Renvois sur terre et en mer: mesures illégales de gestion des migrations
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 12 octobre 2022 (31e séance)
(voir Doc. 15604, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, rapporteur: M. Pierre-Alain Fridez). Texte adopté par l’Assemblée le 12 octobre
2022 (31e séance).
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
sa
Résolution 2299 (2019) et
sa
Recommandation 2161 (2019), «Politiques
et pratiques en matière de renvoi dans les États membres du Conseil
de l’Europe», et la réponse ultérieure à la recommandation (
Doc. 15088) dans
laquelle le Comité des Ministres a salué l’attention continue que
l’Assemblée porte aux migrants et aux demandeurs d’asile. La notion
de «renvoi» (
pushback) «traduit
la nature violente et physique des pratiques en cause» et «peut
être appliquée de façon générale aux cas de non‑respect des obligations
liées aux droits de l’homme, en ce qui concerne le refus d’entrée
dans un pays opposé à des personnes demandant une protection, le
refoulement de celles déjà présentes sur un territoire, les expulsions
collectives, les obligations de subir des dépistages, et d’autres
actions hostiles visant à refuser l’entrée dans les pays européens
aux frontières maritimes et terrestres» (
Doc. 14909). Ces pratiques de renvoi sont
également liées à l’organisation d’accords entre États visant à
retenir les migrants d’un côté de la frontière moyennant un avantage
financier ou économique (
pullbacks).
2. L’Assemblée observe que, dans sa réponse, le Comité des Ministres
a souligné que le droit de chercher asile devait être respecté et
en particulier que les demandeurs d’asile avaient droit à «un examen
individuel et équitable de leurs demandes par les autorités compétentes».
Le Comité des Ministres a rappelé l’obligation d’un État recevant
une demande d’asile «de s’assurer que le retour du requérant dans
son pays d’origine ou dans un autre pays ne l’exposera[it] pas à
un risque réel de peine de mort, de torture ou à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants, à des persécutions ou violations graves
d’autres droits fondamentaux qui justifieraient l’octroi de protection
en vertu du droit international ou national». L’article 3 de la
Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
la «Convention») et l’article 4 de son Protocole no 4
(STE no 46) interdisent aux États membres
du Conseil de l’Europe de renvoyer les migrants et les demandeurs
d’asile vers un autre pays sans avoir déterminé pour chaque individu
concerné si ce retour serait sûr.
3. L’Assemblée rappelle sa
Résolution 2379 (2021) «Le
rôle des parlements dans la mise en œuvre des Pactes mondiaux des
Nations Unies pour les migrants et réfugiés», et sa
Résolution 2408 (2021) «70e anniversaire
de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés: le Conseil
de l’Europe et la protection internationale des réfugiés», dans
laquelle elle est convenue d’appuyer les efforts mondiaux visant à
protéger le droit d’asile consacré par la Convention de 1951 des
Nations Unies relative au statut des réfugiés (la «Convention de
1951 sur les réfugiés») et d’autres instruments internationaux pertinents.
4. L’Assemblée déplore le profond mépris des normes internationales
en la matière dans certains pays, auquel s’ajoute dans d’autres
pays l’instrumentalisation du flux migratoire à des fins politiques,
et conclut à la persistance des atteintes au droit d’asile. Les
renvois aux frontières ont pris des proportions inquiétantes, tant sur
terre que dans l’environnement plus dangereux de la mer, devenant
un problème paneuropéen qui concerne au moins la moitié des États
membres du Conseil de l’Europe. Loin de se limiter à un ou deux
pays ou à un ou deux incidents, les allégations se multiplient et,
fait plus inquiétant, elles font désormais partie d’une politique
tolérée. Les refoulements de la Croatie vers la Bosnie-Herzégovine,
de la Grèce vers la Türkiye, de Malte et de l’Italie vers la Libye,
de la Hongrie vers la Serbie et de la Pologne vers le Bélarus ne
font qu’aggraver une situation déjà critique pour les migrants et
les réfugiés, et exposer davantage ces personnes au risque de mourir
au cours d’un périple extrêmement périlleux.
