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Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la Fédération de Russie

Rapport | Doc. 14922 | 26 juin 2019

Commission
Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)
Rapporteur :
Sir Roger GALE, Royaume-Uni, CE
Origine
Renvoi en commission: Décision de l’Assemblée, Renvoi 4458 du 25 juin 2019. 2019 - Troisième partie de session

Résumé

Tout en regrettant le manque de coopération de la Fédération de Russie dans le cadre de sa procédure de suivi de l’Assemblée parlementaire, la commission de suivi exprime sa préoccupation au sujet d’un certain nombre de tendances négatives qui vont s’aggravant au regard de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme, et qui ont un impact sur le respect des autres obligations et engagements pris par la Fédération de Russie.

Dans le même temps, la commission souligne que l'Assemblée a toujours été attachée au dialogue politique en tant que moyen de parvenir à des compromis et à des solutions durables et qu’elle constitue la plate-forme la plus importante où le dialogue sur les obligations de la Fédération de Russie en vertu du Statut du Conseil de l'Europe peut avoir lieu avec la participation de toutes les personnes concernées et où la délégation russe peut être tenue responsable sur la base des valeurs et principes du Conseil de l'Europe.

La commission propose donc que les pouvoirs de la Fédération de Russie soient ratifiés.

A Projet de résolutionNote

1. L’Assemblée parlementaire prend note de la présentation des pouvoirs par la Fédération de Russie après l’adoption de la Résolution 2277 (2019) et de la Recommandation 2153 (2019) «Rôle et mission de l'Assemblée parlementaire: principaux défis pour l'avenir», de la décision du Comité des Ministres du 18 mai 2019 ainsi que de la Résolution 2287 (2019) «Renforcer le processus décisionnel de l'Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote».
2. Le 25 juin 2019, les pouvoirs de la délégation russe non encore ratifiés ont été contestés sur la base des articles 8.1 et 8.2 du Règlement de l’Assemblée au motif que l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie dans l’est de l’Ukraine ainsi que son annexion illégale persistante de la Crimée, sont en contradiction avec le Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) et avec les obligations et engagements du pays.
3. L’Assemblée rappelle sa Résolution 1990 (2014) «Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe», la Résolution 2034 (2015) «Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie» et la Résolution 2063 (2015) «Examen de l'annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie (suivi du paragraphe 16 de la Résolution 2034 (2015))», où elle a résolument condamné les graves violations du droit international commises par la Fédération de Russie pour ce qui est du conflit dans l’est de l’Ukraine et de l’annexation illégale de la Crimée.
4. L’Assemblée regrette la décision du Parlement russe de suspendre sa collaboration avec l’Assemblée et de ne pas soumettre les pouvoirs de sa délégation à l’ouverture de la session parlementaire en 2016, en 2017, en 2018 et en 2019 et à la suite des élections législatives de septembre 2016 en Fédération de Russie.
5. De même, l’Assemblée déplore la suspension, qui a pris effet depuis juillet 2017 du paiement par la Fédération de Russie de sa contribution annuelle au budget du Conseil de l’Europe, qui est juridiquement due par la Fédération de Russie.
6. Tout en regrettant le manque de coopération de la Fédération de Russie dans le cadre de sa procédure de suivi, l’Assemblée exprime sa préoccupation au sujet d’un certain nombre de tendances négatives qui vont s’aggravant au regard de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme, ce qui a un effet sur le respect des autres obligations et engagements pris par la Fédération de Russie.
7. Dans le même temps, il convient de souligner que l’Assemblée a toujours soutenu qu’elle souhaitait maintenir le dialogue comme moyen de parvenir à des solutions durables ainsi que l’ont montré les résolutions précitées. L’Assemblée parlementaire constitue l’enceinte paneuropéenne la plus importante où peut avoir lieu un dialogue politique sur les obligations de la Fédération de Russie en vertu du Statut du Conseil de l’Europe, avec la participation de toutes les parties intéressées et où la délégation russe peut être invitée à rendre des comptes sur la base des valeurs et des principes du Conseil de l’Europe.
8. Sur la base de sa Résolution 2277 (2019) «Rôle et mission de l'Assemblée parlementaire: principaux défis pour l'avenir», qui a proposé d’élaborer, outre celles qui existent, une procédure conjointe de réaction qui pourrait être déclenchée soit par l’Assemblée, soit par le Comité des Ministres, soit par le Secrétaire Général «afin de renforcer la capacité de l’Organisation d’agir plus efficacement lorsqu’un État membre manque à ses obligations statutaires ou ne respecte pas les valeurs et les principes fondamentaux défendus par le Conseil de l’Europe». Étant donné la réaction du Comité des Ministres exprimée à sa 129e session ministérielle, l’Assemblée est décidée à entamer immédiatement le travail sur la mise en place d’un tel mécanisme commun, qui devrait être politiquement impartial et efficace. Il devrait être opérationnel sans délai.
9. En outre, l’Assemblée note que le Comité des Ministres «eu égard à l’importance des élections du/de la Secrétaire Général(e) et de juges à la Cour européenne des droits de l’homme, apprécierait vivement que les délégations de tous les États membres participent à la prochaine partie de session de juin de l’Assemblée parlementaire», ainsi que l’indique la décision qu’il a adoptée lors de la 129e session ministérielle.
10. En conséquence, l’Assemblée décide de ratifier les pouvoirs de la délégation russe.
11. En contrepartie, l'Assemblée appelle la Fédération de Russie à mettre en œuvre toutes les recommandations figurant dans les Résolutions 1990 (2014), 2034 (2015) et 2063 (2015).
12. La délégation russe doit revenir à la coopération avec la commission de suivi et toutes les commissions de l’Assemblée sans plus tarder et prendre part au dialogue constructif sur le respect de ses engagements et obligations. L'accès aux représentants du Conseil de l'Europe chargés du suivi devrait être accordé.
13. En outre, l’Assemblée appelle les autorités russes:
13.1 à libérer les 24 marins ukrainiens capturés dans le détroit de Kertch sous le chef d’accusation de «franchissement illégal de la frontière de la Fédération de Russie»;
13.2 à procéder immédiatement à tous les paiements dus au budget du Conseil de l’Europe;
13.3 à coopérer pleinement et de manière inconditionnelle avec l’équipe commune d’enquête et le ministère public néerlandais pour traduire en justice les responsables de la destruction du vol MH17 de la Malaysia Airlines;
13.4 à prendre des mesures efficaces pour prévenir les violations des droits de l’homme des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI), en particulier en République tchétchène, et poursuivre les auteurs de ces actes commis par le passé;
13.5 à coopérer pleinement avec la communauté internationale dans l’enquête sur l’assassinat de Boris Nemtsov.
14. L’Assemblée s’attend à ce que son offre sans équivoque de dialogue soit réciproque et aboutisse à des résultats concrets. Elle invite sa commission de suivi à présenter un rapport sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie dans les meilleurs délais et au plus tard d’ici la partie de session d’avril 2020.

