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Restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe

Résolution 2362 (2021)

Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 27 janvier 2021 (6e séance) (voir Doc. 15205, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteure: Mme Alexandra Louis). Texte adopté par l’Assemblée le 27 janvier 2021 (6e séance).Voir également la Recommandation 2194 (2021).
1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 2226 (2018) et sa Recommandation 2134 (2018) sur les nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe, sa Résolution 2096 (2016) et sa Recommandation 2086 (2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe?», ses précédentes Résolutions 2225 (2018), 2095 (2016), 1891 (2012) et 1660 (2009), et ses Recommandations 2133 (2018) et 2085 (2016)) sur la situation des défenseurs des droits de l'homme dans les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que ses Résolutions 2300 (2019), 2060 (2015), 1729 (2010) et ses Recommandations 2162 (2019), 2073 (2015) et 1916 (2010) sur la protection des «donneurs d’alerte».
2. L’Assemblée rappelle que les organisations non gouvernementales (ONG) sont une composante essentielle d’une société civile ouverte et démocratique, et qu’elles contribuent de manière fondamentale au développement et à la réalisation de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme. Pour assurer le bon fonctionnement de la société civile, les États membres du Conseil de l’Europe sont tenus de garantir notamment le respect des droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, énoncés aux articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), qui sont inextricablement liés et ne peuvent être limités que pour des motifs prévus par la Convention.
3. L’Assemblée rappelle également que le Conseil de l'Europe dispose d’une grande expérience dans l’élaboration de lignes directrices sur la législation relative aux ONG, qui sont contenues notamment dans la Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des Ministres aux États membres sur le statut juridique des organisations non gouvernementales en Europe et les «Lignes directrices conjointes sur la liberté d'association» de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) du 17 décembre 2014. Elle salue l’adoption par le Comité des Ministres de la Recommandation CM/Rec(2018)11 sur la nécessité de renforcer la protection et la promotion de l’espace dévolu à la société civile en Europe, ainsi que de sa Déclaration adoptée à Helsinki le 17 mai 2019 évoquant ce sujet.
4. Plus de deux ans après sa Résolution 2226 (2018), l'Assemblée observe avec préoccupation que l’espace dévolu à la société civile continue à se rétrécir dans plusieurs États membres du Conseil de l'Europe, surtout pour des ONG qui œuvrent dans le domaine des droits de l’homme. La législation et la réglementation restrictives critiquées auparavant par diverses instances du Conseil de l’Europe, dont la Commission de Venise, le Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales et l’Assemblée elle-même, continuent à être appliquées, notamment en Azerbaïdjan, en Fédération de Russie et en Turquie. De plus, certaines ONG font l’objet de campagnes de dénigrement, et leurs militants de menaces et de représailles.
5. L’Assemblée s’inquiète du fait que, dans certains États membres, les législations imposant aux ONG recevant des fonds de l’étranger des obligations excessives de rapports et de publication, et visant à stigmatiser ces ONG, n’ont pas été abrogées, malgré les critiques exprimées par diverses instances du Conseil de l’Europe. Elle est d’autant plus préoccupée que certains autres États membres ont préparé des propositions de lois s’inspirant apparemment de ces législations. À cet égard, l’Assemblée rappelle que la capacité de solliciter, d’obtenir et d’utiliser des ressources financières et matérielles est essentielle à l’existence et au fonctionnement de toute association, et qu’elle constitue un élément à part entière du droit à la liberté d’association, comme cela a été souligné dans le rapport de la Commission de Venise sur le financement des associations (Étude n° 895/2017, CDL-AD(2019)002) de mars 2019. En imposant aux ONG des obligations pour cause de lutte contre le terrorisme ou le blanchiment d’argent ou pour cause de prévention des influences politiques étrangères, les États doivent faire une distinction entre les «obligations de rapports» et les «obligations de publication», et s’assurer que toute exigence en matière d’information et de transparence est proportionnée à la taille de l’association et à l’étendue de ses activités.
