B Exposé des motifs,
par M. Boriss Cilevičs, rapporteur
1 Introduction
1. L’élection des juges de la
Cour européenne des droits de l’homme est l’une des principales
attributions de l’Assemblée parlementaire. La procédure de sélection
a une incidence directe sur l’indépendance et l’impartialité des
juges, qualités indispensables à la confiance publique dans toute
institution judiciaire. Les procédures de nomination doivent être
conformes aux normes internationales garantissant l’indépendance
de la justice, et perçues comme telles. Faute de quoi pourraient
être élus des juges insuffisamment qualifiés pour s’acquitter de
leurs très importantes fonctions, et ce au détriment de la légitimité
et de l’autorité de la Cour de Strasbourg, et ainsi de la défense
des droits de l’homme et de l’État de droit dans l’ensemble de l’Europe
Note.
2. Des propositions d’amélioration de la procédure d’élection
des juges de la Cour européenne des droits de l’homme, issues en
particulier des travaux de la commission sur l’élection des juges
à la Cour européenne des droits de l’homme («la commission»), ont
été formulées à diverses occasions. Après en avoir discuté lors de
ses réunions de janvier et d’avril 2017, la commission a décidé
de déposer une proposition de résolution sur la question de la procédure
d’élection
Note. Le présent rapport résume les
règles de procédure actuelles, éparpillées dans un certain nombre
de résolutions et de recommandations adoptées par l’Assemblée au
fil du temps, et analyse les propositions de réforme. Le projet
de résolution clarifie en outre certains points, comme les motifs
de rejet d’une liste de candidatures, en écho à l’évolution des
pratiques de l’Assemblée et de la commission. Dans un souci d’exhaustivité,
et pour rendre justice à d’autres propositions de réforme formulées dans
diverses enceintes, j’aborde en outre dans l’annexe du présent exposé
des motifs un certain nombre de propositions de réforme qui nécessiteraient
de modifier le Règlement de l’Assemblée – ce qui relève de la commission
du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles. En
fin de compte je ne propose guère de changements à la procédure
existante – suivant l’adage «pas besoin de réparer ce qui n’est
pas cassé»: elle a jusqu’à présent et dans l’ensemble donné d’excellents
résultats, et nous devrions lui laisser le temps de se roder et
de faire ses preuves avant de la modifier davantage.
3. Je tiens à rappeler que la procédure d’élection des juges
à la Cour européenne des droits de l’homme fait également l’objet
de discussions au sein des organes intergouvernementaux du Conseil
de l’Europe. À leur 1252e réunion en
mars 2016, les Délégués des Ministres ont demandé au Comité directeur
pour les droits de l’homme (CDDH) de se pencher sur la sélection
et l’élection des juges de la Cour, en incluant dans cet examen
tous les facteurs qui risquent de décourager les candidatures. Le
comité d’experts sur le système de la Convention européenne des
droits de l’homme (DH-SYSC), créé par le CDDH en avril 2016, a constitué deux
groupes de rédaction, dont le groupe sur les suites à donner au
rapport sur l’avenir à plus long terme de la Convention (DH-SYSC-I).
M. Vít A. Schorm, président du DH-SYSC-I et agent du Gouvernement
de la République tchèque auprès de la Cour européenne des droits
de l’homme, et M. Morten Ruud, vice-président et conseiller spécial
auprès du ministère norvégien de la Justice, ont pris part à un
échange de vues avec notre commission le 12 janvier 2017. Le Secrétaire
général de l’Assemblée, M. Wojciech Sawicki, a de son côté procédé
à un échange de vues avec le DH-SYSC-I en février, et avec le DH-SYSC
en mai 2017. Le projet de rapport préparé par le DH-SYSC-I, qui
s’est réuni pour la dernière fois du 18 au 20 octobre 2017, a été
adopté par le DH-SYSC le 9 novembre 2017 et par le CDDH à sa 88e réunion
du 5 au 7 décembre 2017
Note. À l’issue de l’examen auquel il
a été procédé à la réunion du groupe de rapporteurs sur les droits
de l’homme (GR-H) le 20 février 2018, les Délégués des Ministres
l’ont approuvé à leur réunion du 7 mars 2018. D’autres améliorations de
la procédure d’élection des juges ont été évoquées dans la Déclaration
de Copenhague
Note adoptée
par la conférence de haut niveau qu’avait organisée la présidence
danoise, et dans le rapport sur les moyens de garantir l’efficacité
continue du système de la Convention européenne des droits de l’homme,
adopté à la 128e session ministérielle
à Elseneur (Danemark) les 17 et 18 mai 2018. Dans leurs conclusions,
les Ministres observaient que «[ l]a sélection et l’élection des
juges à la Cour ont également fait l’objet d’une attention particulière
depuis la Déclaration de Bruxelles et des améliorations des procédures
actuelles pourraient être envisagées par le biais notamment d’une
coopération accrue entre les différents acteurs (États Parties,
Comité des Ministres, Assemblée parlementaire et Panel consultatif
d’experts sur les candidats à l’élection de juges à la Cour) »
Note.
4. S’appuyant sur une note présentant une synthèse de la procédure
existante et des réformes proposées jusque-là, la commission a consacré
à cette question une pleine journée de discussions avec des experts,
dont la présidente du Panel consultatif d’experts («Panel consultatif»),
Mme Nina Vajić, à sa réunion de Riga
les 20 et 21 octobre 2017.
2 Récapitulatif
de la procédure actuelle d’élection des juges de la Cour européenne
des droits de l’homme
5. L’article 22 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») dit que « [l]es juges sont élus par l’Assemblée
parlementaire au titre de chaque Haute Partie contractante, à la
majorité des voix exprimées, sur une liste de trois candidats présentés
par la Haute Partie contractante ». L’article 22 met donc en place
une coopération dans la désignation des juges de la Cour: les gouvernements
nationaux choisissent trois candidats, et l’Assemblée élit l’un
d’eux en tant que juge.
