Création d’un mécanisme de l’Union européenne pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux
- Auteur(s) :
- Assemblée parlementaire
- Origine
- Discussion
par l’Assemblée le 9 avril 2019 (13e séance)
(voir Doc. 14850, rapport de la commission du Règlement, des immunités
et des affaires institutionnelles, rapporteure: Mme Petra
De Sutter; Doc. 14862, avis de la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme, rapporteur: Lord Richard Balfe; Doc. 14860, avis de la commission pour le respect des obligations
et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission
de suivi), rapporteur: M. Andrej Šircelj). Texte
adopté par l’Assemblée le 9 avril 2019 (13e séance).Voir
également la Recommandation
2151 (2019).
1. En octobre 2016, le Parlement européen
a adopté une résolution proposant que l’Union européenne crée un
mécanisme complet, contraignant et permanent pour superviser la
situation de la démocratie, de l’État de droit et des droits de
l’homme dans les 28 États membres, et assurer le respect des valeurs
fondamentales de l’Union européenne consacrées à l’article 2 du
Traité sur l’Union européenne et l’exécution des traités européens
dans les États membres. En l’absence de mesures prises par les institutions
compétentes de l’Union européenne, le Parlement européen, dans une
résolution du 14 novembre 2018, a réitéré son appel à la création
de ce mécanisme sans tarder.
2. L’Assemblée parlementaire reconnaît qu’une telle initiative
est légitime et cohérente du point de vue de l'Union européenne,
le Parlement européen constatant lui-même que les instruments existants,
mis en œuvre à la fois par la Commission européenne et le Conseil
européen, ont une portée limitée.
3. L’Assemblée considère que l’initiative du Parlement européen,
qui reste en discussion, nécessite une réflexion sérieuse dans la
mesure où le mécanisme envisagé se réfère expressément au cadre
du Conseil de l'Europe et tend à créer des synergies entre les deux
organisations. De par sa portée et son contenu, le mécanisme proposé
ne manquerait pas d’avoir un impact clair sur le Conseil de l'Europe,
son acquis normatif et les mécanismes d'application de ses conventions.
Le mécanisme fait référence à l'acquis du Conseil de l'Europe et
inclut dans sa «base juridique» plusieurs conventions du Conseil
de l'Europe – en particulier la Convention européenne des droits
de l'homme (STE no 5) et la Charte sociale
européenne (révisée) (STE no 163) – à
laquelle l'Union européenne n'est pas partie; plusieurs organes
du Conseil de l'Europe seront appelés à collaborer avec l'Union
européenne dans le cadre de ce mécanisme: la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise), le Groupe d'États
contre la corruption (GRECO), le Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe et la Commission européenne pour l'efficacité
de la justice (CEPEJ).
4. L’Assemblée rappelle que le Conseil de l'Europe et l'Union
européenne s'appuient sur des normes strictes en matière de droits
de l'homme, d'État de droit et de démocratie pour atteindre leurs
objectifs institutionnels respectifs. Depuis le Mémorandum d'accord
de 2007, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne ont développé
un partenariat stratégique fondé sur ces valeurs communes, qui rendent indispensables
la synergie et la convergence des actions. Aujourd'hui, les deux
organisations ont la responsabilité partagée de maintenir l'efficacité
de leurs cadres juridiques respectifs, en veillant à ce que tout chevauchement
de compétences ne crée pas de conflit, et en s’assurant que cet
ensemble de valeurs fondamentales et de principes communs est interprété
de manière cohérente, afin d'éviter une fragmentation de la compréhension
des valeurs fondamentales et de leur mise en œuvre sur le continent
européen.
