Questions juridiques et violations des droits de l'homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 26 janvier 2023 (7e séance)
(voir Doc. 15689, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteur: M. Damien Cottier). Texte adopté par l’Assemblée le
26 janvier 2023 (7e séance).
1. L'Assemblée parlementaire réaffirme
que l'attaque armée et l'invasion de grande ampleur de l'Ukraine lancées
par la Fédération de Russie le 24 février 2022 sont une «agression»
au sens de la Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale des
Nations Unies adoptée en 1974 et constituent clairement une violation
de la Charte des Nations Unies. La tentative d'annexion des régions
ukrainiennes de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijjia, faisant
suite aux «référendums» illégaux organisés par la Fédération de
Russie dans ces régions en septembre 2022, représente une nouvelle
escalade de l'agression contre l'Ukraine. Elle viole clairement
le principe du droit international selon lequel aucune acquisition
territoriale résultant de l'emploi de la force ne sera reconnue
comme légale. La Fédération de Russie sera considérée comme poursuivant
son agression jusqu’à ce que la souveraineté, l'intégrité territoriale,
l'unité et l'indépendance politique de l'Ukraine à l'intérieur de
ses frontières internationalement reconnues soient pleinement rétablies.
L'Assemblée rappelle que l'agression en cours est le prolongement
de l'agression commencée le 20 février 2014, qui comprenait l'invasion,
l'occupation et l'annexion illégale de la Crimée par la Fédération
de Russie.
2. L'Assemblée note que l'agression commise par la Fédération
de Russie a constitué une violation grave du Statut du Conseil de
l'Europe (STE no 1), ce qui a justifié
la décision sans précédent prise par le Comité des Ministres d'exclure
la Fédération de Russie de l'Organisation, en accord avec la position
unanime exprimée par l'Assemblée dans son
Avis 300 (2022).
3. L'Assemblée note également que le Bélarus a participé à l'agression
commise par la Fédération de Russie contre l'Ukraine, dans la mesure
où il lui a permis d'utiliser son territoire pour perpétrer des
actes d'agression contre l’Ukraine. Son rôle et sa complicité devraient
être condamnés par la communauté internationale et ses dirigeants
devraient rendre des comptes à ce sujet.
4. L'Assemblée considère que les actes d'agression non provoqués
commis par la Fédération de Russie et le Bélarus, compte tenu de
leur caractère, de leur ampleur et de leur gravité, constituent
des violations manifestes de la Charte des Nations Unies, en particulier
de l'interdiction du recours à la force énoncée au paragraphe 4
de l'article 2. Ils n'ont aucune justification juridique crédible
au sens du jus ad bellum,
notamment la légitime défense. Ces actes relèvent donc de la définition
du «crime d'agression» telle qu'elle est énoncée à l'article 8 bis du Statut de la Cour pénale
internationale (CPI) et dans le droit international coutumier. Les dirigeants
politiques et militaires russes et bélarusses qui ont planifié,
préparé, lancé ou exécuté ces actes, et qui étaient en mesure de
contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire de l'État,
devraient être identifiés et poursuivis. Sans leur décision de mener
cette guerre d'agression contre l'Ukraine, les atrocités qui en découlent
(crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide éventuel),
ainsi que toutes les destructions, les décès et les dommages occasionnés
par la guerre, y compris par les actes licites de guerre, ne se
seraient pas produits. Le Comité des droits de l'homme des Nations
Unies a déclaré à cet égard que les États qui se livrent à des actes
d'agression au sens du droit international, qui ont pour effet d’infliger
la mort, violent ipso facto le
droit à la vie garanti par l'article 6 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques.
5. L'Assemblée note que la CPI n'a actuellement pas compétence
pour le crime d'agression commis contre l'Ukraine, étant donné que
ni la Fédération de Russie, ni le Bélarus, ni l'Ukraine ne sont
parties au Statut de la CPI et que le Conseil de sécurité des Nations
Unies n'a pas renvoyé la situation au procureur de la CPI. L'éventuel
exercice et abus du droit de veto par la Fédération de Russie au
Conseil de sécurité des Nations Unies rend une telle saisine hautement
improbable dans les circonstances actuelles. L'Assemblée note en outre
qu'il n'existe pas d'autre tribunal pénal international compétent
pour poursuivre et punir le crime d'agression commis contre l'Ukraine.
