B Exposé des motifs par M. Christopher
Chope, rapporteur
1 Introduction
1. Le présent rapport fait suite à une proposition de
recommandation (
Doc. 11028) sur les
procédures nationales
de sélection des candidats à la Cour européenne des droits de l’homme et
à une proposition de résolution (
Doc. 11029) sur la
révision du modèle
de curriculum vitae pour les candidats à la Cour européenne des
droits de l’homme: conditions linguistiques, présentées
l’une et l’autre par Mme Bemelmans-Videc
et plusieurs de ses collègues à la date du 21 septembre 2006. Ces
propositions étaient motivées par «la nécessité de définir des normes
minimales pour les procédures nationales de nomination afin de garantir
que la crédibilité et l’autorité de la Cour ne seront pas mises
à mal par des procédures ad hoc et politisées en matière de nomination
des candidats»
Note.
2. Lors d’une audition tenue le 2 juin 2008, les experts suivants
ont traité cette question devant la Commission des questions juridiques
et des droits de l’homme: M. Tim Koopmans, ancien juge à la Cour européenne
de justice et ancien avocat général à la Cour suprême des Pays-Bas,
M. Edward Adams, chef de la division des droits de l’homme, ministère
de la Justice du Royaume-Uni, M. Jeremy McBride, président de l’ONG
Interights (Royaume-Uni) et Mme Elisabeth
Palm, ancienne juge suédoise à la Cour européenne des droits de
l’homme, actuellement présidente du tribunal administratif du Conseil
de l’Europe. En outre, M. Jean-François Flauss, secrétaire général
de l’Institut international des droits de l’homme (Strasbourg) et
Mme Kate Malleson, professeur au Queen
Mary College (Université de Londres), ont participé à l’audition
en qualité d’observateurs
Note.
3. Les procédures nationales de sélection des candidats à la
Cour européenne des droits de l’homme (la Cour de Strasbourg) ont
d’importantes conséquences sur la qualité globale, l’efficacité
et l’autorité de cette dernière. L’Assemblée a déployé des efforts
considérables pour améliorer les procédures nationales de nomination,
et en particulier pour renforcer leur transparence, leur impartialité
et leur ouverture
Note. Les procédures
de sélection des candidats à la Cour de Strasbourg sont importantes
pour deux raisons: premièrement, elles ont une incidence directe
sur l’indépendance et l’impartialité des juges, conditions indispensables
pour que le public ait confiance dans l’indépendance de toute institution
judiciaire. Les procédures de nomination doivent être conformes
aux normes internationales garantissant l’indépendance de l’ordre
judiciaire, et considérées comme telles
Note.
Deuxièmement, il existe un risque, si les procédures nationales de
sélection et les procédures internationales de nomination présentent
des lacunes, que les juges ne soient pas suffisamment qualifiés
pour s’acquitter de leur mandat, et ce au détriment de la légitimité
et de l’autorité de la Cour de Strasbourg et de «l’application et
du développement du droit des droits de l’homme au niveau international
et (
in fine) national»
Note.
En d’autres termes, «si l’on ne présente pas de bons candidats ou
s’il ne s’en présente pas, la procédure d’élection ne peut donner
de bons résultats»
Note.
Malheureusement, comme je l’avais déjà fait observer dans ma note
introductive, les améliorations de procédure au niveau de l’Assemblée n’ont
pas été accompagnées d’améliorations au niveau national. Cette remarque
a été confirmée par plusieurs réponses (ou absences de réponse)
à un questionnaire sur ce sujet envoyé en juin 2007
Note.
Les procédures nationales de sélection «demeurent souvent vagues
et opaques»
Note.
D’où la nécessité de propositions d’amélioration concrètes.
4. La commission, à sa réunion du 2 juin 2008, a décidé, sur
ma proposition, de changer le titre de ce rapport pour l’intituler
«
La nomination des candidats et l’élection
des juges à la Cour européenne des droits de l’homme».
Ainsi, l’analyse qui suit s’intéressera à la fois aux procédures
nationales de sélection des candidats à la Cour de Strasbourg (voir
proposition de recommandation
Note) et à la procédure d’élection au niveau de l’Assemblée
(concernant notamment la révision du curriculum vitae relative aux
exigences linguistiques (voir proposition de résolution
Note),
puisque ces deux procédures sont liées. Comme l’a noté la Cour de
Strasbourg elle-même:
«[L]’Assemblée parlementaire a […] raison de
souligner l’importance de la composition des listes de candidats
soumises par les gouvernements. Cet exercice est le point de départ
du processus électoral et, s’il n’est pas effectué de manière satisfaisante,
la capacité de l’Assemblée parlementaire à remplir efficacement
sa fonction électorale s’en trouve automatiquement réduite.»Note
2 Procédures nationales de sélection:
une situation qui laisse encore à désirer
2.1 Qualifications demandées pour le poste
2.1.1 Article 21 de la Convention européenne des droits
de l’homme (CEDH)
5. Aux termes de l’article 21 par. 1 de la CEDH:
«Les
juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir
les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires
ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire.»
Le
critère de «haute considération morale» est plutôt vague et général
Note,
celui de «conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions
judiciaires» étant plus directement applicable. L’article 36 du
Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI)
fixe à cet égard une norme plus stricte puisqu’il exige des candidats
qu’ils possèdent les qualifications requises pour l’exercice des
«
plus hautes fonctions judiciaires
dans leurs Etats respectifs». Cela peut équivaloir à une condition
d’âge implicite, en fonction des critères applicables aux candidats
aux plus hautes instances judiciaires du pays concerné. Ainsi, aux
termes de la
loi sur la Cour constitutionnelle de
la Slovénie, les juges doivent être citoyens de la République de
Slovénie, spécialisés en droit et
âgés
de 40 ans au moinsNote.