6. Dans la procédure actuelle, les juges de la Cour européenne
des droits de l’homme sont élus en deux temps. En premier lieu,
la présélection des candidats, qui relève en principe de la seule
compétence des Hautes Parties contractantes à la Convention (États
ou gouvernements), débouche sur la transmission à l’Assemblée d’une
liste de trois candidats. Depuis la création du Panel consultatif,
les États bénéficient des conseils éclairés qu’il dispense. Dans
un second temps, il incombe à l’Assemblée, après évaluation par
la commission des candidatures présélectionnées par les États Parties,
d’élire en séance plénière l’un des trois candidats.
2.1 Procédure
de présélection chez les Hautes Parties contractantes, appuyées
par le Panel consultatif d’experts
7. La procédure de présélection
est déclenchée par le Secrétaire général de l’Assemblée, qui écrit
aux autorités nationales pour les inviter à soumettre une liste
de candidats pour une certaine date. Cette échéance (fixée à un
an environ avant la date envisagée pour l’élection) laisse assez
de temps au gouvernement, au Panel consultatif, à la commission
et à l’Assemblée pour sélectionner les candidatures, les évaluer
et procéder à l’élection. La procédure de présélection nationale
a une incidence considérable sur le résultat de l’ensemble du processus.
En effet, lorsque les trois candidatures présentées à l’Assemblée
sont excellentes, peu importe d’un point de vue institutionnel celle
qui sera finalement retenue: ce sera nécessairement un excellent
juge, qui jouira de surcroît de la légitimité démocratique conférée
par l’élection. Après un certain nombre de problèmes constatés dans
la procédure nationale de présélection, le Comité des Ministres
a décidé en 2010 de constituer un « Panel consultatif d’experts »,
chargé de conseiller les gouvernements sur les qualifications des
candidats à présélectionner. Les gouvernements sont invités à remettre
au Panel les curriculums vitae des candidats qu’ils envisagent de
présenter devant l’Assemblée. Le Panel examine les CV au cours d’une procédure
confidentielle, et a la possibilité de poser des questions aux autorités
nationales. Après examen des candidatures à la lumière de l’ensemble
des informations reçues, le Panel décide (par écrit ou en réunion)
s’il considère que tous les candidats satisfont aux exigences de
l’article 21 de la Convention ou si certains ne réunissent pas les
conditions requises, et en informe les autorités nationales. Les
gouvernements sont censés suivre les recommandations du Panel, bien
qu’ils soient formellement libres de présenter leur liste à l’Assemblée
sans se conformer au point de vue du Panel. Ces derniers temps,
la commission, qui est également informée des conclusions du Panel
sur la liste définitive présentée par la Haute Partie contractante, a
insisté pour que le Panel soit au moins authentiquement consulté
et que ses avis soient dûment pris en compte.
8. La procédure nationale de présélection doit remplir un certain
nombre d’exigences, visant à accroître la probabilité que les trois
candidatures soient les meilleures possible, ce qui est le résultat
attendu. Le Comité des Ministres a adopté en 2012 ses « Lignes directrices
concernant la sélection des candidats pour le poste de juge à la
Cour européenne des droits de l’homme »
Note. En résumé, la procédure nationale
de sélection doit être équitable et transparente. Elle doit respecter
les principales exigences suivantes: 1) elle devrait être stable
et fixée par avance, par codification ou selon une pratique administrative
bien établie
Note ;
2) l’appel à candidatures devrait être très largement publié ; 3)
un délai raisonnable devrait être accordé pour le dépôt des candidatures ; 4)
l’organe chargé de recommander les candidats devrait avoir une composition
équilibrée et ses membres devraient posséder des connaissances techniques
suffisantes, inspirer respect et confiance et échapper à toute influence
indue ; 5) tous les candidats sérieux devraient faire l’objet d’un
entretien de forme normalisée ; 6) leurs compétences linguistiques
devraient être évaluées ; 7) toute décision prise par l’autorité
décisionnelle qui s’écarte de la recommandation de l’organe de sélection
devrait être justifiée par référence aux critères de préparation
des listes de candidats ; 8) la liste devrait être enfin transmise
à l’Assemblée après réception de l’avis du Panel consultatif sur
l’admissibilité des candidatures.
9. L’Assemblée
Note insiste également
sur l’équité, la transparence et la cohérence de la procédure nationale de
sélection (ce qui englobe l’appel public et ouvert à candidatures),
sans toutefois aller autant dans le détail que le Comité des Ministres.
La commission a cependant commencé ces derniers temps à mettre davantage l’accent
sur ces questions, et a récemment motivé le rejet de deux listes
uniquement par des vices de procédure
Note. Dans un cas (Albanie),
les Lignes directrices du Comité des Ministres n’avaient pas été respectées ;
et dans l’autre (Hongrie), il n’y avait pas eu de véritable procédure
nationale de sélection. Cela dit, la commission se borne à apprécier
l’équité et la transparence générales de la procédure nationale
de sélection (qui doit être présentée dans le courrier accompagnant
la liste des candidats) sans anticiper sur le résultat de la procédure
en l’espèce. Cela signifie que, dès lors que la procédure suivie
a été dans l’ensemble équitable et transparente, la commission ne
rejette pas la liste pour vice de procédure au seul motif que d’autres
personnes que les candidats sélectionnés auraient dû à son avis
y figurer. L’Assemblée respecte le fait que la Convention remet
aux États Parties la responsabilité de sélectionner les trois candidats
de la liste restreinte
Note. La commission
procède simplement, en se fondant sur les lignes directrices du
Comité des Ministres, à une vérification générale de l’équité et
de la transparence de la procédure suivie pour l’établissement de
la liste, qui est présentée à l’Assemblée dans l’ordre alphabétique
Note.
2.2 Procédure
d’élection à l’Assemblée
10. À réception de la liste, l’Assemblée
la publie sur son site internet. Les candidatures sont alors examinées par
la commission et les candidat(e)s sont invité(e)s à un entretien.
Au vu des recommandations de la commission, l’Assemblée procède
à l’élection ou rejette la liste. Une fois que la liste a été transmise
à l’Assemblée, elle lui « appartient ». Elle ne peut être retirée
ou modifiée par l’État Partie qu’avant l’expiration du délai
Note.
