B Exposé des motifs
par M. Aleksander Pociej, rapporteur
1 Introduction
1. La proposition de résolution
sur laquelle se fonde le présent rapport relève la nécessité de
prévenir les abus de procédure dans les demandes d’extradition en
Europe: «Il semblerait que certains États membres ont pris des décisions
d’extradition suite à des condamnations résultant de procès soupçonnés
d’être à motivation politique. […] [et que] les médias présentent
de manière alarmante l’application, qui s’accompagnerait d’abus, du
système de mandat d’arrêt européen et des notices rouges d’Interpol
par les gouvernements de certains États membres désireux d’extrader
de prétendus criminels».
2. Dans sa
Résolution
2161 (2017) «Détournement du système d’Interpol: nécessité de garanties
légales plus strictes»
Note, l’Assemblée constate que certains États
détournent le système des notices rouges dans le but de persécuter
leurs opposants politiques à l’étranger et adresse un certain nombre
de recommandations concrètes à la fois aux États membres et à Interpol,
qui visent à améliorer le flux d’informations et à renforcer les
mécanismes de filtrage et de recours à Interpol, afin de garantir
que les demandes abusives soient moins susceptibles de porter atteinte
aux droits des personnes innocentes à l’avenir.
3. Il convient de noter d’emblée que le processus de réforme
d’Interpol, guidé par les travaux antérieurs de l’Assemblée, a en
effet abouti à la mise en place de contrôles plus stricts de la
conformité des demandes de notices rouges. Certains gouvernements
ont réagi en recourant plutôt à la «diffusion d’avis de recherche». Ce
mécanisme permet la publication sélective, via le réseau d’Interpol,
de demandes bilatérales ou multilatérales d’arrestation d’une personne
visée. Bien que la
Résolution
2161 (2017) mentionne uniquement les notices rouges, il est évident
que ces «diffusions» doivent également être soumises à des contrôles
de conformité. J’ai appris que c’était effectivement le cas aujourd’hui,
même si le grand nombre et la nature urgente des diffusions représentent
un véritable défi.
4. Le lien entre l’émission d’une notice rouge (ou la diffusion
d’un avis de recherche) par Interpol et l’arrestation de la personne
visée dans un autre État puis son extradition vers l’État requérant
dépend du droit national et varie considérablement d’un État à l’autre,
même entre les États membres du Conseil de l’Europe. Mais le détournement
des notices rouges et des diffusions d’avis de recherche augmente
indéniablement le risque d’extraditions abusives, raison pour laquelle
la proposition de résolution inclut à juste titre dans son champ
d’application le recours apparemment abusif aux instruments d’Interpol.
5. Le Conseil de l’Europe intervient dans la définition des normes
juridiques qui régissent les demandes d’extradition entre les États
européens. La Convention européenne d’extradition de 1957 (STE no 24)
a été actualisée par quatre protocoles additionnels ouverts à signature
en 1975, 1978, 2010 et 2012 (STCE no 086, 098,
209 et 212), et a obtenu un grand nombre de ratifications (50, dont
l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe, Israël, l’Afrique
du Sud et la Corée du Sud). L’Union européenne a néanmoins adopté
sa propre convention, à savoir la Convention du 27 septembre 1996
relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne,
en grande partie remplacée depuis le 1er janvier
2004 par la Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au
mandat d’arrêt européen (MAE), qui prévoit des procédures de remise simplifiées
entre États membres de l’Union européenne. Comme l’indique la proposition
de résolution sur laquelle se fonde le présent rapport, le système
de MAE a également donné lieu à des allégations d’abus.
6. Il ressort de la Convention européenne d’extradition, de ses
protocoles additionnels et des procédures des organes intergouvernementaux
compétents (en particulier le Comité des Ministres et le Comité
d’experts sur le fonctionnement des conventions européennes sur
la coopération dans le domaine pénal, PC-OC) que l’objectif principal
poursuivi par les Parties à la convention était et demeure de faciliter
autant que possible l’extradition, afin de prévenir l’impunité des
criminels qui s’enfuient à l’étranger. L’Assemblée a par ailleurs reconnu
à maintes reprises la lutte contre l’impunité comme un objectif
politique important de la coopération internationale dans le domaine
pénal
Note.
7. Mais comme le montrent les violations constatées par la Cour
européenne des droits de l’homme dans de nombreuses affaires d’extradition,
il convient de trouver un juste équilibre entre l’intérêt légitime
de la prévention de l’impunité des auteurs de graves infractions,
qui constituent généralement elles-mêmes des violations des droits
de l’homme, et les droits de la personne visée par une demande d’extradition,
qui ne doit pas courir de risque grave de faire l’objet d’un déni
de justice flagrant, de peines cruelles ou inhumaines et/ou de traitement
discriminatoire pour des motifs politiques, raciaux, ethniques ou
religieux. Comme l’a fait remarquer le juge Johannes Silvis de la
Cour européenne des droits de l’homme, «l’expérience montre par conséquent
amplement que l’interface entre les droits de l’homme et l’extradition
est un lieu de "tension" entre les fonctions de protection et de
coopération de cette forme d’aide judiciaire internationale»
Note. Il ne faut pas non plus oublier
que certains criminels ont les moyens d’engager des avocats de haut
vol qui usent et parfois abusent du système de la Convention en
contestant systématiquement les demandes d’extradition pour échapper
à la justice.
8. En théorie, il n’y a pas de conflit entre la lutte contre
l’impunité et la protection des droits des personnes visées par
les demandes d’extradition: la lutte contre l’impunité ne nécessite
ni la punition d’innocents, ni le recours à des procédures discriminatoires
manifestement iniques, encore moins le recours à des peines cruelles
et inhumaines, comme la peine de mort – bien au contraire: l’Assemblée
a constaté à de nombreuses occasions que ces violations portaient
atteinte à la lutte contre l’impunité, au lieu de la promouvoir.
9. Mais en pratique, tout dépend des faits de chaque affaire.
Il est souvent difficile pour les autorités compétentes qui se prononcent
sur les extraditions de comprendre parfaitement le contexte de chaque demande,
ses véritables motivations et le risque réel de procédure manifestement
inique. La coopération internationale en matière pénale repose en
général sur un minimum de confiance entre les acteurs des différents
États. La confiance s’établit lentement, au fil du temps et non
sans difficultés entre des collègues qui apprennent à se connaître
et à se respecter mutuellement grâce à leur professionnalisme et
à leur intégrité, pour finalement construire des succès ensemble.
Mais la confiance se perd rapidement et facilement, surtout en cas
de détournement des mécanismes de coopération internationale à des
fins politiques ou de corruption. Et cela s’applique bien entendu
également au contexte de l’extradition.
10. J’aimerais rappeler dans le présent rapport les normes en
vigueur du Conseil de l’Europe qui régissent l’extradition et expliquer
les aspects relatifs aux droits de l’homme du mandat d’arrêt européen,
qui est applicable aux États membres de l’Union européenne. Enfin,
et surtout, je souhaite évaluer brièvement les réformes menées à
ce jour par Interpol pour mettre fin à l’utilisation abusive des
procédures de notices rouges et de diffusions, à la lumière des
propositions formulées par l’Assemblée dans sa
Résolution
2161 (2017).
2 Les normes en vigueur du Conseil de
l’Europe qui régissent l’extradition
11. Les normes du Conseil de l’Europe
qui régissent l’extradition figurent dans la convention de 1957
et ses protocoles additionnels, dans les résolutions et recommandations
du Comité des Ministres sur ce sujet et dans la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme.
