Restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 27 janvier 2021 (6e séance)
(voir Doc. 15205, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteure: Mme Alexandra
Louis). Texte adopté par l’Assemblée le
27 janvier 2021 (6e séance).Voir
également la Recommandation
2194 (2021).
2. L’Assemblée rappelle que les organisations non gouvernementales
(ONG) sont une composante essentielle d’une société civile ouverte
et démocratique, et qu’elles contribuent de manière fondamentale
au développement et à la réalisation de la démocratie, de l’État
de droit et des droits de l’homme. Pour assurer le bon fonctionnement
de la société civile, les États membres du Conseil de l’Europe sont
tenus de garantir notamment le respect des droits à la liberté d’expression,
de réunion et d’association, énoncés aux articles 10 et 11 de la
Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»), qui sont inextricablement liés et ne peuvent être
limités que pour des motifs prévus par la Convention.
3. L’Assemblée rappelle également que le Conseil de l'Europe
dispose d’une grande expérience dans l’élaboration de lignes directrices
sur la législation relative aux ONG, qui sont contenues notamment
dans la Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des Ministres aux
États membres sur le statut juridique des organisations non gouvernementales
en Europe et les «Lignes directrices conjointes sur la liberté d'association»
de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) et du Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l'homme de l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH) du 17 décembre 2014. Elle salue l’adoption
par le Comité des Ministres de la Recommandation CM/Rec(2018)11
sur la nécessité de renforcer la protection et la promotion de l’espace dévolu
à la société civile en Europe, ainsi que de sa Déclaration adoptée
à Helsinki le 17 mai 2019 évoquant ce sujet.
4. Plus de deux ans après sa
Résolution 2226 (2018), l'Assemblée
observe avec préoccupation que l’espace dévolu à la société civile
continue à se rétrécir dans plusieurs États membres du Conseil de
l'Europe, surtout pour des ONG qui œuvrent dans le domaine des droits
de l’homme. La législation et la réglementation restrictives critiquées
auparavant par diverses instances du Conseil de l’Europe, dont la
Commission de Venise, le Conseil d’experts sur le droit en matière
d’ONG de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales
et l’Assemblée elle-même, continuent à être appliquées, notamment
en Azerbaïdjan, en Fédération de Russie et en Turquie. De plus,
certaines ONG font l’objet de campagnes de dénigrement, et leurs
militants de menaces et de représailles.
5. L’Assemblée s’inquiète du fait que, dans certains États membres,
les législations imposant aux ONG recevant des fonds de l’étranger
des obligations excessives de rapports et de publication, et visant
à stigmatiser ces ONG, n’ont pas été abrogées, malgré les critiques
exprimées par diverses instances du Conseil de l’Europe. Elle est
d’autant plus préoccupée que certains autres États membres ont préparé
des propositions de lois s’inspirant apparemment de ces législations.
À cet égard, l’Assemblée rappelle que la capacité de solliciter,
d’obtenir et d’utiliser des ressources financières et matérielles
est essentielle à l’existence et au fonctionnement de toute association,
et qu’elle constitue un élément à part entière du droit à la liberté d’association,
comme cela a été souligné dans le rapport de la Commission de Venise
sur le financement des associations (Étude n° 895/2017, CDL-AD(2019)002)
de mars 2019. En imposant aux ONG des obligations pour cause de
lutte contre le terrorisme ou le blanchiment d’argent ou pour cause
de prévention des influences politiques étrangères, les États doivent
faire une distinction entre les «obligations de rapports» et les «obligations
de publication», et s’assurer que toute exigence en matière d’information
et de transparence est proportionnée à la taille de l’association
et à l’étendue de ses activités.
6. Se référant à sa
Résolution
2356 (2020) sur les droits et obligations des ONG venant
en aide aux réfugiés et aux migrants en Europe, l’Assemblée condamne
les différentes attaques contre des ONG qui viennent en aide aux
réfugiés et aux migrants, et contre leurs donateurs. Elle réitère
son inquiétude quant aux nouvelles réglementations qui durcissent
les conditions de travail de ces ONG et criminalisent certaines activités
de leurs membres.