D’autres systèmes nationaux exigent, de la part des candidats, un
certain nombre d’années d’expérience professionnelle pertinente.
Alors qu’en Ukraine les juges doivent posséder au moins trois ans
d’expérience
Note, le Monténégro en exige au moins 15
Note.
Plutôt que d’imposer un âge minimum pour le poste de juge, ce qui
en soi pourrait ne pas être un indicateur fiable de la capacité
à exercer cette fonction, une solution – avancée par Mme Palm
lors de l’audition – pourrait consister à exiger entre 10 et 15 ans d’expérience
professionnelle pertinente, critère d’où découlerait implicitement
une certaine condition d’âge.
6. L’expression «jurisconsultes possédant une compétence notoire»
doit aussi être analysée plus avant. Le
rapport
Interights semble suggérer que cette qualification n’est
reconnue que par certains Etats membres
Note. A
ce jour, la plupart des candidats présentés par les autorités nationales
émanent du judiciaire, de sorte que la majorité des juges de la
Cour de Strasbourg ont été membres des organes judiciaires suprêmes
de leurs systèmes nationaux
Note. Les jurisconsultes (universitaires,
praticiens du droit) viennent en deuxième position. Le point de
vue prévaut toutefois que, si l’équilibre entre les différentes
origines professionnelles est très précieux pour la diversité de
la Cour, il convient toutefois de mettre l’accent sur l’expérience
de la magistrature
Note, position
défendue lors de l’audition par plusieurs experts qui estimaient
également qu’une solide expérience judiciaire était plus utile pour
les travaux de la Cour qu’une expérience spécifique en matière de
droit relatif aux droits de l’homme.
7. Outre les qualités morales, les qualifications et l’expérience
professionnelle attendues des candidats à la fonction de juge à
la Cour de Strasbourg, l’Assemblée a énoncé, dans sa
Recommandation 1649 (2004) qui complète l’article 21 par.1, un ensemble de critères.
Ainsi, les Etats doivent s’assurer
i)
qu’un appel à candidatures a été publié dans la presse spécialisée;
ii) que les candidats ont de l’expérience dans le domaine des droits
de l’homme; iii) que figurent sur chaque liste des candidats des
deux sexes; iv) que les candidats ont une connaissance suffisante
d’au moins l’une des deux langues officielles; v) que les noms des
candidats sont placés dans l’ordre alphabétique; vi) que dans la
mesure du possible aucun des candidats proposés ne serait remplacé
par un juge ad hoc en cas d’électionNote. En
conséquence, en formulant une recommandation (confidentielle) aux
parlementaires, par l’intermédiaire du Bureau, la sous-commission
sur l’élection des juges à la Cour de Strasbourg
Note examine les candidats
sous l’angle de la personne, mais aussi dans la perspective d’une
composition harmonieuse de la cour en tenant compte, par exemple,
des antécédents professionnels et d’une représentation équitable
des deux sexes
Note. Il est à noter à cet égard que, dans son
récent Avis consultatif, la Cour de Strasbourg a entériné la formulation,
par l’Assemblée, de critères supplémentaires, en observant que:
«aucune
limitation explicite ne se dégage de l’article 22 ou du système
de la Convention quant aux critères en fonction desquels l’Assemblée
parlementaire fait son choix parmi les candidats proposés. […] A
n’en pas douter, de telles règles ont un certain effet sur la politique
suivie par les Parties contractantes lors de la composition de leurs
listes de candidats (voir notamment la réponse du Comité des Ministres
à la Recommandation
1649 (2004) de l’Assemblée parlementaire,
paragraphe 24 ci-dessus).»Note
8. De fait, lorsque la sous-commission estime que les candidats
figurant sur la liste ne satisfont pas aux exigences de la CEDH
et aux différentes Résolutions et Recommandations de l’Assemblée
parlementaire – habituellement après s’être entretenue avec les
trois candidats –, elle propose au Bureau de renvoyer la liste aux
autorités nationales. Cela s’est récemment produit pour les listes
présentées par l’Azerbaïdjan (deux fois), la Bulgarie, Chypre, le
Luxembourg, la Moldova, Saint-Marin et la Turquie
Note.
La Cour de Strasbourg a réaffirmé la «légitimité» de cette pratique
établie de longue date, en déclarant dans l’Avis consultatif susmentionné,
que:
«[d]ans
l’exercice de cette fonction, l’Assemblée parlementaire est tenue
d’abord et avant tout par l’article 21 § 1. Ayant la charge d’élire
les juges, il lui incombe également de s’assurer en dernière instance
que tous les candidats figurant sur une liste remplissent toutes
les conditions visées par cette disposition, de façon à préserver
le libre choix dont l’article 22 l’investit et qu’elle a pour mission d’exercer
dans l’intérêt du bon fonctionnement et de l’autorité de la Cour.»Note
Cela dit, d’après les
réponses des Etats membres au questionnaire (voir l’annexe et le
document AS/Jur (2008) 52 pour de plus amples détails), il me paraît
nécessaire d’affiner encore certains critères afin de mieux prendre en
compte les conditions réelles dans lesquelles la Cour exerce aujourd’hui
sa mission.