Entre ce moment et le vote de l’Assemblée, tout candidat peut retirer
sa candidature. Auquel cas, la procédure d’élection est interrompue
et l’État Partie concerné est invité à compléter sa liste
Note.
2.2.1 Procédure
d’examen à la commission sur l’élection des juges
11. La commission compte 22 sièges
(avec les présidents de la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme et de la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
membres de droit). Les membres sont nommés par les groupes politiques
à raison de leur poids au sein de l’Assemblée. Ils doivent posséder des
compétences et une expérience juridiques suffisantes, ce que détermine
le/la président(e). Cette commission est la seule de l’Assemblée
à laquelle s’applique une telle exigence. Le quorum de validité
des délibérations de la commission est du tiers de membres présents
(sept).
12. Les réunions de la commission se déroulent selon une procédure
systématique. Réunis avant chaque série d’entretiens, les membres
reçoivent un certain nombre d’informations, comme les avis confidentiels
du Panel consultatif et toute information pertinente obtenue par
le/la président(e) par d’autres sources. Conformément à un usage
établi, le/la président(e) transmet les éléments communiqués par
des représentants respectés de la société civile, alors que les
messages des partis politiques ou des candidats non retenus ne sont
généralement pas jugés pertinents. La préférence exprimée par le
gouvernement ne doit avoir aucun poids dans les délibérations de
la commission
Note,
qui se fonde uniquement sur les critères fixés par la Convention
et concrétisés par l’Assemblée (voir chapitre 3 ci-dessous). Les
réunions ont lieu à huis clos, et tous les participants sont rigoureusement
tenus au secret.
13. Si la commission conclut à l’absence de motifs de rejet de
la liste pour vice de procédure, les candidats sont entendus au
cours d’un entretien individuel, par ordre alphabétique. Chaque
entretien dure 30 minutes. Le candidat dispose de cinq minutes au
plus pour présenter sa candidature. Cette possibilité, dont les candidats
sont informés par avance, est mise à profit par la quasi-totalité
d’entre eux. Les membres peuvent leur poser n’importe quelle question,
et notamment leur demander des éclaircissements sur leur CV. Les questions
sont généralement posées dans les deux langues officielles. Les
candidats bénéficient d’une interprétation simultanée dans les deux
langues et peuvent répondre dans l’une ou l’autre langue officielle.
À l’issue des trois entretiens, la commission procède à un échange
de vues sur les qualités des candidats. Pour arriver à une conclusion,
elle commence par déterminer si les candidats satisfont tous les
trois aux critères d’élection d’un juge ; si tel n’est pas le cas,
elle recommande à l’Assemblée le rejet de la liste. Cette recommandation
requiert la majorité des deux tiers des membres habilités à voter.
Seuls les membres présents au cours des trois entretiens peuvent
voter sur la liste correspondante. Si la liste n’est pas rejetée,
la commission vote à bulletin secret pour déterminer le candidat
qui a sa préférence. La procédure exposée ci-dessus se répète pour
chaque liste de candidats inscrite à l’ordre du jour
Note.
14. La recommandation de la commission est communiquée à l’Assemblée
suffisamment de temps avant la partie de session au cours de laquelle
l’élection doit avoir lieu. Elle ne précise pas les motifs du choix
de la commission et n’indique pas la majorité exacte des membres
favorables à cette décision. Les formulations habituelles de présentation
du résultat du vote indiquent clairement dans quelle mesure un ou
éventuellement deux candidats ont convaincu la commission de la
qualité de leurs candidatures respectives. Elle indique par exemple
si la recommandation en faveur d’un(e) candidat(e) a été adoptée
« à l’unanimité », à une majorité très large, large, nette ou faible,
ou simplement « à la majorité » – parfois devant un ou une autre
candidat(e), dont il est d’usage que le nom soit également mentionné
si l’écart de voix a été très faible, avec une troisième candidature
loin derrière ; une large majorité signifie une majorité des deux
tiers au moins. Les recommandations sont publiées sur le site internet
de l’Assemblée plusieurs jours avant l’élection.
15. En cas de rejet d’une liste, le Secrétaire général de l’Assemblée
et le/la président(e) de la commission fournissent à titre confidentiel
des informations supplémentaires au représentant permanent du pays
concerné à Strasbourg et au/à la président(e) de la délégation nationale
à l’Assemblée respectivement. La recommandation de rejet d’une liste
formulée par la commission est approuvée par l’Assemblée dans le
cadre du rapport d’activité soumis par le Bureau de l’Assemblée
à cette dernière. Si la proposition est rejetée à la majorité des
voix à l’Assemblée, la liste est renvoyée à la commission pour second
examen. L’élection n’a alors pas lieu au cours de la même partie
de session, l’Assemblée ne disposant pas d’une recommandation de
la commission en faveur d’une candidature.
2.2.2 Élection
à l’Assemblée
16. Comme indiqué plus haut, l’article 22
de la Convention charge l’Assemblée d’élire les juges « à la majorité
des voix exprimées, sur une liste de trois candidats».
17. Si l’Assemblée ne rejette pas la liste, soit pour vice de
procédure, soit parce que les candidats ne satisfont pas tous aux
critères d’éligibilité, le premier tour de l’élection a lieu le
mardi de la partie de session, conformément à l’usage retenu par
l’Assemblée pour assurer la participation la plus élevée possible.
C’est la raison pour laquelle les membres ont la possibilité de
voter à bulletin secret tout au long des séances du matin et de
l’après-midi. Les noms des candidats figurent sur le bulletin par
ordre alphabétique. Le bulletin ne laisse pas percevoir de préférences
de la commission ni du gouvernement
Note.
Si une candidature remporte la majorité absolue des voix exprimées,
la personne est proclamée élue. Dans le cas contraire, un deuxième
tour a lieu le mercredi ; la majorité relative est alors suffisante.
18. L’Assemblée n’est pas à proprement parler liée par la recommandation
de la commission, dont elle n’entérine pas automatiquement le vote.
