Nécessité de renforcer d’urgence les cellules de renseignement financier – Des outils plus efficaces requis pour améliorer la confiscation des avoirs illicites
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Texte
adopté par la Commission permanente, agissant au nom
de l’Assemblée, le 19 mars 2021 (voir Doc. 15192, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteure: Mme Thorhildur
Sunna Ævarsdóttir).Voir également la Recommandation 2195 (2021).
1. De nombreux scandales, et notamment
les récentes fuites du FinCEN (Financial Crimes Enforcement Network),
le Réseau de lutte contre la criminalité financière du Département
du Trésor des États-Unis, ont révélé que les efforts nationaux et
internationaux visant à lutter contre le blanchiment de capitaux
et le financement du terrorisme sont loin d’avoir atteint les objectifs
proclamés. Selon la Banque mondiale, les produits du crime organisé
et de la corruption de haut niveau dans le monde s'élèvent à plusieurs
milliers de milliards de dollars des États-Unis chaque année. Les
services répressifs parviennent uniquement à en confisquer une infime
partie. Le reste, qui s'accumule entre les mains des membres de
la criminalité organisée, des fonctionnaires corrompus et des terroristes,
représente une énorme menace pour la démocratie, l'État de droit
et la sécurité nationale dans tous les États membres. En parallèle,
les avoirs illicites que les États parviennent à confisquer offrent
à ces derniers une possibilité considérable de générer les ressources nécessaires
pour faire face aux problèmes sociaux causés par le crime organisé,
la corruption et le terrorisme. Le fait de renforcer d’urgence le
dépistage et la confiscation des produits du crime est donc non
seulement nécessaire, mais pourrait même s’avérer très rémunérateur.
2. Le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte
contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
(MONEYVAL) et le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du
Conseil de l’Europe, ainsi que le Groupe Egmont des cellules de
renseignement financier jouent un rôle important dans la lutte contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en énonçant
des normes en la matière, en assurant le suivi de leur mise en œuvre
et en organisant une coopération internationale et des activités
de formation.
3. Dans sa
Résolution
2218 (2018) «Lutter contre le crime organisé en facilitant
la confiscation des avoirs illicites», l’Assemblée parlementaire
a recommandé aux États de renverser la charge de la preuve de la
licéité des avoirs en imposant aux personnes concernées d’établir
l’origine licite des avoirs suspects qu’ils détiennent.
4. La Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
et au financement du terrorisme (STCE no 198,
«Convention de Varsovie») prévoit un important cadre juridique pour
les cellules de renseignement financier (CRF) et une coopération internationale
dans ce domaine. La plupart des États membres du Conseil de l’Europe,
mais pas tous, l’ont signée et ratifiée.
5. Pour réussir à confisquer les avoirs illicites, il faut en
identifier le caractère suspect et les saisir. Les CRF, mises en
place par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe et
de nombreux autres pays sous les auspices du Groupe d’action financière
(GAFI), jouent un rôle crucial. Les CRF reçoivent les «déclarations d’opérations
suspectes» (DOS) que leur adresse le secteur privé (banques, compagnies
d’assurances, avocats), qu’elles sont tenues d’analyser et auxquelles
elles doivent donner suite, y compris en gelant provisoirement certaines
transactions et en transmettant ces informations aux services répressifs
à des fins de confiscation et de poursuites.
6. Bien que les CRF soient autorisées par les normes du GAFI
à adopter différents modèles organisationnels (le modèle administratif,
répressif ou mixte), elles doivent bénéficier de l’indépendance,
des compétences et des moyens humains et matériels indispensables
à l’accomplissement efficace de leur mission.
7. La Convention de Varsovie permet aux CRF de reporter les transactions
suspectes pendant un certain temps en attendant l’issue d’une enquête
supplémentaire au niveau national (article 14) et à la demande d’une CRF
étrangère (article 47). Cette faculté ne figure pas encore dans
les normes du GAFI applicables aux CRF.
8. Le Groupe Egmont aide les CRF à renforcer leur efficacité
par la formation et l’échange de personnel, ainsi qu’en favorisant
une communication de meilleure qualité et plus sûre entre les CRF
à des fins d’échange mutuel d’informations.
9. L’efficacité des CRF peut être évaluée sous l’angle du taux
de transformation réussie des DOS en éléments de preuve exploitables
à des fins de confiscation des avoirs illicites et d’engagement
de poursuites à l’encontre des infractions concernées («taux de
conversion»), qui dépend d’une coopération étroite et des remontées
réciproques d’information entre les CRF et les entités déclarantes
(banques, etc.), d’une part, et les services répressifs, d’autre
part.