B Exposé des motifs, par Sir Roger Gale, rapporteur

1 Introduction

1. Dans sa résolution 2287 (2019) sur le renforcement du processus décisionnel de l’Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote, adoptée le 24 juin 2019, l’Assemblée invite les parlements des États membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas représentés en son sein à présenter les pouvoirs de leur délégation à la partie de session de l’Assemblée de juin 2019, dérogeant ainsi à l’article 6, paragraphes 1 et 3, du Règlement relatif à la transmission des pouvoirs des délégations nationales et à l’article 11.3 relatif aux désignations à la suite d’élections législatives.
2. Le 25 juin 2019, le Parlement de la Fédération de Russie a présenté les pouvoirs de sa délégation pour ratification par l’Assemblée.
3. Le même jour, Mme Nino Goguadze (Géorgie, CE), avec le soutien de plus de 30 membres de l’Assemblée présents dans la salle des séances appartenant à au moins cinq délégations nationales, a contesté les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation russe sur la base de l’article 8, paragraphes 1.a et 2, du Règlement de l’Assemblée parlementaire. Par la suite, M. Volodymyr Ariev (Ukraine, PPE/DC) a contesté les pouvoirs de la délégation russe pour des raisons formelles sur la base de l'article 7 avec le soutien de plus de 10 membres présents dans l’Hémicycle appartenant à au moins cinq délégations nationales.
4. Les raisons substantielles sur la base desquelles les pouvoirs ont été contestés sont l’agression militaire de la Fédération de Russie dans l’est de l’Ukraine ainsi que le maintien de son annexion illégale de la Crimée et, plus généralement, son non-respect des Résolutions 1990 (2014) et 2034 (2015) de l’Assemblée qui ont abouti à une violation du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1), et en particulier son préambule, et des obligations et des engagements du pays vis-à-vis du Conseil de l’Europe.
5. Dans la Résolution 1990 (2014) sur le réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe adoptée le 10 avril 2014, l’Assemblée condamne fermement la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y voyant une violation grave du droit international et du Statut du Conseil de l’Europe. Elle décide en conséquence de suspendre le droit de vote de la délégation russe, son droit d’être représentée à son Bureau, au Comité des Présidents et à la Commission permanente et le droit de participer à des missions d’observation des élections jusqu’à la fin de la session de 2014. Elle se réserve en outre le droit d’annuler les pouvoirs de la délégation russe, si la Fédération de Russie n’amorce pas une désescalade de la situation et ne fait pas marche arrière sur l’annexion de la Crimée.
6. La Résolution 2034 (2015) sur la contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie, adoptée le 28 juin 2015, condamne résolument les violations graves du droit international commises par la Fédération de Russie eu égard au conflit dans l’est de l’Ukraine et à l’annexion illégale de la Crimée. Pour exprimer sa condamnation, l’Assemblée prive la délégation russe d’un certain nombre de droits, dont le droit d’être désigné rapporteur, le droit d’être membre d’une commission ad hoc d’observation des élections et celui de la représenter dans les instances du Conseil de l’Europe ainsi qu’auprès d’institutions et d’organisations extérieures, tant au niveau institutionnel qu’à titre occasionnel, pour la durée de sa session de 2015.
7. Outre ces sanctions, elle décide de suspendre les droits de vote et de représentation à son Bureau, au Comité des Présidents et à la Commission permanente de la délégation russe auprès de l’Assemblée. Elle décide toutefois de réexaminer cette question en vue de rétablir ces deux droits lors de sa partie de session suivante (avril 2015), s’il devait s’avérer que la Fédération de Russie a fait des progrès tangibles et mesurables pour donner suite aux exigences formulées par l’Assemblée aux paragraphes 4.1 à 4.4, 5.1 à 5.3, 7.1 à 7.9, 11 et 12.1 à 12.4 de la Résolution 2034 (2015), et qu’elle a apporté sa pleine et entière coopération au groupe de travail mentionné au paragraphe 17 de cette résolution. Dans le même temps, l’Assemblée décide d’annuler les pouvoirs de la délégation russe lors de sa partie de session de juin 2015 si aucun progrès n’est constaté pour ce qui concerne la mise en œuvre du Protocole et du Mémorandum de Minsk ainsi que les demandes et recommandations de l’Assemblée, en particulier celles relatives au retrait immédiat des troupes russes de l’est de l’Ukraine.
8. Dans la Résolution 2063 (2015) sur l’examen de l’annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie (suivi du paragraphe 16 de la Résolution 2034 (2015)), adoptée le 24 juin 2015, tout en prenant acte des sanctions en place, l’Assemblée décide de ne pas annuler les pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe afin d’exprimer son engagement en faveur d’un dialogue ouvert et constructif avec la délégation russe.
9. En réponse, la délégation russe choisit malheureusement de ne pas participer aux travaux de l’Assemblée au cours des mois suivants de 2015Note. De plus, ayant apparemment anticipé que ces pouvoirs seraient de nouveau contestés et que des sanctions seraient appliquées, le Parlement russe n’a pas présenté de nouveaux pouvoirs en janvier 2016, 2017, 2018 et 2019 et n’en a pas non plus présenté à la suite des élections législatives de septembre 2016. Les dirigeants russes ont indiqué clairement que la décision de ne pas présenter de pouvoirs s’accompagnait d’une décision politique de ne pas coopérer avec l’Assemblée. Ils ont en outre déclaré publiquement à plusieurs occasions qu’ils ne pouvaient accepter de participer aux travaux de l’Assemblée sans jouir de tous leurs droits.
10. De plus, la situation s’aggravant, la Russie a suspendu, en juillet 2017, le versement de sa contribution annuelle au budget de l’Organisation. Dans la Résolution 2208 «La modification du Règlement de l’Assemblée: l’impact de la crise budgétaire sur la liste des langues de travail de l’Assemblée», adoptée le 16 mars 2018, l’Assemblée exprime sa vive préoccupation face à la crise budgétaire sans précédent qui affecte le Conseil de l’Europe dans son ensembleNote.
11. Si l’article 9 du Statut du Conseil de l’Europe dispose que «Si un membre n’exécute pas ses obligations financières [c’est-à-dire l’acquittement des contributions dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle elles sont dues], le Comité des Ministres peut suspendre son droit de représentation au Comité et à l’Assemblée Consultative (Parlementaire), aussi longtemps qu’il n’aura pas satisfait auxdites obligations», le Comité des Ministres a décidé d’appliquer sa décision de novembre 1994 qui permet de proroger le délai de non-versement à deux ans dans des «circonstances exceptionnelles». Dans la Recommandation 2124 (2018), adoptée le 16 mars 2018, l’Assemblée appelle instamment le Comité des Ministres à prendre les mesures qui s’imposent, à savoir la mise en œuvre de l’article 9 du Statut.
12. Dans l’allocution qu’il a prononcée devant l’Assemblée lors de la partie de session d’octobre 2018, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, a déclaré que les droits de la Russie d’être représentée au sein des organes statutaires du Conseil de l’Europe, Comité des Ministres et Assemblée parlementaire, pourraient être suspendus en juin 2019 pour défaut systématique de paiement.
13. La question de l’avenir de l’appartenance de la Russie au Conseil de l’Europe a été soulevée à maintes reprises par les responsables russes dans le contexte de la crise des relations entre la Russie et l’Assemblée parlementaire.
14. Malgré un certain nombre d’initiatives de l’Assemblée visant à rétablir le dialogue et la coopération, par exemple les réunions entre la Présidente de l’Assemblée parlementaire et le Président de la Douma d’État dans le cadre de la Conférence de la Communauté des États indépendants (CEI); la visite du Comité des Présidents à Moscou en 2016 ou la participation du Président du Conseil de la Fédération à la Conférence des présidents des parlements nationaux organisée par l’Assemblée, dans la période précédant la célébration du 70e anniversaire, le Conseil de l’Europe s’est retrouvé aux prises avec une crise institutionnelle et politique sans précédent due au refus de la Fédération de Russie de participer à l’Assemblée.
15. Dans le cadre d’une réflexion plus générale de la commission ad hoc du Bureau sur le rôle et la mission de l’Assemblée parlementaire, la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles a présenté le premier rapport sur le renforcement du processus décisionnel de l’Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote, qui d’une manière générale a été perçu comme une tentative de sortir de l’impasse et qui a fait l’objet de débats le 9 octobre 2018. Dans le projet de résolution, la commission propose de modifier les procédures afin de limiter les possibilités de contestation des pouvoirs de délégations pour des raisons substantielles et de réduire la portée des sanctions encourues par les membres des délégations dont les pouvoirs ont été contestés en plénière de manière que les délégations dont les pouvoirs ont été contestés conservent le droit de participer à l’élection des juges de la Cour européenne des droits de l’homme, du/de la Commissaire aux droits de l’homme, du/de la Secrétaire Général(e) et du/de la Secrétaire Général(e) adjoint(e) du Conseil de l’Europe ainsi que du/de la Secrétaire Général(e) de l’Assemblée parlementaire. À l’issue du débat, le rapport a été renvoyé à la commission du Règlement à la demande du rapporteur pour être révisé compte tenu du débat et soumis à un stade ultérieur (voir ci-dessous).
16. Le 10 avril 2019, l’Assemblée a examiné le texte intitulé «Rôle et mission de l’Assemblée parlementaire: principaux défis pour l’avenir.» À l’issue de cet examen, elle a adopté la Résolution 2277 (2019) et la Recommandation 2153 (2019) qui proposent toutes deux de mettre en place, en plus des procédures existantes, une procédure de réaction conjointe qui pourrait être engagée à l’initiative de l’Assemblée parlementaire, du Comité des Ministres ou du Secrétaire Général «afin de renforcer la capacité de l’Organisation d’agir plus efficacement lorsqu’un État membre manque à ses obligations statutaires ou ne respecte pas les valeurs et les principes fondamentaux défendus par le Conseil de l’Europe».
17. Dans la décision sur «Une responsabilité partagée pour la sécurité démocratique en Europe – garantir le respect des droits et obligations, principes, normes et valeurs,» qu’il a prise à sa 129e session tenue le 17 mai 2019 à Helsinki, le Comité des Ministres se félicite de cette proposition et «note qu’il est urgent de développer des synergies et d’organiser des actions coordonnées entre les deux organes statutaires, en reconnaissance de leurs mandats respectifs, afin de renforcer la capacité de l’Organisation d’agir plus efficacement lorsqu’un État membre manque à ses obligations statutaires ou ne respecte pas les normes, les valeurs et les principes fondamentaux défendus par le Conseil de l’Europe». De plus, «eu égard à l’importance des élections du/de la Secrétaire Général(e) et de juges à la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité des Ministres apprécierait vivement que les délégations de tous les États membres participent à la prochaine partie de session de juin de l’Assemblée parlementaire».
18. Dans ce contexte et à la suite de contacts entre les responsables de la Fédération de Russie et l’Assemblée parlementaire, la Résolution 2287 (2019) qui, outre qu’elle déroge aux délais de présentation des pouvoirs, précise que «les droits de vote, de parole et de représentation des membres à l’Assemblée et au sein de ses organes ne sont ni suspendus ni retirés en cas de contestation ou de réexamen des pouvoirs» a permis à la délégation russe de présenter des pouvoirs. À la suite de la contestation pour des raisons substantielles, les pouvoirs ont été renvoyés à la commission de suivi pour rapport et à la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles pour avis. La contestation pour des raisons formelles a été renvoyée à la commission du Règlement pour rapport.
19. À sa réunion du 25 juin 2019, la commission de suivi m’a nommé rapporteur pour le présent rapport.
20. Je présenterai ci-dessous les principaux faits nouveaux concernant la Crimée et l’est de l’Ukraine. Je donnerai aussi un bref aperçu des développements ayant un rapport direct avec les raisons substantielles de la contestation des pouvoirs de la délégation russe en ce qui concerne le respect du Statut du Conseil de l’Europe et des obligations et des engagements de ce pays.

