C Exposé des motifs de Mme Err, rapporteuse
1. L’Assemblée parlementaire est très attachée au principe
de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle estime qu’une
société ne peut être véritablement démocratique et ne peut exprimer
tout son potentiel que si les femmes et les hommes sont représentés
de manière appropriée dans les organes de décision, y compris judiciaires.
Dans les instances judiciaires internationales, les femmes sont
traditionnellement sous-représentées, ce qui risque de remettre
en cause la légitimité et l’autorité de ces instances.
2. Même s’il existe encore actuellement, le déséquilibre entre
les femmes et les hommes à la Cour européenne des droits de l'homme
tend à diminuer (au 1er décembre 2008,
15 des 45 juges (soit 33 %) étaient des femmes, contre 11 sur 44
(25 %) au 1er mars 2005). Depuis que
l’Assemblée parlementaire a imposé, en 2004, la présence d’au moins
une personne du sexe sous-représenté sur la liste des candidats
à un poste de juge à la Cour
Note, la proportion
de femmes sur les listes de candidats a considérablement augmenté,
et, avec elle, la proportion de femmes élues juges à la Cour
Note.
3. Dans beaucoup de pays, la procédure de désignation des candidats
est toutefois loin d’être transparente. Il est donc très difficile
de déterminer si les femmes sont victimes d’une discrimination au
cours de la sélection opérée au niveau national.
1 Appel public à candidatures au niveau national
4. Même l’élément fondamental d’une procédure de sélection
équitable et transparente, à savoir l’appel public à candidatures,
n’est pas prévu dans tous les Etats membres. Les juristes (et notamment
les magistrats) ont une réputation de conservatisme dans de nombreux
pays. Dans ces pays, il a fallu des années pour que les femmes accèdent
aux fonctions les plus élevées du système judiciaire ; dans certains
pays, elles n’y sont d’ailleurs pas encore parvenues. En l’absence
d’appel public à candidatures, il se peut donc fort bien qu’aucun nom
de femme juriste ne vienne spontanément à l’esprit des personnes
qui choisissent les candidats.
5. En outre, il est important que l’appel public à candidatures
soit organisé de telle manière que les femmes ne subissent pas de
discrimination. A titre d’exemple, il n’est pas indispensable d’avoir
exercé des fonctions de juge pour devenir juge à la Cour européenne
des droits de l'homme (certains des juges les plus estimés exerçaient
la profession d’avocat ou d’universitaire avant d’être élus à la
Cour). Dans un pays où les femmes magistrats sont peu nombreuses,
il serait donc manifestement discriminatoire d’exiger une telle
expérience dans le cadre de l’appel public à candidatures organisé
au niveau national.
2 La procédure de sélection au niveau national
6. Du point de vue de l’égalité entre les femmes et
les hommes, il importe au plus haut point de savoir qui, au niveau
national, opère la sélection parmi les candidats remplissant les
conditions requises. L’intervention (d’un groupe) d’experts indépendants,
à un stade quelconque de la procédure de sélection, n’est prévue
que dans une minorité de pays. La décision finale appartient généralement
à un ministre ou à un organe gouvernemental (ministère de la Justice,
ministère des Affaires étrangères ou Conseil des ministres, par exemple).
7. Or, dans la plupart des Etats membres, la proportion de femmes
aux postes les plus élevés du ministère de la Justice, du ministère
des Affaires étrangères et du Conseil des ministres laisse encore
beaucoup à désirer. Dans les comités de sélection (y compris les
groupes d’experts indépendants), la représentation des femmes et
des hommes est également rarement équilibrée. En conséquence, dans
les pays n’ayant pas beaucoup progressé en matière d’égalité entre
les femmes et les hommes ces dernières années, les décideurs (de
sexe masculin) font souvent jouer leur réseau de relations pour
sélectionner les candidats et ont donc « des difficultés » à « trouver »
des femmes qualifiées, car elles ne sont pas connues au sein de
leur réseau.
8. Même dans les pays plus avancés en termes d’égalité entre
les femmes et les hommes, les dés peuvent être pipés et les candidates
qualifiées peuvent perdre d’emblée toute chance d’être retenues
si les personnes auxquelles appartient la décision (ou même les
experts indépendants qui les conseillent) sont majoritairement des
hommes. La discrimination à l’encontre des femmes n’est d’ailleurs
pas forcément consciente : de la même manière que des préjugés raciaux
subconscients conduisent à une discrimination à l’encontre des minorités
dans les jurys de recrutement (ce qui a été prouvé par de nombreuses
études), des préjugés sexistes subconscients peuvent conduire à
une discrimination à l’encontre des femmes dans les comités de sélection des
candidats à la Cour. Seule une représentation équilibrée des femmes
et des hommes dans les comités de sélection peut permettre d’éviter
ces préjugés et cette discrimination.
9. Il convient aussi de noter que certains pays ont instauré
des systèmes de quotas au niveau national, y compris pour les juges
de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle. Ainsi, la loi
autrichienne sur l’égalité de traitement dans la fonction publique
Note prévoit que, à égalité
de mérite, la préférence sera donnée à la femme, mais aussi que
des mesures de discrimination positive doivent être prises au moyen
de quotas. En conséquence, le ministère fédéral de la Justice a
élaboré une réglementation spéciale sur la promotion des femmes
dans la magistrature, qui couvre la période allant jusqu’au 1er janvier 2010
Note. Selon cette réglementation,
qui vise à améliorer la représentation des femmes dans toutes les
fonctions judiciaires, les femmes sont considérées comme « sous-représentées »
dans un secteur de la magistrature si leur proportion y est inférieure
à 40 %. Dans ce cas, ce secteur est soumis à certaines exigences,
définies chaque fois pour 2 ans, le but étant d’atteindre progressivement
la proportion de 40 %. Cette réglementation s’applique aussi à la
Cour suprême.