6. L'Assemblée réaffirme avec force que, aux termes du Mémorandum
d’accord de 2007, la coopération entre les deux organisations se
fondera sur «les principes d’indivisibilité et d’universalité des
droits de l’homme, le respect des normes définies en la matière
par les textes fondamentaux des Nations Unies et du Conseil de l’Europe,
en particulier la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, et la préservation de la cohésion
du système de protection des droits de l’homme en Europe». En outre,
«l’Union européenne considère le Conseil de l’Europe comme la source
paneuropéenne de référence en matière de droits de l’homme» et que
«le Conseil de l'Europe restera la référence en matière de droits
de l'homme, de primauté du droit et de démocratie en Europe». Elle
se félicite du fait que de nombreuses conventions du Conseil de
l'Europe ainsi que des recommandations du Comité des Ministres contiennent
des normes considérées aujourd'hui comme des acquis communautaires,
sans que la logique opérationnelle de l'Organisation soit remise
en question. Le Mémorandum d'accord invitait en outre les institutions
de l'Union européenne à citer les normes pertinentes du Conseil
de l'Europe «comme une référence dans les documents de l'Union européenne»
et à prendre en compte les décisions et les conclusions des organes
du Conseil de l'Europe «lorsque cela est pertinent».
7. Le Conseil de l'Europe dispose d'un nombre important d'organes
habilités à collecter des données auprès des États membres, à évaluer
le respect des obligations générales et des engagements spécifiques
ou conventionnels par les États membres, ou à formuler des observations
et des recommandations relatives à la gouvernance démocratique,
à l'État de droit et aux droits de l'homme à l'attention des États
membres. L’Assemblée relève que le Conseil de l'Europe agit en tant
que partenaire de l'Union européenne, en fournissant le socle du
processus décisionnel de l'Union européenne en ce qui concerne les
pays qui sont également des États membres du Conseil de l’Europe.
La contribution du Conseil de l’Europe aux initiatives actuelles
relatives à l’État de droit de l’Union européenne, notamment avec
les avis de la Commission de Venise, s’est déjà avérée substantielle.
8. L’Assemblée rappelle que, depuis 1993, elle dispose d’une
procédure de suivi des obligations et des engagements pris par les
États membres lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe, dont
la mise en œuvre incombe à la commission sur le suivi des obligations
et des engagements des États membres (commission de suivi). L’ensemble
des États membres peuvent être soumis à cette procédure. En outre,
lorsque cette procédure est clôturée, un dialogue postsuivi est
établi avec l'État concerné. Cette procédure permet l’examen des
questions relatives au fonctionnement des institutions démocratiques
dans les États membres. Elle permet, enfin, de garantir le respect
des obligations assumées par les États membres qui ne font pas l’objet de
procédures de suivi spécifiques par le biais de rapports d’examen
périodique, effectués pays par pays.
9. L’Assemblée invite l’Union européenne à se référer aux travaux
de la commission de suivi en tant que de besoin.
10. L’Assemblée devrait veiller à ce que ses propres travaux pertinents
constituent également une source de référence pour l’Union européenne
dans le cadre de ses diverses procédures ou initiatives en vigueur
en matière d’État de droit, y compris les travaux de la commission
de suivi de l’Assemblée et les travaux pertinents de ses commissions
générales, en particulier les conclusions spécifiques à un pays
précis et les recommandations adressées dans les rapports et résolutions
thématiques qui visent un pays précis.
11. L'Assemblée reconnaît que la coopération mise sur pied entre
le Conseil de l'Europe et les institutions et agences de l'Union
européenne, en particulier avec l'Agence des droits fondamentaux,
s'est révélée positive et a permis de renforcer le cadre européen
pour la promotion des droits fondamentaux et la confiance mutuelle sur
laquelle repose la coopération entre les États européens.
12. En réponse aux préoccupations croissantes exprimées au sein
de l'Union européenne au sujet du déficit démocratique de plusieurs
de ses États membres, certains mécanismes de contrôle de l'État
de droit de l'Union européenne ont été déclenchés et d'autres initiatives
visant à contrôler le respect de l'État de droit ont été prises:
elles impliquent diverses institutions de l’Union européenne et
sont fondées sur différents paradigmes qui diffèrent par leur nature
et leurs effets coercitifs.
13. Réagissant aux initiatives antérieures de l'Union européenne
visant à instaurer des mécanismes de suivi du respect de l’État
de droit ou des droits de l'homme, l'Assemblée a souvent exprimé
sa réserve et mis en évidence les risques de duplication des mécanismes
et des normes, de fragmentation ou d’incohérence des normes applicables,
de «forum shopping», ainsi
que le risque de gaspillage des ressources budgétaires limitées,
lorsqu'un tel mécanisme existe déjà dans le cadre du Conseil de
l'Europe. Elle considère par conséquent qu’il est fondamental de
maintenir la primauté du Conseil de l'Europe dans l'évaluation du
respect des valeurs fondamentales communes par les États membres
de l'Union européenne, de même que par les États non membres de
l’Union européenne.