2 Évolution de la situation en Crimée et dans l’est de l’Ukraine

21. Dans les Résolutions 1990 (2014), 2034 (2015) et 2063 (2015) mentionnées dans le chapitre précédent, l’Assemblée a condamné à plusieurs reprises l’annexion illégale de la Crimée et la poursuite de son intégration dans la Fédération de Russie. Elle a rappelé que cette annexion illégale constitue une violation grave du droit international, dont la Charte des Nations Unies, l’Acte final d’Helsinki de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ainsi que le Statut du Conseil de l’Europe, et des engagements contractés par la Russie lors de son adhésion à cette Organisation.
22. De plus, l’Assemblée a exprimé sa vive préoccupation concernant la dégradation de la situation des droits de l’homme, et notamment la mort, la disparition et la répression de personnes opposées à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie ou critiques à son égard. L’Assemblée s’est en outre déclarée fort préoccupée par le harcèlement et la fermeture en Crimée de la plupart des organisations non gouvernementales et des médias critiques à l’égard de l’annexion illégale de la région par la Russie, y compris la chaîne de télévision des Tatars de Crimée ATR.
23. L’Assemblée a par conséquent exhorté la Fédération de Russie, notamment, à annuler l’annexion illégale de la Crimée, à retirer toutes ses troupes militaires du territoire ukrainien (y compris la Crimée), à s’abstenir de tout harcèlement et de toute pression à l’égard des institutions et organisations tatares de Crimée, à mener des enquêtes sur toutes les morts et disparitions ainsi que sur les abus et les violations des droits de l’homme par la police et les forces (para) militaires actives dans cette région et à rouvrir l’ATR, la chaîne de télévision des Tatars de Crimée.
24. Hélas, il est manifeste qu’aucun progrès n’a été réalisé dans le sens de ces demandes. Au contraire, le harcèlement des Tatars de Crimée et de leurs organisations et représentants a continué sans fléchir. Le 26 avril 2016, la Cour suprême de Crimée nommée par la Russie a interdit le Mejlis des Tatars de Crimée, leur plus haut organe représentatif officiel, et l’a placé sur la liste des organisations extrémistes interdites en Russie au motif qu’en s’opposant à l’annexion illégale du territoire de la Crimée le Mejlis avait participé à une «propagande d’agression et de haine envers la Russie, incitant au nationalisme ethnique et à l’extrémisme dans la société». Cette interdiction a été confirmée par la Cour suprême de la Fédération de Russie le 29 septembre 2016.
25. L’interdiction du Mejlis des Tatars de Crimée a été condamnée fermement par les membres de la communauté internationale, notamment le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et l’Assemblée, qui dans sa Résolution 2132 (2016) relative aux «Conséquences politiques de l’agression russe en Ukraine» appelait à l’annulation de cette mesure. Le 19 avril 2017, la Cour internationale de justice de La Haye a ordonné à la Russie de lever son interdiction du Mejlis des Tatars de Crimée, ce que la Russie n’a toujours pas fait à ce jour.
26. En outre, la décision d’interdire à la chaîne de télévision des Tatars de Crimée ATR d’émettre depuis la Crimée n’a toujours pas été annulée. Le 28 septembre 2017, témoignant d’un nouveau durcissement des conditions imposées aux représentants de la Crimée, un tribunal de Simferopol a condamné les Vice-Présidents du Mejlis, M. Akhmet Tchiïgoz et M. Ilmi Oumerov, à deux ans de prison pour «séparatisme». Le 25 octobre 2017, grâce uniquement à l’intervention directe et à la médiation intense du Président Erdoğan de Turquie, les deux dirigeants tatars ont été libérés.
27. Le 18 septembre 2016, la situation s’est encore dégradée lorsque les autorités russes ont organisé, sans l’accord de l’Ukraine, des élections à la Douma russe sur le territoire de la Crimée occupée, en violation flagrante du droit international. Ces prétendues élections et leurs résultats sont à la fois illégaux et illégitimes et ont été déclarés nuls et non avenus par l’Assemblée dans la Résolution 2132 (2016) relative aux conséquences politiques de l’agression russe en Ukraine. Il ne fait aucun doute que nul ne peut être considéré comme ayant été élu légitimement lors de ce scrutin et ne saurait tirer un quelconque droit ou privilège de cet acte illégal au regard du droit international.
28. Comme l’ont souligné de nombreux témoignages d’organisations et de défenseurs des droits de l’homme crédibles et reconnus, la situation des droits de l’homme en Crimée n’a cessé de se dégrader. Aucune enquête fiable n’a été menée sur les abus des droits de l’homme commis en Crimée, notamment sur les disparitions et meurtres de militants opposés à l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie, comme l’a demandé, entre autres institutions, l’Assemblée.
29. Dans sa Résolution 2231 (2018) sur «Les ressortissants ukrainiens détenus par la Fédération de Russie en tant que prisonniers politiques», l’Assemblée s’inquiète vivement du fait que plus de 70 personnes, considérées comme des prisonniers politiques, soient détenues sur la base de fausses accusations à motivation politique dans des prisons de Russie et de Crimée. Un exemple particulièrement pertinent à cet égard est le cas d’Olegh Sentsov, cinéaste ukrainien condamné à 20 ans de prison par un tribunal russe pour avoir prétendument préparé des actes terroristes. Comme l’a souligné Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, cette affaire constitue une violation du droit international et des normes élémentaires de la justice.
30. En dépit d’appels répétés en faveur de sa libération, M. Sentsov, à qui le Parlement européen a décerné le prix Sakharov, reste incarcéré en Russie. Le rapport de mai 2019 du Groupe de défense des droits de l’homme de Crimée dénombre un total de 86 personnes placées en détention sur la base d’accusations pénales à motivation politique, notamment pour appartenance à une organisation extrémiste, espionnage ou conduite d’actions subversives en faveur de l’Ukraine. Dans ce même rapport, l’organisation exprime sa préoccupation concernant les conditions de détention effroyables et le fait que les droits à la liberté d’expression et de réunion des opposants à l’occupation de la Crimée par la Russie continuent d’être bafoués.
31. Un autre fait préoccupant est l’enrôlement de résidents de Crimée pour le service militaire obligatoire dans les forces armées russes, en violation de la IVe Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Ce traité interdit expressément d’astreindre des personnes vivant dans un territoire occupé à servir dans les forces armées de la puissance occupante, ainsi que toute propagande tendant à des engagements volontaires. Pour le seul mois de mai 2019, au moins trois affaires concernant des personnes accusées de s’être «soustraites au service militaire dans les forces armées de la Fédération de Russie» ont été portées devant des «tribunaux» de Crimée.
32. Dans un geste qui menace la stabilité et la sécurité générales de la région de la mer Noire, la Fédération de Russie a effectué un regroupement massif de forces armées en Crimée. Elle a notamment déployé des dispositifs antiaériens sophistiqués S-400 et S-300 et concentré massivement des troupes et des matériels militaires à la ligne de démarcation administrative avec l’Ukraine non occupéeNote. Des câbles diplomatiques de l’Union européenne ayant fait l’objet de fuites expriment la crainte que la Fédération de Russie ait déployé des armes nucléaires en Crimée, ce qui constituerait une violation du mémorandum de Budapest de 1994 sur les garanties de sécurité et représenterait une escalade importante et un risque pour la sécurité de la région.
33. Le 25 novembre 2018, les tensions entre la Russie et l’Ukraine se sont fortement aggravées lorsque des vaisseaux des gardes-frontières du Service fédéral de sécurité russe ont ouvert le feu sur trois navires ukrainiens qui traversaient le détroit de Kertch en direction de Marioupol et les ont arraisonnés. Ces actions de la Fédération de Russie constituent une violation manifeste du droit international, notamment de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui autorise l’Ukraine à naviguer librement dans ses propres eaux territoriales, et du traité de 2003 entre l’Ukraine et la Russie sur l’usage de la mer d’Azov et du détroit de Kertch. Ce dernier instrument prévoit la liberté de circulation des navires marchands et bâtiments militaires de la Fédération de Russie et de l’Ukraine dans ces eaux territoriales partagées. De surcroît, ces actions de la Fédération de Russie constituent une violation directe du Statut du Conseil de l’Europe et de l’engagement explicite de la Russie, pris lors de son adhésion, de régler par des moyens pacifiques tout conflit avec d’autres États membresNote.