Mais puisqu’elle a délégué l’évaluation des candidatures à la commission,
elle devrait normalement suivre ses conclusions. Les considérations
de politique partisane ou les pressions exercées par la délégation
nationale concernée (ou ses représentants majoritaires) ne sauraient justifier
qu’elle s’écarte de la recommandation de la commission – qui reflète
après tout l’évaluation attentive des candidatures à laquelle a
procédé, sur la base des CV et des entretiens, un organe politiquement représentatif
composé de parlementaires qui possèdent des compétences juridiques
particulières. Il convient donc de se féliciter que l’Assemblée
ait suivi depuis avril 2011 les recommandations de la commission
(ou de la sous-commission avant elle) dans 94,9 % des cas (37 sur
39). Dans 19 de ces 37 cas dans lesquels elle a suivi la recommandation
de la commission, cette dernière n’avait mentionné qu’un seul candidat.
Dans 17 des 18 cas restants, elle avait exprimé sa préférence pour
une candidature sur une autre, mais les deux noms figuraient dans
la recommandation ; dans un cas, elle avait jugé les deux candidats
également qualifiés. Dans le second groupe, elle a élu le premier
choix (ou le choix à égalité) de la commission dans 13 cas, et dans
cinq (38,5 %) elle a préféré le second choix de la commission.
3 Critères
matériels applicables à l’élection des juges de la Cour européenne
des droits de l’homme
19. Les critères matériels applicables
à l’élection des juges figurent à l’article 21.1 de la Convention,
qui précise que « les juges doivent jouir de la plus haute considération
morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes
fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence
notoire ».
20. Comme l’a reconnu la Cour dans son premier avis consultatif
Note,
l’Assemblée est tenue de veiller à ce que la composition de la Cour
européenne des droits de l’homme assure son bon fonctionnement,
en définissant d’autres critères dont on peut considérer qu’ils
«découlent implicitement de l’article 21.1 et en fournissent en
quelque sorte une explicitation». La Cour rappelle qu’il incombe
à l’Assemblée de « s’assurer en dernière instance que tous les candidats
figurant sur une liste remplissent toutes les conditions visées
par cette disposition, de façon à préserver le libre choix dont
l’article 22 l’investit et qu’elle a pour mission d’exercer dans
l’intérêt du bon fonctionnement et de l’autorité de la Cour. Il
va de soi aussi que l’Assemblée peut se laisser guider par des critères
additionnels qu’elle estime pertinents pour déterminer son choix
parmi les candidats présentés par une Partie contractante et, comme
elle l’a fait dans un but de transparence et de prévisibilité, reprendre
ces critères dans ses résolutions et recommandations »
Note.
21. Parmi ces critères additionnels fixés par l’Assemblée conformément
à l’interprétation de l’article 21 donnée par la Cour figure la
connaissance adéquate des deux langues officielles. L’Assemblée
exige la connaissance active de l’une des deux, et la connaissance
(au moins) passive de l’autre
Note.
Dans le premier avis consultatif évoqué ci-dessus, la Cour a également
reconnu que l’Assemblée avait le droit d’exiger que toute liste
comporte des candidats des deux sexes
Note – sauf exception
prévue dans des situations appropriées. Une liste comportant des
candidats d’un seul sexe peut être acceptée au profit du sexe sous-représenté
(soit 40 % des juges, chiffre fixé au moment de l’envoi de la lettre
qui invite la Haute Partie contractante à présenter une liste de
candidats) ou s’il existe des « cas exceptionnels où une Partie
contractante a pris toutes les mesures nécessaires et adéquates
pour garantir la présence de candidats des deux sexes qui satisfassent
aux exigences (…) de l’article 21 . (…) », mais n’a pu faire en
sorte que la liste contienne des candidats des deux sexes. Ces cas
exceptionnels doivent être déclarés tels à la majorité des deux
tiers de la commission, dont la position doit être entérinée par
l’Assemblée
Note.
22. Outre les compétences linguistiques et l’équilibre entre hommes
et femmes, l’Assemblée a donné, dans diverses résolutions et dans
les rapports sur lesquels elles se fondent, d’autres indications
sur les qualités qu’elle attend des candidats. Il convient que les
candidats ne soient pas « indûment restreints »
Note et qu’ils possèdent
« de l’expérience dans le domaine des droits de l’homme »
Note, « soit en tant
que praticien, soit en tant que militant d’organisations non gouvernementales
actives dans ce domaine »
Note. Les Lignes directrices
du Comité des Ministres précisent par ailleurs qu’il est « nécessaire
que les candidats aient des connaissances du ou des systèmes légaux
nationaux et en droit international public. Une expérience juridique
pratique est également souhaitable »
Note.
Le Comité des Ministres exige de plus que « s’ils sont élus, les
candidats devraient en général être à même d’exercer leurs fonctions
durant au moins la moitié du mandat de neuf ans avant d’atteindre
l’âge de 70 ans »
Note.
Concrètement, cela impose aux candidats une limite d’âge supérieure
d’environ 65 ans au début de la procédure engagée devant l’Assemblée
Note.
Le Comité des Ministres et l’Assemblée se sont également penchés
sur la nécessité d’exiger un âge minimum (ou une expérience professionnelle minimale)
conforme à la « stature » des juges élus à la Cour, compte tenu
en particulier de l’existence, dans un certain nombre d’États membres,
de l’exigence d’un âge minimum et d’une expérience professionnelle minimale
pour pouvoir exercer de hautes fonctions judiciaires
Note. Une autre exigence
est citée à plusieurs reprises
Note: veiller, dans
la mesure du possible, à ne présenter aucun candidat dont l’élection
pourrait rendre indispensable la nomination d’un juge ad hoc
Note. Il peut toutefois arriver
que cette exigence entre en conflit avec la recommandation voulant
que la préférence soit donnée aux candidats ayant exercé auparavant
des fonctions de juge au sein des plus hautes juridictions de leur
pays
Note.
