Le thème de la migration et de l’asile en campagne électorale et les conséquences sur l’accueil des migrants et leurs droits
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 23 janvier 2024 (3e séance)
(voir Doc. 15832, rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, rapporteur: M. Pierre-Alain Fridez;
et Doc. 15888, avis de la commission des questions politiques et de
la démocratie, rapporteur: M. Tural Ganjaliyev). Texte adopté par l’Assemblée le
23 janvier 2024 (3e séance).
1. La Déclaration de Reykjavík, adoptée
lors du 4e Sommet des chefs d’État et
de gouvernement du Conseil de l’Europe, rappelle les principes de
l’Organisation face aux menaces qui pèsent sur les droits humains,
l’État de droit et la paix en Europe, parmi lesquelles figurent
le recul démocratique, les atteintes à la liberté d’expression et
la prolifération de discours de haine. L’Assemblée parlementaire
considère que le traitement du thème de la migration et de l’asile
s’inscrit au carrefour de ces nombreux défis.
2. Considérant que les élections constituent des moments structurants
pour la démocratie, l’Assemblée s’inquiète de l’intensification
d’un traitement partiel et partial du thème de la migration et de
l’asile durant les campagnes électorales, qui légitime des propositions
politiques visant à entraver l’accès aux droits des personnes migrantes,
réfugiées et demandeuses d’asile, en contradiction avec les normes
du Conseil de l’Europe.
3. L’Assemblée reconnaît l’importance d’assurer l’expression
d’opinions plurielles voire divergentes sur le thème de la migration
et de l’asile durant les campagnes électorales. Elle souligne cependant
avec fermeté que les discours de haine et les mesures discriminatoires
ne peuvent constituer un programme politique respectueux des principes
et des normes du Conseil de l’Europe, et elle appelle les gouvernements
des États membres ainsi que les acteurs clés dans la définition
et la diffusion de la propagande électorale à mettre en œuvre la
Recommandation
CM/Rec(2022)16 du Comité des Ministres aux États membres
sur la lutte contre le discours de haine. L’Assemblée met l’accent
sur l’urgence d’un volontarisme politique fort pour mettre un terme
à l’instrumentalisation du thème de la migration et de l’asile à
des fins électorales afin que ce thème soit traité avec pondération
en prenant en compte l’ensemble des enjeux qu’il recouvre.
4. L’Assemblée rappelle que le thème de la migration et de l’asile
ne peut se résumer à des enjeux sécuritaires et appelle les hommes
et les femmes politiques ainsi que les médias à prendre urgemment
la mesure des conséquences d’un traitement partiel de cette nature
sur la cohésion sociale et l’ordre public. Elle se déclare profondément
préoccupée par l’augmentation des violences verbales et physiques
envers les personnes étrangères ou perçues comme telles, notamment
les personnes racisées et les membres de communautés religieuses
minoritaires, qui en résulte. L’Assemblée rappelle, en particulier,
les préoccupations qu’elle a exprimées dans la
Résolution 2457 (2022) «Sensibiliser
à et lutter contre l’islamophobie, ou racisme antimusulman, en Europe».
5. L’Assemblée souligne que la banalisation d’un traitement de
cet ordre sur le thème de la migration et de l’asile s’accompagne
d’une montée de l’intolérance envers les individus (défenseurs des
droits, élus, journalistes) et les institutions (universités, organes
de presse) favorables à l’accueil et à l’intégration des personnes
migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile. Elle appelle à sanctionner
les manifestations de cette intolérance, en particulier les entraves
aux libertés fondamentales, notamment aux libertés de réunion et d’association,
d’expression et de la presse, ou encore les atteintes à l’intégrité
physique et morale des personnes.
6. Rappelant la
Recommandation Rec(97) 20 du
Comité des Ministres aux États membres sur le «discours de haine»
selon laquelle le discours de haine et l’intolérance minent «la
sécurité démocratique, la cohésion culturelle et le pluralisme»,
l’Assemblée:
6.1 réitère l’importance
pour tous les États membres de ratifier le Protocole no 12
à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (STE no 177);
6.2 salue le travail de la Commission européenne contre le
racisme et l’intolérance (ECRI), et appelle les États membres à
harmoniser leurs cadres juridiques en accord avec la
Recommandation
de politique générale n°15 de l’ECRI sur la lutte contre
le discours de haine;
6.3 exhorte les États membres à renforcer les mesures visant
à protéger les débats politiques des ingérences et des manipulations
étrangères, en particulier pendant les campagnes électorales et lorsque
le but est de répandre la haine et les discours xénophobes.