34. L’escalade des tensions et le recours à la force militaire de la part de la Fédération de Russie ont été condamnés par l’Assemblée dans la Résolution 2259 (2019) sur l’escalade des tensions autour de la mer d’Azov et du détroit de Kertch et les menaces pour la sécurité européenne. Les autorités russes continuent de maintenir en détention les 24 marins ukrainiens capturés dans le détroit de Kertch, qu’elles accusent d’avoir «franchi illégalement la frontière de la Fédération de Russie». Dans sa Résolution 2259 (2919), l’Assemblée appelle à leur libération immédiate. Le 25 mai 2019, le Tribunal international du droit de la mer des Nations Unies (TIDM) a ordonné à la Fédération de Russie de libérer immédiatement les marins ukrainiens capturés et de leur permettre de retourner en Ukraine. Bien que les jugements du TIDM soient contraignants pour ses membres, dont la Fédération de Russie fait partie, les autorités russes ont refusé d’exécuter ce jugement et de libérer les marins ukrainiens, ce qui soulève des questions quant à la volonté des autorités russes de respecter le droit international et les conventions internationales auxquelles la Russie est Partie.
35. Dans les Résolutions 2034 (2015) et 2063 (2015), l’Assemblée a condamné l’agression militaire russe dans l’est de l’Ukraine, le maintien d’un soutien militaire et logistique des forces séparatistes et l’action militaire clandestine de troupes russes. Cette position a été réitérée dans la Résolution 2132 (2016) sur les conséquences politiques de l’agression russe en Ukraine et plusieurs autres résolutions adoptées depuis. Dans ces résolutions, l’Assemblée a appelé la Fédération de Russie, notamment: à mettre pleinement en œuvre les Accords de Minsk et l’ensemble de mesures en vue de leur application; à retirer toutes ses troupes du territoire ukrainien et cesser de fournir des armes aux forces séparatistes; et à mettre fin à l’afflux de «volontaires» russes sur la scène du conflit dans l’est de l’Ukraine.
36. Hélas, la mise en œuvre des Accords de Minsk n’a guère progressé et il est largement considéré que le processus est dans une impasseNote. Heureusement, le cessez-le-feu, qui est un aspect central des Accords de Minsk, semble être dans l’ensemble respecté depuis le printemps 2015. Toutefois, comme l’ont noté les observateurs de l’OSCE déployés afin d’évaluer la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu et le retrait des armes lourdes de la ligne de contact et de la zone tampon définie d’un commun accord, les violations du cessez-le-feu sont fréquentes des deux côtés, faisant régulièrement des victimes, tant civiles que militaires.
37. En février 2019, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies (HCDH) a estimé à plus de 13 000 le nombre des personnes ayant trouvé la mort dans ce conflitNote, dont plus de 200 civils pour la seule année 2018 d’après les estimations de l’OSCE.
38. L’une des raisons principales de l’impasse dans laquelle se trouve la mise en œuvre des Accords de Minsk est le refus de la Fédération de Russie de reconnaître qu’elle est une partie au conflit et qu’elle fournit aux forces séparatistes un soutien et un encadrement logistiques et militaires. Les autorités ukrainiennes, pour leur part, ont à de multiples reprises – et on peut le comprendre – déclaré que les dispositions politiques des Accords de Minsk ne pourraient être pleinementNote mises en œuvre que lorsque les conditions de sécurité prévues par les Accords de Minsk le seraient aussi, notamment celle qui prévoit le «retrait du territoire ukrainien de l’ensemble des unités armées étrangères, équipements militaires et mercenaires étrangers, sous le contrôle de l’OSCE».
39. La non-application des conditions de sécurité constituant un obstacle majeur à la mise en œuvre des Accords de Minsk, d’autres mécanismes permettant de fournir des garanties de sécurité ont été envisagés, notamment le déploiement d’une force de maintien de la paix des Nations Unies dans l’est de l’Ukraine. Cette proposition a été formulée initialement par le Président Porochenko en 2015, mais elle avait à l’époque été rejetée par la Fédération de Russie. En septembre 2017, cependant, la Russie a indiqué dans un document communiqué aux Nations Unies qu’elle n’était pas opposée à l’idée d’une mission de maintien de la paix des Nations Unies, quoique sous une forme beaucoup plus limitée que celle qu’avait proposée le Président Porochenko, c’est-à-dire en limitant la mission à la ligne de contact. Cette proposition a ensuite été examinée avec la participation de médiateurs internationaux de la France, de l’Allemagne et des États-Unis.
40. La nouvelle proposition formulée par les médiateurs après cet examen prévoyait un déploiement progressif de la force de maintien de la paix, en commençant par la frontière entre la Russie et l’Ukraine pour finir par l’ensemble de la région du DonbassNote Note. La Russie a cependant rejeté cette proposition au cours de l’été 2018, bien qu’un certain nombre de pays aient indiqué être prêts à fournir des troupes pour une telle opérationNote. Lorsqu’en février 2019 le Président Porochenko a renouvelé son appel aux Nations Unies pour le déploiement d’une force internationale de maintien de la paix, cette proposition a été résolument rejetée par la Fédération de Russie. Celle-ci s’est opposée en particulier à ce qu’une telle force contrôle la frontière russo-ukrainienneNote, lieu de passage essentiel pour les unités militaires russes et le soutien aux forces séparatistes.
41. Bien que la Russie s’en défende, l’engagement direct de forces militaires russes dans l’est de l’Ukraine demeure largement attesté. En février 2017, le chef-adjoint de la mission d’observation de l’OSCE a indiqué lors d’une interview que des observateurs avaient rencontré des soldats d’unités séparatistes affirmant faire partie de l’Armée russeNote, tandis que des drones déployés par des observateurs de l’OSCE ont repéré à la fois des convois militaires qui traversaient la frontière entre l’Ukraine et la RussieNote et la présence sur le territoire de l’Ukraine de dispositifs de guerre électroniques sophistiquésNote.
42. À cet égard, il est à noter que le Procureur général néerlandais a annoncé, le 23 mai 2018, que l’Équipe commune d’enquête (ECE) dirigée par les Pays-Bas avait conclu, sur la base d’éléments probants, que le missile anti-aérien BUK qui avait abattu l’avion de ligne civil du vol MH17 de la Malaysia Airlines avait été fourni par la 53e brigade anti-aérienne basée à KourskNote. Le 19 juin 2019, le Procureur général néerlandais a présenté de nouveaux éléments démontrant que le dispositif BUK avait été fourni par la Russie; il a également identifié les quatre premiers suspects, dont trois citoyens russes issus du Renseignement militaire russe et un citoyen ukrainien, et engagé des poursuites pénales à leur encontre. Il est regrettable que la Russie ait refusé toute coopération avec l’ECE afin de faire la lumière sur cette tragédie humaine qui a coûté la vie à 298 civils.
43. La Fédération de Russie continue de financer les forces séparatistes de la région du Donbass et de leur fournir un entraînement et des matériels militaires tels que des armements sophistiqués, en violation des Accords de MinskNote. Le fait que les violations de l’accord de cessez-le-feu de la part des forces séparatistes perdurent depuis quatre ans est une preuve supplémentaire du soutien logistique que la Fédération de Russie continue de leur apporter, car ces violations n’auraient pas été possibles sans un approvisionnement régulier en armes et en munitions.
44. Le 11 novembre 2018, des «élections» ont été organisées dans les prétendues républiques populaires de Donetsk et de Louhansk, avec le soutien de la Fédération de Russie. L’organisation de ces «élections» est une violation manifeste des Accords de Minsk et a été condamnée notamment par l’Union européenne et les États-Unis.
45. Le 24 avril 2019, le Président Poutine a promulgué un décret permettant aux résidents des territoires du Donbass qui ne sont pas sous le contrôle des autorités de Kiev d’obtenir un passeport et la nationalité russe selon une procédure simplifiée. Le recours de la Fédération de Russie à cette politique de «passeportisation» constitue une violation du droit international et des principes des Accords de Minsk signés par la Russie; elle est contraire au principe des bonnes relations de voisinage et porte atteinte à la souveraineté nationale de l’Ukraine. Elle a été fermement condamnée par la communauté internationale, eu égard en particulier au fait que des politiques analogues de passeportisation conduites dans les régions géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud ont précédé une intervention armée de la Russie en Géorgie en 2008.