23. Dans l’exposé des motifs sur lequel se fonde la
Résolution 1366 (2004)Note,
le rapporteur indique que « grâce aux entretiens, les membres ont
l’opportunité d’analyser et de se rendre compte des compétences
et des qualifications des candidats et d’approfondir leur appréciation
concernant:
- leur connaissance
de la jurisprudence de la Convention européenne
- leurs connaissances et leur expérience juridiques générales
- leur capacité intellectuelle et analytique
- leur maturité et leur justesse de jugement
- leur esprit de décision et leur autorité
- leur capacité de communication et d’écoute
- leur intégrité et leur indépendance
- leur honnêteté et leur impartialité
- leur compréhension des individus et de la société
- leur courtoisie et leur humanité
- leur engagement envers le service public
- leur conscience et leur diligence ».
24. Cette liste résume assez bien les critères essentiels qui
doivent guider les autorités nationales au cours de la procédure
de présélection, ainsi que la commission et l’Assemblée au cours
de la procédure d’élection. Je soutiens cette liste, qui devrait
être complétée par les critères figurant dans les résolutions antérieures
de l’Assemblée et par l’excellent résumé des critères sur lesquels
le Panel consultatif fonde l’évaluation de la qualification des
juges et des jurisconsultes, tel qu’il a été présenté par Mme Vajić
à la réunion de la commission de Riga: pour ce qui est des candidats
juges ou procureurs, ce sont le niveau (d’habitude dans les juridictions supérieures)
et la longueur de l’expérience qui sont décisifs ; les jurisconsultes
(article 21) sont évalués à la lumière de l’étendue et la durée
de leur expérience, de leur réputation dans leur spécialité (vue
notamment à travers leurs publications en la matière), et de la
combinaison qu’ils offrent d’expérience universitaire et de pratique
du droit. À mon avis, ces critères couvrent suffisamment bien le
besoin d’une longue expérience de haut niveau, et il n’est pas nécessaire
d’y ajouter la règle d’âge minimum suggérée par certains.
4 Modifications
proposées de la procédure actuelle
25. À sa réunion de Riga, les 20
et 21 octobre 2017, la commission a examiné attentivement un certain nombre
de propositions de modification de la procédure actuelle.
4.1 Propositions
visant à réduire les possibilités de lobbying politique
26. L’Assemblée est, par définition,
un organe politique, où siègent des responsables politiques, qui prennent
des décisions politiques. Mais il convient de limiter le plus possible
le lobbying et les ingérences politiques dans l’élection des juges
de la Cour, de sorte que soient élus les candidats les plus qualifiés
et les plus respectés. La réussite de notre procédure se mesurera
à cette aune. Le lobbying politique a indéniablement été présent
à certaines occasions dans le cadre de la procédure de l’Assemblée:
moins souvent (ou du moins, avec moins de succès) au niveau de la
commission et peut-être plus souvent, mais uniquement dans un nombre
très limité de cas, à l’Assemblée. L’expérience montre qu’il est
bien plus fréquent au niveau de la présélection nationale qu’à celui
de l’Assemblée.
27. Si l’Assemblée constate qu’il y a eu lobbying ou ingérences
politiques dans la présélection nationale, elle ne peut rejeter
la liste que pour deux motifs: 1) si la procédure nationale a conduit
(du fait du lobbying ou des ingérences politiques ou pour toute
autre raison) à la présélection de candidats qui ne satisfont pas
tous aux critères d’éligibilité ; ou 2) si la procédure nationale
de présélection n’a pas respecté les normes de transparence et d’équité
définies par l’Assemblée et le Comité des Ministres. Dès lors que
la procédure nationale respecte les exigences de l’Assemblée et
que les trois candidats sont en principe éligibles, l’Assemblée
n’a d’autre choix que de procéder à l’élection. Le projet de résolution
dit que la présence de l’un de ces deux motifs devrait systématiquement
conduire la commission à recommander le rejet de la liste à l’Assemblée.
À l’avenir, la majorité requise pour l’adoption d’une recommandation
de rejet à la commission (actuellement des deux tiers, annexe VI
du Règlement, VIII.4.i) pourrait aussi être ramenée à la majorité générale
des votes exprimés pour ou contre le rejet. Cela nécessiterait que
la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles ajuste
le mandat de la commission, à la demande du Bureau (annexe V du
Règlement, VIII.4).
28. Il serait possible de minimiser le lobbying politique à l’Assemblée
en modifiant la composition de la commission et/ou en simplifiant
la procédure d’élection en plénière.
4.1.1 Propositions
visant à modifier la composition de la commission sur l’élection
des juges et à promouvoir une meilleure participation des membres
29. Je ne suis guère enclin à bouleverser
la composition et le mode de nomination des membres de la commission.
La méthode actuelle de nomination par les groupes politiques en
fonction de leur poids relatif assure aussi le couplage avec les
courants d’idées politiques dominants au sein des États membres
du Conseil de l’Europe dans son ensemble. Cela confère aux juges
une certaine légitimité dans l’interprétation de la Convention,
considérée comme un « instrument vivant » qui accompagne les constants
changements à l’œuvre dans les sociétés d’Europe. Le nombre relativement
faible de membres de la commission permet à cette dernière d’avoir
des débats denses et de qualité, pour autant que les exigences de
qualification soient préservées. Relâcher ces exigences augmenterait
le nombre de membres éligibles, mais risquerait d’éroder le statut
de la commission à l’égard de l’Assemblée, du Panel consultatif
et des Hautes Parties contractantes. Les membres devraient pouvoir
poser des questions pertinentes, évaluer convenablement la qualité
des réponses, et être perçus comme capables de le faire. Le bureau
de la commission (président et vice-présidents) pourrait, en consultation
avec le Secrétaire général de l’Assemblée, procéder à une évaluation neutre
de l’éligibilité des membres.
30. En ce qui concerne les taux de présence, il est évidemment
souhaitable que tous les membres assistent aussi souvent que possible
aux réunions de la commission. Bien que cette obligation soit parfois
inconciliable avec les autres obligations parlementaires des membres,
le secrétariat devrait tenir une statistique détaillée des présences
et transmettre l’information correspondante aux groupes politiques
Note. Ces derniers pourraient décider
de remplacer les membres après un certain nombre d’absences (comme
l’a récemment discuté le groupe PPE/DC, avec le remplacement de
principe au bout de trois absences ; une telle mesure, si elle est vraiment
appliquée, serait à mon avis un bon moyen de réduire l’absentéisme).