2.1 La
Convention européenne d’extradition de 1957
12. La Convention européenne d’extradition
de 1957 pose pour principe que les Parties contractantes sont tenues
d’extrader réciproquement les suspects, sous réserve que certaines
conditions soient réunies (article 1). L’article 3 précise dans
les termes suivants que l’extradition n’est pas accordée pour les
«infractions politiques»:
«L’extradition
ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle elle est demandée
est considérée par la Partie requise comme une infraction politique
ou comme un fait connexe à une telle infraction.
La même règle s’appliquera si la Partie requise a des
raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition motivée
par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre
ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion,
de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cet
individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons.
Pour l’application de la présente Convention, l’attentat
à la vie d’un chef d’État ou d’un membre de sa famille ne sera pas
considéré comme une infraction politique».
13. Selon le Rapport explicatif,
l’article 3 autorise la Partie requise à apprécier si l’infraction
est politique ou non; cela vaut également pour les «raisons sérieuses
de croire» qu’une demande a été faite à des fins discriminatoires.
14. Les extraditions pour infraction militaire et pour infraction
fiscale sont, respectivement, exclues et soumises à restriction
(articles 4 et 5).
15. Pour ce qui est des infractions terroristes, l’article 3 de
la convention de 1957 est modifié entre les Parties contractantes
par l’article 20 de la Convention du Conseil de l’Europe pour la
prévention du terrorisme (STCE no 196).
Cette dernière énonce le principe général «extrader ou poursuivre»,
qui oblige la Partie sur le territoire de laquelle l’auteur présumé
de l’infraction est présent, soit à extrader cette personne, soit,
«sans aucune exception, que l’infraction ait été ou non commise
sur son territoire», à soumettre l’affaire sans retard excessif
à ses autorités compétentes à des fins de poursuites. L’article 20
apporte un important correctif à l’article 3 de la Convention d’extradition
de 1957, en précisant qu’aucune des infractions terroristes mentionnées
dans cette convention ne sera considérée, pour les besoins de l’extradition
ou de l’entraide judiciaire, «comme une infraction politique ou
comme une infraction connexe à une infraction politique, ou comme
une infraction inspirée par des mobiles politiques».
16. Le correctif de l’article 3 de la Convention d’extradition
par l’article 20 de la Convention pour la prévention du terrorisme
est à son tour corrigé par l’article 21 de cette dernière convention,
qui porte sur la «Clause de discrimination». En vertu de l’article 21
(1),
«aucune disposition de la
présente Convention ne doit être interprétée comme impliquant une
obligation d’extrader […] si la Partie requise a des raisons sérieuses
de croire que la demande d’extradition […] a été présentée aux fins
de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de
race, de religion, de nationalité, d’origine ethnique ou d’opinions
politiques, ou que la situation de cette personne risque d’être
aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons».
17. En outre, l’article 21 (2) et (3) prévoit que «aucune disposition
de la présente Convention ne doit être interprétée comme impliquant
une obligation d’extrader si la personne faisant l’objet de la demande d’extradition
risque d’être exposée à la torture ou à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants», ou à la peine de mort ou à une peine d’emprisonnement
à perpétuité sans possibilité de remise de peine (lorsque la législation
de la Partie requise ne permet pas la peine d’emprisonnement à perpétuité),
sauf si la Partie requise a l’obligation, en vertu des traités d’extradition
applicables, d’extrader dès lors que la Partie requérante donne
des assurances jugées suffisantes que l’intéressé ne sera pas soumis
à cette peine. La peine capitale est déjà reconnue comme un motif
de refus d’extradition par la convention de 1957 (article 11).
18. En résumé, les Parties aux conventions pertinentes du Conseil
de l’Europe sont en principe tenues d’extrader réciproquement les
suspects ou les personnes recherchées pour l’exécution d’une peine
ou d’une mesure de sûreté privative de liberté (ou, en cas d’infraction
terroriste, d’extrader ou de poursuivre elles-mêmes), sauf s’il
s’agit de leurs propres ressortissants. Ce principe ne vaut pas
pour les infractions «politiques», mais les infractions terroristes
ne sont pas considérées comme «politiques». Néanmoins, l’extradition
n’est pas exigée lorsque la demande est faite pour des motifs discriminatoires
ou lorsque la personne qui en fait l’objet risque de subir la peine
de mort ou une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité
de remise de peine.
19. La Convention européenne d’extradition de 1957 a été mise
à jour et précisée par quatre protocoles additionnels en 1975, 1978,
2010 et 2012. Les trois derniers protocoles additionnels portent
sur des questions techniques qui ne sont pas particulièrement préoccupantes
pour les risques d’abus. Le premier Protocole limite encore la portée
des «infractions politiques» pour lesquelles l’extradition peut
être refusée. Outre l’attentat à la vie d’un chef d’État, le premier
Protocole exclut les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité
du champ d’application des «infractions politiques» et maintient
donc l’obligation d’extrader pour ces crimes. En outre, le premier
Protocole complète les dispositions de la convention relatives au
principe «ne bis in idem»,
à savoir l’article 9, en élargissant le nombre de cas dans lesquels
l’extradition d’une personne est interdite lorsque cette personne
a déjà été jugée pour l’infraction au titre de laquelle la demande
d’extradition est présentée. Le Deuxième Protocole est conçu pour
faciliter l’application de la convention sur plusieurs points et dans
plusieurs buts, en particulier pour inclure les infractions fiscales
dans la catégorie des infractions pour lesquelles une personne peut
être extradée au titre de la convention. Ce Protocole contient par
ailleurs des dispositions supplémentaires sur les jugements par
défaut et sur l’amnistie. Le Troisième Protocole complète la convention
en vue de simplifier et d’accélérer la procédure d’extradition lorsque
l’individu recherché consent à l’extradition. Enfin, le Quatrième
Protocole concerne spécifiquement les questions de prescription,
les requêtes et pièces à l’appui, la règle de la spécialité, le
transit, la réextradition vers un État tiers et les voies et moyens
de communication.
20. La surveillance du fonctionnement pratique de la Convention
d’extradition de 1957 et des textes connexes est assurée par le
PC-OC, dont les dernières sessions spéciales consacrées à l’extradition
se sont tenues en mai 2014
Note et en juin 2018
Note. En 2014, les points de
l’ordre du jour les plus pertinents pour le présent rapport étaient
la présentation de M. Johannes Silvis, juge à la Cour européenne
des droits de l’homme, sur le thème «Extradition et droits de l’homme:
assurances diplomatiques et droits de l’homme dans le cadre de l’extradition»
NoteNote et l’atelier sur «Les refus de demandes
d’extradition, raisons et solutions pour éviter l’impunité (
aut dedere, aut judicare)». En juin
2018, une session thématique consacrée au 60e anniversaire
de la Convention proposait des exposés sur les tendances récentes
de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
sur la nécessité et la rédaction des assurances diplomatiques et
sur les conséquences de ces assurances sur la durée des procédures
d’extradition.
2.2 Décisions
du Comité des Ministres
21. À ce jour, le Comité des Ministres
a adopté trois recommandations et deux résolutions à l’égard de
la Convention d’extradition de 1957. Comme les protocoles additionnels,
les décisions du Comité des Ministres concernent principalement
des questions pratiques et techniques qui présentent peu d’intérêt
pour le présent rapport, à l’exception de la Recommandation no R(80)9
(voir ci-dessous le paragraphe 24). Par souci d’exhaustivité, elles
sont résumées brièvement ci-dessous, dans l’ordre chronologique
inverse:
22. La Recommandation no R(96)9 relative
à l’application pratique de la Convention européenne d’extradition
(adoptée le 5 septembre 1996 lors de la 572e réunion
des Délégués des Ministres) vise à faciliter la remise de biens
dans le cadre de la procédure d’extradition et la procédure à suivre
lorsque l’extradition est demandée concurremment par plusieurs États.