3 Autres points préoccupants concernant les violations du droit international

46. Comme cela a été réitéré dans plusieurs résolutions de l’Assemblée, l’agression militaire russe dans l’est de l’Ukraine et l’annexion illégale de la Crimée démontrent clairement l’absence de volonté de la Russie de se conformer à ses obligations d’État membre et aux engagements qu’elle a contractés lors de son adhésion au Conseil de l’Europe en ce qui concerne ses relations avec ses voisins Note. Dans ce contexte, l’Assemblée a insisté, dans ses résolutions, pour que la Russie mette en œuvre, entre autres, les résolutions de l’Assemblée concernant la guerre entre la Russie et la Géorgie; élimine tous les obstacles à la libre circulation des civils de part et d’autre des lignes de démarcation administratives entre l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie et le reste de la Géorgie; honore son engagement d’adhésion à retirer la 14e armée et son équipement du territoire de la République de Moldova.
47. Malheureusement, aucun progrès n’a été constaté à cet égard: bien au contraire, concernant la Géorgie, la communauté internationale a condamné à de multiples reprises la «frontiérisation» en cours le long des lignes de démarcation administrative et l’annexion rampante de ces deux régions par la Fédération de Russie.
48. Ces développements ainsi que la récente ingérence de la Fédération de Russie dans des événements internes en Arménie montrent son refus persistant d’honorer ses obligations d’État membre et ses engagements d’adhésion dans ce domaine.