2.1.2 Sexe
9. La
Résolution
1366 (2004) de l’Assemblée, modifiée par les
Résolutions 1426 (2005) et 1627 (2008), met l’accent sur la nécessité de veiller
à la parité entre les sexes en énonçant la décision de l’Assemblée
de «ne pas prendre en considération les listes de candidats (…)
ne comportant pas au moins un candidat de chaque sexe, excepté lorsque
les candidats appartiennent au sexe sous-représenté à la Cour, c’est-à-dire représentant
moins de 40 % du nombre total de juges»
Note.
10. Il convient de redoubler d’efforts pour satisfaire à ce critère
au niveau national afin d’éviter de créer des difficultés à l’Assemblée
Note (voir
aussi, à cet égard, le paragraphe 26 ci-après).
2.1.3 Compétences linguistiques
11. L’importance de ce critère a été soulignée avec force
lors de l’audition du 2 juin 2008. Bien qu’une traduction simultanée
entre les deux langues officielles soit généralement assurée pendant
les audiences et les délibérations de la Cour, les différentes sections
travaillent souvent (et produisent leurs documents de travail) dans
une seule de ces deux langues
Note. Il semblerait que des
rapports de comité ou des projets d’arrêt ou de décision de chambre
sont rédigés uniquement dans une des deux langues officielles; c’est
seulement de manière exceptionnelle au sein des chambres (sections)
que les textes sont disponibles dans les deux langues. Cela dit,
les documents ayant trait aux affaires devant la Grande Chambre
sont toujours disponibles dans les deux langues. L’Assemblée a demandé
par le passé, dernièrement dans sa
Recommandation 1649 (2004), que les candidats aient «une connaissance suffisante
d’au moins l’une des deux langues officielles»
Note. Toutefois, le critère selon lequel un juge
doit avoir une connaissance «suffisante» de l’une des deux langues
officielles pourrait signifier, dans la pratique, que ses compétences
se situent en dessous du niveau permettant de saisir les subtilités
et les nuances de langage nécessaires pour comprendre une affaire
complexe et qui sont manifestement inhérentes à la rédaction de
textes juridiques et au développement d’arguments juridiques. Cette
situation est à comparer avec les normes plus strictes énoncées à
l’article 36.3.c du
Statut de Rome aux
termes duquel: «Tout candidat à un siège à la Cour doit
avoir une excellente connaissance et une pratique
courante d’au moins une des langues de travail de la Cour»
Note. A l’échelon national, par exemple,
la Slovénie a interprété ce critère de l’Assemblée comme signifiant
une connaissance «active» de l’une des deux langues officielles
Note. La procédure
de sélection polonaise va encore plus loin en imposant la parfaite
maîtrise d’une des langues officielles du Conseil de l’Europe et
une bonne connaissance de l’autre langue
Note. De façon
similaire, la Bulgarie exige la connaissance «parfaite» d’une des langues
officielles et une bonne connaissance de l’autre
Note.
12. En outre, si le Protocole n° 14 devait entrer en vigueur,
des formations de juge unique décideraient de la recevabilité des
requêtes et des comités de trois juges rendraient des arrêts sur
des affaires manifestement bien fondées, conformément à l’article
35 par. 3 de la CEDH. Etant donné que cela impliquerait inévitablement l’emploi
de l’une ou l’autre des deux langues de travail de la Cour, le critère
linguistique actuel risque de ne plus refléter de manière appropriée
le contexte réel dans lequel les juges exercent (ou exerceront)
leurs fonctions. Comme il a été souligné dans la proposition de
résolution relative à la
révision du
modèle de curriculum vitae pour les candidats à la Cour européenne
des droits de l’homme: conditions linguistiques, «l’expérience
a montré qu’une connaissance au moins passive de l’autre langue
officielle serait appropriée afin de permettre à tous les juges
d’exercer pleinement leurs responsabilités»
Note. D’où la proposition selon
laquelle tous les futurs candidats devraient au moins posséder une
«connaissance active de l’une des langues officielles du Conseil
de l’Europe et une connaissance passive de l’autre»
Note.
Cela dit, une certaine souplesse peut se justifier au moment de
la prise de fonctions, à condition que le juge s’engage à suivre
la formation voulue, disons dans les six mois suivant sa prise de
fonctions, l’absence complète de compétences dans l’une des langues
officielles de la Cour pouvant être acceptée pour une durée limitée
dans des circonstances vraiment exceptionnelles (voir à cet égard
le par. 23 et les points VIII et IX du modèle de curriculum vitae
joint au projet de résolution, qui reprend cette proposition).
2.1.4 Expérience dans le domaine des droits de l’homme
13. Bien que la CEDH elle-même n’énonce aucune exigence
en matière d’expérience dans le domaine des droits de l’homme, l’Assemblée
est explicite sur ce point puisque, dans sa
Recommandation 1429 (1999), elle invite les Etats membres à «veiller à ce que les
candidats aient une expérience dans le domaine des droits de l’homme,
soit en tant que praticien, soit en tant que militant d’ONG actives
dans ce domaine»
Note. Etant donné le
rôle que les juges sont appelés à jouer en vue de garantir la protection
des droits de l’homme ainsi que la légitimité et l’autorité du mandat
de la Cour européenne, l’Assemblée reste convaincue qu’il est utile
pour un juge de la Cour de Strasbourg de posséder une certaine expérience
dans le domaine des droits de l’homme. Dans leurs réponses au questionnaire
(voir l’annexe et le document AS/Jur (2008) 52 pour de plus amples détails),
de nombreux Etats ont indiqué que cette considération faisait partie
intégrante de leur procédure nationale de sélection bien qu’en pratique,
selon
Interights, l’expérience
des candidats dans ce domaine soit souvent insuffisante
Note. Si l’expérience
en matière de droits de l’homme est importante, la compétence et l’expérience
de la fonction judiciaire comptent encore davantage
Note.