6. Se référant à sa Résolution 2356 (2020) sur les droits et obligations des ONG venant en aide aux réfugiés et aux migrants en Europe, l’Assemblée condamne les différentes attaques contre des ONG qui viennent en aide aux réfugiés et aux migrants, et contre leurs donateurs. Elle réitère son inquiétude quant aux nouvelles réglementations qui durcissent les conditions de travail de ces ONG et criminalisent certaines activités de leurs membres.
7. Se référant à sa Résolution 2338 (2020) sur les conséquences de la pandémie de covid-19 sur les droits de l’homme et l’État de droit, l’Assemblée s’inquiète de l’impact de mesures restrictives adoptées par les États membres du Conseil de l’Europe en cette période et souligne que ces mesures ont un effet néfaste sur le fonctionnement de la société civile. Elle souligne que, même si, conformément à la Convention, la santé publique peut constituer un but légitime permettant de restreindre les droits au respect de la vie privée (article 8), à la liberté d’expression (article 10) et à la liberté de réunion et d’association (article 11), toute restriction des droits susmentionnés doit être «prévue par la loi», «nécessaire dans une société démocratique» et proportionnée au but légitime poursuivi.
8. L’Assemblée soutient les travaux entrepris par la Commission sur l’égalité et la non-discrimination dans le cadre de l’établissement de son rapport intitulé «Préserver les minorités nationales en Europe» et recommande vivement de soutenir les ONG qui œuvrent dans le domaine de la protection des minorités nationales.
9. Malgré les évolutions négatives susmentionnées, l’Assemblée salue le fait que certains États membres aient amendé leur législation concernant les ONG conformément aux recommandations des diverses instances du Conseil de l’Europe. De plus, la majorité des États membres ont établi un environnement propice aux activités de la société civile, et les autorités ont pris des mesures afin d’assurer un financement équitable des ONG et leur participation accrue dans le processus législatif et le débat public.
10. Par conséquent, l’Assemblée exhorte tous les États membres:
10.1 à respecter les normes du droit international en matière des droits à la liberté de réunion, d’association et d’expression;
10.2 à mettre pleinement en œuvre la Recommandation CM/Rec(2007)14 ainsi que la Recommandation CM/Rec(2018)11;
10.3 à mettre pleinement et rapidement en œuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant des violations du droit à la liberté d’association des ONG;
10.4 à abroger et/ou à modifier les lois qui entravent le travail libre et indépendant des ONG, et à veiller à ce que ces lois soient conformes aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment aux articles 8, 10 et 11 de la Convention;
10.5 à s’abstenir d’adopter de nouvelles lois qui se traduiraient par des restrictions non nécessaires et disproportionnées des activités des ONG; dans ce contexte, la pandémie de covid-19 ne devrait pas justifier que de telles restrictions soient imposées;
10.6 à faire appel, le cas échéant, à l’expertise du Conseil de l'Europe, et en particulier de la Commission de Venise et de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales et de son Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG;
10.7 à faire en sorte que les ONG puissent solliciter, recevoir et utiliser des ressources financières et matérielles, d’origine nationale ou étrangère, sans subir de discrimination ni rencontrer d’obstacles injustifiés, conformément aux recommandations contenues dans le rapport sur le financement des associations de la Commission de Venise;
10.8 à assurer une protection juridique effective des ONG, et notamment, en cas de litige avec les autorités, un contrôle judiciaire conforme aux garanties résultant du droit à un procès équitable (article 6 de la Convention);
10.9 à veiller à ce que les ONG participent véritablement aux processus de consultation portant sur les nouvelles lois qui les concernent et sur d’autres questions importantes, ainsi qu’aux débats publics pertinents;
10.10 à garantir un espace dévolu à la société civile, notamment en s’abstenant de tout harcèlement, qu’il soit judiciaire, administratif ou fiscal, de propos publics négatifs, de campagnes de dénigrement contre les ONG et d’actes d’intimidation contre les militants de la société civile.