4 Développements concernant d’autres engagements et obligations de la Fédération de Russie

49. La dernière note d'information sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Fédération de Russie (AS/Mon (2016) 29 déclassifiée) remonte à octobre 2016. Malheureusement, les problèmes qui y sont identifiés dans le domaine de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’ont pas été réglés et aucun progrès n’a été constaté. Au contraire, les événements en Crimée et en Ukraine ont eu un impact visible sur la situation de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Fédération de Russie, exacerbant un certain nombre de tendances négatives en ce qui concerne d’autres engagements et obligations du pays Note.
50. Les autorités ont renforcé le contrôle exercé sur la liberté d’expression dans le but de maîtriser l’information, en particulier celle qui a trait au conflit, et muselé les critiques indépendantes (y compris les critiques en ligne). J’ai déjà cité les restrictions à la liberté d’expression imposées aux territoires ukrainiens contrôlés par la Russie, mais les journalistes font face à un environnement répressif dans l’ensemble du pays Note.
51. La Russie se trouve en 149e position sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse de 2019 de l’ONG Reporters sans frontières. Les attaques et les menaces contre les journalistes sont courantes. En avril 2017, le journaliste indépendant Nikolaï Andrushenko, cofondateur de l’hebdomadaire Novy Petersburg, connu pour ses reportages sur la corruption et les brutalités policières, est décédé après avoir été passé à tabac dans la rue. En mai 2017, Dimitri Popkov, rédacteur en chef du journal local indépendant Ton-M en Sibérie, a été abattu dans la rue dans la région de Krasnoïarsk en Sibérie. En avril 2018, Maxim Borodin, correspondant d'investigation pour le site d’information indépendant Novy Den, qui avait enquêté sur la présence de mercenaires russes en Syrie, est décédé après être tombé du balcon de son appartement au cinquième étage à Ekaterinbourg dans des circonstances suspectes. En septembre 2018, un militant des droits de l’homme et éditeur de site web aurait été empoisonné et a été soigné en Allemagne. En octobre 2018, Denis Korotkov de Novaya Gazeta a reçu des menaces de mort. En juin 2019, le blogueur vidéo russe Vadim Kharchenko qui relate et commente les manifestations menées contre les autorités et enquête sur des allégations d’abus de pouvoir de la part de la police a été attaqué et blessé à Krasnodar Note. Cette liste n’est pas exhaustive et il n’est nul besoin de souligner l’effet dissuasif que cela peut avoir sur d’autres journalistes.
52. Les journalistes et rédacteurs en chef émettant des critiques sont également souvent persécutés dans le cadre de procédures (pénales) qui sont considérées par la communauté internationale comme étant dictées par des motifs politiques. En octobre 2018, un tribunal de Moscou a infligé une amende de plus de 300 000 USD au magazine New Times pour n’avoir prétendument pas soumis à temps ses déclarations de financement. La rédactrice en chef Yevgenia Albats a affirmé que l’amende sanctionnait son interview à la radio Echo Moscou avec le militant de l’opposition Alexeï Navalny. En décembre 2018, Aleksandre Valov, le rédacteur en chef de BlogSochi qui avait écrit des articles sur la corruption, a été condamné à six ans de réclusion pour extorsion. En juin 2018, un correspondant pour l’agence de presse nationale ukrainienne Ukrinform en France, qui était détenu depuis 2016, a été condamné à 12 ans de prison pour présomption d’espionnage. En janvier 2019, le blogueur Viktor Toroptsev a été condamné à dix jours de prison pour infraction au code de la route après avoir partagé sur YouTube une vidéo qui montrerait plusieurs représentants des forces de l’ordre assistant aux obsèques d’un chef de gang local. En février 2019, la police a ouvert une enquête pénale, perquisitionné l’appartement et saisi les effets personnels d’une journaliste, Svetlana Prokopyeva, pour sa critique des autorités concernant un attentat-suicide survenu l’an dernier Note. En mai 2019, le journaliste Victor Korb a été mis en examen pour transcription et publication d’un discours prononcé par un détracteur du Kremlin lors de son procès en 2015. En juin 2019, le rédacteur en chef Abdulmumin Gadzhiev a été détenu pour des chefs d’accusation de terrorisme fondés, d’après les constats du CPJ, sur la déposition d’un témoin qui s’est ensuite rétracté, alléguant qu’elle lui avait été extorquée sous la torture Note. À nouveau, il ne s’agit que de quelques exemples. Pour plus d’informations, veuillez consulter le rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias «Attaques contre les journalistes et la liberté des médias en Europe» (Doc. 14229).
53. Deux affaires ont récemment connu un dénouement plus heureux: à la suite d’un niveau de pression historique de la part de la société civile russe Note, Ivan Golounov, un journaliste d’investigation connu, qui avait été arrêté sur des accusations très douteuses de trafic de drogue, a été libéré le 11 juin 2019 après plus d’un mois de détention; depuis, les poursuites ont été abandonnées Note. De même, le journaliste indépendant Igor Rudnikov a été libéré il y a quelques jours par le tribunal de Saint-Pétersbourg après avoir été détenu plus de 20 mois sur des chefs d’accusation qui sont largement considérés comme fabriqués de toutes piècesNote. Toutefois, selon les organisations internationales de défense des droits de l’homme, au moins cinq autres journalistes sont toujours détenus en Russie sur des chefs d’accusation douteux Note. Malheureusement, cette tendance positive s’est avérée être de courte durée avec l’arrestation par la police le 12 juin de 100 manifestants, dont Alexeï Navalny, qui demandaient la condamnation des policiers qui avaient placé des preuves accablant Ivan Golounov.
54. Une loi contre l’extrémisme vague et exagérément large est utilisée pour poursuivre pénalement toute critique sur les réseaux sociaux. Depuis 2017, le parquet dispose du pouvoir de bloquer par voie extrajudiciaire tout contenu partagé par des organisations étrangères «indésirables», ainsi que les sites internet qui diffusent des matériels provenant de ces organisations. En avril 2018, les autorités ont bloqué l’application populaire de messagerie Telegram qui n’avait pas permis au Service fédéral de sécurité (FSB) d’accéder aux communications cryptées.
55. L’adoption récente de nouveaux textes législatifs par le Parlement russe ne va pas améliorer la situation. Il s’agit notamment de la loi sur les «fausses informations» et le «non-respect des autorités», qui permettent aux tribunaux de condamner des personnes à des peines de réclusion et à des amendes et de bloquer les sites internet qui publient des contenus litigieux; d’amendements au code des infractions administratives qui permettent d’infliger des amendes aux personnes physiques et morales qui distribuent de la presse écrite provenant de médias étrangers sans l’autorisation du Roskomnadzor, le régulateur fédéral russe des médias; et d’une loi permettant aux autorités de qualifier des journalistes d’«agents étrangers». De premières poursuites fondées sur la loi relative au non-respect des autorités ont déjà été lancées. Il est à craindre que cette législation conduise à interdire toute opposition politique en déclarant non respectueuse toute critique des autorités Note.