J'ai envisagé des sanctions possibles contre les membres absents
ou les groupes politiques dont le taux de participation moyen des membres
est inférieur à 50%. Mais serait-il juste de sanctionner des membres
individuels selon qu'un membre suppléant nommé par le groupe politique
aurait pu ou non être présent? Que se passe-t-il si plusieurs membres étaient
absents alors qu'un suppléant du même groupe était présent? Sanctionner
des groupes politiques (par exemple en réduisant le nombre de sièges
qui leur sont attribués l’année suivante) soulèverait d’autres problèmes:
étant donné que la composition de la commission change tout au long
de l’année, sur quelle base la participation moyenne doit-elle être
calculée? La base devrait-elle être le nombre de membres réels nommés par
le groupe (au début de l’année ou la moyenne annuelle?); ou devrait-il
s'agir du nombre de sièges attribués à un groupe? Cette dernière
solution créerait une pression sur les groupes pour qu'ils remplissent
tous leurs sièges – mais qu'en est-il s'il n'y a pas suffisamment
de membres qualifiés (et disponibles)? De plus, les petits groupes
politiques risqueraient de perdre leur siège à la commission en
raison du manque de disponibilité temporaire d’un membre qualifié
au cours d’une année donnée. Face à ces difficultés pratiques, je
suggère que nous demandions à la commission du Règlement, des immunités
et des affaires institutionnelles d'examiner la possibilité de modifier
les règles régissant le fonctionnement de la commission de manière
à créer des incitations pour une présence plus régulière des membres.
Si la commission du Règlement, compte tenu de son expertise et de
son expérience, ne considère pas les sanctions comme une solution
appropriée, nous devons nous contenter de «nommer et de critiquer»
les groupes politiques dont les membres, peu importe les raisons,
ne participent pas aux réunions de la commission sur une base régulière.
Dans ce contexte, rappelons que la non-participation des membres
diminue l'influence des groupes politiques sur l'exercice de l'une
des prérogatives les plus importantes de l'Assemblée – l'élection
des meilleurs juges possibles à la Cour européenne des droits de
l'homme.
4.1.2 Simplification
de la procédure d’élection à l’Assemblée
31. Il a été proposé à plusieurs
reprises, en particulier lors des débats menés sous les auspices
du CDDH, de simplifier la procédure d’élection en plénière pour
réduire les possibilités de lobbying. Plusieurs de ces propositions
visaient à renforcer le rôle de la commission aux dépens de celui
de l’Assemblée. Je suis personnellement réticent à recommander aujourd’hui
de modifier les règles actuelles, ce qui nécessiterait de toute
façon une proposition de la commission du Règlement.
4.2 Propositions
visant à améliorer la coopération avec le Panel consultatif
32. La présidente du Panel consultatif,
Mme Nina Vajić, a présenté à la commission
plusieurs propositions pour améliorer la communication et la coopération
entre le Panel et l’Assemblée. Des propositions de ce type ont aussi
été envisagées dans les discussions intergouvernementales. À ma
connaissance, il existe un large consensus, même au sein de la commission,
en faveur du maintien de la répartition des tâches définie dans la
Convention, à savoir: les Hautes Parties contractantes, représentées
par leurs gouvernements respectifs, soumettent une liste de trois
candidats qualifiés, et l’Assemblée élit l’un d’entre eux en tant
que juge. Conformément à cette répartition des tâches, qui est en
harmonie avec le principe de séparation des pouvoirs, les gouvernements
sont appuyés par le Panel, et l’Assemblée bénéficie des conseils
de la commission.
33. Ce partage des rôles voulu par la Convention serait altéré
si le Panel consultatif devait participer activement à l’élection
au sein de l’Assemblée – par exemple si certains de ses membres
étaient « intégrés » dans la commission par invitation à assister
aux entretiens avec les candidats, voire à la conseiller ou même à
participer au vote sur les préférences. Eu égard à la nature collégiale
du Panel, son représentant se trouverait de toute façon dans une
situation délicate si l’entretien le poussait à s’écarter d’un avis
adopté antérieurement au sein du Panel.
34. Il n’en est pas moins parfaitement logique que la commission
soit pleinement informée de l’avis du Panel consultatif sur les
candidats finalement présentés par le gouvernement à l’Assemblée,
à l’issue du processus de consultation, qui doit lui-même continuer
strictement de relever du Panel et des gouvernements concernés. Pour
l’instant, l’information fournie à la commission est relativement
succincte: les membres reçoivent, sous le sceau du secret, uniquement
une brève note écrite du Panel indiquant soit que les candidats
remplissent tous les exigences minimales requises par la Convention,
soit que l’un ou l’autre ne les remplit pas. C’est uniquement dans
le second cas que le Panel justifie brièvement sa conclusion.
35. Je trouverais utile que la commission connaisse de façon plus
détaillée les raisons qui sous-tendent les conclusions du Panel
consultatif. Elles pourraient lui être communiquées oralement, par
le/la président(e) ou un autre représentant du Panel participant
à la présentation des informations à la commission, avant les entretiens,
ou à l’occasion d’une conversation entre les présidents du Panel
et de la commission, ou encore par le canal des secrétariats respectifs.
Le Panel n’a pas encore fait connaître ses propres préférences à
ce sujet.
36. Il me semblerait également souhaitable, en signe de solidarité
entre les divers organes du Conseil de l’Europe – pour reprendre
les propos de Mme Vajić à Riga – que
l’Assemblée use des moyens dont elle dispose pour contribuer à ce
que le Panel consultatif soit convenablement consulté par les gouvernements. Concrètement,
cela signifie que l’Assemblée rejette une liste pour vice de procédure
si le Panel n’a pas été consulté du tout avant présentation de la
liste à l’Assemblée, ou s’il a eu si peu de temps que la consultation a
été privée de son sens. L’Assemblée l’a déjà fait (voir paragraphe 9
ci-dessus (Albanie)), et je suggère de faire explicitement figurer
cette règle dans la nouvelle résolution, ce qui serait aussi un
avertissement envoyé aux gouvernements.
