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Nomination des candidats et élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme

Avis de commission | Doc. 11798 | 26 janvier 2009

Commission
(Ancienne) Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes
Rapporteure :
Mme Lydie ERR, Luxembourg, SOC
Origine
Voir Doc. 11767 présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme. 2009 - Première partie de session
Thesaurus

A Conclusions de la commission

La commission souligne l’importance qu’elle attache à une représentation équilibrée des femmes et des hommes à la Cour européenne des droits de l'homme et au caractère équitable et transparent des procédures de sélection et de nomination des candidats à la fonction de juge à la Cour.

La commission approuve le projet de résolution présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme. Elle propose trois amendements pour que la dimension de l’égalité entre les femmes et les hommes soit davantage prise en compte dans le texte.

B Amendements proposés

Amendement A (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 1, ajouter les mots suivants :

« , y compris une représentation équilibrée des femmes et des hommes parmi ses juges ».

Amendement B (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 5, ajouter la phrase suivante :

« En outre, elle invite les gouvernements des Etats membres à veiller à ce que la parité entre les femmes et les hommes soit aussi respectée autant que possible dans les organes ou les groupes eux-mêmes chargés de la sélection (et dans ceux qui ont un rôle consultatif dans le processus). »

Amendement C (au projet de résolution)

Après le paragraphe 5, ajouter le nouveau paragraphe suivant :

« L’Assemblée demande instamment à ses groupes politiques de s’efforcer de garantir une représentation équilibrée des femmes et des hommes à la sous-commission sur l’élection des juges de l’Assemblée. »

C Exposé des motifs de Mme Err, rapporteuse

1. L’Assemblée parlementaire est très attachée au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle estime qu’une société ne peut être véritablement démocratique et ne peut exprimer tout son potentiel que si les femmes et les hommes sont représentés de manière appropriée dans les organes de décision, y compris judiciaires. Dans les instances judiciaires internationales, les femmes sont traditionnellement sous-représentées, ce qui risque de remettre en cause la légitimité et l’autorité de ces instances.
2. Même s’il existe encore actuellement, le déséquilibre entre les femmes et les hommes à la Cour européenne des droits de l'homme tend à diminuer (au 1er décembre 2008, 15 des 45 juges (soit 33 %) étaient des femmes, contre 11 sur 44 (25 %) au 1er mars 2005). Depuis que l’Assemblée parlementaire a imposé, en 2004, la présence d’au moins une personne du sexe sous-représenté sur la liste des candidats à un poste de juge à la CourNote, la proportion de femmes sur les listes de candidats a considérablement augmenté, et, avec elle, la proportion de femmes élues juges à la CourNote.
3. Dans beaucoup de pays, la procédure de désignation des candidats est toutefois loin d’être transparente. Il est donc très difficile de déterminer si les femmes sont victimes d’une discrimination au cours de la sélection opérée au niveau national.

1 Appel public à candidatures au niveau national

4. Même l’élément fondamental d’une procédure de sélection équitable et transparente, à savoir l’appel public à candidatures, n’est pas prévu dans tous les Etats membres. Les juristes (et notamment les magistrats) ont une réputation de conservatisme dans de nombreux pays. Dans ces pays, il a fallu des années pour que les femmes accèdent aux fonctions les plus élevées du système judiciaire ; dans certains pays, elles n’y sont d’ailleurs pas encore parvenues. En l’absence d’appel public à candidatures, il se peut donc fort bien qu’aucun nom de femme juriste ne vienne spontanément à l’esprit des personnes qui choisissent les candidats.
5. En outre, il est important que l’appel public à candidatures soit organisé de telle manière que les femmes ne subissent pas de discrimination. A titre d’exemple, il n’est pas indispensable d’avoir exercé des fonctions de juge pour devenir juge à la Cour européenne des droits de l'homme (certains des juges les plus estimés exerçaient la profession d’avocat ou d’universitaire avant d’être élus à la Cour). Dans un pays où les femmes magistrats sont peu nombreuses, il serait donc manifestement discriminatoire d’exiger une telle expérience dans le cadre de l’appel public à candidatures organisé au niveau national.