23. La Recommandation no R(86)13 concernant
l’application pratique de la Convention européenne d’extradition
relative à la détention aux fins d’extradition (adoptée le 16 décembre
1986 lors de la 399e réunion des Délégués
des Ministres) vise à déduire de la peine le temps passé en détention
dans l’attente d’une extradition de la même manière que le temps
passé en détention provisoire. De plus, le Comité des Ministres encourage
la Partie requise à tenir compte de la proportionnalité de la détention
dans l’attente d’extradition et recommande à l’ensemble des Parties
contractantes de permettre aux victimes d’une détention injustifiée
aux fins d’extradition d’obtenir une indemnisation, comme en cas
de détention provisoire injustifiée.
24. La Recommandation no R(80)9 concernant
l’extradition vers des États non parties à la Convention européenne
des droits de l’homme (adoptée le 27 juin 1980 lors de la 321e réunion
des Délégués des Ministres) préconise aux États membres de ne pas
accorder l’extradition «lorsque la demande d’extradition émane d’un
État non partie à la Convention européenne des droits de l’homme
et qu’il y a des raisons sérieuses de croire que la demande a été
présentée aux fins de poursuivre ou de punir l’intéressé pour des considérations
de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques, ou
que la situation de cette personne risque d’être aggravée pour l’une
ou l’autre de ces raisons» et «de satisfaire à toute mesure provisoire
que pourrait indiquer la Commission européenne des droits de l’homme
[…], par exemple à une demande tendant à surseoir à la procédure
d’extradition en attendant une décision dans l’affaire». La première recommandation
reprend la formule déjà applicable entre les États parties à la
Convention d’extradition au titre de son article 3 (voir plus haut
le paragraphe 12). Mais alors que l’article 3 donne uniquement à
la Partie requise le droit de
refuser l’extradition en cas de demande discriminatoire, le Comité
des Ministres franchit un pas supplémentaire et recommande concrètement aux États
parties de ne pas satisfaire aux demandes qui émanent d’un État
non partie à la Convention européenne des droits de l’homme. La
deuxième recommandation, si elle mentionne encore la Commission européenne des droits
de l’homme, préfigure la future jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
sur le caractère contraignant de ses mesures provisoires, qui prévoit
bien souvent la suspension de la procédure d’extradition (ou d’expulsion)
dans l’attente de la décision de la Cour sur le fond.
25. La Résolution (78)43 relative aux réserves formulées au sujet
de certaines dispositions de la Convention européenne d’extradition
(adoptée le 25 octobre 1978 lors de la 294e réunion
des Délégués des Ministres) recommande aux gouvernements des Parties
contractantes à la Convention d’extradition de «limiter la portée des
réserves qu’ils ont formulées ou de retirer celles-ci, eu égard
aux solutions apportées par les protocoles additionnels».
26. Enfin, la Résolution (75)12 relative à l’application pratique
de la Convention européenne d’extradition (adoptée le 21 mai 1975
lors de la 245e réunion des Délégués
des Ministres) recommande aux Parties contractantes, s’il s’agit
d’un mineur de moins de 18 ans, de tenir compte des intérêts du
mineur et de rechercher un accord sur les mesures les plus adaptées
pour éviter d’entraver sa réinsertion sociale. De plus, la résolution
concerne les questions abordées par les protocoles additionnels
ultérieurs (prise en compte du temps passé en détention aux fins
d’extradition et immunité de poursuites ou de peine en raison de
la prescription).
2.3 Jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme
27. Comme nous l’avons vu, les
conventions traitant spécifiquement des questions d’extradition
visent essentiellement à
permettre aux
États parties à ces conventions de refuser les demandes d’extradition
dans certains cas
Note;
tandis que la Convention européenne des droits de l’homme, telle
qu’interprétée par la Cour de Strasbourg,
oblige les
États parties à la Convention à refuser des demandes d’extradition
lorsque les droits fondamentaux de la personne visée par la demande
sont menacés. La Cour a énoncé cette obligation dans plusieurs groupes
d’affaires, en interdisant l’extradition pour des motifs relatifs
aux droits de l’homme au titre de l’article 2 (risque de mort),
de l’article 3 (lorsqu’il existe de sérieuses raisons de penser
que l’intéressé court, en cas d’extradition, un risque réel d’être
soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants), de
l’article 5 (si l’intéressé risque d’être privé de façon flagrante
de son droit à la liberté), de l’article 6 (si l’intéressé risque
d’être privé de façon flagrante de son droit à un procès équitable)
et de l’article 8 (lorsque l’ingérence dans le droit au respect
de la vie privée et familiale est d’une gravité si exceptionnelle
qu’elle l’emporte sur l’importance des motifs de l’extradition).
28. Il convient de noter que la jurisprudence résumée dans le
texte qui suit comprend des affaires à la fois d’extradition et
d’expulsion. La Cour a expressément indiqué que sa jurisprudence
pertinente «devait être considérée comme applicable à la fois à
l’extradition et aux autres formes d’éloignement du territoire d’un
État contractant», car «la propre jurisprudence de la Cour montre
qu’en pratique la différence entre l’extradition et les autres formes
d’éloignement peut être très ténue» (voir Babar
et autres c. Royaume-Uni, 10 avril 2012, paragraphes
176 et 168).
29. Les requêtes introduites devant la Cour européenne des droits
de l’homme contre les mesures d’extradition ou d’expulsion donnent
souvent lieu à des mesures provisoires au titre de l’article 39
du Règlement de la Cour. De fait, la plupart de ces mesures provisoires
concernent l’expulsion ou l’extradition et consistent généralement
en une suspension de l’expulsion ou de l’extradition du requérant.
Les mesures provisoires sont octroyées lorsqu’il existe un risque
imminent de préjudice irréparable en lien avec une procédure pendante
devant la Cour, sans préjuger de toute décision ultérieure sur la
recevabilité ou sur le fond de l’affaire en question. Les mesures
provisoires sont habituellement définies de manière à prendre en
compte la durée de la procédure engagée devant la Cour et elles
peuvent être abandonnées à tout moment sur décision de la Cour
Note.
30. Il convient également de noter que, conformément à la jurisprudence
constante de la Cour, les garanties d’un procès équitable énoncées
à l’article 6 ne s’appliquent
pas à
la procédure d’extradition elle-même, car celle-ci ne porte pas
sur le fond de l’affaire pénale et n’implique donc pas «la détermination
[…] de toute accusation en matière pénale» au sens de l’article 6
Note.
2.3.1 Pas
d’extradition en cas de risque de peine inhumaine et dégradante
ou de peine de mort
31. L’arrêt de principe de la jurisprudence
de la Cour de Strasbourg sur l’extradition a été rendu dans l’affaire
Soering c. Royaume-Uni le 7 juillet
1989
. En l’espèce, la Cour
a conclu pour la première fois que la responsabilité d’un État partie
pouvait être engagée s’il extradait une personne susceptible de
subir des mauvais traitements dans le pays requérant. La Cour a
conclu, même à l’époque où la peine de mort n’était pas encore interdite
par le Protocole no 6 à la Convention,
que le risque réel que M. Soering soit condamné à mort et placé
dans le tristement célèbre «couloir de la mort» (en violation de
l’article 3 de la Convention) devait empêcher son extradition. Le
raisonnement de la Cour fait appel aux valeurs fondamentales de
la Convention:
«Un État contractant se conduirait d’une manière
incompatible avec les valeurs sous-jacentes à la Convention, ce
“patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect
de la liberté et de prééminence du droit” auquel se réfère le Préambule,
s’il remettait consciemment un fugitif – pour odieux que puisse
être le crime reproché – à un autre État où il existe des motifs
sérieux de penser qu’un danger de torture menace l’intéressé.» (Soering,
paragraphe 88).