37. Il convient encore de se demander si l’Assemblée devrait se
sentir liée par les conclusions du Panel, en particulier si elles
sont négatives, comme l’a fait valoir Mme Vajić
à Riga. Je ne suis personnellement pas favorable à une telle restriction
de la marge d’appréciation de l’Assemblée. Il va sans dire que la
commission doit considérer les avis du Panel avec une très grande
attention. Mais les appréciations peuvent tout à fait diverger,
ne serait-ce qu’en raison des antécédents et de l’expérience différents
des membres du Panel et de la commission, et du fait que seuls les
membres de la commission ont l’occasion de rencontrer personnellement
les candidats, de leur poser des questions orales et d’observer
directement leurs réactions. Donner au Panel un droit de veto de
fait sur les candidatures soumises par les gouvernements reviendrait
à ce que l’Assemblée lui remette son pouvoir décisionnel, que le
Comité des Ministres n’a pas voulu lui conférer, ce qui serait en
contradiction avec la nature consultative de son mandat. C’est pourquoi,
le projet de résolution, je n’ai pas inclus, dans la liste des motifs
de rejet systématique, la possibilité que le Panel juge les trois candidats
insuffisamment qualifiés. Cela dit, il est vraisemblable qu’une
telle liste serait de toute façon rejetée, pour l’un des motifs
de rejet systématique que j’ai inclus dans le projet de résolution,
à savoir que les candidats ne remplissent pas tous les exigences
minimales de l’article 21 de la Convention (voir paragraphe 27 ci-dessus).
4.3 Propositions
visant à accroître la transparence de la procédure d’élection à
l’Assemblée
38. Une plus grande transparence
est en général perçue comme souhaitable et positive. Cela renforce l’obligation
des responsables de rendre des comptes et réduit les possibilités
d’influence indue de toutes sortes. Mais dans la procédure d’élection
des juges de la Cour, un excès de transparence peut nuire à la réputation
et à la carrière des candidats (non retenus), et ainsi dissuader
des professionnels de haut niveau de se porter candidats. La prévention
de cet effet dissuasif revient constamment dans la réflexion sur
les éléments de la procédure d’élection.
39. Je ne suis pas favorable à un accroissement de la transparence
par l’exposé détaillé des motifs des recommandations de la commission,
publiées avant l’élection – là encore surtout en raison de l’effet
dissuasif que cela aurait sur les candidats potentiels, dont la
réputation professionnelle pourrait être ternie. Cela poserait aussi
des problèmes pratiques considérables si la commission, organe collégial,
devait s’entendre sur la formulation exacte de textes plus longs,
dont la très délicate rédaction ne saurait être laissée au président
ou à la présidente, voire au secrétariat. Je soutiens donc vigoureusement
le maintien de la pratique actuelle du recours à des formules standardisées
exprimant les préférences de la commission, en fonction de la solidité du
soutien reçu par un, deux ou trois des candidats au vote à bulletin
secret par lequel se clôt le débat
Note. Je serais en revanche favorable à ce que
les membres de la commission soient autorisés à expliquer oralement dans
les réunions confidentielles de leur groupe politique pourquoi la
commission a préféré tel ou tel candidat. Mais même dans une telle
enceinte, qui n’est pourtant pas publique, les membres de la commission
devraient veiller très soigneusement à protéger la réputation de
tous les candidats en évoquant les points positifs plutôt que négatifs.
4.4 Autres
améliorations proposées de la procédure au sein de la commission
sur l’élection des juges
4.4.1 Faut-il
allonger la durée des entretiens ?
40. La durée actuelle des entretiens
(30 minutes) est une nette amélioration par rapport aux 15 minutes
dont la précédente sous-commission disposait lorsqu’un grand nombre
de postes de juges devaient être pourvus en peu de temps, à l’entrée
en vigueur de la nouvelle durée de fonctions (de neuf ans, non renouvelable).
Une durée de 45 ou 60 minutes par candidat obligerait à consacrer
une demi-journée à chaque liste, en raison des inévitables règles
à respecter en matière d’interprétation ; ce choix exigerait une
augmentation considérable des moyens budgétaires. Je doute aussi
que les membres aient tout ce temps en plus à consacrer à la commission.
Le problème de l’absentéisme pourrait s’aggraver si l’on en demande
trop. Mon expérience me suggère par ailleurs qu’un entretien de
30 minutes solidement structuré permet de se faire une assez bonne idée
de la personnalité, des capacités linguistiques et des aptitudes
au raisonnement juridique d’un candidat. Enfin, je ne pense pas
qu’habiliter le président ou la présidente à accorder davantage
de temps à un candidat selon le besoin, comme le proposent certains,
serait compatible avec l’égalité de traitement de tous les candidats.
4.4.2 Faut-il
rejeter systématiquement une liste lorsqu’elle comporte ne serait-ce
qu’un seul candidat inéligible?
41. Ce pourrait être un moyen de
se rapprocher de la situation idéale où peu importe, du point de
vue institutionnel, lequel des trois excellents candidats présentés
par une Haute Partie contractante est finalement élu. Cela exigerait
initialement un peu de courage et de patience. Avec le temps, les
gouvernements tireront la leçon de la pratique déjà établie de l’Assemblée
consistant à rejeter une liste si elle comporte même un seul candidat
inéligible, et ils feront en sorte que «tous les candidats figurant
sur une liste remplissent toutes les conditions visées à l’article 21.1»,
comme l’a demandé la Cour dans son avis consultatif. Ce point figure
aussi pour clarification dans le projet de résolution.
4.4.3 Faut-il
abaisser le seuil de majorité nécessaire au rejet d’une liste à
la commission pour l’élection des juges ?