Les poursuites nationales, en Ukraine et dans d'autres pays, engagées sur
le fondement des principes de territorialité ou de compétence universelle,
se heurtent à de nombreuses difficultés juridiques et pratiques,
notamment en raison de la perception de l'impartialité, de la légitimité
et des immunités.
6. L'Assemblée réitère donc son appel unanime aux États membres
et aux États observateurs du Conseil de l'Europe pour qu'ils instituent
un tribunal pénal international spécial pour le crime d'agression
contre l'Ukraine, qui devrait être approuvé et soutenu par le plus
grand nombre possible d'États et d'organisations internationales,
et en particulier par l'Assemblée générale des Nations Unies. La
proposition de créer un tribunal spécial pour le crime d'agression
contre l'Ukraine a jusqu'à présent reçu le soutien de plusieurs parlements
et gouvernements nationaux, du Parlement européen, de la Commission
européenne, de l'Assemblée parlementaire de l’Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe et de l'Assemblée parlementaire
de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Le Comité des
Ministres s'est félicité des initiatives prises actuellement, en
coopération avec l'Ukraine, pour que les auteurs du crime d'agression répondent
de leurs actes. L'Assemblée estime que les chefs d'État et de gouvernement
du Conseil de l'Europe, lors de leur 4e sommet
à Reykjavik en mai 2023, devraient apporter leur soutien politique
à la création d'un tel tribunal, et fournir l’expertise et le soutien
technique du Conseil de l’Europe au processus de sa création, en étroite
coordination avec d’autres organisations internationales et États
intéressés. L’Assemblée considère que le Conseil de l’Europe devrait
jouer un rôle de premier plan dans la création du tribunal spécial,
participer aux consultations et négociations pertinentes, et fournir
un appui spécialisé et technique concret au processus de création
du tribunal spécial.
7. L'Assemblée appuie fermement la création d'un tribunal spécial
qui présenterait les caractéristiques suivantes:
7.1 sa compétence serait limitée
au crime d'agression commis contre l'Ukraine et s'étendrait ratione temporis à l'agression lancée
par la Fédération de Russie en février 2014. Sa compétence inclurait
le rôle et la complicité des dirigeants du Bélarus dans la guerre
d'agression contre l'Ukraine;
7.2 son statut contiendrait une définition du crime d'agression
conforme à l'article 8 bis du
Statut de la CPI et au droit international coutumier;
7.3 son statut indiquerait précisément que les immunités personnelles
ne s'appliqueront pas aux représentants de l'État en exercice, conformément
à la pratique d'autres tribunaux pénaux internationaux, et que les
immunités de fonction ne seront, en tout état de cause, pas applicables
au crime d'agression. La qualité officielle de chef d'État ou de
gouvernement, de membre du gouvernement ou du parlement, de représentant
élu ou de représentant du gouvernement ne devrait en aucun cas exonérer
l'accusé de sa responsabilité pénale pour le crime d'agression,
ni justifier une peine atténuée. Ce principe devrait s'appliquer
aux ressortissants des États qui ne sont pas parties au traité ou
à l'accord constitutif, en particulier à ceux de l’État agresseur
et de son complice;
7.4 son statut comporterait une liste des droits à un procès
équitable de l'accusé, ainsi qu'une mention du principe de légalité
et du principe en vertu duquel nul ne peut être jugé ou condamné
deux fois pour les mêmes faits (non bis
in idem), conformément au droit international des droits
de l'homme et à la Convention européenne des droits de l'homme (STE
no 5, ci-après «la Convention»), selon l’interprétation
retenue par la Cour européenne des droits de l’homme;
7.5 son rôle viendrait en complément de la compétence de la
CPI et ne limiterait ni ne nuirait en rien à l'exercice par cette
dernière de sa compétence pour les crimes de guerre, les crimes
contre l'humanité et le génocide éventuel commis dans le cadre de
l'agression en cours et de sa compétence en général. Il conviendrait
que la CPI et le tribunal spécial s’entendent sur des questions
pratiques et juridiques telles que la mise en commun des preuves,
la garde des suspects, l’élaboration de programmes communs de protection
des témoins et l'ordre des procès des personnes poursuivies par
les deux juridictions;
7.6 son siège devrait être établi à La Haye, en vue d'assurer
la complémentarité et la coopération avec la CPI et d’autres cours
et institutions internationales;
7.7 les États et les organisations internationales qui soutiennent
le tribunal spécial devraient lui fournir les ressources humaines
et financières suffisantes, en veillant à ce que ce tribunal soit pleinement
indépendant et à ce qu’il fonctionne efficacement tout en tenant
compte, dans sa structure, du fait qu'il ne sera certainement pas
en mesure de fonctionner immédiatement ou de manière permanente
à pleine capacité.