32. La Cour a ensuite reconnu que
«toutes
les nations ont un intérêt croissant à voir traduire en justice
les délinquants présumés qui fuient à l’étranger. Inversement, la
création de havres de sécurité pour fugitifs ne comporterait pas
seulement des dangers pour l’État tenu d’abriter la personne protégée:
elle tendrait également à saper les fondements de l’extradition»
(paragraphe 89).
33. Mais dans l’arrêt Soering,
la Cour a très clairement tranché le conflit entre, d’une part,
l’interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains
ou dégradants et, d’autre part, l’intérêt général dans le sens duquel
va une coopération internationale efficace en matière pénale, en
faveur de la première. Le caractère absolu de l’interdiction de
la torture et des traitements inhumains ou dégradants prime très
nettement sur tout autre intérêt public.
34. Dans l’affaire
Cruz Varas c. Suède (20 mars
1991), la Cour a énoncé un certain nombre de principes qui doivent
guider l’appréciation du risque de mauvais traitements dans un autre
État: la Cour apprécie au vu de tous les éléments matériels qui
lui sont présentés, voire qu’elle a obtenu de sa propre initiative,
s’il y a «des motifs sérieux et avérés» de croire à un «risque réel»
de traitements incompatibles avec l’article 3; l’existence d’un
tel risque doit être appréciée avant tout au vu des faits connus
ou qui devraient être connus de l’État défendeur au moment de l’expulsion
ou de l’extradition, et le mauvais traitement redouté doit atteindre
un degré minimum de gravité. Dans l’arrêt
Ismailov
c. RussieNote,
la Cour a précisé les exigences en matière de preuve lorsqu’il s’agit
de démontrer l’existence d’un risque réel de mauvais traitement.
D’après la Cour, le requérant n’est pas tenu de fournir une preuve
«incontestable», mais seulement de prouver l’existence d’une «forte
probabilité».
35. Dans l’affaire Chahal c. Royaume-Uni (15 novembre
1996) – un Sikh soupçonné d’être séparatiste dont l’expulsion avait
été ordonnée pour des raisons de sécurité nationale – la Cour a
conclu que l’article 3 n’offrait pas seulement une protection contre
la torture ordonnée par l’État, mais empêchait également l’expulsion lorsque
l’État n’exerce qu’un contrôle limité sur les pratiques quotidiennes
de ses forces de sécurité (ce qui était notoirement le cas dans
la région indienne du Pendjab à l’égard des séparatistes sikhs).
Ce principe a été par la suite étendu aux situations dans lesquelles
la personne qui fait l’objet de la mesure d’éloignement a des raisons
de craindre qu’elle sera maltraitée lorsqu’elle sera aux mains d’acteurs
non étatiques. Ainsi, dans le cas J. K.
et autres c. Suède (GC, 23 août 2016), le requérant,
un ancien employé de l’armée américaine en Irak, risquait encore
de subir les représailles de l’État islamique ou d’Al Qaïda, puisque
la capacité des autorités irakiennes à assurer la protection des
personnes à risque devait être considérée comme amoindrie, surtout
à l’égard du requérant, qui appartenait à un groupe spécifiquement
visé par des acteurs non étatiques violents.
36. Dans l’arrêt Saadi c. Italie (GC,
28 février 2008), la Cour a conclu à l’impossibilité de mettre en
balance, d’une part, le risque qu’une personne puisse subir des
mauvais traitements et, d’autre part, sa dangerosité pour la collectivité
si elle était autorisée à rester. La Cour a jugé cette «mise en
balance» incompatible avec le caractère absolu de l’article 3. Elle
a également jugé insuffisantes les assurances diplomatiques de traitement équitable
données par la Colombie dans l’affaire Klein
c. Russie (1er avril 2010).
Il est intéressant de constater qu’en l’espèce le requérant avait
été arrêté à Moscou sur le fondement d’une notice rouge d’Interpol,
en vue d’être extradé en Colombie.
37. La Cour relève de nombreuses violations dans les affaires
d’extradition et d’expulsion vers les pays d’Asie centrale, comme
le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Elle tient compte
de l’absence notoire de protection juridique dans ces pays contre
la torture, en particulier pour les membres des «groupes à risque», dont
l’extradition est demandée sur le fondement d’infractions alléguées
aux accents habituellement politiques. Cela dit, la Cour ne s’appuie
pas seulement sur les dires du requérant, mais exige des éléments
factuels concrets et vérifiables qui relient le requérant à ce «groupe
à risque»
Note.
38. La question se pose de savoir si la situation des droits de
l’homme et de l’État de droit dans certains États est si grave que
l’extradition est toujours exclue. Concernant le Kazakhstan, la
Cour a conclu en 2014 dans son arrêt
OslakovNote que
la situation, bien que problématique, ne justifiait pas une interdiction
totale de l’extradition. Dans son arrêt
Zarmayev de
2014
Note, la Cour a
même conclu que les anciens combattants tchétchènes n’étaient pas,
d’une manière générale, à risque en Russie. En revanche, dans l’arrêt
Allanazarova de 2017
Note,
la Cour a confirmé l’existence d’une interdiction totale d’extradition
vers le Turkménistan, car toute personne détenue dans ce pays sur
la base d’accusations pénales court un risque réel d’être soumise
à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants au sens
de l’article 3.
39. Depuis l’arrêt rendu en 2008 par la Grande Chambre dans l’affaire
Kafkaris c. GrèceNote, la Cour a également reconnu que
la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle
constituait une peine inhumaine et donc un obstacle possible à l’extradition.
La Cour a estimé que pour qu’une peine de réclusion à perpétuité
soit compatible avec l’article 3, elle devait pouvoir être réduite
non seulement
de jure, mais
également
de facto. Dans l’arrêt
de 2014
Trabelsi c. BelgiqueNote, la
Cour a précisé qu’un mécanisme de réexamen devait obliger «les autorités
nationales à rechercher, sur la base de critères objectifs et préétablis dont
le détenu aurait eu connaissance avec certitude au moment de l’imposition
de la peine perpétuelle, si, au cours de l’exécution de sa peine,
l’intéressé a tellement évolué et progressé qu’aucun motif légitime
d’ordre pénologique ne justifie son maintien en détention».
40. La tendance, à la lumière de la jurisprudence récente, tant
dans le contexte national que dans le contexte de l’extradition,
semble s’orienter vers un examen de plus en plus rigoureux de la
compressibilité de fait de la peine, en particulier lorsque la peine
à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle est obligatoire
Note.
2.3.2 Pas
d’extradition en cas de risque de procès non équitable qui s’apparente
à un déni de justice flagrant
41. Dans l’arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni (17 janvier
2012), la Cour a conclu à la violation de l’article 6, malgré l’existence
d’une série exemplaire «d’assurances diplomatiques» qu’il n’y avait
aucun risque de mauvais traitements (voir plus loin, paragraphe
47), parce que le requérant avait des raisons de croire que les
juridictions jordaniennes admettraient des éléments de preuve obtenus
par la torture auprès de ses complices supposés. La Cour a souligné
que «de simples irrégularités ou défauts de garantie au procès qui seraient
de nature à emporter violation de l’article 6 s’ils avaient lieu
dans l’État contractant lui-même» n’étaient pas suffisants pour
constituer une violation de l’article 6 dans une affaire d’extradition.