10. Cette réglementation contraignante, qui impose un quota au
niveau des personnes qui obtiennent les postes (alors que le quota
instauré par l’Assemblée en 2004 s’applique uniquement aux candidatures)
a aussi eu un effet sur la représentation des femmes à la Cour constitutionnelle
autrichienne, qui n’est pourtant pas soumise à cette réglementation :
celle-ci a en effet créé un environnement dans lequel de plus en
plus de femmes accèdent aux fonctions les plus élevées du système
judiciaire national (nominations qui ont une dimension politique).
En Belgique, les deux sexes doivent être représentés à la Cour constitutionnelle
Note,
ce qui constitue donc aussi un quota au niveau des nominations aux
postes. D’autres pays imposent des règles plus générales en matière
d’équilibre entre les femmes et les hommes (la Bosnie-Herzégovine
Note et
la Lettonie
Note, par exemple) ou prévoient
l’obligation légale de prendre en compte la nécessité d’encourager
la diversité parmi les personnes pouvant être choisies pour accéder
à des fonctions judiciaires (Royaume-Uni).
11. D’autres pays voudront peut-être suivre l’exemple de l’Autriche
et de la Belgique. Pourquoi ne pas fixer un quota s’appliquant à
l’issue de la procédure nationale (pour les candidatures à la Cour
européenne des droits de l'homme), selon lequel au moins deux des
trois candidats proposés à l’Assemblée doivent être des femmes,
au niveau national, jusqu’à ce que les femmes cessent d’être sous-représentées
à la Cour européenne des droits de l'homme ?
3 Procédure devant l’Assemblée parlementaire
12. Il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes parmi
les membres de la sous-commission sur l’élection des juges (et de
la commission dont elle relève, la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme
Note). Etant donné que seuls des comités
de sélection caractérisés par une représentation équilibrée des femmes
et des hommes permettent d’éviter les préjugés sexistes (souvent
subconscients) et la discrimination, il serait souhaitable que les
groupes politiques (qui désignent les membres de la sous-commission)
présentent davantage de candidatures féminines lorsque des sièges
sont à pourvoir à la sous-commission.
13. Le « collège électoral » étant l’Assemblée parlementaire,
il serait, bien entendu, également souhaitable que davantage de
femmes parlementaires soient choisies au niveau national pour siéger
à l’Assemblée. Cela aurait aussi des effets positifs dans d’autres
domaines du travail de l’Assemblée.
4 Juges ad hoc
14. Un juge
ad hoc remplace
le juge élu au titre d’un Etat partie en cas de conflit d’intérêts
empêchant le juge en exercice de statuer sur une affaire introduite
devant la Cour européenne des droits de l'homme, par exemple
Note. Les juges
ad
hoc sont désignés directement par les Etats membres en
vertu de l’article 27 de la Convention européenne des droits de
l'homme, sans aucune intervention de l’Assemblée, « ce qui pose
des problèmes sur le plan de la légitimité et de l’indépendance »,
comme le note fort justement le rapporteur de la commission des
questions juridiques et des droits de l'homme
Note.
15. Les chiffres concernant les juges
ad
hoc pour 2007 et 2008 montrent clairement que la désignation
de ces juges directement par les Etats membres soulève aussi des
questions d’égalité entre les femmes et les hommes, puisque seuls
8 des 27 (30 %) juges
ad hoc désignés
en 2008 étaient des femmes (alors qu’en 2007, 15 des 27 (56 %) juges
ad hoc désignés étaient des femmes).
Note
16. Bien entendu, il serait souhaitable que davantage de femmes
soient désignées comme juges
ad hoc, mais
l’idéal serait de réduire le nombre de juges
ad
hoc (en faisant appel à un juge élu au titre d’un autre
Etat membre, par exemple, comme le suggère le rapporteur de la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme
Note)
ou d’instaurer une nouvelle procédure, qui donnerait à l’Assemblée
plus d’influence sur le choix des juges
ad
hoc.
5 Conclusion et recommandations
17. En conclusion, pour garantir une représentation plus
équilibrée des femmes et des hommes à la Cour européenne des droits
de l'homme et éviter que les femmes ne soient victimes de discrimination
lors de la désignation des candidats à un poste de juge à la Cour,
je recommanderais aux Etats membres :
i d’organiser des procédures de sélection équitables et
transparentes, qui comprennent des appels publics à candidatures ;
ii de veiller à ce que, dans les organes ou les groupes chargés
de la sélection (et dans ceux qui ont un rôle consultatif), la représentation
des femmes et des hommes soit aussi équilibrée que possible ;
iii d’envisager d’instaurer un quota s’appliquant à l’issue
de la procédure nationale, selon lequel au moins deux des trois
candidats proposés à l’Assemblée doivent être des femmes, jusqu’à
ce que les femmes cessent d’être sous-représentées à la Cour européenne
des droits de l'homme ;
iv de désigner davantage de femmes parlementaires pour siéger
à l’Assemblée parlementaire.
18. Pour la même raison, les groupes politiques devraient présenter
davantage de candidatures féminines pour pourvoir les sièges de
la sous-commission sur l’élection des juges (qui relève de la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme).
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Commission saisie du rapport:
commission des questions juridiques et des droits de l’homme
Commission saisie pour avis :
commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes
Renvoi en commission : Doc. 11028 et 11029, renvoi n° 3279 du 6 octobre 2006
Avis adopté par la commission le 26 janvier 2009.
Secrétariat de la commission: Mme Kleinsorge,
Mme Affholder, Mme Devaux.