7. Vu les recommandations aux agents publics, organes élus et
partis politiques formulées dans la
Recommandation
CM/Rec(2022)16, et tenant compte de la
Résolution 1546 (2007) «Le
code de bonne conduite des partis politiques», la
Résolution 1889 (2012) «Image
des migrants et des réfugiés véhiculée pendant les campagnes électorales»
et la
Résolution 2275
(2019) «Rôle et responsabilités des dirigeants politiques
dans la lutte contre le discours de haine et l’intolérance», l’Assemblée:
7.1 considère que les personnes
migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile font partie intégrante des
sociétés européennes et appelle les partis politiques et les médias
à se faire l’écho de cette réalité, de manière constructive. Elle
renouvelle son soutien aux groupes sous-représentés, notamment les personnes
migrantes, au processus électoral en tant que candidats ou électeurs;
7.2 souligne la nécessité, ainsi que l’a mis en exergue le
Comité des Ministres dans la
Recommandation
CM/Rec(2022)10 sur des politiques et une gouvernance
multiniveaux pour l’intégration interculturelle, d’une «approche
stratégique et cohérente à tous les niveaux de gouvernement afin
de garantir l’efficacité et la pérennité des politiques dans le
domaine de l’intégration et de l’inclusion des personnes migrantes»
et de «favoriser un sentiment d’appartenance commun et pluraliste
en valorisant la diversité, de renforcer la confiance sociale et
la cohésion de la communauté grâce à une interaction significative
entre des personnes de différents milieux socioculturels»;
7.3 rappelle l’obligation et la responsabilité morale incombant
aux hommes et aux femmes politiques de n’utiliser ni propos haineux
ni vocabulaire stigmatisant, et de condamner immédiatement et clairement
leur utilisation par autrui; elle réitère son appel aux partis politiques
à adopter des instruments d’autorégulation qui interdisent et sanctionnent
l’utilisation du discours de haine par leurs membres;
7.4 souligne que l’État de droit, la démocratie et les droits
humains sont les piliers du patrimoine constitutionnel de l’Europe
et appelle les partis politiques européens à se conformer au Code
de bonne conduite en matière de partis politiques
(CDL-AD(2009)021), qui
postule notamment que «[l]es partis politiques ne devraient pas
agir contre les valeurs de la [Convention européenne des droits
de l’homme] et le principe d’égalité» (article 18);
7.7 réaffirme l’importance de la
Convention sur la participation
des étrangers à la vie publique au niveau local (STE
no 144), adoptée en 1992 et applicable
aux personnes résidant légalement sur le territoire européen, qui
affirme que «la résidence d'étrangers sur le territoire national
est désormais une caractéristique permanente des sociétés européennes»,
et invite les États membres non parties à cette convention à le
signer sans plus tarder;
7.8 salue l’adoption par le Congrès des pouvoirs locaux et
régionaux du Conseil de l’Europe de la
Résolution 431
(2018) et de la
Recommandation 419(2018) «Le
droit de vote au niveau local, élément de l’intégration durable
des migrants et des personnes déplacées internes dans les communes
et régions d’Europe», salue le travail du Comité d'experts sur l'intégration
interculturelle (ADI-INT) subordonné au Comité directeur sur l’anti-discrimination,
la diversité et l'inclusion (CDADI), et appelle à l’intensification
de la coopération entre l’Assemblée, le CDADI et le Congrès sur
ces enjeux.
8. Dans la lignée des engagements pris par le Comité des Ministres
dans la
Recommandation
CM/Rec(2022)16, l’Assemblée s’engage à jouer pleinement
le rôle de promoteur des instruments et normes du Conseil de l’Europe:
8.1 elle encourage vivement le Conseil
des élections démocratiques et la Commission de Venise à élaborer
un code de conduite à destination des candidats et candidates aux
élections et/ou des médias pour lutter contre les discours contraires
à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur
l’encadrement de la liberté d’expression et l’interdiction du discours
de haine. Cette initiative apporterait une réponse aux problèmes
récurrents lors des processus électoraux, soulignés dans le Rapport
sur le droit électoral et l’administration des élections en Europe
(CDL-AD(2020)023) et
débattus en 2020 lors de la 17e Conférence
européenne des administrations électorales, en particulier les campagnes
négatives et le discours de haine durant les campagnes électorales;
8.2 elle encourage l’Alliance parlementaire contre la haine
à envisager, dans ses activités, de se saisir de la question du
traitement de la migration et de l’asile pendant les campagnes électorales;
8.3 elle invite les missions d’observation électorale de l’Assemblée
à surveiller, notamment au cours des missions préélectorales, l’usage
du discours de haine, y compris du discours de haine subtil, dans le
cadre du débat de la campagne électorale en ligne et hors ligne
dans le pays concerné, et à rendre compte de cet usage;
8.5 elle appelle de ses vœux la formalisation d’une consultation
régulière entre l’Assemblée, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux,
le CDADI, l’ECRI et la Conférence des organisations internationales
non gouvernementales (OING) pour examiner la question du traitement
de la migration et de l’asile pendant les campagnes électorales,
dans un contexte plus large d’intégration des personnes migrantes,
réfugiées et demandeuses d’asile, afin de faire converger les normes
et les initiatives en la matière par la promotion d’outils de formation
destinés aux administrations électorales reprenant les normes du
Conseil de l’Europe sur la lutte contre le discours de haine. L’Assemblée souligne
l’importance d’associer la Représentante spéciale de la Secrétaire
Générale sur les migrations et les réfugiés à ce processus, notamment
dans le cadre de ses missions d’information ainsi qu’au titre de
la mise en œuvre du
Plan
d’action du Conseil de l’Europe sur la protection des personnes
vulnérables dans le contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025),
et en particulier son pilier «Encourager la participation démocratique
et renforcer l’inclusion (droits de l’homme et démocratie)».