«Il faut qu’il y ait une violation du principe d’équité du procès
qui soit tellement grave qu’elle entraîne l’annulation, voire la
destruction de l’essence même du droit protégé par cet article».
La Cour considère que l’admission d’éléments de preuve obtenus sous
la torture équivaudrait à un tel déni de justice qu’elle rendrait
le procès immoral et irrégulier, et son issue totalement sujette
à caution. Étant donné que l’utilisation de preuves obtenues sous
la torture est une pratique largement répandue en Jordanie et que
les garanties juridiques offertes par le droit jordanien semblent
avoir peu de valeur en pratique, la Cour a estimé que l’expulsion
d’Abu Qatada constituerait une violation particulièrement grave
de l’article 6, équivalant à un déni flagrant de justice.
42. Le seuil permettant de conclure à un «risque réel de déni
de justice flagrant» est beaucoup plus élevé que celui d’une simple
violation de l’article 6. Le requérant est tenu de démontrer le
caractère «flagrant» du déni de justice auquel il redoute d’être
exposé (
Einhorn c. France,
2001). Dans sa décision
Harkins c. Royaume-Uni (GC)
de 2017 déclarant la requête irrecevable, la Cour donne plusieurs
exemples de ce qui constituerait un déni «flagrant» de justice,
notamment le déni du droit à une représentation en justice, le mépris des
droits de la défense et l’utilisation de preuves obtenues sous la
torture. Dans le cas d’une condamnation par défaut (
in absentia), il n’y a pas de déni
flagrant de justice si l’État requérant prévoit la possibilité que l’intéressé
soit rejugé à sa demande
Note.
43. Pour ce qui est du mandat d’arrêt européen (MAE), la question
s’est posée de savoir si la situation de l’État de droit en Pologne
s’était détériorée au point de suspendre toute extradition vers
la Pologne (voir ci-dessous le paragraphe 58).
44. Après avoir soigneusement mis en balance les intérêts de la
société en matière de prévention de l’impunité et ceux de la personne
visée par l’extradition dans le respect de ses droits fondamentaux,
il est possible d’admettre que le risque de violation d’autres droits
non absolus fait obstacle à l’extradition. Par exemple, le risque
réel de violation flagrante de l’article 5 peut constituer un obstacle
à l’extradition si l’État requérant a arbitrairement détenu la personne
concernée pendant de nombreuses années sans la traduire en justice;
le droit de la personne au respect de sa vie privée et familiale
(article 8) peut, dans des «circonstances exceptionnelles», primer
sur le but légitime visé par l’extradition
Note.
2.3.3 L’importance
des «assurances diplomatiques»
45. Les «assurances diplomatiques»
sont des engagements formels pris par l’État requérant envers l’État requis,
que ce dernier peut exiger comme condition de sa coopération dans
un cas particulier. Ces engagements doivent garantir que la personne
sera traitée, après sa remise à l’État requérant, conformément aux
normes internationales pertinentes en matière de droits de l’homme.
Les assurances diplomatiques sont généralement présentées sous la
forme d’une note diplomatique et doivent être contraignantes pour
toutes les autorités nationales concernées de l’État requérant.
Il est de pratique courante que la note diplomatique soit accompagnée
d’une déclaration de l’autorité compétente elle-même (généralement
le ministère de la Justice ou le procureur général).
46. La pratique consistant à accorder sur la base d’«assurances
diplomatiques» des extraditions qui pourraient ne pas être autorisées
sans celles-ci a été critiquée pour des raisons de principe par
un certain nombre d’ONG et par le Comité contre la torture des Nations
Unies
Note.
La Cour européenne des droits de l’homme a conclu en maintes occasions
que des extraditions ou des expulsions étaient possibles si elles étaient
assorties de garanties suffisantes. Dans l’arrêt
Zarmayev c. Belgique de 2014, la
Cour a conclu que ces assurances devaient être réelles, tangibles
et efficaces. La Cour impose aux États – requis et requérants – de
démontrer qu’ils ne considèrent pas les assurances comme une simple
formalité. Les assurances doivent être adaptées à chaque cas («sur
mesure»); c’est la raison pour laquelle une «formulation type» des assurances
risquerait de s’avérer contre-productive.
47. La Cour a fixé des conditions rigoureuses pour la validité
de ces garanties. Dans l’affaire
Othman
(Abu Qatada) c. Royaume-Uni, la Cour a énoncé une série
de principes (les «critères Othman») destinés à apprécier la validité
des assurances diplomatiques données pour dissiper les craintes
de mauvais traitements ou de procès non équitable afin d’autoriser
l’expulsion de personnes considérées comme représentant une menace
pour la sécurité nationale. La Cour a indiqué qu’elle examinait
à la fois la situation générale des droits de l’homme dans le pays
concerné et les caractéristiques particulières du requérant. Faisant
observer que «ce n’est cependant que dans de rares cas que la situation
générale dans un pays donné implique que l’on ne puisse accorder
absolument aucun poids aux assurances qu’il fournit» (paragraphe
188), la Cour a indiqué qu’elle apprécierait la qualité des assurances
données et leur fiabilité à la lumière des pratiques de l’État requérant,
eu égard à un certain nombre de facteurs, à savoir:
- le caractère précis ou vague
des assurances
- le fait qu’elles aient été données par une autorité ayant
le pouvoir de les faire respecter
- le fait qu’elles proviennent d’un État partie à la Convention
européenne des droits de l’homme
- la durée et la solidité des relations bilatérales entre
l’État d’envoi et l’État requérant
- le respect antérieur des assurances similaires données
par l’État requérant
- l’existence d’un système efficace de protection contre
la torture dans l’État requérant
- et, élément important, la possibilité de vérifier objectivement
le respect des assurances précédemment données par des mécanismes
diplomatiques ou d’autres mécanismes de contrôle.
48. Dans l’affaire Abu Qatada,
la Cour a acquis la conviction que les gouvernements du Royaume-Uni
et de la Jordanie avaient donné des assurances transparentes et
précises que le requérant ne serait pas maltraité à son retour en
Jordanie et n’a constaté aucune violation de l’article 3. Elle a
cependant conclu à la violation de l’article 6 (voir plus haut le
paragraphe 41).
49. Dans l’arrêt Baysakov et autres
c. Ukraine (18 février 2010), la Cour a conclu que les
assurances données par les autorités kazakhes que le requérant ne
serait pas soumis à un traitement contraire à l’article 3 n’étaient
pas fiables et qu’il était difficile de garantir qu’elles seraient
respectées, car le Kazakhstan ne possède pas de système efficace
de prévention de la torture.
50. Il est un domaine dans lequel les assurances peuvent jouer
un rôle important, c’est celui des conditions de détention. Toutes
les demandes d’extradition émanant d’un pays qui compte de nombreux
lieux de détention surpeuplés ou inhumains et dégradants doivent-elles
être refusées? Un risque réel de traitement inhumain et dégradant
dans un cas donné peut-il être évité en obtenant l’assurance que
la personne remise sera détenue dans une prison où les conditions
de détention sont acceptables? Cela pourrait bien résoudre le problème
de l’extradition, mais risque de soulever la question de l’égalité
de traitement pour les autres détenus
Note.