Un bon juge peut s’orienter assez aisément dans le domaine du droit
des droits de l’homme. Il semble que plusieurs des experts qui ont
participé à l’audition partagent ce point de vue
Note.
2.2 Equité, transparence et cohérence des procédures
de sélection
14. Alors que les Etats, dans leurs réponses au questionnaire,
étaient peu nombreux à avoir expressément indiqué que leurs procédures
nationales de sélection répondaient aux critères pertinents énoncés
par l’Assemblée parlementaire
Note,
la grande majorité d’entre eux ont néanmoins affirmé que leurs procédures étaient
équitables, transparentes et cohérentes. Les procédures de sélection
de plusieurs Etats apparaissent exemplaires: ainsi, la Belgique
lance un appel public à candidatures dans la presse spécialisée
et transmet les informations par d’autres moyens à toutes les universités
et à tous les membres de la profession juridique, mène des entretiens
(y compris avec évaluation des compétences linguistiques) et donne
un rôle important à un groupe d’experts indépendants ainsi qu’à
des universitaires spécialistes des droits de l’homme. Outre un appel
public à candidatures dans la presse spécialisée et générale, des
entretiens avec les candidats et le recours à un comité d’experts
indépendants, les Pays-Bas ont publié un document exposant en détail
la procédure de sélection (voir le document AS/Jur (2008) 52). Au
nombre des autres procédures nationales de sélection proches des
exigences de l’Assemblée, on compte celles mises en place en Bosnie-Herzégovine,
en Estonie et en Lettonie.
15. De nombreux Etats affirment, certes, que leurs procédures
nationales de sélection sont équitables, transparentes et cohérentes,
mais cela ne se confirme pas nécessairement dans la pratique
Note. J’ai
également été informé des préoccupations exprimées par des ONG locales
ainsi que par des médias en ce qui concerne des carences spécifiques
observées dans les procédures de sélection de certains Etats membres
Note.
Seuls deux Etats membres, l’Andorre et la Suède, ont reconnu dans
leurs réponses au questionnaire que leurs procédures nationales
de sélection présentaient des faiblesses.
16. Le fait qu’un Etat ait «produit» des juges qui ont ensuite
été élus à la fonction de président de la Cour de Strasbourg ne
constitue pas en soi une indication de l’existence d’une procédure
nationale de sélection équitable, transparente et cohérente, comme
semble le suggérer la France dans sa réponse au questionnaire. Il
convient de souligner que les critères de l’Assemblée ne se focalisent
pas uniquement sur le résultat, mais également sur le processus
lui-même, lequel doit inclure un véritable choix entre des candidats
qualifiés. En l’absence de procédure nationale de sélection équitable,
transparente et cohérente, l’Assemblée devrait sérieusement envisager
la possibilité de rejeter la liste soumise par le pays concerné
Note.
2.2.1 Existence de procédures formelles/établies
17. Il existe trois catégories de procédures nationales
de sélection: 1) les procédures ad hoc sans base juridique formelle
Note; 2) les procédures établies
sans base juridique formelle
Note et 3) les procédures
établies avec une base juridique formelle
Note. Bien que
la base juridique d’une procédure nationale de sélection ne constitue
pas en elle-même une garantie d’équité, elle contribue à assurer
un certain degré de cohérence et de transparence. Les procédures
bien établies sans base juridique formelle peuvent également garantir
le respect de ces valeurs mais, comme l’a fait observer à juste
titre M. McBride (
Interights)
pendant l’audition devant la commission, des procédures établies,
fondées sur une base juridique claire sont préférables à des dispositions
ad hoc. Les réponses reçues font apparaître que la majorité des
procédures nationales de sélection appartiennent à la deuxième catégorie,
y compris deux (Belgique et Pays-Bas) qui peuvent être considérées
comme exemplaires. Malheureusement, la majorité des réponses ne
permettent pas de dégager le sens donné au terme «établies». Les
procédures ad hoc sont plus problématiques puisqu’elles sont souvent élaborées
à la hâte pour répondre à un besoin et risquent de susciter des
préoccupations quant à leur équité, à leur transparence et surtout
à leur cohérence.
2.2.1.1 Appel public à candidatures
18. L’appel public à candidatures contribue notamment
à l’équité et à la transparence de la procédure de sélection puisqu’il
informe tous les candidats potentiels de la vacance de poste
Note.
La majorité des Etats affirment, dans leurs réponses, que leurs
procédures nationales de sélection prévoient un appel public à candidatures.
Cela dit, la Hongrie ne procède pas à un appel public, mais compte
sur les articles de la presse générale pour informer le public de
la vacance de poste, des candidats possibles, puis pour donner des
détails spécifiques sur les candidats sélectionnés par le Premier
ministre. De même, le Liechtenstein justifie l’absence d’appel à
candidatures, entre autres, par le fait que lorsque le parlement
s’enquiert du processus de sélection, les médias relaient l’information
qui est ainsi transmise au grand public. Cette couverture médiatique n’intervient
probablement qu’après que les candidatures ont été reçues et à un
stade assez avancé du processus de sélection, de sorte que la couverture
médiatique subséquente ne constitue qu’un outil d’information pour
le grand public, et non un appel ouvert indirect à des candidatures
de personnes qualifiées. Au nombre des autres pays qui n’ont pas
recours à un appel public à candidatures, on compte l’Andorre, la France,
l’Italie, la Lituanie et l’Espagne.