56. La situation des ONG et des défenseurs des droits de l’homme ne s’est pas améliorée. Dans sa Résolution 2096 (2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe?» et dans sa Résolution 2225 (2018) «Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l’Europe», l’Assemblée s’est dite vivement préoccupée par la «loi relative aux agents étrangers», qui stigmatise les organisations recevant des financements étrangers qui sont considérées comme s’engageant dans des activités politiques. Fin 2018, 73 organisations étaient considérées comme «agents étrangers», tandis que de nombreuses autres avaient cessé d’accepter les contributions étrangères ou mis fin à leurs activités. Celles qui sont enregistrées comme «agents étrangers» ont des difficultés considérables à poursuivre leurs objectifs.
57. Dans ces résolutions, l’Assemblée s’est également inquiétée de l’adoption, en mai 2015, de la «loi relative aux organisations indésirables». Quinze ONG étrangères ont été considérées comme étant des «organisations indésirables» au motif qu’elles menaçaient la sécurité nationale. Cette désignation permet aux autorités d’imposer tout un éventail de sanctions contre ces organisations et contre ceux qui travaillent avec elles. Dans sa Résolution 2225 (2018), l’Assemblée a appelé la Russie à modifier la législation relative aux ONG, conformément aux Avis nos 716/2013 et 717/2013 de la Commission de Venise. Malheureusement, cela n’a pas été fait.
58. D’autres formes de harcèlement et d’intimidation entravent le travail des ONG. En janvier 2018, Oyub Titiev, directeur du bureau de Memorial en Tchétchénie, a été arrêté pour présomption de possession de drogue Note. Le 10 juin 2019, il a bénéficié d’une libération conditionnelle à la suite de campagnes nationales et internationales massives menées en sa faveur. En octobre 2018, Oleg Kozlovsky, chercheur d’Amnesty International, a été détenu, battu et soumis à un simulacre d’exécution par des agresseurs masqués qui cherchaient des informations sur ses contacts locaux et ont menacé de tuer sa femme et ses enfants. Les personnes intéressées peuvent trouver davantage d’informations dans les rapports de la commission des questions juridiques «Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l’Europe» (Doc. 14570) et «Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe» (Doc. 14567).
59. L’environnement dans lequel évolue l’opposition politique est également de plus en plus restrictif. En raison du manque de coopération avec l’Assemblée, ni l’élection présidentielle du 18 mars 2018 ni les élections législatives du 18 septembre 2016 n’ont été observées par l’Assemblée parlementaire. Or les différents rapports d’observation des élections de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont montré de nombreuses violations, aussi bien lors des campagnes électorales que le jour de l’élection. Ces violations comprenaient le traitement préférentiel de certains médias, l’utilisation abusive des ressources publiques, le bourrage d’urnes, les pressions sur les électeurs et les campagnes illicites.Note
60. Certains candidats de l’opposition n’ont pas été autorisés à s’enregistrer. Durant la course à la présidence, le principal adversaire du président Poutine, Alexeï Navalny, avait été écarté avant le début de la campagne en raison d’une condamnation pénale dictée par des motifs politiques, entraînant ce que l’OSCE a qualifié d’«absence de véritable compétition politique».
61. En août 2018, le ministère de la Justice a refusé une nouvelle fois l’enregistrement du parti politique d’Alexeï Navalny. Celui-ci tentait d’enregistrer un parti depuis 2012, mais ses demandes étaient toujours retardées ou rejetées pour des motifs techniques.
62. Comme les journalistes et les militants des droits de l’homme, les hommes politiques et les militants de l’opposition sont souvent la cible d’affaires pénales fabriquées de toutes pièces et d’autres formes de harcèlement administratif apparemment conçues pour empêcher leur participation au processus politique. En 2018 seulement, Alexeï Navalny a été incarcéré à trois reprises en lien avec des manifestations non autorisées, pour des durées allant de 15 à 30 jours. En novembre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et déclaré que les sept arrestations de M. Navalny entre 2012 et 2014 avaient pour but d’«étouffer le pluralisme politique». Amnesty International l’a déclaré prisonnier d’opinion.
63. Le 28 mai 2019, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire a appelé les autorités russes à «rouvrir et à poursuivre» leur enquête sur le meurtre du leader de l’opposition Boris Nemtsov, en énumérant un certain nombre de «sérieuses inquiétudes» quant à l’indépendance et à l’efficacité de l’enquête.
64. Ces dernières années, le droit à la liberté de réunion en Russie a été considérablement limité du fait des changements législatifs et des réactions disproportionnées de la police, dont l’usage excessif de la force et les arrestations régulières. L’autorisation d’organiser un rassemblement dans la rue est souvent refusée et les manifestations non autorisées, même quand elles sont pacifiques, sont sévèrement punies par des amendes extrêmement élevées et l’arrestation des participants.
65. Pour illustrer cette réalité, je me référerai aux événements les plus récents: en juin 2019,100 personnes ont été détenues à la suite de manifestations pacifiques contre l’arrestation d’Ivan Golounov. Durant les manifestations du 1er mai à Saint-Pétersbourg, plus de 100 personnes ont été arrêtées, dont deux journalistes.
66. Les autorités régionales continuent de harceler les groupes non traditionnels comme les témoins de Jéhovah et les mormons. La législation de lutte contre le terrorisme approuvée en 2016 autorise les autorités à réprimer les groupes religieux considérés comme extrémistes. En 2017, la Cour suprême russe a confirmé la décision du ministère de la Justice d’interdire les témoins de Jéhovah en tant qu’organisation extrémiste. On estime qu’il y a 175 000 membres de ce groupe en Russie. En décembre 2018, plus de 80 d’entre eux avaient été incarcérés, assignés à domicile ou avaient vu leur liberté limitée, et plusieurs milliers s’étaient réfugiés à l’étranger.
67. Les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) de la Fédération de Russie sont victimes de discrimination dans de nombreux domaines, notamment l'emploi, l'éducation, le dossier médical, la liberté d'association et de réunion. L'environnement restrictif envers les personnes LGBT s'est détérioré suite à l'adoption, en 2013, de la loi no 167-FZ sur la «propagande gay» et, en 2014, d'un décret gouvernemental no 93. Les politiciens et même les membres du gouvernement tiennent des discours très répandus qui stigmatisent les personnes LGBT et encouragent les sentiments et les comportements anti-LGBT au sein de la population. La situation est particulièrement dramatique en Tchétchénie, où, depuis 2019, des rapports fiables font état d'une nouvelle vague de persécutions accrues des personnes LGBT, des défenseurs des droits humains et des journalistes qui dénoncent les abus.
68. Un certain nombre d’autres problèmes identifiés dans la note d’information sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Fédération de RussieNote concernant l’État de droit, notamment l’indépendance de la justice, l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et les violations des droits de l’homme n’ont pas été réglés par les autorités. Ils feront l’objet, je l’espère, d’un rapport de suivi périodique une fois que la coopération parlementaire aura repris.
69. À la suite de la décision de la délégation russe de cesser tout contact avec l’Assemblée parlementaire, il n’y a pas eu de coopération dans le cadre de la procédure de suivi depuis janvier 2015. Il convient de souligner que la coopération pleine et entière avec la commission de suivi est un engagement explicite contracté par la Fédération de Russie en tant que pays lors de son adhésion au Conseil de l’Europe. Cet engagement demeure valable, indépendamment du souhait du Parlement russe d’être représenté ou non à l’Assemblée parlementaire et de participer ou non à ses travaux.