5. L’Assemblée appelle également les États membres et observateurs
du Conseil de l’Europe, ainsi que les États dont le parlement bénéficie
du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès
de l’Assemblée, à respecter leurs obligations internationales et
à renforcer la solidarité interétatique. Tous, y compris les États
membres d’Europe centrale et du Nord, devraient travailler ensemble
pour garantir le droit d’asile. Cette solidarité interétatique est
essentielle pour que l’Europe soit plus forte, sur les plans politique, économique,
social et culturel. La migration est un phénomène de société naturel
et elle devrait être traitée collectivement, en tant que continent,
afin de parvenir à une gestion ordonnée des flux migratoires qui
permette de promouvoir l'inclusion sociale et professionnelle des
migrants, tout en bénéficiant pleinement de ses incidences positives.
6. L’Assemblée se félicite de la recommandation «Repoussés au-delà
des limites. Il est urgent de mettre un terme aux refoulements aux
frontières de l’Europe» dans laquelle la Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, Mme Dunja
Mijatović, se penche sur le rôle des parlementaires dans la prévention
des violations des droits de l’homme aux frontières, observant que,
dans le cadre de leur mission plus large de garants des droits de
l’homme, les parlementaires peuvent jouer un rôle essentiel dans
la prévention des refoulements, en tant que législateurs et en tant
que responsables du contrôle démocratique de l’action gouvernementale.
7. L’Assemblée souligne l’importance de disposer, aux niveaux
national et européen, de mécanismes indépendants de contrôle des
frontières efficaces. L’Assemblée met toutefois en garde contre
le risque d’une adhésion de pure forme au principe d’indépendance
de la part d’autorités nationales qui voudront miner l’indépendance
de ces organes en les rendant tributaires des financements publics,
en imposant que des entités favorables au gouvernement en place
fassent partie des comités de surveillance, en limitant leur accès à
la frontière ou aux lieux de rétention des migrants, ou en limitant
leurs activités par d’autres moyens. Elle rappelle l’importance
des freins et contrepoids démocratiques, et d’un contrôle pleinement
indépendant.
8. L’Assemblée observe que l’Union européenne est souvent la
principale destination des migrants qui arrivent en Europe. Les
institutions de l’Union européenne devraient donc agir en tant que
garantes de la protection internationale des droits humains en ce
qui concerne le droit d’asile et l’interdiction du refoulement. L’Agence
européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) devrait
être invitée à renforcer sa capacité à traiter les allégations de
refoulement et à diligenter des enquêtes approfondies pour que les responsables
des refoulements répondent de leurs actes devant la justice. L’Assemblée
souligne qu’un contrôle efficace des frontières est pleinement compatible
avec la protection des droits fondamentaux. Il convient donc de
soutenir l’activité de l’officier aux droits fondamentaux de Frontex
et de renforcer sa capacité de contrôle.
9. L’Assemblée déplore que la législation relative à la lutte
contre la contrebande soit utilisée à l’encontre des défenseurs
des droits de l’homme et des personnes qui participent à des opérations
de recherche et de sauvetage sur terre ou en mer, ce qui rend l’accès
à l’asile des personnes en déplacement plus difficile. Le droit
d’asile comprend le droit d’être informé des procédures d’asile,
notamment par des organisations de la société civile, des groupes
de défense, des défenseurs des droits de l’homme et des institutions
d’aide judiciaire spécialisées. Les États doivent s’assurer que
le fonctionnement de ces organismes n’est pas entravé de facto par l’application de dispositions
qui criminalisent leurs activités.
10. L'Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe
à encourager les changements à l'échelle européenne pour parvenir
à un parcours d'accueil durable et partagé avec les autres États
membres, conformément au principe de solidarité visé à l'article
80 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, fondé
sur le partage des responsabilités. L'Assemblée appelle donc les
États membres du Conseil de l’Europe à modifier leur législation
et leur pratique pour favoriser une politique multilatérale d'ouverture
de voies légales d'entrée vers tous les pays européens sur la base
d'une responsabilité partagée, pour promouvoir la solidarité avec
les pays les plus touchés par les flux de migrants entrant par mer
et par terre, et ainsi contribuer à mettre fin aux refoulements.