19. Bien que de nombreux Etats (26, d’après les informations fournies,
voir l’annexe et le document AS/Jur (2008) 52) lancent un appel
public à candidatures, sept d’entre eux seulement ont indiqué expressément
que celui-ci était publié dans la presse spécialisée (critère mentionné
expressément au par. 19 de la
Recommandation
1649 (2004) de l’Assemblée parlementaire)
Note. Parmi les pays qui ne procèdent
pas à un appel public à candidatures, l’Allemagne, par exemple,
a indiqué dans sa réponse que les ministères compétents (Justice,
Affaires étrangères, Cabinet du Chancelier) contactaient les candidats
potentiels et sollicitaient des avis d’experts et d’autres acteurs
pertinents dans le domaine de la politique et de la justice avant
d’opérer une présélection, laquelle est ensuite transmise à la délégation
allemande auprès de l’Assemblée parlementaire pour observations
et éventuellement objections, avant la prise de la décision finale, par
le Conseil des ministres (voir le document AS/Jur (2008) 52). De
même, la procédure de sélection de la Suède est fondée sur un appel
fermé à candidatures qui, entre autres carences (par exemple: l’absence
d’une commission indépendante décidant des nominations), fait l’objet
d’une enquête menée par un organe constitutionnel.
2.2.1.2 Evaluation par un organe indépendant
20. L’importance de consulter un organe indépendant en
vue de la sélection des candidats aux juridictions internationales
a été explicitement reconnue dans le Statut de la Cour internationale
de justice et dans celui de la Cour pénale internationale ainsi
que, plus récemment, par l’UE
Note. Michael O’Boyle, greffier
adjoint de la Cour de Strasbourg, note que le moment est venu d’aborder
d’un œil neuf les recommandations de l’Assemblée. Il envisage la
possibilité de faire intervenir un organe indépendant aux échelons
national
Note et international
Note. De même,
Interights recommande de donner
un rôle fondamental à un organe indépendant tout au long de la procédure
de sélection à l’échelon national et préconise que les Etats soient
liés par les délibérations de cet organe
Note.
Parmi les Etats ayant répondu au questionnaire, onze seulement ont
indiqué que leurs procédures nationales de sélection prévoyaient,
à un stade ou l’autre du processus, la consultation (d’un comité)
d’experts indépendants
Note.
Même ces réponses soit divergent soit sont peu explicites sur le
sens donné au terme «indépendants» et l’étendue du rôle délibératif
confié à ces experts
Note.
La majorité des procédures font intervenir (plus ou moins) des organes
indépendants lors de la présélection des candidats, la décision
finale étant prise par un ministre ou un organe gouvernemental (ministère
de la Justice, ministère des Affaires étrangères, Conseil des ministres
ou autre).
2.2.2 Entretiens comprenant l’évaluation des compétences
linguistiques
21. L’analyse des réponses des Etats au questionnaire
fait apparaître que moins de 20 % d’entre eux procèdent à une évaluation
des compétences linguistiques durant des entretiens avec les candidats.
Certains Etats, tels que la Bosnie-Herzégovine, la République tchèque
et la Roumanie ont indiqué que leurs procédures comprenaient une
évaluation des compétences linguistiques sur une base formelle,
indépendamment de l’entretien
Note. Si l’une des
deux langues officielles est la langue parlée dans un pays, l’évaluation
de la connaissance de l’autre langue de travail de la Cour par les
candidats ne doit pas pour autant être considérée comme superflue.
Ainsi, le Royaume-Uni a raison d’évaluer la connaissance du français
chez les candidats. Vu l’importance des compétences linguistiques,
soulignée par les auteurs de l’une des propositions à l’origine du
présent rapport et par les experts présents lors de l’audition, les
entretiens devraient toujours comprendre une évaluation de ces compétences.
Si cette évaluation est effectuée de manière approfondie au niveau national,
la sous-commission sur l’élection des juges pourra se concentrer,
lors de ses propres entretiens, sur d’autres critères essentiels
comme les compétences en matière judiciaire, etc. Cela dit, lorsqu’elle
procède aux entretiens avec les candidats, la sous-commission de
l’Assemblée (voir section III ci-dessous) devrait quoi qu’il en
soit s’assurer d’elle-même que la personne concernée a les compétences
linguistiques requises.
2.2.3 Consultation de la société civile
22. Parmi les Etats ayant répondu au questionnaire, 15
ont indiqué que leurs procédures de sélection prévoyaient la consultation
de représentants de la société civile à un stade ou l’autre de la
procédure, deux (l’Estonie et l’Allemagne) que leurs procédures
étaient souples dans ce domaine et un (les Pays-Bas) que la possibilité
de consulter des représentants de la société civile n’était ni expressément
prévue ni expressément exclue
Note.
Alors que certains Etats, selon leurs procédures nationales, invitent
directement ou sont libres d’inviter la société civile à proposer
des candidatures (Autriche et Azerbaïdjan), ou encore ont la possibilité
de consulter la société civile (Allemagne, Bosnie-Herzégovine, Estonie,
Hongrie), d’autres Etats (Belgique, Bulgarie, Moldova, Pays-Bas,
Serbie) semblent accorder un rôle plus important aux membres de
la société civile en les invitant à siéger à un organe consultatif
chargé de la présélection des candidats avant la décision finale
qui est prise par le gouvernement respectif. Même dans les cas où
les ONG sont consultées, «l’opacité de la procédure ne permet pas
de déterminer clairement l’impact de telles consultations»
Note.