8. En attendant la création d'un tribunal spécial sur le crime
d'agression contre l'Ukraine, l'Assemblée appelle les États membres
et le Conseil de l’Europe à soutenir et à fournir une assistance
spécialisée et technique concrète au processus de mise en place
d'un bureau du procureur international intérimaire chargé d'enquêter
sur le crime d'agression, en étroite coopération avec le Bureau
du procureur général d'Ukraine. Il importe que les États membres
coopèrent étroitement avec cette nouvelle instance et veillent à
ce que leur législation interne garantisse une coopération judiciaire
étroite avec elle. Un tel bureau pourrait être établi hors d'Ukraine,
idéalement à La Haye.
9. Parallèlement à la création d'un tribunal spécial, l'Assemblée
appelle les États membres et les États observateurs qui n'ont pas
encore ratifié le Statut de la CPI ou les amendements de Kampala
à le faire dans les meilleurs délais. Ils devraient également prendre
les mesures nécessaires pour modifier le régime juridictionnel du
Statut de la CPI, soit en autorisant les renvois à la CPI par l'Assemblée
générale des Nations Unies lorsque le Conseil de sécurité des Nations
Unies est bloqué, soit en supprimant les limites existantes de la
compétence à l'égard du crime d'agression, afin de rendre ce crime
cohérent avec les autres crimes relevant de sa compétence. Ces changements
renforceraient la cohérence, la légitimité et l'universalité d'ensemble
de la justice pénale internationale, en particulier pour le crime
d'agression. La proposition de créer un tribunal spécial pour répondre
à l'agression criminelle en cours contre l'Ukraine et la réforme
à long terme du Statut de la CPI permettant à la Cour de poursuivre
et de punir les agressions (futures) similaires ne s'excluent pas mutuellement
et devraient être poursuivies en parallèle.
10. L'Assemblée est indignée par les nombreux rapports faisant
état d'atrocités, de violations flagrantes des droits de l’homme
et de violations du droit humanitaire international commises par
les forces russes ou les groupes armés affiliés, et en particulier
le rôle épouvantable du groupe Wagner, au cours des hostilités ou
dans les zones qu'ils occupent temporairement pendant la guerre
d'agression en cours. Il s'agit d'attaques aveugles contre des civils
et des biens à caractère civil, notamment des hôpitaux, des écoles,
des centrales nucléaires, des infrastructures énergétiques et hydrauliques,
et des sites du patrimoine culturel, en violation des principes de
distinction, de proportionnalité et de précaution. Il s'agit également
d'exécutions sommaires de civils; d'assassinats ciblés; de tortures
et de mauvais traitements infligés à des civils et à des prisonniers
de guerre; de disparitions forcées; d'enlèvements; de viols et d'autres
formes de violences sexuelles; de détentions illégales de civils;
de transferts forcés et de déportations de citoyens ukrainiens,
y compris d'enfants, vers la Fédération de Russie ou des zones occupées
par la Fédération de Russie; d'utilisation d'armes explosives dans
des zones peuplées; de pillages; de «passeportisation» et de conscription
imposées de force à des ressortissants ukrainiens; de procès et
de condamnations à mort de prisonniers de guerre. Tout porte à croire que
nombre de ces violations constituent des infractions graves aux
Conventions de Genève et des crimes de guerre, et que certaines
peuvent même être qualifiées de crimes contre l'humanité, dans le
cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre la population
civile en Ukraine.
