Les violations des droits de l'homme au Bélarus nécessitent une enquête internationale
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 21 avril 2021 (12e séance) (voir Doc. 15256, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme, rapporteure: Mme Alexandra
Louis). Texte adopté par l’Assemblée le
21 avril 2021 (12e séance).Voir
également la Recommandation
2201 (2021).
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
que les manifestations pacifiques contre la falsification du scrutin présidentiel
du 9 août 2020 au Bélarus ont été réprimées par le régime d’Alexandre
Loukachenko de manière brutale. De nombreux manifestants ont été
arrêtés et torturés en détention. Un grand nombre de leaders du mouvement
citoyen sont poursuivis pénalement pour des crimes dont la définition
est vague mais qui sont assortis de longues peines de prison; d’autres
ont été contraints à l’exil.
2. En février 2021, une nouvelle vague d’arrestations et de poursuites
contre des activistes d’opposition qui se trouvaient encore en liberté
a eu lieu. Parmi les personnes poursuivies figurent des défenseurs
des droits humains, des journalistes, des avocats, des syndicalistes
et des représentants du «Conseil de coordination», organe phare
de l’opposition politique.
3. Selon l'organisation non gouvernementale Freedom House, le
nombre de prisonniers politiques, parmi lesquels figurent des défenseurs
des droits humains, des journalistes, des militants, des représentants d'organisations
de jeunesse et de partis politiques, a atteint le chiffre de 300 personnes,
à l’encontre desquelles les chefs d’accusation retenus ont été fabriqués
de toutes pièces. En mars 2021, deux prisonniers politiques ont
fait une tentative de suicide, tandis que trois autres – Igor Losik,
Igor Bantser et Dmitriy Furmanov – ont mené des grèves de la faim
en signe de protestation.
4. L’Assemblée considère les personnes visées ci-dessus comme
des prisonniers politiques selon la définition de ce terme figurant
dans la
Résolution 1900
(2012). Ces personnes se trouvent en détention administrative
ou provisoire ou purgent des peines de prison pour le seul fait
d’avoir participé à des manifestations pacifiques ou d’avoir publié
des informations sur ces manifestations et sur la répression injustifiée
de celles-ci par les forces de l’ordre.
5. L’Assemblée note que les auteurs de ces violations graves
et réitérées des droits humains, commises à grande échelle dans
le cadre de la répression des manifestations contre la falsification
du scrutin présidentiel, n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale
au niveau national, alors que les tortures et traitements inhumains ou
dégradants sont considérés comme des crimes par le droit bélarusse.
Pour ce qui est des instruments internationaux permettant de combattre
la torture, le Bélarus n’est Partie contractante ni à la Convention européenne
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (STE no 126), ni au Protocole
facultatif des Nations Unies se rapportant à la Convention contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants (OPCAT), ni au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
6. L’Assemblée souligne que la lutte contre l’impunité des auteurs
de graves violations des droits humains est d’une importance capitale
pour des raisons de principe ainsi que pour dissuader les auteurs
potentiels de nouvelles violations des droits humains, réaffirmant
ainsi ses
Résolutions
2252 (2019),
2157
(2017),
2134 (2016) et
1966 (2014). Elle
note que la législation pénale de plusieurs États membres du Conseil
de l’Europe prévoit la «compétence universelle» de leurs tribunaux
pour certains crimes particulièrement graves, y compris des actes
de torture, même commis à l’étranger, par des étrangers et ayant
des étrangers comme victimes. Elle note aussi que plusieurs États
ont adopté des «lois Magnitski» sur la base desquelles peuvent être imposées
des sanctions ciblées à l’encontre des auteurs de violations graves
des droits humains.
7. L’Assemblée se félicite de l’initiative des défenseurs des
droits humains au Bélarus qui ont réussi à réunir de nombreuses
preuves de tortures et de traitements inhumains ou dégradants, et
à en identifier les auteurs présumés.
8. Elle salue l’initiative lancée par le Parlement européen,
en coopération avec d’autres acteurs internationaux, dans l’esprit
des suites données aux recommandations du mécanisme de Moscou de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de mettre en
place une plateforme consultative internationale, la Plateforme
internationale de responsabilisation pour le Bélarus, chargée de réunir
des preuves des violations graves des droits humains au Bélarus
et de les évaluer en vue de les mettre à la disposition des autorités
compétentes des États membres afin de leur permettre de poursuivre
les auteurs bélarusses de tels crimes, commis au Bélarus et dont
les victimes sont bélarusses. L'Assemblée soutient également la
création d’un groupe de travail ad hoc au sein du Conseil de l’Europe
chargé de suivre la situation des droits humains au Bélarus et de
contribuer à la plateforme susmentionnée.