3 Procédure devant l’Assemblée parlementaire: des
points à améliorer
3.1 Contexte
23. L’article 22 de la CEDH énonce que «[l]es juges sont
élus par l’Assemblée parlementaire au titre de chaque Haute Partie
contractante, à la majorité des voix exprimées, sur une liste de
trois candidats présentés par la Haute Partie contractante». Les
autorités nationales doivent par conséquent transmettre directement leur
liste à l’Assemblée
Note.
Afin de s’acquitter le plus efficacement possible de son mandat,
l’Assemblée a créé, dès 1997, une sous-commission de la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme chargée de la
question de l’élection des juges
Note.
L’annexe à la
Résolution 1432 (2005) précise qu’une fois soumise à l’Assemblée, la liste
ne doit plus être modifiée, sauf à titre exceptionnel (par. 1).
Si l’un des trois candidats inscrits sur une liste se retire avant
le premier tour de scrutin, l’Assemblée interrompt la procédure
et demande au gouvernement concerné de compléter la liste (par. 2).
Toujours aux termes de l’annexe, l’Assemblée ne dévie pas de sa
pratique consistant à présenter les candidats dans l’ordre alphabétique
sur le bulletin de vote, soulignant que l’expression d’une préférence
de la part du gouvernement n’influe aucunement sur les délibérations
de la sous-commission sur l’élection des juges (par. 3). A mon avis,
la sous-commission devrait être encouragée à prendre en compte la
préférence nationale dans la mesure où elle a établi que la procédure nationale
de sélection était équitable, transparente et non empreinte de considérations
politiques, conformément aux critères susmentionnés (voir par. 28
ci-après).
3.2 Qualifications demandées pour le poste
3.2.1 Compétences linguistiques
24. Comme cela a été noté précédemment, la connaissance
active des langues revêt une grande importance dans une Cour bilingue
examinant des questions juridiques complexes. En effet, vu la structure
et les méthodes de travail de la Cour, les compétences linguistiques
figurent parmi les plus importantes conditions d'exercice des fonctions,
point de vue partagé par plusieurs experts lors de l’audition de
juin 2008
Note. Une procédure nationale de sélection
menée de façon approfondie (avec un entretien destiné à évaluer
les compétences linguistiques actives des candidats) aiderait la
sous-commission sur l’élection des juges dans sa propre procédure
de désignation. Une bonne connaissance de l’une des langues officielles
de la Cour et une connaissance passive raisonnable (c’est-à-dire
suffisante pour comprendre les nuances de textes juridiques complexes)
de l’autre sont absolument essentielles, mais la connaissance d’autres
langues européennes fréquemment utilisées dans les courriers adressés
à la Cour par les requérants de différents pays (comme le russe
ou l’allemand) devrait aussi être prise en compte dans l’évaluation
des compétences linguistiques d’un candidat; inversement, pour les
juges ayant pour langue maternelle l’une des deux langues officielles,
le niveau de compétence requis dans l’autre langue officielle pourrait
être plus élevé que dans le cas de juges pour lesquels les deux
langues officielles sont des langues étrangères.
25. Au cas où un candidat considéré par ailleurs comme étant qualifié
pour l’exercice de la fonction de juge ne posséderait pas le niveau
de compétences linguistiques requis à la date de l’élection, l’Assemblée
pourrait exiger de l’intéressé, au moment de l’élection, qu’il prenne
l’engagement ferme de suivre des cours intensifs de l’une des langues
officielles de la Cour avant de prendre ses fonctions, ou à titre
exceptionnel, au début de son mandat
Note.
C’est ce que propose votre rapporteur dans le modèle de curriculum
vitae (voir plus haut, partie III.ii.a). Les juges devraient de
préférence être pleinement opérationnels (y compris avoir une bonne connaissance
de l’une des deux langues officielles de la Cour et au moins une
connaissance passive raisonnable de l’autre) dès le début de leur
mandat judiciaire.
3.2.2 Sexe
26. Depuis de nombreuses années, l’Assemblée parlementaire
attache une grande importance au principe de l’égalité des sexes,
et s’efforce de faire en sorte que les hommes et les femmes soient
représentés à part égale dans les organes publics – en particulier
au sein de la Cour européenne des droits de l’homme. En 2004, elle
a pris une mesure novatrice en matière de discrimination positive,
en décidant de n’accepter les listes de trois candidats au poste
de juge à la Cour proposés par les Etats Parties, à la condition
que celles-ci contiennent au moins un membre du «sexe sous-représenté».
Cette initiative a eu des répercussions positives: aujourd’hui,
17 des 47 juges de la Cour sont des femmes. Toutefois, certains
États, et notamment les plus petits, dans lesquels le nombre de
femmes qualifiées peut être limité, ont souligné que dans de rares
cas il était difficile de remplir ce critère tout en respectant
les exigences de la Convention. Finalement, ayant été invitée par
le Comité des Ministres à donner un avis consultatif, la Cour elle-même
a déclaré que bien que l’approche générale de l’Assemblée relative
à la promotion de l’égalité des sexes était sensée, l’application automatique
de la règle,
sans aucune exception,
n’est pas conforme à l’article 21 de la Convention. Suite aux deux
débats controversés au sein de l’Assemblée (et à la lumière de l’avis
consultatif de la Cour), l’Assemblée, dans sa
Résolution 1627 (2008), adoptée le 30 septembre 2008, a décidé d’autoriser
des exceptions à cette règle, mais uniquement dans les cas dans
lesquels un Etat Partie démontre avoir essayé de trouver un candidat
qualifié du sexe sous-représenté, sans succès
Note.