11. L'Assemblée condamne fermement ces crimes et réitère son appel
à la communauté internationale pour qu'elle envoie un message clair
indiquant que les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre
l'humanité devront répondre de leurs actes et que l'impunité pour
de tels crimes est inacceptable. Cela s'applique également aux auteurs
subalternes des crimes commis et à ceux qui en portent la responsabilité
hiérarchique. Tant la Fédération de Russie que l'Ukraine ont la
responsabilité première, en vertu du droit international, d'enquêter
sur ces crimes et de poursuivre leurs auteurs en justice.
12. L'Assemblée note qu'il est de plus en plus évident que le
discours officiel russe utilisé pour justifier l'invasion et l'agression
à grande échelle de l'Ukraine, et défendre le processus dit de «désukrainisation», présente
des caractéristiques d'incitation publique au génocide ou révèle
une intention génocidaire de détruire le groupe national ukrainien
en tant que tel ou au moins une partie de celui-ci. Elle rappelle
que la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Convention sur le génocide), à laquelle l'Ukraine
et la Fédération de Russie sont parties, interdit l'incitation directe
et publique à commettre un génocide et une tentative de génocide.
Elle note également avec la plus grande préoccupation que certains des
actes commis par les forces russes contre les civils ukrainiens
pourraient relever de l'article II de cette convention, notamment
les meurtres et le transfert forcé d'enfants d'un groupe à un autre
groupe à des fins de russification, au moyen de l’adoption par des
familles russes et/ou du transfert vers des orphelinats sous gestion
russe ou des structures d’accueil comme des camps d’été.
13. L'Assemblée rappelle que tous les États parties à la Convention
sur le génocide ont le devoir de punir le génocide. Selon l'interprétation
de la Cour internationale de justice, ils ont également l'obligation
de prévenir le génocide et l'obligation correspondante d'agir, qui
survient au moment où l'État a connaissance, ou devrait normalement
avoir connaissance, de l'existence d'un risque sérieux qu'un génocide
soit commis.
14. L'Assemblée note qu'il existe déjà des mécanismes internationaux
et nationaux qui visent à amener les responsables à répondre de
leurs actes et permettent d'enquêter sur les crimes de guerre, les
crimes contre l'humanité et le génocide éventuel commis pendant
la guerre en cours, de les poursuivre et, le cas échéant, de les
punir. Il s'agit notamment de la CPI, qui est compétente pour ces
crimes qui auraient été commis sur le territoire ukrainien; du système
de justice pénale de l'Ukraine et des systèmes de justice pénale
d'États tiers qui sont compétents sur la base du principe de compétence
universelle ou des principes de personnalité active ou passive.
L'Assemblée se félicite du renvoi de la situation actuelle en Ukraine
au procureur de la CPI par 43 États parties au Statut de la CPI.
Elle soutient fermement les enquêtes ouvertes par le procureur de
la CPI, le Bureau du procureur général de l'Ukraine et des pays
tiers, et se félicite de la création d'une équipe commune d'enquête
pour coordonner les initiatives prises en la matière.