14. L'Assemblée rappelle également que les procédures actuelles
d’application et de contrôle du respect des valeurs des droits de
l'homme, de l'État de droit et de la démocratie, qu’elles aient
été établies par le Conseil de l'Europe ou l'Union européenne, reposent
sur une coopération avec les autorités et les institutions nationales.
Par conséquent, l'Assemblée se déclare préoccupée par le fait que,
si elles sont considérées du point de vue des autorités nationales,
les nombreuses recommandations formulées par les diverses institutions européennes
risquent de provoquer une fatigue institutionnelle et de compromettre
la capacité d'élaborer une politique publique sensée.
15. L’Assemblée estime que le Conseil de l'Europe et l’Union européenne
ont exprimé leur engagement politique ferme en faveur d’une utilisation
plus efficace des normes et des procédures existantes afin de créer un
environnement propice à la réalisation effective des droits et des
libertés des citoyens. L'Assemblée estime toutefois qu'un certain
nombre d'arrangements pratiques pourraient utilement conforter les
engagements politiques susmentionnés, clarifier et optimiser les
rôles et missions respectifs, et, parallèlement, éliminer ou minimiser,
à long terme, le risque de duplication des normes et des mécanismes
dans les actions entreprises. Elle rappelle, dans le droit-fil de
ses recommandations antérieures, que tout chevauchement inutile
d’activités dans le domaine des droits de l’homme, de l’État de
droit et de la démocratie doit être évité.
16. C'est pourquoi l'Assemblée invite l'Union européenne, dans
le cadre de ses procédures existantes et de ses initiatives visant
à assurer le respect des valeurs garanties à l'article 2 du Traité
sur l’Union européenne:
16.1 à soutenir
l’application efficace d’indicateurs de référence à l'échelle européenne,
en utilisant les «normes de l'État de droit» du Conseil de l'Europe,
y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme,
les recommandations pertinentes du Comité des Ministres, les normes
et avis de la Commission de Venise (y compris la «Liste des critères
de l’État de droit») et les recommandations, avis et/ou conclusions
des autres organes pertinents du Conseil de l’Europe;
16.2 à utiliser les rapports, avis ou recommandations disponibles
des organes consultatifs ou de suivi du Conseil de l'Europe, non
seulement en les citant comme référence dans les documents produits
par les instances de l’Union européenne, mais aussi en prenant en
compte les conclusions de ces organes dans l'évaluation que les
institutions de l'Union européenne conduisent afin de déterminer
si des problèmes liés à l'État de droit se posent, ainsi que d’orienter
les propositions pour toute action à entreprendre;
16.3 lorsqu'elle évalue si le manquement à l'État de droit
a été corrigé ou a cessé d'exister, de se mettre en rapport avec
les instances compétentes du Conseil de l'Europe qui ont rendu l'avis
ou la recommandation, afin d’assurer la cohérence des points de
vue et des conclusions. L’initiative d’une action politique en cas
de non-respect présumé du cadre juridique de l’Union européenne
incomberait à l’Union européenne, le Conseil de l’Europe offrant
une évaluation juridique et technique dans le respect des compétences
de ses organes consultatifs ou de suivi;
16.4 à prévoir que tout mécanisme de l’Union européenne comporte
des garanties assurant que l'évaluation ou l'action de l'Union européenne
ne portera pas atteinte aux procédures existantes relevant des mécanismes
consultatifs ou de suivi du Conseil de l'Europe, à l'instar de l'article 53
de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
17. L’Assemblée se félicite de la participation accrue de l’Union
européenne aux travaux de plusieurs organes du Conseil de l’Europe,
ce qui contribue à renforcer la cohérence des approches respectives
des organisations dans les domaines abordés et au sujet des pays
concernés. Cette bonne coopération doit se poursuivre sans nécessairement
conduire à des arrangements institutionnels formels. Toutefois,
dans un certain nombre de cas, l’établissement d’une base formelle
contribuerait non seulement à renforcer le concept de valeurs partagées
dans le domaine des droits de l’homme, de l’État de droit et de
la démocratie, mais aussi à éviter le risque de fragmentation et
de division dans l’application des normes en Europe.