9. L'Assemblée réitère la recommandation émise dans la
Résolution 2504 (2023) «Protection
sanitaire et sociale des travailleuses et des travailleurs sans
papiers ou en situation irrégulière» de supprimer la restriction du
champ d'application personnel de la Charte sociale européenne (STE
no 35).
10. L’Assemblée recommande aux parlements des États membres:
10.1 de prendre en considération
les préoccupations et les recommandations formulées dans la
Résolution 2317 (2020) «Menaces
sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe» et
dans la
Résolution 1889
(2012) précitée;
10.2 de reconnaître, par un instrument d’autorégulation, la
gravité du discours de haine, y compris des discours de haine subtils,
et de prévoir des mécanismes effectifs de signalement et de recours
contre de tels propos. L’Assemblée recommande que les institutions
nationales des droits humains soient associées à ce processus;
10.3 de travailler à l’adoption d’une définition du discours
de haine en droit civil ou en droit pénal, ou à l’amendement d’une
telle définition, et de permettre l’examen de recours contre de
tels propos en accord avec la Recommandation de politique générale
no 15 de l’ECRI. L’Assemblée recommande
que les institutions nationales des droits humains soient également
associées à ce processus;
10.4 de travailler à l’amendement des législations électorales
en vigueur afin que les administrations électorales ou d’autres
organes compétents soient reconnus comme des organes de suivi pouvant
saisir une autorité compétente en cas de propos haineux tenus par
un candidat ou une candidate durant une campagne électorale. L’Assemblée
recommande également de travailler à l’élaboration de mécanismes administratifs
permettant de répondre à la tenue de tels propos, et de les sanctionner
selon une procédure juste, équitable et rapide;
10.5 de soutenir l’indépendance et la capacité d’action financière
des autorités de régulation des médias publics;
10.6 de solliciter des rapports d’information auprès des commissions
parlementaires compétentes sur la participation des personnes migrantes,
réfugiées et demandeuses d’asile à la vie publique locale;
10.7 de tenir compte, en amont et en aval des réformes législatives
sur le thème de la migration et de l’asile, des analyses et des
retours d’expérience émanant d’organisations de la société civile, d’universitaires,
et d’organes officiels de défense des droits qu’ils soient nationaux
ou européens.
11. L’Assemblée recommande aux groupes de presse et aux médias,
dans la lignée de la
Recommandation CM/Rec(2022)16:
11.1 d’intégrer et de soutenir les
organes d’autorégulation, y compris pour les médias privés et les médias
en ligne;
11.2 de favoriser la prise de parole par les personnes migrantes,
réfugiées et demandeuses d’asile dans les contenus les concernant;
11.3 de toujours mettre en contexte les propos orientés relatifs
au thème de la migration et de l’asile, et de rectifier systématiquement
les fausses informations ;
11.4 d’exercer une «clause de conscience médiatique» et de
refuser la diffusion de paroles ou de contenus antidémocratiques
ou liberticides.
12. Concernant les organisations de la société civile et les associations,
l’Assemblée :
12.1 salue l’engagement
de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe en faveur d’une approche
globale de la migration ainsi qu’énoncé dans la Recommandation pour
une approche globale des droits des réfugiés et des migrants et
du rôle de la société civile
(CONF/AG(2023)REC2) et l’encourage
à promouvoir l’enregistrement des associations fondées par les personnes
migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, et à faciliter leur
représentation au sein de la Conférence des OING;
12.2 recommande que les organisations de la société civile,
y compris celles fondées par les personnes migrantes, réfugiées
et demandeuses d’asile, communiquent activement auprès des partis politiques
et des médias pour partager leurs analyses et, lorsque cela est
approprié, des recommandations d’ordre politique en amont des campagnes
électorales et pendant celles-ci;
12.3 encourage les instituts de recherche à poursuivre une
large diffusion de leurs travaux sur la migration et l’asile, et
les engage à convier les hommes et les femmes politiques à débattre publiquement
sur le thème de la migration et de l’asile.
13. À la lumière des enjeux mentionnés dans la présente résolution,
l’Assemblée soutient le développement d’un projet de coopération
parlementaire avec les parlements nationaux sur le rôle des partis
politiques comme garants de la sécurité démocratique en Europe et
promoteurs d’une offre politique pluraliste sur le thème de la migration
et de l’asile, dans le plein respect des normes et valeurs du Conseil
de l’Europe.
14. L’Assemblée appelle à une coopération paneuropéenne renforcée
contre le discours de haine et les discriminations touchant notamment
au traitement du thème de la migration et de l’asile dans les campagnes électorales.
Une telle coopération pourrait impliquer les entités compétentes
de l’Organisation et ses partenaires, tels que l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne (FRA), le Réseau européen des institutions
nationales des droits de l’homme (European Network of National Human
Rights Institutions - ENNHRI), le Réseau européen des organismes
de promotion de l'égalité (European Network of Equalitty Bodies
- EQUINET) et l’OSCE/BIDDH.