10. Les principaux problèmes auxquels les CRF sont confrontées,
tels que les ont recensés les évaluations nationales régulières
menées en particulier par le GAFI et MONEYVAL, sont les suivants:
10.1 la qualité inégale et la grande
quantité de déclarations faites par les entités déclarantes (banques,
etc.), la libération d’actifs par les entités déclarantes avant
la réaction de la CRF, le manque de connaissance des typologies
de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme par les entités
déclarantes, ainsi que le manque d’observations, de directives et
de formation efficaces pour les entités déclarantes;
10.2 le manque d’autonomie et d’indépendance de certaines CRF,
le manque de personnel et l’insuffisance des ressources matérielles
(matériel et outils des technologies de l’information, systèmes d’archivage
et de gestion, et systèmes d’échange de données), l’inadéquation
des capacités techniques aux nouveaux défis (demande croissante
de services en ligne et de systèmes de paiement connexes par internet,
technologies financières («fintech»)) et la nature complexe des
dispositifs criminels et des filières de blanchiment de capitaux
(y compris la cybercriminalité), et l’exercice inadapté du pouvoir
de suspension des CRF lorsqu’une telle compétence leur est conférée;
10.3 l’incapacité des services répressifs à prendre rapidement
des mesures à la suite des renseignements fournis par les CRF pour
garantir le gel et/ou la saisie des avoirs pendant le déroulement
d’une enquête; leur incapacité à adresser en temps utile des observations
à la CRF sur la qualité des informations diffusées et des mesures
prises.
11. Les programmes de «passeports en or», qui permettent l'octroi
d’une nationalité en échange de l'investissement d'une somme d'argent
importante dans le pays concerné, nuisent également à la lutte contre le
blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ces programmes,
que proposent notamment Chypre et Malte, ont donné lieu à de nombreux
abus qui ont récemment incité la Commission européenne à engager
des procédures d’infraction contre ces deux pays.
12. Un certain nombre d'entreprises et de professions non financières
désignées (EPNFD) continuent de représenter les maillons les plus
faibles dans la lutte mondiale contre le blanchiment d'argent, en
particulier les casinos, les avocats, les notaires, les comptables,
les agents immobiliers, les négociants en métaux précieux et en
pierres précieuses, ainsi que les prestataires de services aux sociétés
et fiducies. La supervision de ces «gardiens de portail» financiers
est souvent confiée aux CRF, mais les ressources de supervision
appropriées ne sont pas allouées.
13. L’Assemblée invite par conséquent l’ensemble des États membres
du Conseil de l’Europe et les États qui jouissent du statut d’observateur
ou d’un statut de coopération avec l’Organisation:
13.1 à renforcer leurs CRF conformément
aux recommandations du GAFI et de MONEYVAL, notamment en leur conférant
des compétences, des ressources humaines, des outils informatiques
et des possibilités de formation suffisants pour leur permettre
de relever les nouveaux défis auxquels elles sont confrontées et
faire face à la complexité croissante des filières de blanchiment
de capitaux;
13.2 à respecter l’autonomie de leurs CRF et à s’abstenir de
toute ingérence politique dans leurs activités;
13.3 à conférer à l’ensemble des CRF le pouvoir de suspendre
provisoirement les transactions suspectes, notamment à la demande
d’un homologue étranger, comme le prévoient les articles 14 et 47 de
la Convention de Varsovie;
13.4 à renforcer les capacités de leurs services répressifs
(police, ministère public et tribunaux) à agir en temps utile après
la transmission de renseignements financiers par les CRF, en créant
des groupes de travail spécialisés, bien formés et dotés de moyens
suffisants, qui travaillent en étroite coopération avec les CRF;
à collecter et à publier des statistiques permettant d’évaluer le
«taux de conversion» des DOS en enquêtes, confiscations et poursuites
effectives;
13.5 à renforcer la coopération internationale entre les CRF,
en rendant la législation pertinente et les dispositifs institutionnels
interopérables, en permettant l’échange de renseignements financiers
sans formalités bureaucratiques et en favorisant les échanges informels
d’expérience grâce à des organismes comme le Groupe Egmont;
13.6 à encourager leurs autorités compétentes à prendre part
à un dialogue constructif avec le secteur privé (entités déclarantes),
afin de garantir la meilleure qualité possible, plutôt que la quantité,
des DOS et autres déclarations; à envisager de mettre en place des
formations obligatoires ou optionnelles pour les entités déclarantes;
13.7 à allouer des ressources adéquates aux CRF pour garantir
une surveillance effective des EPNFD, en mettant l’accent sur celles
opérant au niveau transnational;
13.8 à signer et à ratifier la Convention de Varsovie, s’ils
ne l’ont pas encore fait;
13.9 à renverser la charge de la preuve de la licéité des avoirs
en imposant aux personnes concernées d’établir l’origine licite
des avoirs suspects qu’elles détiennent;
13.10 à mettre fin à tout programme d’octroi de la nationalité
en échange d’investissements qu’ils pourraient encore proposer.