15. L’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil
de l’Europe:
15.1 à soutenir pleinement
l'enquête lancée par le procureur de la CPI sur la situation en
Ukraine, en mettant en commun tous les éléments de preuve en leur
possession et en fournissant de manière durable des ressources humaines
et financières adéquates à la CPI pour lui permettre de faire face
à la charge de travail accrue et sans précédent à laquelle elle
est confrontée;
15.2 à aider les autorités ukrainiennes et, en particulier,
le Bureau du procureur général dans leurs efforts en cours pour
enquêter sur les allégations de crimes internationaux commis en
Ukraine, en renforçant leurs capacités, en fournissant des ressources
et des compétences, notamment celles d’experts médico-légaux, et,
le cas échéant, en recueillant, en conservant et en mettant en commun
les éléments de preuve provenant de victimes et de témoins éventuels
qui ont fui l'Ukraine, conformément aux normes relatives aux droits
de l'homme, afin de garantir leur recevabilité dans les procédures pénales;
15.3 à fournir un appui spécialisé aux autorités ukrainiennes
dans leurs activités d’enquête sur les violences sexuelles liées
au conflit, que les victimes bien souvent ne signalent pas systématiquement;
15.4 à utiliser le principe de compétence universelle ou d'autres
principes (personnalité active ou passive) pour enquêter sur les
allégations de crimes internationaux commis en Ukraine et engager
des poursuites;
15.5 à rejoindre ou à coopérer avec l'équipe commune d'enquête
mise en place par l'Ukraine et certains États membres de l'Union
européenne sous les auspices de l’Agence de l’Union européenne pour
la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) et avec la
participation du procureur de la CPI, dans le but d'échanger des
preuves et des informations dans le cadre des enquêtes en cours
sur les crimes présumés commis en Ukraine;
15.6 à faire usage, dans toute la mesure du possible, des instruments
du Conseil de l'Europe et d’autres instruments internationaux relatifs
à l'entraide judiciaire, aux fins de la collecte, du transfert et de
l'utilisation de preuves en rapport avec des crimes présumés commis
en Ukraine et, si besoin est, à envisager de les étendre;
15.7 à soutenir les travaux des organisations non gouvernementales
ukrainiennes et internationales, ainsi que des défenseurs des droits
de l'homme et des journalistes sur le terrain, visant à collecter
des preuves et à documenter des allégations de crimes internationaux
ou à fournir différents types d'assistance aux victimes et aux témoins,
y compris en ce qui concerne le transfert forcé d’enfants vers la
Fédération de Russie et les territoires sous occupation russe;
15.8 à renforcer la coordination et la cohérence entre tous
les mécanismes d’établissement des responsabilités et les acteurs
concernés, en vue d'éviter les doubles emplois et d'en améliorer l'efficacité;
15.9 à ratifier le Statut de Rome de la CPI et ses amendements,
notamment les amendements de Kampala, s'ils ne l'ont pas encore
fait.
16. L'Assemblée appelle les autorités ukrainiennes à respecter
strictement les obligations qui leur incombent au titre du droit
international humanitaire et à mener des enquêtes approfondies sur
tous les crimes de guerre et sur les violations du droit international
humanitaire qui auraient été commis par les forces et les combattants
russes ou ukrainiens, quelle que soit l'allégeance faite par l'auteur
ou la victime. Tous les procès devant les tribunaux ukrainiens devraient
être menés dans le respect du droit des suspects à un procès équitable,
conformément au droit international des droits de l'homme et au
droit international humanitaire. À cette fin, l’Assemblée encourage
les autorités ukrainiennes à coopérer avec des observateurs internationaux des
procès et à envisager d’inviter des juristes internationaux à participer
aux prochains procès. Les condamnations qui en résultent devraient
être compatibles avec le principe de légalité consacré par l'article 7 de
la Convention européenne des droits de l’homme, qui ne peut faire
l'objet d'une dérogation en temps de guerre.
17. L'Assemblée appelle également les autorités ukrainiennes à
mettre tout particulièrement l’accent sur l'activation de toutes
les procédures pertinentes permettant de recueillir des informations
sur les enfants ukrainiens transférés de force et d’assurer leur
retour en toute sécurité depuis la Fédération de Russie et les territoires
occupés par la Fédération de Russie.
