification en pleine conformité avec la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe (STE no 108), telle qu’amendée par le Protocole STCE no 223 («Convention 108+»). Elle invite les États membres à faciliter l’échange de connaissances et de ressources médico-légales afin de permettre une forme d’identification dans les délais extrêmement courts induits pour mener de telles procédures.
19. L’Assemblée reconnaît qu’INTERPOL peut jouer un rôle de facilitateur dans ce processus d’harmonisation. Elle souligne l’importance cruciale de veiller à ce qu’un contrôle externe soit assuré par des organismes chargés de la protection des données dans chaque pays qui envisage de mettre en place ce type d’harmonisation et de traitement des données à caractère personnel.
20. En ce qui concerne la possibilité de centraliser les données post mortem et ante mortem, les normes les plus élevées de protection des données devraient être respectées lors de la coordination des ensembles de données déjà disponibles mais de manière fragmentée, conformément à la Convention 108+ et au Protocole du Minnesota. Une distinction claire devrait être établie entre les données destinées aux recherches humanitaires et celles utilisées à d’autres fins.
21. L’Assemblée encourage les pays qui ne l’ont pas encore fait à ratifier la Convention 108+ et à utiliser cet instrument dans le contexte des personnes migrantes disparues ou décédées, conformément au paragraphe 30 de son rapport explicatif. Elle attire l’attention sur des instruments du Conseil de l’Europe tels que les Clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel de responsable de traitement à responsable de traitement et les Clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel de responsable de traitement à sous-traitant pour transférer des données à caractère personnel vers des pays qui ne sont pas parties à la Convention 108+ et dont la législation en matière de protection des données est inexistante ou n’assure pas un niveau de protection approprié.
22. L’Assemblée appelle les autorités nationales et régionales qui ont des responsabilités dans le domaine de la protection des données, des droits humains et des questions de migration à intensifier leurs échanges afin d’améliorer leur coordination, entre elles et avec les organisations internationales et des Nations Unies qui partagent une expertise reconnue en matière de compilation, d’échange et/ou de comparaison d’informations pertinentes. Ces organisations devraient inclure la Commission internationale des personnes disparues (CIPD), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), INTERPOL, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des migrants, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, les experts du Comité des disparitions forcées des Nations Unies et le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Dans la mesure du possible, les débats sur ces questions doivent donner la possibilité de s’exprimer aux personnes migrantes, aux familles des personnes disparues ou décédées et à la société civile.
23. L’Assemblée souhaiterait que le Conseil de l’Europe se voie attribuer un rôle significatif dans l’établissement de conditions de protection des données favorables à la mise en place de plateformes et de processus normalisés permettant le rapprochement des données provenant de collecteurs et de détenteurs de données agréés. L’Organisation pourrait également assurer leur interopérabilité. Ces activités peuvent aussi conduire à la création d’une base de données.
24. L’Assemblée appelle à une coopération régionale entre les procureurs de toute l’Europe sur la meilleure façon d’identifier et de partager les données sur les personnes migrantes disparues et les corps non identifiés.
25. Dans le cadre des actions susmentionnées, l’Assemblée recommande aux États membres:
25.1 d’adopter une définition commune en s’inspirant de la définition standard du CICR sur les personnes disparues et qui s’applique également, selon le CICR, dans le contexte de la migration selon laquelle une personne portée disparue est «une personne dont la famille est sans nouvelles et/ou qui, selon des informations fiables, a disparu par suite d’un conflit armé (international ou non international) ou d’une autre situation de violence, ou de toute autre situation (notamment une catastrophe ou une migration) pouvant requérir l’intervention d’une institution neutre et indépendante»;
25.2 de faciliter la délivrance de documents pertinents à la famille de la personne disparue (par exemple un certificat d’absence), lui permettant d’accéder à divers droits ou à des procédures de regroupement ou de réunification;
25.3 de collaborer avec le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et de contribuer à la coordination des procédures d’identification des victimes de catastrophes et à l’échange d’informations sur les bases de données d’INTERPOL consacrées à la recherche et à l’identification des personnes disparues;
25.4 de désigner des correspondants nationaux pour les personnes migrantes disparues, qui serviront de point de contact désigné pour les demandes d’autres autorités nationales ou de leurs représentants dans le cadre des activités de coordination transnationale; les États membres qui ont déjà désigné des correspondants nationaux pour les personnes migrantes disparues peuvent partager leur expérience dans le cadre du réseau de correspondants sur les migrations coordonné par le Représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés;
25.5 d’accélérer le traitement des demandes de visa de courte durée déposées par les familles des personnes migrantes disparues, réfugiées et demandeuses d’asile, afin de faciliter les processus d’identification et d’apporter un soutien aux familles durant les procédures engagées, y compris les rapatriements;
25.6 de revoir leur législation afin d’améliorer et d’harmoniser les processus nationaux d’enregistrement et de gestion des cas de personnes migrantes disparues et de restes humains non identifiés, notamment en ce qui concerne les lacunes du cadre médico-légal et la question du partage des données européennes et internationales conformément aux normes et standards internationaux en matière de protection des données;
25.7 de veiller à ce que les tombes soient individualisées, clairement identifiables et marquées de manière permanente, nominalement ou numériquement, avec des codes uniques, et enregistrées, et de s’assurer que tout est fait pour respecter les croyances religieuses et spirituelles des personnes décédées lorsqu’elles sont connues, conformément au droit à la liberté de religion et de conviction protégé par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme;
25.8 de ratifier et de mettre en œuvre la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.