18. Par conséquent, afin de développer la participation de l'Union
européenne aux organes de suivi du Conseil de l'Europe, l'Assemblée
appelle l'Union européenne:
18.1 à
reprendre le processus de négociation en vue de son adhésion à la
Convention européenne des droits de l'homme afin d'assurer la convergence
des normes relatives aux droits de l'homme dans l'ensemble de l'Europe;
18.2 à adhérer à la Convention pénale sur la corruption (STE
no 173) et à accélérer les négociations sur
sa participation au GRECO, en vue de contribuer à une meilleure
coordination des politiques en matière de lutte contre la corruption
en Europe.
19. En outre, en vue de l’adhésion de l’Union européenne à la
Charte sociale européenne (révisée), à laquelle le Parlement européen
a appelé à plusieurs reprises, l’Assemblée invite l’Union européenne
à renforcer la convergence du droit de l’Union européenne avec la
Charte sociale européenne et appelle les États membres à insérer
une clause d’adhésion dans la Charte sociale européenne pour permettre
à l’Union européenne d’y adhérer.
20. Par ailleurs, la Résolution du Parlement européen sur la nécessité
d’un mécanisme approfondi de l'Union pour la protection de la démocratie,
de l'État de droit et des droits fondamentaux confère aux parlements
nationaux un rôle important dans le mécanisme envisagé et appelle
à un dialogue interparlementaire renforcé entre le Parlement européen
et les parlements nationaux. Comme le Parlement européen, l'Assemblée
est convaincue que les parlements nationaux sont, en amont, bien
placés pour identifier les lacunes et définir les indicateurs permettant
de mesurer le respect des valeurs communes. Mais elle considère
également que, en aval, le manque d'informations des parlements
nationaux sur les recommandations formulées par les diverses institutions
européennes dans le cadre des mécanismes de conformité de l’État
de droit est préjudiciable à la consolidation du système de protection
des droits de l’homme et de l’État de droit en Europe.
21. L’Assemblée considère que, en tant que forum paneuropéen de
dialogue interparlementaire, dont les textes adoptés fournissent
des orientations aux gouvernements et aux parlements nationaux quant
aux normes à promouvoir en Europe, elle pourrait être le lieu privilégié
d'une interaction régulière entre les institutions de l'Union européenne
et les délégations parlementaires nationales qui siègent à l'Assemblée. Ainsi,
elle se tient prête à tenir un débat parlementaire annuel sur l’État
de droit, qui offrirait un moment opportun pour rapprocher les décideurs
et les organes de contrôle européens des parlements nationaux.
22. En conséquence, l'Assemblée décide d’inviter l'Union européenne
à coopérer à la mise en place d'un débat parlementaire annuel sur
l'État de droit, en utilisant la tribune de l’Assemblée parlementaire,
visant:
22.1 à permettre de mieux
informer les parlements nationaux des conclusions et des recommandations
des divers rapports portant sur le respect par les États membres
des normes relatives aux droits de l'homme, à l'État de droit et
à la démocratie, produits par le Conseil de l'Europe et l'Union européenne,
et à contribuer ainsi à convertir les recommandations, avis et conclusions
en politiques nationales de conformité;
22.2 à permettre aux parlements nationaux d'informer les institutions
européennes sur leurs questions prioritaires;
22.3 à aider à créer un sentiment commun que la situation d’un
pays n’est pas unique et que les mêmes problèmes sont partagés par
d’autres.
23. L'Assemblée invite le Parlement européen à renforcer leur
coopération mutuelle afin de développer la dimension parlementaire
des questions liées à l'État de droit.
24. Enfin, le développement de mécanismes de l'Union européenne
concernant l'État de droit, les initiatives en cours et leurs implications
pour le Conseil de l'Europe méritent une analyse et une réflexion
plus approfondies au niveau de l'Assemblée elle-même en ce qui concerne
l'impact potentiel sur son propre mode de fonctionnement en termes
de compatibilité avec sa propre procédure de suivi des obligations
et engagements souscrits par les États membres.