18. L'Assemblée se félicite de l'adoption, le 14 novembre 2022,
par l'Assemblée générale des Nations Unies, de la résolution intitulée
«Agression contre l’Ukraine: recours et réparation», qui reconnaît
que la Fédération de Russie doit assumer les conséquences juridiques
de tous ses faits internationalement illicites commis en Ukraine
ou contre l'Ukraine, y compris en réparant les préjudices et les
pertes causés par de tels actes. Ladite résolution reconnaît en
outre la nécessité de mettre en place un mécanisme international
pour la réparation des dommages, pertes ou préjudices connexes et
recommande aux États membres de créer, en coopération avec l'Ukraine,
un registre international des dommages.
19. À cet égard, l'Assemblée réitère son appel lancé à tous les
États membres du Conseil de l'Europe pour qu'ils mettent en place
un mécanisme international d'indemnisation, comprenant un registre
international des dommages, en coopération avec les autorités ukrainiennes.
L'Assemblée souligne l'avantage comparatif du Conseil de l'Europe
dû à l'expérience acquise par la Cour européenne des droits de l'homme
et le Comité des Ministres dans l'évaluation et l'exécution des
demandes de satisfaction équitable pour des violations graves des
droits de l’homme, et considère que l'Organisation devrait jouer
un rôle de premier plan dans la mise en place et la gestion du futur
mécanisme. Un tel mécanisme présenterait les caractéristiques suivantes:
19.1 il serait établi par un traité
ou un accord multilatéral, ouvert à tous les États partageant les
mêmes idées, avec le soutien de l'Organisation des Nations Unies,
du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne et d'autres organisations
internationales;
19.2 il comprendrait, dans un premier temps, un registre des
dommages, qui servirait à recenser les éléments de preuve et les
demandes concernant les dommages, les pertes ou les préjudices causés
à toutes les personnes physiques et morales en Ukraine, ainsi qu'à
l'État ukrainien, par des violations du droit international découlant
de l'agression commise par la Fédération de Russie contre l'Ukraine;
19.3 il comprendrait, à un stade ultérieur, une commission
internationale d'indemnisation, chargée d'examiner et d’évaluer
les demandes présentées et recensées par le registre, ainsi qu'un
fonds d’indemnisation servant à verser des indemnisations aux auteurs
des demandes ayant abouti. Le traité ou l'accord fondateur réglementerait
des questions telles que le financement du fonds d'indemnisation, l'exécution
des indemnisations accordées et la manière dont les décisions prises
par d'autres organes et tribunaux internationaux en matière de réparation
et d'indemnisation dans le cadre de l'agression russe, comme les
arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, pourraient être
exécutées par le biais de ce mécanisme.
20. En outre, tout en réaffirmant ses précédentes recommandations
adressées à la Fédération de Russie depuis le lancement de son agression
contre l’Ukraine, l’Assemblée appelle la Fédération de Russie:
20.1 à cesser son agression contre
l’Ukraine immédiatement et sans condition;
20.2 à retirer complètement et sans condition ses forces d'occupation,
y compris ses propres forces militaires et ses auxiliaires, du territoire
ukrainien internationalement reconnu;
20.3 à respecter strictement les obligations qui lui incombent
au titre du droit international, notamment la Charte des Nations
Unies, du droit international des droits de l’homme et du droit
international humanitaire;
20.4 à mettre immédiatement fin aux attaques contre les civils
et les biens civils, y compris les attaques massives indiscriminées;
à garantir le plein respect des principes de distinction, de proportionnalité
et de précaution; et à autoriser le Comité international de la Croix-Rouge
à avoir pleinement accès aux prisonniers de guerre pour leur rendre
visite;
20.5 à cesser immédiatement les déportations et les transferts
forcés de civils ukrainiens, notamment d'enfants, vers la Fédération
de Russie et les territoires occupés par la Fédération de Russie;
à permettre leur retour en toute sécurité et, dans le cas des enfants,
à veiller à ce qu'ils soient rapidement réunis avec leur famille;