2 La procédure de sélection au niveau national

6. Du point de vue de l’égalité entre les femmes et les hommes, il importe au plus haut point de savoir qui, au niveau national, opère la sélection parmi les candidats remplissant les conditions requises. L’intervention (d’un groupe) d’experts indépendants, à un stade quelconque de la procédure de sélection, n’est prévue que dans une minorité de pays. La décision finale appartient généralement à un ministre ou à un organe gouvernemental (ministère de la Justice, ministère des Affaires étrangères ou Conseil des ministres, par exemple).
7. Or, dans la plupart des Etats membres, la proportion de femmes aux postes les plus élevés du ministère de la Justice, du ministère des Affaires étrangères et du Conseil des ministres laisse encore beaucoup à désirer. Dans les comités de sélection (y compris les groupes d’experts indépendants), la représentation des femmes et des hommes est également rarement équilibrée. En conséquence, dans les pays n’ayant pas beaucoup progressé en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ces dernières années, les décideurs (de sexe masculin) font souvent jouer leur réseau de relations pour sélectionner les candidats et ont donc « des difficultés » à « trouver » des femmes qualifiées, car elles ne sont pas connues au sein de leur réseau.
8. Même dans les pays plus avancés en termes d’égalité entre les femmes et les hommes, les dés peuvent être pipés et les candidates qualifiées peuvent perdre d’emblée toute chance d’être retenues si les personnes auxquelles appartient la décision (ou même les experts indépendants qui les conseillent) sont majoritairement des hommes. La discrimination à l’encontre des femmes n’est d’ailleurs pas forcément consciente : de la même manière que des préjugés raciaux subconscients conduisent à une discrimination à l’encontre des minorités dans les jurys de recrutement (ce qui a été prouvé par de nombreuses études), des préjugés sexistes subconscients peuvent conduire à une discrimination à l’encontre des femmes dans les comités de sélection des candidats à la Cour. Seule une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les comités de sélection peut permettre d’éviter ces préjugés et cette discrimination.
9. Il convient aussi de noter que certains pays ont instauré des systèmes de quotas au niveau national, y compris pour les juges de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle. Ainsi, la loi autrichienne sur l’égalité de traitement dans la fonction publiqueNote prévoit que, à égalité de mérite, la préférence sera donnée à la femme, mais aussi que des mesures de discrimination positive doivent être prises au moyen de quotas. En conséquence, le ministère fédéral de la Justice a élaboré une réglementation spéciale sur la promotion des femmes dans la magistrature, qui couvre la période allant jusqu’au 1er janvier 2010Note. Selon cette réglementation, qui vise à améliorer la représentation des femmes dans toutes les fonctions judiciaires, les femmes sont considérées comme « sous-représentées » dans un secteur de la magistrature si leur proportion y est inférieure à 40 %. Dans ce cas, ce secteur est soumis à certaines exigences, définies chaque fois pour 2 ans, le but étant d’atteindre progressivement la proportion de 40 %. Cette réglementation s’applique aussi à la Cour suprême.
10. Cette réglementation contraignante, qui impose un quota au niveau des personnes qui obtiennent les postes (alors que le quota instauré par l’Assemblée en 2004 s’applique uniquement aux candidatures) a aussi eu un effet sur la représentation des femmes à la Cour constitutionnelle autrichienne, qui n’est pourtant pas soumise à cette réglementation : celle-ci a en effet créé un environnement dans lequel de plus en plus de femmes accèdent aux fonctions les plus élevées du système judiciaire national (nominations qui ont une dimension politique). En Belgique, les deux sexes doivent être représentés à la Cour constitutionnelleNote, ce qui constitue donc aussi un quota au niveau des nominations aux postes. D’autres pays imposent des règles plus générales en matière d’équilibre entre les femmes et les hommes (la Bosnie-HerzégovineNote et la LettonieNote, par exemple) ou prévoient l’obligation légale de prendre en compte la nécessité d’encourager la diversité parmi les personnes pouvant être choisies pour accéder à des fonctions judiciaires (Royaume-Uni).
11. D’autres pays voudront peut-être suivre l’exemple de l’Autriche et de la Belgique. Pourquoi ne pas fixer un quota s’appliquant à l’issue de la procédure nationale (pour les candidatures à la Cour européenne des droits de l'homme), selon lequel au moins deux des trois candidats proposés à l’Assemblée doivent être des femmes, au niveau national, jusqu’à ce que les femmes cessent d’être sous-représentées à la Cour européenne des droits de l'homme ?