51. En résumé, comme la Cour s’appuie fortement sur les circonstances
de chaque affaire, d’aucuns prétendent que l’issue de chaque affaire
est imprévisible. Cette situation est bien entendu frustrante pour
les agents gouvernementaux qui défendent leurs autorités nationales
devant la Cour. Mais il est difficile d’imaginer comment la Cour
pourrait traiter autrement ces affaires sans porter atteinte au
droit de requête individuelle dans des affaires qui sont souvent
une question de vie ou de mort.
3 Le
mandat d’arrêt européen (MAE) du point de vue des droits de l’homme
3.1 La
spécificité du MAE
52. Le mandat d’arrêt européen
(MAE), qui est en vigueur depuis le 1er janvier
2004, a largement remplacé la Convention du 27 septembre 1996 relative
à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne
Note. Il s’agit d’une procédure judiciaire
transfrontière simplifiée de remise d’une personne recherchée, qui
repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle: le mandat
émis par les autorités judiciaires d’un État membre de l’Union européenne
est valide dans l’ensemble de l’Union. Ce mandat vise à accompagner
la liberté de circulation des personnes au sein de l’Union européenne,
en offrant un mécanisme plus efficace pour garantir que les criminels
qui cherchent à échapper à la justice ne profitent pas de l’ouverture
des frontières à l’intérieur de l’Union. La reconnaissance mutuelle
repose sur la confiance réciproque entre les États membres à l’égard du
fait que leurs systèmes juridiques nationaux respectifs assurent
une protection équivalente et efficace des droits fondamentaux reconnus
au niveau de l’Union européenne. Cette situation justifie que le
système de MAE fonctionne directement entre les autorités judiciaires,
que les motifs de refus soient limités et qu’il prévoie des délais
courts pour la décision et la remise effective de la personne recherchée.
L’exécution rapide d’un MAE constitue donc la règle, tandis que
le refus d’exécution se veut une exception interprétée strictement.
53. Le MAE est une réussite, car il est parvenu à accélérer le
délai moyen de remise des personnes recherchées (lorsque celles-ci
ne consentent pas à leur remise), qui est désormais de 48 jours,
contre un délai d’un an en moyenne pour obtenir l’extradition demandée
avant la mise en place de ce mandat
Note.
Cela dit, les récentes données statistiques publiées sur le Portail
e-Justice européen
Note semblent indiquer que,
malgré l’émission de plus en plus fréquente de mandats d’arrêt européens
(leur nombre est passé de 6 894 en 2005 à 16 144 en 2015), moins
d’un tiers d’entre eux sont effectivement exécutés. Cette situation
pourrait bien être liée à l’absence de confiance dans le caractère
équivalent des protections et la fiabilité des décisions des différents
États, y compris au sein de l’Union européenne. La Commission européenne
a en conséquence adopté une stratégie visant à assurer le respect
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et met
en œuvre une «feuille de route» visant à renforcer les droits procéduraux
des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures
pénales. Il est intéressant de noter que cette «feuille de route»
reconnaît dans son considérant 10 que «des progrès notables ont
été accomplis dans le domaine de la coopération judiciaire et policière
relative aux mesures visant à faciliter les poursuites. Il est temps
à présent de prendre des mesures afin de parvenir à un meilleur
équilibre entre ces mesures et la protection des droits procéduraux
des personnes»
Note.
3.2 Considérations
relatives aux droits de l’homme limitant la mise en œuvre automatique
54. Du point de vue de la Convention
européenne des droits de l’homme, qui s’applique également aux États
membres de l’Union européenne mettant en œuvre le mandat d’arrêt
européen, la jurisprudence de la Cour résumée plus haut reste pleinement
applicable. Cela signifie que la décision-cadre du Conseil relative
au mandat d’arrêt européen, qui prévoit dans son article 1(3) que
les États membres doivent respecter les droits fondamentaux et les
principes fondamentaux du droit, y compris l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme, n’exige pas la remise d’une personne
lorsqu’une autorité judiciaire d’exécution est convaincue que cette
remise entraînerait une violation des droits fondamentaux de la
personne recherchée, en raison par exemple des conditions de détention
inadmissibles qui existent dans le pays d’émission
Note.
55. Cette position a été expressément reconnue par la Cour de
justice de l’Union européenne dans son arrêt
Aranyosi
et Căldărăru du 5 avril 2016
Note. Afin de respecter
le principe du MAE selon lequel la liste des motifs de refus figurant
dans la décision-cadre est limitative, la Cour de Luxembourg n’autorise
pas l’État requis à
refuser l’extradition
dans de tels cas, mais il doit
reporter sa
décision jusqu’à ce qu’il obtienne – dans un délai raisonnable –
des informations qui lui permettent d’écarter l’existence d’un tel
risque. Pendant ce temps, la personne visée peut être retenue en
détention, mais seulement si la durée de sa détention n’est pas
excessive. Il convient de noter que la Cour européenne des droits
de l’homme, dans ses arrêts
Bosphorus
c. Irlande et
Avotiņš c. LettonieNote, a
établi la présomption selon laquelle le droit européen offre un
niveau de protection équivalent à la protection de la Convention
européenne des droits de l’homme.
56. Outre les conditions de détention du pays d’émission, le principal
problème posé en matière de droits de l’homme par le mandat d’arrêt
européen est celui de sa proportionnalité. Selon le rapport de 2011
de la Commission au Parlement européen, la confiance dans l’application
du MAE «a été ébranlée par l’émission systématique de mandats d’arrêt
européens en vue de la remise de personnes recherchées pour des infractions
parfois très mineures». Il existe un consensus général au sein du
Conseil sur l’idée que l’État d’émission doit procéder à un contrôle
de proportionnalité, qui doit prendre en compte la gravité de l’infraction, la
durée de la peine escomptée, l’existence d’une solution alternative
moins lourde pour la personne recherchée et pour l’autorité d’exécution,
ainsi qu’une analyse du rapport coûts-avantages de l’exécution du MAE.
L’émission d’un MAE dans les cas pour lesquels la détention provisoire
serait normalement jugée inappropriée a indéniablement des conséquences
négatives disproportionnées, et donc injustifiées, sur le droit à
la liberté et à la sûreté (article 5 de la Convention européenne
des droits de l’homme) de la personne recherchée.
3.3 Le
MAE et l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE)
57. Une nouvelle question intéressante
relative au MAE est apparue après l’adoption par la Commission européenne,
en décembre 2017, d’une «proposition motivée» au titre de l’article 7(1)
du traité sur l’Union européenne (TUE) concernant les menaces pour
l’État de droit en Pologne (en particulier, l’absence de contrôle
de constitutionnalité légitime et les menaces pour l’indépendance
des juridictions ordinaires).
58. Un tribunal irlandais, qui devait statuer sur plusieurs MAE
émis par la Pologne, a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne
de rendre une décision préjudicielle sur la question de savoir si
les extraditions vers la Pologne devaient être suspendues en raison
des conclusions de la Commission. La Cour de Luxembourg souligne
l’importance de l’État de droit, qui exige l’indépendance et l’impartialité
des tribunaux. Mais elle observe également qu’en vertu de l’article 7(2)
du TUE, il appartient au Conseil de l’Union européenne de rendre
une décision constatant l’existence d’une violation grave et persistante
des principes énoncés à l’article 2 du TUE (État de droit) dans
l’État membre d’émission. Ce n’est qu’en pareil cas que l’autorité
judiciaire d’exécution serait tenue de refuser automatiquement d’exécuter
tout MAE émis par cet État membre. Tant qu’une telle décision n’est
pas adoptée par le Conseil de l’Union européenne, l’autorité judiciaire d’exécution
peut uniquement s’abstenir de donner suite à un MAE émis par un
État membre qui fait l’objet d’une «proposition motivée» au sens
de l’article 7(1) dans des circonstances exceptionnelles où ladite
autorité constate, à l’issue d’une appréciation concrète et précise
du cas d’espèce, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire
que la personne concernée court un risque réel de violation de son
droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, du contenu
essentiel de son droit fondamental à un procès équitable
Note.