7. Se référant à sa
Résolution
2338 (2020) sur les conséquences de la pandémie de covid-19
sur les droits de l’homme et l’État de droit, l’Assemblée s’inquiète
de l’impact de mesures restrictives adoptées par les États membres
du Conseil de l’Europe en cette période et souligne que ces mesures
ont un effet néfaste sur le fonctionnement de la société civile.
Elle souligne que, même si, conformément à la Convention, la santé publique
peut constituer un but légitime permettant de restreindre les droits
au respect de la vie privée (article 8), à la liberté d’expression
(article 10) et à la liberté de réunion et d’association (article 11),
toute restriction des droits susmentionnés doit être «prévue par
la loi», «nécessaire dans une société démocratique» et proportionnée
au but légitime poursuivi.
8. L’Assemblée soutient les travaux entrepris par la Commission
sur l’égalité et la non-discrimination dans le cadre de l’établissement
de son rapport intitulé «Préserver les minorités nationales en Europe»
et recommande vivement de soutenir les ONG qui œuvrent dans le domaine
de la protection des minorités nationales.
9. Malgré les évolutions négatives susmentionnées, l’Assemblée
salue le fait que certains États membres aient amendé leur législation
concernant les ONG conformément aux recommandations des diverses instances
du Conseil de l’Europe. De plus, la majorité des États membres ont
établi un environnement propice aux activités de la société civile,
et les autorités ont pris des mesures afin d’assurer un financement
équitable des ONG et leur participation accrue dans le processus
législatif et le débat public.
10. Par conséquent, l’Assemblée exhorte tous les États membres:
10.1 à respecter les normes du droit
international en matière des droits à la liberté de réunion, d’association et
d’expression;
10.2 à mettre pleinement en œuvre la Recommandation CM/Rec(2007)14
ainsi que la Recommandation CM/Rec(2018)11;
10.3 à mettre pleinement et rapidement en œuvre les arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme concernant des violations
du droit à la liberté d’association des ONG;
10.4 à abroger et/ou à modifier les lois qui entravent le travail
libre et indépendant des ONG, et à veiller à ce que ces lois soient
conformes aux instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme, notamment aux articles 8, 10 et 11 de la Convention;
10.5 à s’abstenir d’adopter de nouvelles lois qui se traduiraient
par des restrictions non nécessaires et disproportionnées des activités
des ONG; dans ce contexte, la pandémie de covid-19 ne devrait pas justifier
que de telles restrictions soient imposées;
10.6 à faire appel, le cas échéant, à l’expertise du Conseil
de l'Europe, et en particulier de la Commission de Venise et de
la Conférence des organisations internationales non gouvernementales et de
son Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG;
10.7 à faire en sorte que les ONG puissent solliciter, recevoir
et utiliser des ressources financières et matérielles, d’origine
nationale ou étrangère, sans subir de discrimination ni rencontrer
d’obstacles injustifiés, conformément aux recommandations contenues
dans le rapport sur le financement des associations de la Commission
de Venise;
10.8 à assurer une protection juridique effective des ONG,
et notamment, en cas de litige avec les autorités, un contrôle judiciaire
conforme aux garanties résultant du droit à un procès équitable
(article 6 de la Convention);
10.9 à veiller à ce que les ONG participent véritablement aux
processus de consultation portant sur les nouvelles lois qui les
concernent et sur d’autres questions importantes, ainsi qu’aux débats
publics pertinents;
10.10 à garantir un espace dévolu à la société civile, notamment
en s’abstenant de tout harcèlement, qu’il soit judiciaire, administratif
ou fiscal, de propos publics négatifs, de campagnes de dénigrement contre
les ONG et d’actes d’intimidation contre les militants de la société
civile.