11. L’Assemblée se félicite des décisions rendues par les juridictions
régionales de certains pays en faveur de réfugiés, migrants et demandeurs
d’asile qui avaient été repoussés hors des frontières extérieures
de l’Union européenne, soulignant que la pratique du refoulement
des demandeurs d’asile constitue une violation du principe de la
dignité humaine.
12. L’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe
à modifier leur législation et leur pratique pour mettre fin aux
refoulements sur terre et en mer, et à codifier le principe de non-refoulement
dans la législation nationale. Plus précisément, elle leur demande
de prendre des mesures pour prévenir les refoulements, protéger
les victimes et poursuivre les responsables de ces refoulements,
et améliorer la coopération et la coordination internationales entre
les autorités de surveillance des frontières, la police et d’autres
organes chargés de la protection des frontières, comme suit:
12.1 en ce qui concerne la prévention:
12.1.1 prévenir toutes opérations de «renvoi» et de pullback des migrants, réfugiés
et demandeurs d’asile. Il conviendrait de veiller en priorité à
ce que la gestion des frontières soit alignée sur le droit international
et les obligations en matière de droits de l’homme. L’Assemblée souligne
la nécessité de garantir une évaluation individuelle des besoins
de protection et du caractère sûr d’un retour en vue de prévenir
toute violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits
de l’homme, et l’interdiction des expulsions collectives consacrée
à l’article 4 du Protocole no 4 à la
Convention;
12.1.2 établir un accès sécurisé aux postes de contrôle aux frontières;
les représentants des mécanismes nationaux de prévention devraient
notamment avoir un accès sans entrave aux postes de contrôle et,
lorsqu’ils existent, aux lieux de rétention, afin de garantir le
plein respect des normes internationales en matière d’asile;
12.1.3 rendre la législation et les politiques nationales conformes
aux droits de l'homme et modifier la législation sur les migrations
en vue de prévenir et d'interdire les refoulements et le déni du
droit d'asile;
12.1.4 faire en sorte que le cadre juridique pertinent soit précis
et clair pour tous les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile,
et disponible, autant que possible, dans des langues qui permettent
à ces personnes de comprendre la procédure. Des moyens de recours
pertinents et efficaces devraient être mis en place en cas de rejet
de la demande d’asile en première instance;
12.1.5 encourager et soutenir la participation de la société
civile aux mécanismes indépendants de surveillance aux niveaux national
et européen, compte tenu du fait que son rôle dans la défense et
la promotion des valeurs démocratiques et des droits fondamentaux,
y compris le droit d’asile, est essentiel, notamment en ce qu’elle
joue un rôle important dans le signalement des cas de refoulement.
Des mécanismes indépendants de surveillance des opérations aux frontières
devraient pouvoir permettre de vérifier les abus commis par les
services de police aux frontières et en rendre compte aux autorités
judiciaires compétentes. Les États membres du Conseil de l’Europe
doivent respecter le rôle des organisations non gouvernementales
et des défenseurs des droits de l’homme conformément à leurs engagements,
comme cela est énoncé dans la Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des
Ministres sur le statut juridique des organisations non gouvernementales
en Europe;
12.2 en ce qui concerne la protection:
12.2.1 développer
des programmes spécifiques visant à protéger les victimes des refoulements,
éventuellement dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe
sur la protection des personnes vulnérables dans le contexte des
migrations et de l’asile en Europe (2021-2025), et veiller à ce
que des mécanismes de plainte efficaces soient en place pour les victimes.
Des mesures doivent être prises en urgence pour protéger les migrants
et les réfugiés les plus vulnérables, à savoir les enfants, les
femmes, les personnes handicapées et les personnes âgées. Tous les
États membres du Conseil de l’Europe doivent établir l’interdiction absolue
des renvois d’enfants migrants;
12.2.2 les États membres de l’Union européenne devraient prendre
des mesures pour mettre le droit et la pratique de l’Union européenne
en conformité avec les normes relatives aux droits humains, comme
le mentionne la
Résolution 2416 (2022) de
l’Assemblée, «Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile
du point de vue des droits humains», y compris en prévoyant les
garanties juridiques clairement établies dans la Convention de 1951
sur les réfugiés et la Convention européenne des droits de l’homme.