3.4 Les
tentatives infructueuses de l’Espagne pour obtenir l’extradition
des dirigeants catalans exilés
59. Une série intéressante de cas
d’extradition – ou de tentatives d’extradition – en Europe concerne
un certain nombre de personnalités politiques catalanes exilées
recherchées par l’Espagne: Carles Puigdemont (Allemagne), Meritxell
Serret, Antoni Comin et Lluis Puig (Belgique), Marta Rovira et Anna
Gabriel (Suisse) et Clara Ponsati (Écosse). Les demandes d’extradition
n’ont abouti dans aucune de ces affaires, pour différentes raisons.
60. Les autorités allemandes compétentes étaient prêtes à exécuter
le MAE lancé par l’Espagne, mais seulement pour l’accusation moins
grave de détournement de fonds publics. L’extradition pour l’accusation beaucoup
plus grave de rébellion a été refusée, car la disposition équivalente
du Code pénal allemand (
Landfriedensbruch/atteinte
à la paix publique) implique que l’auteur ait commis des actes de
violence – à l’image du crime de rébellion en droit espagnol. La
cour d’appel compétente en Allemagne a estimé que les autorités
espagnoles n’avaient pas apporté de preuves suffisantes d’actes
de violence, du moins pas d’actes dont M. Puigdemont pourrait être
tenu responsable. Suite à la décision du tribunal allemand, l’Espagne
a annulé le MAE émis à l’encontre de M. Puigdemont. En effet, le
fait de poursuivre M. Puigdemont uniquement pour détournement de
fonds publics, auquel l’Espagne aurait été contrainte en vertu du
principe de spécialité du droit d’extradition, aurait compliqué
les poursuites en cours contre les autres dirigeants catalans restés
dans le pays pour crime de rébellion
Note.
61. Dans les affaires jugées par la Belgique à propos de trois
anciens ministres catalans, le tribunal compétent a refusé d’exécuter
le MAE pour vice de forme – le MAE n’était pas accompagné, comme
il l’aurait dû, d’une copie du mandat d’arrêt national
Note.
62. La Suisse, qui n’est pas concernée par le MAE, ne peut être
saisie d’une demande d’extradition qu’en vertu des dispositions
générales de la convention du Conseil de l’Europe. S’agissant de
Mme Gabriel, une ancienne députée du
parlement de Catalogne, le porte-parole de l’Office fédéral suisse
de la Justice a déclaré le 20 février 2018 que la Suisse refusait
la demande d’extradition soumise par l’Espagne au motif que le Code pénal
suisse et la Convention européenne des droits de l’homme n’accordaient
pas l’extradition et toute autre forme d’entraide judiciaire pour
des délits politiques. De même, dans le cas de Mme Rovira,
Secrétaire générale de l’ERC (parti de la Gauche républicaine de
Catalogne), la Commission des affaires extérieures du Conseil national
suisse aurait pris note le 17 avril 2018 du mandat d’arrêt international
et annoncé que la Suisse refuserait toute extradition fondée uniquement
sur des motivations politiques
Note.
63. Concernant Mme Clara Ponsati, ancienne
ministre de l’Éducation en Catalogne et aujourd’hui professeure
à l’Université St. Andrews, les autorités espagnoles ont retiré
le MAE suite aux décisions de l’Allemagne et de la Belgique de rejeter
des requêtes similaires. Il convient de noter que les mandats d’arrêt nationaux
émis à l’encontre des responsables politiques catalans exilés restent
en vigueur. Ceux-ci risquent d’être placés en détention s’ils mettent
un pied en Espagne.
4 Réforme
d’Interpol: évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre des
recommandations de l’Assemblée
64. Au cours de l’audition tenue
le 13 décembre 2018 devant notre commission à Paris, à laquelle
ont participé Mme Rodriguez, Conseillère
générale d’Interpol, M. Min, représentant de Fair
Trials International – qui avait préparé une étude détaillée
sur les initiatives de réforme menées au sein d’Interpol – et M. Verbert, Président
du PC-OC du Conseil de l’Europe, nous avons été informés par Mme Rodriguez
qu’Interpol avait déjà mis en œuvre une grande partie des mesures
de réforme préconisées par l’Assemblée. M. Min était d’accord avec
elle sur de nombreux points, même s’il estime qu’il est encore trop
tôt pour tirer des conclusions sur les résultats pratiques de certaines
mesures, notamment en ce qui concerne l’efficacité des procédures
de vérification des notices rouges et des diffusions et des procédures
de recours devant la CCF. Ces procédures nécessitent un grand nombre
de ressources supplémentaires pour être efficaces, compte tenu du
nombre impressionnant de demandes de notices et de diffusions. M. Verbert
a également noté qu’Interpol avait beaucoup progressé dans le rétablissement
de la confiance, bien que l’importance accordée à une notice ou à
une diffusion varie encore considérablement d’un État membre à l’autre.
65. Une étude récente réalisée à la demande de la sous-commission
DROI du Parlement européen
Note a rendu
des conclusions proches de celles de nos experts: «Les réformes
récentes d’Interpol ont eu des effets significatifs sur la protection
des personnes, aussi bien sur le fond que sur le plan procédural.
Néanmoins, compte tenu notamment de l’augmentation significative
du nombre de notices et de diffusions dans le système d’Interpol,
les réformes doivent encore être pleinement mises en œuvre et les
mécanismes de transparence et d’application peuvent encore être
améliorés».
66. L’étude du Parlement européen accorde une importance notable
au précédent rapport de l’Assemblée préparé par Bernd Fabritius.
Elle souscrit aux principales conclusions et recommandations de
l’Assemblée et les approfondit encore. J’ai trouvé les propositions
supplémentaires suivantes particulièrement pertinentes et je les
ai incluses dans le projet de résolution:
- autoriser un contrôle indépendant des décisions de la
CCF par un ombudsman ou un organisme de surveillance équivalent,
afin d’examiner les plaintes émises à l’encontre de la CCF et de
recommander d’autres réformes fondées sur le contrôle de conformité;
- veiller à ce qu’Interpol exerce un contrôle plus efficace
sur les informations qui transitent par son système de communication,
en exigeant des BCN qu’ils suppriment les données de leurs bases
de données nationales suite à la décision de la CCF ou du Secrétariat
général de supprimer une notice ou une diffusion et qu’ils confirment
cette suppression dans le délai prescrit;
- faciliter l’élaboration par l’Union européenne (et le
Conseil de l’Europe) d’un recueil de bonnes pratiques entre les
États membres sur la manière de donner suite aux notices rouges
et aux diffusions, y compris des mesures concrètes d’évaluation
des risques et l’application de normes cohérentes en matière de droits
de l’homme.
67. Le projet de résolution récapitule les mesures déjà prises
et énumère celles qu’Interpol est invitée à adopter ou à mettre
en œuvre plus efficacement.
68. Les mesures déjà prises nécessitent principalement une augmentation
des ressources disponibles pour les procédures de vérification préalable
et d’examen a posteriori. D’après le dernier Rapport annuel d’Interpol (2017),
13 048 nouvelles notices rouges ont été publiées et 52 103 sont
en cours de validité. Il y a eu 26 645 nouvelles diffusions émises
en 2016, pour un total de 85 918 diffusions en cours de validité.