3.3 Autres questions
3.3.1 Ordre alphabétique de la liste des candidats
27. Les
Recommandations
1429 (1999) et 1649 (2004) de l’Assemblée et l’annexe à la
Résolution 1432 (2005) précisent que les autorités nationales doivent présenter
les listes de candidats dans l’ordre alphabétique. L’expression
d’une préférence de la part du gouvernement n’influe pas sur les
délibérations de la sous-commission sur l’élection des juges
Note. Malgré
cela, les Etats présentent souvent des listes établies par ordre
de préférence
Note.
28. Quand la sous-commission sur l’élection des juges entend les
candidats, elle le fait dans l’ordre alphabétique, sans tenir compte
des raisons (si elles sont fournies) qui ont présidé à l’établissement
d’un ordre de préférence. A mon avis, il pourrait être utile que
la sous-commission prenne connaissance de la préférence nationale,
en particulier si la procédure nationale de sélection a été ouverte
et équitable et si elle a été conduite en toute objectivité par
un organisme indépendant. Dans ces conditions, la tâche de l’Assemblée
serait facilitée, car elle pourrait être disposée à suivre la proposition
du gouvernement concerné
Note. En résumé, les Etats
membres devraient pouvoir, quand ils soumettent leurs listes de
candidats à l’Assemblée, indiquer leur préférence en décrivant la
procédure nationale de sélection appliquée; si la sous-commission
acquiert la conviction que cette procédure est équitable et transparente,
elle devrait pouvoir prendre en compte la préférence nationale lorsqu’elle
formule ses recommandations.
3.3.2 Age des juges
29. Le Protocole n° 11 a instauré un âge de départ à
la retraite obligatoire pour les juges. L’article 23 par. 6 de la
CDEH, modifié par le Protocole n° 11, dispose ceci:
«Le mandat des juges s’achève dès
qu’ils atteignent l’âge de 70 ans.»Note
30. Les cours et tribunaux institués par l’ONU (CIJ, CPI, TPIY/TPIR),
de même que d’autres juridictions régionales (compétentes en matière
de droits de l’homme) ne prévoient pas d’âge de départ à la retraite obligatoire.
31. Dans certains cas, le fait qu’une personne ait déjà dépassé
65 ans et ne soit donc pas à même d’aller au bout de son mandat
n’empêche pas un Etat de proposer sa candidature à la Cour de Strasbourg
Note.
32. La CEDH ne donne aucune indication quant à un éventuel âge
minimum d’entrée en fonctions. Le critère selon lequel les candidats
doivent posséder un certain nombre d’années d’expérience professionnelle pertinente
(en particulier judiciaire) peut avoir une incidence indirecte sur
l’âge d’entrée en fonctions des juges. Cette question mérite plus
ample réflexion à la lumière de l’existence, dans un certain nombre
d’Etats membres, d’un critère relatif à l’âge (et à l’expérience
professionnelle) requis pour pouvoir briguer une haute fonction
judiciaire
Note.
3.3.3 Juges ad hoc
33. La question des juges ad hoc a reçu une attention
particulière, notamment dans la
Recommandation 1649 (2004) de l’Assemblée, aux termes de laquelle les Etats membres
devraient s’assurer «que dans la mesure du possible aucun des candidats
proposés ne serait remplacé par un juge ad hoc en cas d’élection»
Note.
Il faut par exemple nommer un juge ad hoc quand, dans une affaire
contre le pays au titre duquel un juge en exercice a été élu, ce
dernier a précédemment participé, en qualité d’agent du gouvernement
de ce pays, à la préparation du dossier, en tant que haut magistrat,
à la décision en dernier ressort de rejet du recours interne du
requérant. Ces situations sont en effet propres à faire naître des
conflits d’intérêts. En l’état actuel des choses, les juges ad hoc
sont nommés directement par les Etats membres en vertu de l’article
27 de la CDEH sans aucune intervention de l’Assemblée, ce qui pose
des problèmes sur le plan de la légitimité et de l’indépendance
Note.
Si, jusqu’à présent, le recours à des juges ad hoc n’a pas été très
fréquent, cette situation pourrait changer à l’avenir du fait de
la réduction éventuelle du nombre de juges
Note.
34. De même, la Convention américaine des droits de l’homme offre
aux Etats la possibilité de désigner des juges ad hoc non élus pour
assurer leur «représentation» auprès de la Cour interaméricaine
des droits de l’homme, composée de sept membres
Note.
En revanche, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, composée
de onze juges, ne semble pas prévoir cette possibilité
Note.
Cela s’explique peut-être par le fait que les textes fondateurs
de la Cour africaine, à l’instar du Statut de Rome de la CPI mais
à la différence des Conventions européenne et américaine des droits
de l’homme, n’encouragent pas la «représentativité nationale» dans
les affaires individuelles
Note.
De fait, l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples dispose expressément qu’un
juge doit se récuser au cas où il «possède la nationalité d’un Etat
partie à une affaire».