20.6 à enquêter efficacement sur toutes les allégations de
crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide éventuel
commis par les forces russes et les groupes armés affiliés, et à
veiller à ce que tous les auteurs de tels actes et ceux qui en sont
hiérarchiquement responsables soient dûment poursuivis et punis;
20.7 à coopérer aux enquêtes et aux procédures mises en place
par la CPI et la Cour internationale de justice (CIJ), et à se conformer
à leurs décisions, notamment l'ordonnance de la CIJ du 16 mars 2022 indiquant
que la Fédération de Russie devrait suspendre immédiatement les
opérations militaires qu'elle a commencées le 24 février 2022 sur
le territoire de l'Ukraine;
20.8 à coopérer avec la Commission d'enquête internationale
indépendante sur l'Ukraine des Nations Unies et à se conformer à
ses recommandations;
20.9 à coopérer aux procédures engagées devant la Cour européenne
des droits de l'homme pour les actes ou omissions susceptibles de
constituer une violation de la Convention, sous réserve qu'ils aient été
commis avant le 16 septembre 2022, en particulier dans le cadre
de l'affaire interétatique Ukraine c. Russie
(X) concernant des allégations de violations massives
et graves des droits de l'homme commises par la Fédération de Russie
en Ukraine depuis le 24 février 2022, et dans le cadre de toute
requête individuelle connexe contre la Fédération de Russie, et
à se conformer aux mesures provisoires indiquées par la Cour en
vertu de l'article 39 de son règlement à l’occasion de ces procédures.
21. L'Assemblée invite en outre:
21.1 la Cour européenne des droits de l'homme à accorder une
priorité accrue à l'examen des requêtes interétatiques et individuelles
contre la Fédération de Russie découlant de la guerre d'agression
en cours;
21.2 les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies à
envisager de mettre aux voix, sans y faire obstruction, une résolution
du Conseil de sécurité demandant le renvoi de la situation en Ukraine au
procureur de la CPI au titre du chapitre VII de la Charte des Nations
Unies;
21.3 l'Assemblée générale des Nations Unies à soutenir et à
approuver la création d'un tribunal pénal international spécial
pour le crime d'agression contre l'Ukraine et d'un mécanisme international d'indemnisation
pour les préjudices, dommages et pertes subis par l'État ukrainien,
ainsi que par les personnes physiques et morales en Ukraine, en
raison de la guerre d'agression russe;
21.4 l'Union européenne à coordonner étroitement ses initiatives
avec le Conseil de l'Europe pour mettre en place un système complet
d’établissement de responsabilités pour l'agression commise par la
Fédération de Russie contre l'Ukraine, comprenant le crime d'agression,
les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le génocide
éventuel et la réparation des dommages.
22. L'Assemblée appelle le Bélarus et le régime en place à s'abstenir
de toute nouvelle participation à l'agression, notamment en permettant
que son territoire soit utilisé par la Fédération de Russie pour
perpétrer des actes d'agression contre l'Ukraine, et à se conformer
à ses obligations en vertu du droit international.
23. L'Assemblée considère que l'incapacité des Nations Unies et
de son Conseil de sécurité à contrer l'agression russe en raison
d'un abus du droit de veto menace l’existence même de l'ordre international
fondé sur des règles et la sécurité démocratique des États membres
du Conseil de l'Europe. À cet égard, l'Assemblée soutient tous les
efforts et toutes les discussions visant à débloquer la situation
aux Nations Unies et à rendre cette organisation plus efficace,
notamment l'appel lancé pour demander à la Cour internationale de
justice de rendre un avis consultatif sur les éventuelles restrictions
du droit de veto implicites dans la Charte des Nations Unies et
les principes généraux du droit.
24. L'Assemblée devrait continuer de suivre l'évolution de la
situation de l'agression commise par la Fédération de Russie contre
l'Ukraine et ses aspects juridiques et relatifs aux droits de l'homme.
Lorsque les hostilités seront terminées, l'Assemblée devrait envisager
de tenir l'une de ses parties de sessions à Kiev, en signe de solidarité
avec l'Ukraine.