5 Pistes possibles et conclusions

70. En qualité de rapporteur de la commission de suivi, je suis chargé de la tâche difficile de proposer un moyen de sortir de la situation dans laquelle l’Assemblée se trouve. Le Règlement offre trois possibilités. L’Assemblée peut décider: 1. de ne pas ratifier les pouvoirs de la délégation de la Fédération de Russie; 2. de ratifier les pouvoirs; ou 3. de ratifier les pouvoirs tout en suspendant certains des droits de la délégation, considérant qu’après l’adoption de la Résolution 2287 (2019) «les membres de l’Assemblée ne peuvent être privés du droit de vote, du droit de parole, ni du droit d’être représentés à l’Assemblée et dans ses organes, et l’exercice de ces droits ne peut être suspendu, dans le contexte d’une contestation ou d’un réexamen des pouvoirs» (article 10.1.c).
71. Les parties précédentes ont mis en évidence l’absence manifeste de progrès dans la mise en œuvre par la Fédération de Russie des demandes formulées par l’Assemblée dans les Résolutions 1990 (2014), 2034 (2015) et 2063 (2015) qui ont déjà porté sur l’examen des pouvoirs de la délégation russe.
72. Nous ne pouvons aussi que regretter la décision du Parlement russe du 18 avril 2014 de suspendre la coopération avec l’Assemblée parlementaire, laquelle équivaut à un rejet évident de l’offre de dialogue politique de l’Assemblée et soulève des questions sur la détermination de la Fédération de Russie à s’acquitter des obligations qui sont les siennes en vertu du Statut du Conseil de l’Europe.
73. Compte tenu toutefois du débat sur le renforcement du processus décisionnel de l’Assemblée parlementaire concernant les pouvoirs et le vote, il est clair que l’Assemblée demeure attachée au dialogue pour trouver des solutions durables à ces questions. Il convient aussi de rappeler que dans les résolutions susmentionnées, elle s’est déclarée convaincue que le dialogue devait être le moyen d’aller de l’avant pour régler les conflits. Elle a estimé dans le même temps que le rejet des pouvoirs nuirait à l’objectif du Conseil de l’Europe et la priverait de toute possibilité de dialogue politique. La décision du Parlement russe de présenter en fin de compte les pouvoirs de sa délégation, après quatre ans d’absence au niveau parlementaire du Conseil de l’Europe, devrait aussi être perçue comme un signe de sa volonté de relancer ce dialogue. Je me félicite de cette décision et pense sincèrement que nous ne devons pas lui tourner le dos.
74. Il est important de noter que le rétablissement de la coopération permettra, et doit entraîner, la réactivation de la procédure de suivi à l’égard de la Fédération de Russie, ce qui permettrait à l’Assemblée de tenir la délégation russe responsable sur la base des valeurs et des principes du Conseil de l’Europe.
75. Nous devons aussi être conscients des conséquences possibles du rejet des pouvoirs russes, qui pourrait conduire au bout du compte au retrait de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe. L’adhésion de leur pays au Conseil de l’Europe permet aux citoyens russes d’avoir accès à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous ne devons pas l’oublier et tenir compte des besoins de citoyens russes qui voient dans le Conseil de l’Europe un moyen de protéger leurs droits. De même, les organisations non gouvernementales et les militants considèrent le Conseil de l’Europe comme un instrument de protection. La décision du Comité des Ministres du 17 mai 2019 témoigne aussi de la volonté politique claire de faire de l’Assemblée parlementaire et du Conseil de l’Europe une plateforme de dialogue politique avec la Fédération de Russie. Bien que la décision des ministres des Affaires étrangères ne nous lie nullement, nous souhaitons en tenir compte.
76. C’est pourquoi je propose que l’Assemblée ratifie les pouvoirs de la délégation russe avec des conditions, comme elle l’a fait dans ses résolutions 1990 (2014), 2034 (2015) et 2063 (2015).
77. Se pose alors la question de savoir si l’Assemblée devrait priver la délégation russe de certains droits et privilèges.
78. Je tiens à rappeler ici l’avis de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles sur «une liste des droits de participation et de représentation dont l’exercice peut faire l’objet d’une privation ou d’une suspension dans le contexte d’une contestation ou d’un réexamen des pouvoirs» établie et approuvée par le Bureau de l’Assemblée le 30 septembre 2014. L’avis précise que «toute sanction devrait être cohérente et reposer sur les principes de la sécurité juridique et de la proportionnalité à la gravité de l’infraction en cause».
79. Dans ce contexte, la sécurité juridique implique de veiller à ce que des violations similaires conduisent à des sanctions similaires si elles venaient à se répéter, et que des actions similaires d’autres délégations entraînent des sanctions de même niveau. Le respect de la proportionnalité signifie que s’il est décidé d’appliquer des sanctions, ces dernières – ou l’absence de ces dernières – ne devront pas, par leur trop grande sévérité ou leur trop grande légèreté, empêcher l’Assemblée de sanctionner par la suite des violations plus graves ou moins graves des obligations et engagements d’un pays donné.
80. En conséquence, tout en proposant que les pouvoirs de la délégation russe soient ratifiés, je propose d’introduire un certain nombre de conditions en même temps pour exprimer la condamnation par l’Assemblée des violations graves et continues par la Russie du droit international, du Statut du Conseil de l’Europe et de ses propres engagements et obligations. Ce serait faire preuve d’une indulgence excessive à l’égard de ces violations incontestables que de ratifier les pouvoirs sans suspendre la délégation russe de certains droits. Cela enverrait un mauvais signal et serait perçu comme une récompense de l’absence de coopération au cours des quatre dernières années.
81. Deux questions en particulier devraient être prises en compte à ce sujet. Premièrement, il serait inimaginable qu’un pays qui refuse ouvertement de s’acquitter de ses obligations et de ses engagements et de donner suite aux recommandations et aux demandes de l’Assemblée puisse représenter cette dernière à l’extérieur et dans d’autres organes du Conseil de l’Europe.
82. Deuxièmement, l’ingérence de la Fédération de Russie dans les affaires intérieures d’autres pays, en particulier des États voisins, par des moyens inacceptables en droit international est l’une des principales causes de la crise des relations entre l’Assemblée et la Fédération de Russie. Comme l’Assemblée l’a déclaré à maintes reprises, la Fédération de Russie continue de refuser d’honorer les engagements qu’elle a contractés lors de son adhésion vis-à-vis de ses voisins. Il serait donc inimaginable que le retour de la délégation russe à l’Assemblée permette à la Fédération de Russie, par l’intermédiaire de sa délégation, d’avoir recours aux mécanismes et aux privilèges de l’Assemblée pour continuer à s’ingérer, plus intensément peut-être, dans les affaires intérieures d’autres pays. La Fédération de Russie devrait donc être privée de la possibilité de participer à l’observation d’élections par l’Assemblée ou d’être rapporteur de la commission de suivi. C’est, de nouveau, de mon point de vue le strict minimum. De plus, les membres voudront peut-être envisager l’interdiction d’être rapporteur dans d’autres commissions de l’Assemblée.
83. Je propose donc que l’Assemblée suspende les droits ci-après de la délégation russe pendant le reste de l’année 2019: le droit d’être élu membre des bureaux des commissions; le droit d’être nommé rapporteur; le droit de participer aux missions d’observation électorale de l’Assemblée et le droit de représenter l’Assemblée dans les organes du Conseil de l’Europe, les institutions et les organisations extérieures, tant au niveau institutionnel que ponctuellement.
84. Nous devrions en outre demander aux autorités russes de libérer les 24 marins ukrainiens capturés dans le détroit de Kertch sous l’inculpation de «franchissement illégal de la frontière de la Fédération de Russie»; de verser immédiatement toutes les contributions dues au titre du budget du Conseil de l’Europe; et de coopérer sans condition et pleinement avec l’équipe d’investigation conjointe et le parquet néerlandais pour traduire en justice les responsables du crash du vol MH 17 de Malaysia Airlines.
85. Il est clair que l’Assemblée s’attend à ce que son offre de dialogue soit réciproque et débouche sur des résultats concrets. La délégation russe doit en particulier coopérer de nouveau avec la commission de suivi et engager un dialogue constructif sur le respect de ses engagements et de ses obligations.