3 Procédure devant l’Assemblée parlementaire

12. Il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes parmi les membres de la sous-commission sur l’élection des juges (et de la commission dont elle relève, la commission des questions juridiques et des droits de l'hommeNote). Etant donné que seuls des comités de sélection caractérisés par une représentation équilibrée des femmes et des hommes permettent d’éviter les préjugés sexistes (souvent subconscients) et la discrimination, il serait souhaitable que les groupes politiques (qui désignent les membres de la sous-commission) présentent davantage de candidatures féminines lorsque des sièges sont à pourvoir à la sous-commission.
13. Le « collège électoral » étant l’Assemblée parlementaire, il serait, bien entendu, également souhaitable que davantage de femmes parlementaires soient choisies au niveau national pour siéger à l’Assemblée. Cela aurait aussi des effets positifs dans d’autres domaines du travail de l’Assemblée.

4 Juges ad hoc

14. Un juge ad hoc remplace le juge élu au titre d’un Etat partie en cas de conflit d’intérêts empêchant le juge en exercice de statuer sur une affaire introduite devant la Cour européenne des droits de l'homme, par exempleNote. Les juges ad hoc sont désignés directement par les Etats membres en vertu de l’article 27 de la Convention européenne des droits de l'homme, sans aucune intervention de l’Assemblée, « ce qui pose des problèmes sur le plan de la légitimité et de l’indépendance », comme le note fort justement le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'hommeNote.
15. Les chiffres concernant les juges ad hoc pour 2007 et 2008 montrent clairement que la désignation de ces juges directement par les Etats membres soulève aussi des questions d’égalité entre les femmes et les hommes, puisque seuls 8 des 27 (30 %) juges ad hoc désignés en 2008 étaient des femmes (alors qu’en 2007, 15 des 27 (56 %) juges ad hoc désignés étaient des femmes).Note
16. Bien entendu, il serait souhaitable que davantage de femmes soient désignées comme juges ad hoc, mais l’idéal serait de réduire le nombre de juges ad hoc (en faisant appel à un juge élu au titre d’un autre Etat membre, par exemple, comme le suggère le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'hommeNote) ou d’instaurer une nouvelle procédure, qui donnerait à l’Assemblée plus d’influence sur le choix des juges ad hoc.

5 Conclusion et recommandations

17. En conclusion, pour garantir une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes à la Cour européenne des droits de l'homme et éviter que les femmes ne soient victimes de discrimination lors de la désignation des candidats à un poste de juge à la Cour, je recommanderais aux Etats membres :
i d’organiser des procédures de sélection équitables et transparentes, qui comprennent des appels publics à candidatures ;
ii de veiller à ce que, dans les organes ou les groupes chargés de la sélection (et dans ceux qui ont un rôle consultatif), la représentation des femmes et des hommes soit aussi équilibrée que possible ;
iii d’envisager d’instaurer un quota s’appliquant à l’issue de la procédure nationale, selon lequel au moins deux des trois candidats proposés à l’Assemblée doivent être des femmes, jusqu’à ce que les femmes cessent d’être sous-représentées à la Cour européenne des droits de l'homme ;
iv de désigner davantage de femmes parlementaires pour siéger à l’Assemblée parlementaire.
18. Pour la même raison, les groupes politiques devraient présenter davantage de candidatures féminines pour pourvoir les sièges de la sous-commission sur l’élection des juges (qui relève de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme).

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Commission saisie du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Commission saisie pour avis : commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Renvoi en commission : Doc. 11028 et 11029, renvoi n° 3279 du 6 octobre 2006 

Avis adopté par la commission le 26 janvier 2009.

Secrétariat de la commission: Mme Kleinsorge, Mme Affholder, Mme Devaux.