35. Le nouvel article 26 par. 4 inséré dans la Convention par
le Protocole n° 14 impose aux Etats de constituer des listes de
réserve sur lesquelles le Président de la Cour peut choisir des
juges ad hoc en cas de besoin, par exemple s’il n’y a pas de juge
élu au titre de la Haute Partie contractante partie au litige ou
si le juge n’est pas en mesure de siéger. Pour que le Président
ait une «réelle possibilité de choix»
Note au titre de cet article,
cela suppose que les listes contiennent au moins deux noms. Dans
ma note introductive, j’ai suggéré que, dans l’intervalle, les candidats
entendus par la sous-commission sur l’élection des juges et considérés comme
qualifiés pour la fonction de juge à la Cour de Strasbourg, même
s’ils n’ont pas été élus, puissent figurer sur une liste de réserve
Note. Une autre option, à laquelle on devrait
recourir plus souvent, serait que les Etats renoncent à la désignation
d’un juge ad hoc «national», possibilité offerte par le Règlement
de la Cour
Note. Cette solution
présente deux avantages manifestes: le juge en exercice a été élu
par l’Assemblée, et non désigné par un Etat, et il est d’emblée
pleinement opérationnel. L’inconvénient est qu’il risque de ne pas
avoir une connaissance approfondie du système juridique du pays
concerné.
36. A l’heure actuelle, l’Assemblée n’a pas de droit de regard
sur la manière dont les juges ad hoc sont nommés. De plus, on ne
voit pas très bien si l’Assemblée parlementaire devrait ou pourrait
jouer un rôle en ce qui concerne les juges ad hoc dans le cadre
du Protocole n° 14 à la CEDH et, dans l’affirmative, quel serait
ce rôle. C’est une question qui mérite plus ample réflexion.
3.3.4 Divers
37. Bien qu’elle ne soit pas directement liée aux conditions
d'exercice des fonctions de juge, la question du régime de sécurité
sociale (couverture des frais médicaux et bénéfice d'une pension)
est pertinente dans la mesure où elle présente un rapport avec l’indépendance
des juges
Note.
38. Une autre question qui pourrait être étudiée par les Etats
membres est celle de la réinsertion professionnelle des anciens
juges dans leur pays à l’issue de leur mandat à la Cour de Strasbourg.
Les juges de la Cour sont censés, comme l’exige l’article 21 par. 1
de la Convention, jouir de la plus haute considération morale et
posséder des qualifications et une expérience professionnelles de
premier ordre
Note. De retour
dans leur pays, cette expérience européenne exceptionnelle doit
leur permettre de diffuser la jurisprudence de Strasbourg auprès
des professionnels du droit. Un bon exemple de ce processus est
la loi britannique sur les droits de l’homme (
Human
Rights Act) de 1998, dont la section 18.2 dispose que
les personnes exerçant des fonctions judiciaires peuvent accepter
un poste de juge à la Cour européenne des droits de l’homme sans
avoir à renoncer définitivement à leur fonction au Royaume-Uni
Note.
39. Enfin, l’Europe d’aujourd’hui présente une immense diversité
raciale, ethnique et culturelle. Or à l’heure actuelle, la seule
exigence de diversité et de représentativité figurant dans les critères
de sélection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme
concerne le sexe. La Cour ayant pour mission de protéger les droits
de tous, l’Assemblée pourrait vouloir envisager d’instaurer d’autres
critères de représentativité (par exemple l’appartenance à une minorité
visible). Il serait peut-être bon, également, d’affiner le principe
de représentativité nationale – un juge par Etat membre, siégeant
lors de l’examen de toutes les affaires concernant son pays – peut-être
à la lumière de l’expérience de juridictions internationales créées
plus récemment comme la CPI et la Cour africaine des droits de l’homme
et des peuples.
4 Conclusions
40. En dépit d’une amélioration sensible des procédures
de sélection au niveau national depuis 1998, ces procédures continuent
de présenter des disparités importantes sur le plan de l’équité,
de la transparence et de la cohérence. Le Comité des Ministres,
dans sa réponse à la
Recommandation 1649 (2004) de l’Assemblée, s’est dit réticent à se montrer «trop
normatif concernant les moyens précis de [l’]application [des principes
de base], de manière à prendre en compte les différences entre les
systèmes nationaux et l’exercice, pour chaque Etat, de sa souveraineté».
Si je ne peux que souscrire à ce rejet de tout dogmatisme, je soulignerai
que les critères de l’Assemblée sont suffisamment souples pour permettre
le respect de la diversité et de la souveraineté – sans perdre de
vue que les Etats membres se sont engagés, lors de leur adhésion,
à défendre les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe, au
nombre desquelles figure l’administration d’une justice effective
en cas de violation des droits de l’homme. Vu l’importance de la
qualité des juges pour atteindre ce but, des normes minimales d’équité,
de transparence et de cohérence apparaissent indispensables pour
la sélection des candidats à la Cour.
41. Même si aucune base statutaire ne permet d’imposer une procédure
uniforme, il devrait être possible d’adresser certaines recommandations
aux Etats parties, recommandations qui guideraient également l’Assemblée
dans sa démarche. Plus les critères de l’Assemblée seront appliqués
rigoureusement à l’échelon national, moins l’Assemblée se verra
contrainte de renvoyer des listes de candidats par manque de réelle possibilité
de choix entre des candidats dûment qualifiés. Bien qu’«[i]l existe
une hiérarchie claire entre les différents critères pour cette fonction»
Note(les critères
primordiaux étant ceux énoncés à l’article 21 par.1 de la CEDH
Note), l’Assemblée devrait une nouvelle fois
souligner que les Etats doivent absolument procéder à des appels
publics à candidatures et veiller à ce que tous les candidats sélectionnés
aient une connaissance active de l’une des langues officielles du
Conseil de l’Europe et une connaissance passive de l’autre.