Ces chiffres ont pratiquement doublé depuis 2010
Note.
Il est évident que le «Groupe de travail sur les notices et les
diffusions» mis en place en 2016, une équipe pluridisciplinaire
de 30 à 40 personnes, doit s’étoffer pour suivre l’augmentation
du nombre de notices et de diffusions. De même, la charge de travail
de la CCF devrait s’alourdir à mesure que ces chiffres augmenteront
et que les avocats connaîtront de mieux en mieux le travail de la
CCF et la réglementation d’Interpol. Comme l’a fait remarquer M. Min
lors de notre audition, il est quelque peu décevant que le budget
de la CCF ait été
réduit de
130 000 € entre 2018 et 2019
Note.
69. Il n’est donc pas surprenant que
Fair
Trials International et d’autres ONG concernées
Note continuent
de rencontrer des cas qui révèlent que les procédures d’examen d’Interpol
sont loin d’être parfaites, et que certains pays réussissent encore
à émettre des notices et des diffusions à l’encontre de militants
politiques, de défenseurs des droits de l’homme et de réfugiés statutaires.
70. Les mesures qu’Interpol est encore invitée à prendre comprennent
notamment celles qui visent à améliorer la transparence des travaux
d’Interpol et à renforcer la responsabilité des États dont le BCN
fait un usage abusif des instruments d’Interpol, en sanctionnant
les auteurs d’abus répétés.
71. Une plus grande transparence des travaux d’Interpol renforcerait
la confiance, en améliorant la prévisibilité des résultats et la
capacité d’évaluer l’efficacité des mesures correctives. La publication
d’un «recueil de pratiques» pour l’interprétation de l’article 3
du Statut d’Interpol (sur l’obligation de neutralité d’Interpol)
a été utile, et la publication attendue depuis longtemps d’un recueil
similaire sur l’article 2 (sur le devoir d’Interpol de travailler
«dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme»)
le serait tout autant. La mise à disposition des (extraits de) décisions
écrites de la CCF est un pas en avant, mais les avocats remettent
en question la qualité de ces décisions, qui ne sont pas suffisamment
motivées et ne précisent pas toujours assez clairement la manière
dont une décision a été prise. Le recours à des statistiques plus
détaillées non seulement sur le nombre de demandes de notices rouges
et de diffusions, mais aussi sur les demandes rejetées lors de la
procédure de vérification préalable et sur les notices jugées en
infraction par la CCF, ventilées par État membre, permettrait de
«montrer du doigt» les auteurs de violations notoires et d’évaluer
le succès des mesures prises pour combattre l’utilisation abusive
des instruments d’Interpol. Ces statistiques fourniraient également
de précieuses indications aux États membres quant à l’intensité
des contrôles nécessaires avant de donner suite à une notice ou
à une diffusion; elles permettraient à Interpol d’allouer plus efficacement
ses propres ressources de vérification; enfin et surtout, elles
permettraient de mettre en application le principe du «pollueur-payeur»
préconisé par l’Assemblée, en faisant payer aux auteurs de violations
notoires le coût budgétaire occasionné par les contrôles et examens
plus poussés. Ce serait là un moyen efficace de renforcer la responsabilité
des BCN pour les demandes abusives de notices rouges et de diffusions.
72. Le projet de résolution note également que le succès de la
mise en œuvre de ces mesures est fortement tributaire de la coopération
des États membres d’Interpol. Il s’adresse donc non seulement à
Interpol, mais aussi à ses États membres, en particulier à ceux
qui sont également membres du Conseil de l’Europe. Ces derniers
sont instamment priés de mettre toutes les ressources nécessaires
à la disposition d’Interpol et de montrer l’exemple en ce qui concerne
la qualité et la rapidité des informations fournies à Interpol et
le respect des limites imposées aux activités d’Interpol par son
Statut.
5 Conclusions
73. Le droit de l’extradition est
d’abord et avant tout un droit national. Je ne suis pas en mesure,
et il ne serait d’ailleurs pas particulièrement utile, d’analyser
la législation relative à l’extradition dans les 47 États membres du
Conseil de l’Europe. Comme le mandat d’arrêt européen repose sur
le droit de l’Union européenne et qu’il est uniquement applicable
aux États membres de l’Union européenne, je n’ai pas non plus souhaité
trop entrer dans les détails à ce sujet. L’Assemblée doit privilégier
les aspects relatifs aux droits de l’homme, c’est-à-dire la compatibilité
des législations nationales concernées et du mandat d’arrêt européen,
ainsi que de leur application en pratique, avec la Convention européenne
des droits de l’homme.
74. Comme nous l’avons vu, le Conseil de l’Europe a défini des
normes juridiques claires qui régissent l’extradition: la convention
de 1957 et ses quatre protocoles additionnels, plusieurs résolutions
et recommandations du Comité des Ministres et, enfin et surtout,
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui
insiste sur l’interdiction d’extrader un suspect dans les cas où
celui-ci est menacé de mort, de torture ou d’autres traitements
inhumains et dégradants, notamment l’emprisonnement à perpétuité sans
possibilité de libération conditionnelle, ou lorsque le suspect
est susceptible de subir des violations procédurales graves constituant
un réel risque de déni de justice.
75. Nous avons également vu que, dans un certain nombre d’États
membres, l’existence même d’une notice rouge Interpol a d’importantes
conséquences sur la procédure d’extradition connexe. Les suspects
peuvent fort bien être placés en détention à des fins d’extradition
sur le fondement d’une notice rouge. Le détournement des demandes
d’extradition et le détournement des notices rouges sont souvent
liés. Comme nous l’avons indiqué, l’Assemblée a déjà adressé un
certain nombre de recommandations à Interpol en vue d’améliorer
la qualité et la fiabilité des notices rouges. Comme ces instruments
visent avant tout à préparer et à mettre en place les demandes d’extradition,
il est parfaitement logique de procéder à une évaluation critique
de la mise en œuvre des recommandations de l’Assemblée à Interpol
et à ses États membres au sujet des notices rouges.
76. Il ressort de cette évaluation qu’Interpol a fait beaucoup
de progrès dans le filtrage des notices rouges abusives et des diffusions.
Le rôle joué par la CCF en sa qualité d’instance d’appel s’est trouvé
renforcé par l’adoption de son nouveau statut et par l’accroissement
des ressources mises à sa disposition. La transparence et la prévisibilité
ont été améliorées grâce à la publication d’une «Politique à l’égard
des réfugiés», d’un «recueil de pratiques» sur l’interprétation
de l’article 3 du Statut d’Interpol et d’extraits de certaines décisions
de la CCF. Il n’en demeure pas moins qu’il reste encore de nombreux
progrès à réaliser. Le projet de résolution énumère un certain nombre
de mesures qu’Interpol et ses États membres, y compris tous les
États membres du Conseil de l’Europe, devraient prendre afin d’assurer
l’efficacité des instruments d’Interpol.
77. L’efficacité des instruments d’Interpol, ainsi que celle des
outils du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne destinés
à faciliter l’extradition, dépend fortement de la confiance mutuelle.
Cette confiance se trouve sérieusement entamée par les actes d’un
petit nombre d’États qui font un usage abusif de ces instruments
afin de violer les libertés et les droits fondamentaux. La lutte
contre l’utilisation abusive des instruments de la coopération internationale
en matière pénale est donc clairement dans l’intérêt de la grande majorité
des États qui souhaitent coopérer efficacement dans la lutte contre
l’impunité. Le projet de résolution présente plusieurs propositions
en ce sens.