Les violations du droit de demander l’asile doivent cesser;
12.3 en ce qui concerne les poursuites:
12.3.1 s’assurer
que les allégations de renvois font l’objet d’enquêtes approfondies
et que les responsables répondent de leurs actes afin de faire cesser
ces pratiques. L’Assemblée rappelle par conséquent l’importance
de l’interdiction de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants
et de l’interdiction des expulsions collectives, y compris pendant
les situations d’urgence;
12.3.2 exécuter les jugements des tribunaux nationaux et de la
Cour européenne des droits de l’homme, y compris les mesures provisoires,
concernant les renvois et les refus d’accès à l’asile, voire à une
procédure d’asile, et donner suite aux recommandations des organes
indépendants nationaux tels que les défenseurs des droits, comme
cela est indiqué dans la
Résolution 2299 (2019),
sans perdre de vue le fait que la codification du principe de non-refoulement
dans le droit interne est essentielle;
12.4 en ce qui concerne la coopération et la coordination internationales:
12.4.1 renforcer la coopération et la coordination internationales
dans les domaines de la protection des frontières, d’une part, et
de la gestion des migrations, d’autre part. Ce point est particulièrement
important s’agissant des opérations de recherche et de sauvetage
en mer, qui doivent être efficaces, l’objectif premier étant de
sauver des vies. Il conviendrait donc de continuer à renforcer la
coopération et la coordination internationales en mer en vue de
prévenir les tragédies humaines aux frontières maritimes de l’Europe;
12.4.2 au sujet de la coopération entre les services de police
aux frontières, prévoir une formation spécialisée sur l’application
des normes internationales en matière d’accès à une procédure d’asile,
de manière à garantir le fait que toute personne indiquant qu’elle
a besoin d’une protection internationale bénéficie de mesures adéquates.
Il est possible d’utiliser les nouveaux moyens technologiques pour
améliorer l’accès aux procédures et fournir des informations pertinentes
aux demandeurs d’asile dans différentes langues;
12.4.3 renforcer la coopération internationale aux niveaux régional
et mondial pour dresser le bilan des progrès réellement accomplis
en matière de droit d’asile. Les travaux du Rapporteur spécial sur
les droits de l’homme des migrants des Nations Unies, les mesures
de suivi de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés pour que
la Convention de 1951 sur les réfugiés et son protocole de 1967
soient pleinement respectés et les actions de la Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe et de la Représentante
spéciale de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe sur les
migrations et les réfugiés doivent orienter les politiques publiques,
en plus des organes conventionnels compétents;
12.4.4 continuer à développer la coopération internationale entre
les polices aux frontières des pays de l’Union européenne et des
pays non membres de l’Union européenne, avec la participation de
Frontex, dans le but d’accroître les compétences des polices aux
frontières des États membres du Conseil de l’Europe en matière de
droit d’asile, dans le plein respect de la Convention de 1951 sur
les réfugiés et de son protocole de 1967, de la Convention européenne des
droits de l’homme et d’autres traités pertinents. Les mesures de
réparation en cas de non-respect de la loi devraient être clairement
énoncées et appliquées.
13. L’Assemblée se félicite des nouvelles initiatives visant à
assurer la protection des frontières de l’Europe dans le plein respect
des droits fondamentaux et de la dignité des personnes qui tentent
de franchir les frontières. Elle appelle à une discussion ouverte
et constructive, fondée sur les conclusions de l’étude de faisabilité
lancée le 4 mai 2022, en prévision de la mise en place d’un mécanisme
solide et indépendant de surveillance des droits humains aux frontières
extérieures de l’Union européenne.
14. Enfin, l’Assemblée appelle à un engagement plus fort pour
faire respecter les normes en matière de droits humains aux frontières
de l’Europe. Le temps est venu pour les parlementaires de s’élever
contre les renvois, de demander le partage des responsabilités dans
la gestion des migrations entre les différents États membres du
Conseil de l’Europe et de suivre de près les développements tant
au niveau national qu’au niveau européen.