42. La réduction de la majorité
nécessaire faciliterait évidemment le rejet des listes à la commission,
et permettrait ainsi à cette dernière de se montrer plus systématique
dans ses décisions de rejet. Mais elle pourrait aussi accroître
le risque de voir l’Assemblée passer outre une recommandation –
ce qui ne s’est jamais produit jusqu’à présent, rappelons-le. En
définitive, je serais favorable à la réduction de la majorité nécessaire au
rejet. Actuellement, une minorité de blocage est assez facile à
mettre en place, peut-être même trop facile, ce qui peut empêcher
la commission d’appliquer avec cohérence tous les motifs de rejet.
Avec la réduction du seuil, il sera plus facile de garantir des
procédures équitables de présélection nationale, de faire respecter
le rôle du Panel consultatif et de préserver le choix de l’Assemblée
entre trois candidats qualifiés, comme le demande la Convention.
J’ai donc inclus cette proposition dans le projet de résolution.
Son acceptation appellerait bien sûr une modification de l’annexe V
du Règlement (point VIII.4.i).
4.4.4 Faut-il
empêcher les membres du pays dont la liste est examinée de participer
aux discussions et/ou au vote au sein de la commission sur l’élection
des juges ?
43. Exclure de la décision de la
commission les membres du pays dont la liste est examinée pourrait prévenir
des conflits d’intérêts éventuels – ou ce qui pourrait être perçu
comme tel. En même temps, les collègues du pays concerné peuvent
fournir de précieuses indications, en particulier sur la qualité
de la procédure de sélection et la réputation des candidats ainsi
sélectionnés. Le mieux serait à mon avis de trouver un juste milieu:
laisser les membres du pays dont la liste est examinée participer
aux entretiens et aux discussions, mais pas au vote. Ce serait en
outre compatible avec la pratique adoptée par la commission de suivi.
4.4.5 Faut-il
organiser des séminaires introductifs pour les nouveaux membres
de la commission ? Prévoir davantage de temps pour les discussions
stratégiques ?
44. Une séance ou un séminaire
introductif pour les nouveaux membres pourrait couvrir les critères
et la procédure d’élection des juges, ainsi que certains éléments
fondamentaux du fonctionnement du système de la Convention, dans
l’optique de la Cour et dans la perspective des exigences de compétence
et d’expérience des juges. Si le budget le permet, il serait possible
d’étudier plus avant cette proposition, en particulier à l’intention
des nouveaux membres de la commission, qui pourraient se réunir
de temps à autre.
45. À la réunion de Riga, plusieurs membres ont suggéré d’organiser
annuellement des réunions de ce type, auxquelles participeraient
le/la président(e) du Panel consultatif et/ou d’autres experts extérieurs,
et où seraient abordées des questions stratégiques, comme l’interprétation
des critères de sélection et les perspectives d’évolution de la
procédure d’élection. Dans l’idéal, le Président de la Cour fournirait
à la commission une information sur les besoins de la Cour en termes
de savoir et d’expérience à lui apporter dans divers domaines du
droit. Si le budget le permet, je serais favorable à l’organisation
de discussions régulières de ce type, par exemple tous les deux
ans, car elles fourniraient l’occasion d’aborder plus en détail
des points fondamentaux avec plus de recul que cela n’est possible
dans le cadre des réunions normales de la commission consacrées
à l’examen des listes de candidats.
5 Conclusions
46. La procédure d’élection des
juges de la Cour européenne des droits de l’homme doit être irréprochable, depuis
la sélection des trois candidats qualifiés chez les Hautes Parties
contractantes jusqu’à l’élection du meilleur candidat à l’Assemblée.
Il en va de la crédibilité du Conseil de l’Europe et de l’autorité
de l’ensemble du système de la Convention.
47. Des progrès notables ont été faits ces dix dernières années
aux deux niveaux. Les procédures nationales de présélection, en
particulier, se sont améliorées avec l’adoption des Lignes directrices
du Comité des Ministres en la matière et la création du Panel consultatif
qui aide les gouvernements à produire les listes de trois candidats
compétents. À l’Assemblée, la procédure a beaucoup évolué aussi.
L’Assemblée a créé sa commission, dont les membres sont juristes
et possèdent l’expérience nécessaire. Elle a amélioré l’organisation
des entretiens au sein de la commission, et progressivement précisé
et renforcé les critères matériels de sélection, en particulier
en ce qui concerne l’équilibre entre les sexes, les langues à connaître
et autres exigences de bon fonctionnement de la Cour – le tout avec
l’appui de la Cour elle-même, comme cela ressort des deux avis consultatifs
de cette dernière.
48. D’autres améliorations sont toujours possibles. Des représentants
gouvernementaux ont mené, sous les auspices du Comité des Ministres
et du CDDH, une utile réflexion approfondie sur d’autres réformes éventuelles.
Il en a été de même au sein de notre commission. Cette dernière
dialogue avec les coprésidents du groupe de rédaction créé par le
CDDH, la présidente du Panel consultatif et plusieurs experts extérieurs. J’ai
trouvé convaincantes certaines propositions qui ont ainsi vu le
jour, et les ai incluses dans le projet de résolution ; j’en ai
analysé d’autres, que je n’ai pas jugé bon de reprendre.
49. Les changements sont, par rapport à la procédure actuelle:
- l’invitation communiquée au
président/à la présidente ou à un représentant/une représentante
du Panel consultatif d’expliquer à la commission l’avis de ce dernier
sur les candidats – en personne, dans les séances d’information
qui précèdent chaque groupe d’entretiens, ou par le truchement du
président/de la présidente de la commission;
- la codification d’une liste de motifs de rejet des listes
de candidats (rejet systématique des listes si la procédure nationale
de présélection n’a pas satisfait aux exigences minimales d’équité
et de transparence, si le Panel consultatif n’a pas été dûment consulté,
ou si l’un des trois candidats ne présente pas les qualifications
requises) et le passage de la majorité des deux tiers à la majorité
simple de la commission pour les votes de rejet;
- la non-participation au vote des membres de la commission
originaires du pays dont la liste est examinée.
Ces modifications figurent dans le projet de résolution présenté.
D’autres propositions avancées dans diverses enceintes, et auxquelles
je ne suis pas favorable, sont évoquées dans l’annexe, dans un souci
d’exhaustivité.