9. L’Assemblée considère que les informations recueillies par
les défenseurs des droits humains au Bélarus et les preuves évaluées
par la plateforme lancée au sein du Parlement européen pourront
servir de socle à des poursuites pénales engagées sur la base de
la compétence universelle, ainsi qu’au prononcé de sanctions ciblées
au titre des «lois Magnitski».
10. Elle se félicite des poursuites déjà engagées par la justice
lituanienne sur la base de la compétence universelle et de l’engagement
de certains États membres, notamment des pays baltes, de la Pologne
et de l’Ukraine, qui accueillent les victimes de la répression contraintes
à l’exil et qui soutiennent la société civile au Bélarus.
11. L’Assemblée appelle:
11.1 les
autorités bélarusses:
11.1.1 à engager le dialogue avec
l’opposition, seul moyen de mettre un terme aux violences et aux
violations des droits humains, et à organiser de nouvelles élections
démocratiques cette année pour sortir de la crise politique;
11.1.2 à libérer sans délai tous les prisonniers politiques;
11.1.3 à mettre immédiatement fin à tous les actes de torture
et de traitement inhumain ou dégradant commis à l’encontre d’opposants
au régime, qu’ils aient lieu dans les espaces publics, dans les
lieux de vie des citoyens et dans tout lieu de détention;
11.1.4 à poursuivre tous les auteurs de tels actes selon le Code
pénal bélarusse;
11.1.5 à coopérer avec la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) en vue de réformer le Code pénal
bélarusse de manière à décriminaliser l’usage des libertés d’expression,
de réunion et d’association;
11.1.6 à signer et à ratifier le Protocole facultatif se rapportant
à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT) ainsi que
le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et à demander
au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à être invitées à
accéder à la Convention européenne pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants;
11.1.7 à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir
le droit à un procès équitable, y compris l’accès à un avocat;
11.1.8 à cesser toutes les entraves à la liberté des médias et
à la liberté de réunion;
11.1.9 à mettre en œuvre toutes les recommandations de la Commission
de Venise dans son Avis du 20 mars 2021 sur la compatibilité avec
les normes européennes de certaines dispositions de droit pénal
utilisées pour poursuivre des manifestants pacifiques et les membres
du «Conseil de coordination»;
11.1.10 à abolir la peine de mort dans les meilleurs délais, en
commençant par un moratoire;
11.2 les États membres du Conseil de l’Europe:
11.2.1 à
étudier les mécanismes qui permettraient de faciliter le dialogue
entre les autorités et l'opposition en vue de sortir de la crise
politique;
11.2.2 à exiger, dans leurs relations avec les autorités bélarusses,
à tous les niveaux, la libération sans délai de tous les prisonniers
politiques et la fin de la campagne de répression visant les manifestants
et leurs familles, et à soumettre toute coopération économique,
financière et politique à cette condition;
11.2.3 à soutenir les efforts en cours au niveau international
pour demander des comptes aux auteurs des violations graves des
droits humains au Bélarus commises par des agents de l’État jouissant
de l’impunité, notamment en faisant usage de la compétence universelle
prévue dans leur législation pénale ou, le cas échéant, en introduisant
cette possibilité dans leur législation;
11.2.4 à continuer à accueillir les victimes de la répression
contraintes à l’exil politique et à soutenir la société civile bélarusse,
y compris les familles des prisonniers politiques, et à octroyer des
bourses d’étude aux étudiants bélarusses expulsés de leurs facultés;
11.2.5 à se servir de leurs «lois Magnitski» permettant d’imposer
des sanctions ciblées contre des auteurs de violations des droits
humains ainsi que les auteurs présumés de telles violations au Bélarus,
et le cas échéant d’adopter de telles lois;
11.3 les institutions compétentes de l’Union européenne:
11.3.1 à exiger, dans leurs relations avec le Bélarus, à tous
les niveaux, la libération sans délai de tous les prisonniers politiques et
la fin de la campagne de répression visant les manifestants et leurs
familles, et à soumettre toute coopération économique et financière
à cette condition;
11.3.2 à renforcer leur coopération avec la société civile bélarusse,
à soutenir les familles des prisonniers politiques et à octroyer
des bourses d’étude aux étudiants bélarusses expulsés de leurs facultés;
11.3.3 à soutenir l’initiative développée au sein du Parlement
européen visant à créer une plateforme de coordination qui rassemble
au niveau international les efforts de lutte contre l’impunité des
auteurs des violations des droits humains au Bélarus, en recueillant,
analysant et évaluant les informations et indications pertinentes,
pour aider les autorités pénales nationales à faire usage de la
compétence universelle et pour imposer des sanctions ciblées grâce
aux mécanismes «Magnitski» existants ou à créer, et à durcir les
peines personnalisées prononcées à l’encontre des auteurs de violations
des droits humains, notamment la police, les procureurs et les juges.